The Project Gutenberg EBook of La séparation des Églises et de l'État, by Aristide Briand This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org/license Title: La séparation des Églises et de l'État Rapport fait au nom de la Commission de la Chambre des Députés, suivi des pièces annexes Author: Aristide Briand Release Date: October 22, 2018 [EBook #58149] Language: French Character set encoding: UTF-8 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA SÉPARATION DES ÉGLISES *** Produced by Claudine Corbasson and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive/Canadian Libraries)
ARISTIDE BRIAND
DÉPUTÉ
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La Séparation
des
Églises et de l’État
————
Rapport fait au nom de la Commission
de la Chambre des Députés, suivi des pièces annexes
PARIS
ÉDOUARD CORNÉLY ET Cie, ÉDITEURS
101, RUE DE VAUGIRARD, 101
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1905
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION RELATIVE A LA SÉPARATION DES ÉGLISES ET DE L’ÉTAT ET A LA DÉNONCIATION DU CONCORDAT[1] CHARGÉS D’EXAMINER LE PROJET DE LOI ET LES DIVERSES PROPOSITIONS DE LOI concernant la Séparation des Églises et de l’État.
PAR
M. ARISTIDE BRIAND
député.
Messieurs,
En 1778, quelques années à peine avant la Révolution, il existait dans le royaume de France une moyenne de 130.000 ecclésiastiques. On pouvait les répartir ainsi: 70.000 appartenaient au clergé séculier parmi lesquels on comptait 60.000 curés et vicaires; 2.800 prélats, vicaires généraux, chanoines de chapitres; 5.600 chanoines de collégiales; 3.000 ecclésiastiques sans bénéfices. Quant 2 au clergé régulier le chiffre des ecclésiastiques qu’il comprenait s’élevait à 60.000.
Ces chiffres sont empruntés à l’abbé Guettée, et Taine les donne comme authentiques. De Pradt, le célèbre diplomate ecclésiastique, le conseiller et le collaborateur de Napoléon dans son œuvre concordataire, nous apporte un dénombrement analogue.
Ces 130.000 ecclésiastiques possédaient, à la veille de la Révolution, un tiers de la fortune de la France. Dans son rapport au Comité ecclésiastique, le constituant Treilhard évalue à 4 milliards les biens du clergé; et ce chiffre n’a rien d’exagéré. Ces 4 milliards rapportent annuellement de 80 à 100 millions; et il faut joindre à ce revenu ce que produit au clergé la dîme; soit 123 millions par an; au total, 200 millions.
Pour apprécier l’importance de ce revenu, en le chiffrant suivant la valeur qu’il aurait aujourd’hui, il faut parler de 400 millions. Il n’a été question ni du casuel ni des quêtes.
Et si nous avons placé ici, au début de ce travail cet état succinct de la propriété ecclésiastique, à la veille de la Révolution française, c’est afin de donner une idée éclatante de ce qu’était la puissance matérielle de l’Eglise, en France, au moment où cette puissance, et l’autorité morale même du catholicisme vont être mises en question, et pour la première fois contestées au nom de principes qui s’attaquèrent non seulement aux manifestations extérieures de l’Eglise, à ses abus, à certains de ses dogmes, comme l’avaient fait, par exemple, le protestantisme et l’orthodoxie russe, mais à son esprit même, à sa conception générale de la vie, du monde, et de la divinité.
Si, par le seul effort des constituants et des conventionnels, cette énorme puissance matérielle a pu être sapée, détruite, anéantie,—du moins pendant la période 3 qui précède le Concordat de 1801,—c’est donc que les principes de la Révolution laïque eurent une vertu prodigieuse!
Hélas! nous ne saurions attribuer aux idées une aussi grande force qu’elles puissent saper ce qui est profondément enraciné dans le passé et dans la tradition d’un pays. Si la sécularisation des biens du clergé put se produire, c’est qu’elle était déjà préparée par le mécontentement général qu’avaient causé les excès du haut clergé ou la dictature intolérable de la papauté.
En vous présentant ce rapport, nous avons pour objectif de prouver que la seule solution possible aux difficultés intérieures, qui résultent en France de l’actuel régime concordataire, est dans une séparation loyale et complète des Eglises et de l’Etat. Nous montrerons juridiquement que ce régime est le seul qui, en France, pays où les croyances sont diverses, réserve et sauvegarde les droits de chacun. Nous voulons montrer aussi, et d’abord, que cette solution est celle que nous indique l’histoire elle-même, étudiée sans parti pris, ni passion.
La sécularisation des biens du clergé par la Constituante ne fut pas une œuvre de haine, dictée par des principes opposés à ceux du catholicisme, ce fut une œuvre nationale exigée par l’ensemble de la nation, moins les prêtres, et aujourd’hui, ce n’est pas davantage, pour satisfaire à des rancunes politiques, ou par haine du catholicisme, que nous réclamons la séparation complète des Eglises et de l’Etat, mais afin d’instaurer le seul régime où la paix puisse s’établir entre les adeptes des diverses croyances.
Dans la première partie de cette étude, on verra comment les rapports entre l’Eglise catholique et l’Etat français ne cessèrent jamais d’être troublés, malgré les services réciproques qu’ils s’étaient rendus 4 dès l’origine de notre histoire. Sans insister sur la partie anecdotique, nous rappellerons avec quelques détails les principaux expédients grâce auxquels la royauté française crut pouvoir atteindre à des rapports sereins avec Rome, et comment elle n’y parvint jamais, pas plus d’ailleurs qu’à s’affranchir, par le gallicanisme, de la tutelle gênante du Saint-Siège.
Dans une deuxième partie, nous étudierons les tentatives infructueuses des pouvoirs de la Révolution et nous verrons comment le Concordat napoléonien permit à l’Eglise de se reconstituer et d’acquérir, au cours du XIXe siècle, une puissance égale à celle que nous lui avons connue quelques années avant la Révolution. Nous nous efforcerons enfin, dans une troisième partie, de noter les protestations qui se sont produites, au cours du dernier siècle, contre un état de choses aussi intolérable pour les catholiques sincères que pour les libres-penseurs, ainsi que les remèdes apportés au jour le jour à un mal qui ne peut s’éteindre qu’avec le régime de la séparation.
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L’adhésion de Constantin aux idées chrétiennes avait inauguré une ère nouvelle dans l’histoire du christianisme. Depuis le jour où Constantin présida le Concile de Nicée (325), depuis le moment où, après avoir été le souverain pontife de la religion païenne, il se proclama, devenu chrétien, «empereur et docteur, roi et prêtre», les tendances de la religion de Jésus se trouvèrent profondément modifiées. La parole du Galiléen: «Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu» fut désormais sans application; une confusion s’établit entre le spirituel et le temporel; l’Eglise emprunta, pour s’organiser, les cadres administratifs de l’Empire, et elle fut amenée, par la succession des circonstances, à prendre en mains une part considérable de la puissance temporelle.
Lorsque les Barbares envahirent la Gaule, ils se trouvèrent en face d’une situation de fait: l’Empire tombé, l’évêque avait remplacé, presque partout, le fonctionnaire romain et il apparut aux envahisseurs comme le véritable chef de la cité, ayant sa part de l’autorité judiciaire, administrant les fonds du municipe, 6 percevant les impôts, inspectant les édifices publics et dirigeant les travaux de construction et de voirie.
Le pouvoir de l’évêque était si bien établi dans la cité romaine qu’il devint un des éléments nécessaires à l’installation définitive des envahisseurs sur le vieux sol gaulois.
C’est la raison même de la conversion de Clovis. Le récit qu’en a fait Grégoire de Tours, avec les formes émouvantes de sa foi naïve nous dit quelle force avait alors la religion sur les volontés hésitantes des chefs barbares. Cet épisode de la conversion de Clovis a été vulgarisé, en une belle langue, par Augustin-Thierry; il est dans le souvenir de tous et nous le notons ici, car il constitue la première étape importante de l’histoire des rapports de l’Eglise et de la France.
En même temps que Clovis, 3.000 Francs se firent baptiser avec leur roi. Dès lors la victoire de Clovis sur les Burgondes et les Wisigoths fut préparée par les évêques orthodoxes qui, établis au milieu des populations égarées par l’hérésie arienne, se firent les agents du chef catholique. Et quels agents! Certes, de par leur fonction même, ils vivaient confinés dans chacun des royaumes barbares; mais, malgré les frontières, ils étaient en relations les uns avec les autres et leur puissance était décuplée du fait qu’un chef étranger, l’évêque de Rome, coordonnait leurs actions et unifiait leurs efforts. Participant dès cette époque de la puissance romaine, les évêques gallo-romains furent les plus sérieux adversaires des rois ariens et c’est grâce à eux que Clovis, baptisé, put préparer la domination de la dynastie mérovingienne.
Nous avons des renseignements précis sur les complicités intérieures qui, au sein des nations ariennes, préparèrent la conquête des Francs. Sous prétexte 7 d’intelligence avec les Francs, les évêques Tolusianus et Vérus sont expulsés. Quintianus doit s’enfuir de son évêché de Rodez; enfin nous avons lu la lettre par laquelle l’évêque le plus considérable de la fin du Ve siècle, Avitus, métropolitain de Vienne, l’adversaire le plus passionné et le plus intelligent de l’hérésie arienne, félicite Clovis d’une conversion qu’il a d’ailleurs contribué à rendre inévitable.
Cette lettre est le premier texte précis, dans lequel se manifestent les intentions, les secrets désirs, les espérances de Rome. On y sent déjà quelle force attend l’Eglise romaine de sa collaboration intime avec la nation, que préparent les conquêtes de Clovis. Cette lettre fait prévoir la conception romaine d’un roi de France, fils aîné de l’Eglise et même la prétention qu’aura bientôt Rome, pour établir définitivement son pouvoir, de créer un monarque placé sous sa dépendance, et dont le pouvoir temporel s’étendit aussi loin qu’allait sa force spirituelle. La lettre du métropolitain de Vienne prévoit déjà l’empire chrétien de Charlemagne.
Grâce à l’appui des évêques catholiques, Clovis va pouvoir triompher des Burgondes et des Wisigoths; mais l’Eglise romaine ne perdra rien dans le marché conclu. Désormais, la royauté mérovingienne est liée à l’épiscopat, et nous assisterons bientôt à l’alliance des Carlovingiens avec Rome. Ce lent travail de la papauté qui, à deux reprises, à travers les siècles, fut sanctionné d’une manière éclatante par le concordat de Bologne, une première fois; puis, par la révocation de l’édit de Nantes, commence son action méthodique et persévérante. Il y a une diplomatie ecclésiastique qui, dans ces périodes troublées, fut d’autant plus féconde en résultats qu’elle émanait d’un point fixe, Rome, où convergeaient toutes les forces d’intelligence, toutes les forces d’argent de l’Europe civilisée.
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La mainmise de la papauté dans les affaires intérieures de la royauté franque ne s’établit pas cependant sans d’assez grandes difficultés. En face des prétentions romaines, il y eut, dès l’origine, une tendance de la nation à vivre de ses propres ressources et de sa propre pensée, à l’abri de toute ingérence extérieure. Mais, à l’époque qui nous occupe, cette tendance est encore hésitante et imprécise. La loi qui règle les rapports de l’Eglise et de la royauté franque est la loi du chaos. Nous avons remarqué que, à l’arrivée des Barbares, les évêques gallo-romains avaient une puissance administrative et judiciaire. Ils l’ont conservée. Il existe une juridiction ecclésiastique dont nous aurons l’occasion de parler et qui subsiste jusqu’au XVIIe siècle. Cette situation de fait, accrue encore par le prestige que leur donne la foi superstitieuse des peuplades barbares, propice à l’accroissement de leurs biens temporels, les rend puissants et redoutables. Mais ils ne sont pas encore placés sous la domination directe et impérative de la papauté.
Théoriquement, les élections canoniques se faisaient alors par le peuple et par le clergé. Survivance de la primitive Eglise, le suffrage des croyants y maintenait encore dans les rangs du clergé le mouvement et la vie. Il est vrai que cette élection n’était qu’un des actes par lesquels était institué un évêque. Il fallait, par surcroît, la confirmation du roi et le consentement du métropolitain.
Telle était, du moins, la règle, mais en fait, on dut la rappeler fréquemment aux premiers rois, qui avaient inauguré un véritable droit de nomination directe. Saint-Rémi ayant consacré prêtre un certain Claudius, les évêques protestèrent, et saint Rémi répliqua qu’il avait agi ainsi par ordre du roi. L’évêque Quintinius meurt; le roi ne reconnaît pas le nouvel élu. Il en nomme un autre. Nous empruntons à l’Histoire 9 générale de MM. Lavisse et Rambaud un troisième fait des plus significatifs: en 562, un synode de Saintes, présidé par un métropolitain, a destitué un évêque nommé par Clotaire et a mis à sa place Héraclius. Quand ce dernier vint chercher la confirmation auprès de Caribert, le roi le fit jeter sur un chariot rempli d’épines et conduire à l’exil; puis il envoya «des hommes religieux» qui rétablirent l’évêque destitué. Le métropolitain dut payer une forte amende et les autres évêques furent punis de même.
Les évêques eurent une revanche à l’occasion d’un synode, qui tenta de mettre quelque régularité dans la nomination aux grades ecclésiastiques. L’édit de 614 rétablit les élections canoniques pour le clergé et pour le peuple; il maintient l’institution royale, mais avec cette réserve que si «l’on nomme quelqu’un du palais, ce soit pour ses mérites personnels».
Cet édit avait pour objectif de réduire l’arbitraire royal. Il établit également par un texte le droit de l’église à des privilèges de juridiction ainsi que ses privilèges d’immunités. Il constitue une victoire de l’aristocratie ecclésiastique, qui tend, de plus en plus, à se former en un corps distinct, dans la nation.
Sous la dynastie mérovingienne, le roi conserve cependant un certain nombre de droits acquis. C’est lui qui préside les conciles et les synodes et l’on sait que, parfois, dans ce chaos où le spirituel et le temporel voisinent et même se confondent, le roi a souvent employé les conciles aux affaires publiques. Gontran convoqua tous les évêques de son royaume pour les faire décider de sa querelle avec Sigebert. Il prétendit faire juger Brunehaut par un concile; c’était une extension abusive de son droit. La coutume était qu’il jugeât les évêques, comme président d’un synode. Son droit à la présidence des conciles et des synodes est dès lors incontesté. Les conciles ne se réunissent qu’avec son 10 autorisation, lorsqu’il l’ordonne; pour être applicables, les décisions des conciles doivent être confirmées par lui. On découvre déjà les forces qui limiteront la puissance de Rome et permettront au gallicanisme de naître.
Mais nous n’avons pas dit assez les services réciproques de la papauté et des dynasties franques. Pendant que sous la dynastie mérovingienne une aristocratie ecclésiastique se forme, limitative de la domination abusive des rois, toute la politique de Rome consiste à mettre obstacle aux tendances des divers clergés à se former en églises nationales, indépendantes de la papauté. Telle est la situation réciproque des combattants à l’avènement de la maison carlovingienne.
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La diplomatie romaine remporta une première victoire décisive, pendant le principat de Charles Martel. Elle fit preuve ainsi d’un très grand mérite, car Charles Martel ne faisait pas précisément profession de favoriser les desseins de l’Eglise. Son autorité se manifesta d’abord contre les ecclésiastiques. Il dépose Rigobert, évêque de Reims (717); il fait saisir Euchère, évêque d’Orléans, qui est conduit sur son ordre à Cologne. Evêques et abbés sont déposés en foule; leurs biens—évêchés et abbayes—sont distribués aux proches de Charles Martel. Ces biens, malgré les protestations de Rome, ne furent jamais, dans la suite, restitués à l’Eglise; et c’est une preuve historique de la facilité avec laquelle les souverains de France disposèrent de ce qui appartenait au clergé. Mais si Rome dut se soumettre, elle fit payer d’une autre façon ce sacrifice au puissant maire du palais. C’est sous le principat de Charles Martel, et avec sa collaboration, 11 que la papauté commence à imposer à l’Europe son hégémonie morale et matérielle.
Mais dans quelles circonstances? Le moine Winfrid (dont le nom ecclésiastique est Boniface) avait reçu du pape la mission d’évangéliser la Frise, puis la Germanie. Son apostolat consistait à prêcher l’unité religieuse sous l’égide du catholicisme romain. En même temps qu’une foi agissante, l’obéissance aux volontés du Saint-Siège apostolique était exigée des fidèles.
Au printemps de 723, Boniface obtint de Charles Martel une lettre qui plaçait sous le patronage du prince des Francs, l’évangélisateur de la Germanie.
Le prince des Francs avait agi en politique avisé. La force d’expansion de l’idée chrétienne permettait à l’influence des Francs de se répandre au dehors. La mission de Boniface fut couronnée de succès. L’église de Germanie fut créée. Le nom de Boniface acquit un prestige énorme. Il se préoccupa, dans la suite, de réformer l’Eglise d’Austrasie; une série de conciles furent tenus en Austrasie et en Neustrie; enfin, en 745, un concile général de tout le royaume des Francs permit de constater quelle force avait acquise l’activité du pontife romain. Quelques années après, en 748, Boniface, qui présidait un concile annuel, fit voter une formule de soumission au siège de Rome. L’Eglise de Gaule, qui avait contribué à asseoir la dynastie mérovingienne et qui était devenue assez puissante pour se soustraire à l’arbitraire des rois, se soumet, à son tour, à l’autorité extérieure de la Rome pontificale. Une nouvelle étape a été franchie. De plus en plus la politique romaine collabore à l’établissement de la puissance royale, qui rendra possible la fondation de l’empire chrétien de Charlemagne. Dans une circonstance critique, pour se défendre contre les Lombards, elle avait fait déjà appel à Charles Martel. Etienne II 12 s’adresse à nouveau à Pépin. Il fait le voyage de Paris et conclut bientôt avec le prince des Francs une alliance décisive, qui ouvre définitivement l’ère de la puissance romaine, en même temps qu’elle contribue à établir en France la domination de la dynastie carlovingienne.
Cette domination fut surtout assurée par une cérémonie qui empruntait aux croyances religieuses du temps une portée immense. Pépin venait d’être élevé au trône de France. Suivant la coutume, il y avait eu élection. Mais, au moment où avec ses deux fils, il allait entreprendre une guerre contre les Lombards, le pape lui donna l’onction sainte, ainsi qu’à ses deux fils.
Dans l’Histoire générale, de Lavisse et Rambaud, l’importance essentielle de cette intervention papale est marquée en quelques phrases décisives: «Le sacre était une nouveauté chez les Francs. Aucun des Mérovingiens, pas même Clovis, ne l’avait reçu. Cette cérémonie mystique élevait le roi au-dessus du peuple, d’où il était sorti. Les Francs avaient élu Pépin, mais, le jour du sacre, le pape leur a interdit à jamais de se servir de leur droit d’élection; ni eux, ni leur descendance ne pourront prendre un roi dans une autre race, celui-ci ayant été élu par la divine Providence pour protéger le siège apostolique. Désormais les «reins» du roi et de ses fils sont sacrés. Dieu y a mis le pouvoir d’engendrer une race de prince que les hommes, jusqu’à la fin des temps, ne pourront renier sans être reniés par le Seigneur. Autrefois les guerriers portaient leur chef sur le bouclier au bruit des armes et des acclamations; à Saint-Denis, ce n’est pas un homme, c’est une dynastie qui a été élue au chant des cantiques. Le Seigneur a repris aux hommes le pouvoir de faire des rois. C’est Lui qui «les choisit dès le sein de leur mère». La raison de régner, la source de l’autorité royale sera désormais la grâce de Dieu.»
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La force morale qu’en recueillit la royauté carlovingienne est incontestable; mais celle-ci ne fut pas en reste avec la papauté. Elle contracta envers celle-ci des obligations que Rome sut lui rappeler au moment voulu. Pour l’instant, elle obtint d’être débarrassée des Lombards, elle se fit donner un pouvoir temporel. En 756, le roi des Francs remet les clefs de vingt-deux villes entre les mains du pape; il est vrai que, quelque temps auparavant, Etienne II avait écrit aux Francs: «Selon la promesse qui nous a été faite par le Seigneur Dieu, notre rédempteur, je vous prends entre toutes les nations, vous, peuple des Francs, pour mon peuple spécial.»
Cette collaboration intime de la papauté et de la royauté capétienne aboutit, comme c’était le dessein secret de Rome, à la fondation de l’empire chrétien de Charlemagne; mais cette création, contraire aux tendances de l’Europe à se former en nationalités distinctes, est bientôt anéantie et Rome, qui a échoué du côté des Francs, renouvelle sa tentative de concert avec les princes germaniques.
Cette attitude de la papauté facilite le développement des tendances du clergé français à se créer une vie propre, indépendante de Rome.
La royauté carlovingienne continue à trouver son principal appui dans le clergé. Charlemagne a réorganisé l’Eglise. Il a conservé, et même accru, l’autorité administrative des évêques. Certes, cette puissance abandonnée au clergé n’est pas sans dangers. Grâce à ce pouvoir politique considérable, l’Eglise accrut encore ses biens. En 851, le concile de Soissons obtint que certains crimes, entre autres l’inceste, soit soumis à la juridiction ecclésiastique. Hugues Capet conserve avec les dignitaires de l’Eglise une union intime. La féodalité refuse à la royauté capétienne son appui. Celle-ci trouve dans la société ecclésiastique 14 la base de son action et les ressources nécessaires à son établissement. Il s’agit de lutter contre les éléments anarchiques de la féodalité; les évêques et les abbés favorisent la tendance de la royauté nouvelle vers la centralisation et l’unité; ils sont les membres actifs des assemblées administratives et judiciaires; ils fournissent au roi des subsides et même des ressources pour la guerre.
Mais cette collaboration intime de la royauté et de l’Eglise ne favorise nullement les prétentions romaines. Malgré les tentatives que fera Rome pour se rapprocher de la France, après les déboires de sa politique germanique, il lui faudra patienter jusqu’au concordat de Bologne (1516) pour ressaisir son influence prépondérante dans les affaires intérieures de notre pays.
Elle s’est faite d’ailleurs de plus en plus arrogante avec Grégoire VII. Elle a accru ses prétentions à la domination universelle. Elle les a précisées dans des textes définitifs, dans des formules, sous des images. Seul, le pontife romain peut être appelé œcuménique. Son nom est unique dans le monde. Il ne peut être jugé par personne. L’Eglise romaine ne s’est jamais trompée et ne se trompera jamais. Le pontife romain a le droit de déposer les empereurs. Il y a ainsi vingt-sept propositions, qui affirment à la face du monde, la suprématie du pape sur l’Eglise et sur les princes.
Ces principes n’ont pas été inventés de toutes pièces par Grégoire VII. Ils sont en germe dans le droit canonique et dans les décisions antérieures des conciles; mais c’est ce pape, célèbre à juste titre dans l’histoire de l’Eglise, qui a coordonné ces éléments divers et a dressé le monument juridique de la théocratie romaine.
Armée de cette charte théorique de ses droits, la 15 Papauté a voulu en appliquer les principes au gouvernement des sociétés. Elle a voulu établir son autorité indiscutée sur les évêques et les prélats de toutes les nations chrétiennes. Mais elle a trouvé en face d’elle les princes, qui, par un usage consacré, avaient conservé la nomination aux grades ecclésiastiques.
La guerre qui s’en suivit entre la Papauté et la royauté germanique est demeurée célèbre sous le nom de Querelle des investitures. Sans doute, Rome fut finalement vaincue; mais à la suite de quelles luttes!...
Au début de cette querelle, Grégoire VII avait déposé Henri IV, en des termes que l’Histoire a conservés et qu’il n’est pas inutile de citer ici: «... Pour l’honneur et la défense de ton Eglise, disait-il, au nom du Dieu tout-puissant, du Père, du Fils et du Saint-Esprit, par ton pouvoir et ton autorité, je nie au roi Henri, qui s’est insurgé avec un orgueil inouï contre ton Eglise, le gouvernement de l’Allemagne et de l’Italie; je délie tous les chrétiens du serment de fidélité qu’ils lui ont prêté ou qu’ils lui prêteront; je défends que personne ne le serve comme on sert un roi.» Quelque temps après, Henri IV faisait pénitence; il allait à Canossa, accordant à la papauté la plus belle victoire qu’elle ait jamais remportée sur une puissance temporelle.
En France, Philippe Ier ne laissa point Grégoire VII s’immiscer dans sa politique intérieure. Avant lui, Hugues Capet avait défendu contre la Cour de Rome l’indépendance de ses églises. Au Concile de Saint-Bast avaient été proclamées les libertés gallicanes. Mais cette attitude s’expliquait par le fait que la papauté n’était alors qu’un instrument entre les mains des empereurs germaniques et qu’il eût été dangereux de favoriser l’intervention d’influences étrangères.
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Avec Philippe Ier, la situation a changé. Les papes ont rompu avec l’Empire germanique et ils ont entrepris la réforme morale du clergé, abandonné à tous les abus, à toutes les déchéances, à tous les vices. Cependant Philippe Ier résiste. Quelques années après, Louis le Gros se montre moins énergique dans la lutte contre Rome. Malgré tout, il maintient résolument son droit d’intervention dans les élections ecclésiastiques. Philippe-Auguste (1180-1223), tout éclatant du prestige de ses victoires, accentue encore cette tendance. Il contraint les évêques à se présenter devant sa cour de justice. Il leur enjoint de participer aux frais de la guerre; soucieux de mettre obstacle aux ingérences pontificales il ne craint pas d’engager pour cela la lutte avec Innocent III; en un mot, il prépare la naissance d’un esprit laïque et national, en opposition avec les prétentions de la théocratie romaine. Saint-Louis continue son œuvre et ce monarque très chrétien fut un des plus fervents défenseurs de la société laïque.
Loin de plier devant la papauté, il obtient d’elle des concessions. Sous son règne, les ecclésiastiques sont astreints à payer les décimes, douzièmes et centimes. C’est le moment héroïque des Croisades. Le clergé est appelé à prendre sa part des charges qu’elles occasionnent. Saint-Louis obtint aussi que les clercs mariés ou commerçants soient enlevés à la juridiction ecclésiastique.
C’est sous le règne de saint Louis que vécut Guillaume II, cet évêque de Paris qui aurait plutôt sacrifié les intérêts de Rome que ceux de la politique royale.
Les tendances antiromaines de saint Louis étaient tellement connues qu’on lui a attribué la paternité d’un document, considéré aujourd’hui comme apocryphe, et connu sous le nom de pragmatique sanction 17 de saint Louis ou Edit sur les élections ecclésiastiques et les libertés gallicanes.
Que ce document ait été rédigé sous l’inspiration du roi très chrétien ou qu’il ait été composé plus tard de toutes pièces au moment où il s’agissait de préparer et de rendre possible la pragmatique sanction de Bourges, il est une chose certaine c’est que Saint Louis n’en aurait contesté ni l’esprit ni les expressions.
Ce document si intéressant pour l’histoire des origines du gallicanisme débute ainsi: Ludovicus, Deo Gratia rex Francorum, et le commentateur qui croit à l’authenticité de la pragmatique, fait remarquer, en une note, que «les princes de la troisième race se dirent rois par la grâce de Dieu, non seulement par piété, mais encore pour marquer leur autorité souveraine et leur indépendance des papes, qui s’étaient, vers ce temps-là, arrogé, sans apparence de raisons, le prétendu droit d’excommunier les souverains, et de disposer de leurs royaumes».
Il n’est pas sans intérêt historique de marquer ici l’importance essentielle de ce simple petit détail.
Quelle était, à l’époque de Clovis, la conception que se faisait la papauté de ses rapports avec les princes temporels? On connaît la comparaison, chère à la papauté, entre le soleil et la lune, entre l’Eglise romaine qui éclaire le monde et la royauté qui en reçoit les rayons. Une autre figure illustre les théories romaines de la subordination des rois à l’égard de la papauté: «Il y a deux glaives: le glaive spirituel et le glaive temporel; tous les deux appartiennent à l’Eglise; l’un est tenu par elle, par la main du pape; l’autre est tenu pour elle par la main des rois, tant que le pape le veut ou le souffre. En outre, l’un des glaives doit être subordonné à l’autre, le temporel au spirituel.»
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Ces théories se sont manifestées dans la plupart des conciles de l’époque. A aucun moment la papauté n’a admis qu’il y eut égalité de droits entre les deux pouvoirs.
C’est donc une nouveauté, qui caractérise bien la conception des rois de la dynastie capétienne que cette prétention de recevoir directement de Dieu la grâce qui les consacrait rois. Bossuet en tirera plus tard de beaux effets. Nous les notons ici comme une première étape décisive vers la fondation en France d’une Eglise gallicane, indépendante du pouvoir romain.
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Les différends célèbres entre Philippe le Bel et Boniface VIII vont nous permettre de déterminer encore la marche ascendante des idées gallicanes. Elles vont prendre corps, s’organiser en système, grâce au patriotisme des légistes.
Philippe le Bel déclarait net, dès 1297, qu’il ne tenait sa royauté que de Dieu seul. Il affirmait ainsi, de façon catégorique, l’indépendance du pouvoir temporel. Il montra bientôt comment il prétendait se libérer de la domination envahissante des pontifes romains.
Le pape venait de lancer la bulle dite clericis laïcos, par laquelle il interdisait à tout ecclésiastique de rien payer à un laïc sans y avoir été autorisé par le Saint-Siège, et cela sous peine d’excommunication. Prétention plus étonnante encore: Rome frappait d’interdit les villes qui imposeraient le clergé.
Philippe le Bel prit une décision capable de faire réfléchir la papauté. Il interdit toute exportation d’or et d’argent hors du royaume. C’était réduire à néant 19 les ressources que Rome recevait de son Eglise de France.
Le pape protesta, puis céda. Il est vrai que vingt-trois évêques français le suppliaient de revenir sur sa précédente bulle. Il autorisa la perception, par les laïcs des droits féodaux, qu’autorisaient les coutumes du royaume. Les dons d’argent et les prêts, consentis à des laïcs, par les prélats, furent punis. Le roi de France put lever, dans certains cas, des subsides sur le clergé. Le pape alla même jusqu’à remettre à Philippe une partie de la collecte de Terre sainte et une année des revenus des bénéfices vacants, et le garantit de la censure ecclésiastique. Quelques années après, de nouvelles difficultés se présentent. Elles atteignent un état aigu. Philippe est amené à faire ouvrir, devant la cour de Senlis, une procédure contre le pape, pour «lèse-majesté, rébellion, hérésie, blasphème, simonie». Mais le pape accuse Philippe de «tyrannie, mauvais gouvernement, fausse monnaie». Dans une grande assemblée, à Notre-Dame, le roi affirme la doctrine de l’indépendance absolue du pouvoir royal; Boniface VIII répond que «toute créature humaine est soumise au pontife romain». Des lettres frappant Philippe d’excommunication sont envoyées en France. On saisit le porteur des lettres à Troyes; on le jette en prison après l’avoir dépouillé. Le pape prétend, par une bulle, détacher sept princes ecclésiastiques de la France et les dégager de toute fidélité au roi capétien. Un complot contre Boniface VIII est organisé par de Nogaret. Le palais pontifical d’Anagni, où se trouvait le pape (été 1303), est envahi. Boniface déclare qu’il «aime mieux renoncer à la vie qu’à la tiare». Il mourut quelques jours plus tard, à Rome.
Les années qui suivirent consacrèrent le triomphe définitif de la royauté capétienne. Le vœu intime de Philippe le Bel avait toujours été de supprimer l’ordre 20 militaire des Templiers. Il y parvient. Les Templiers étaient riches à l’excès. Ils avaient ouvert des crédits, pratiqué l’usure, leurs caisses regorgeaient d’argent, on les poursuivit comme hérétiques, les Dominicains les interrogèrent à la mode inquisitoriale. Leurs biens furent mis sous séquestre; 137 frères passèrent par le fer et par le feu.
Un moment il y eut du flottement. La papauté était récalcitrante. Alors, Philippe ressuscita son idée de poursuivre Boniface VIII. Il était mort. On fit le procès de sa mémoire... Finalement, tout s’arrangea. Boniface VIII ne fut pas considéré comme hérétique, mais les Templiers furent sacrifiés. On prononça la suppression de l’Ordre en concile de Vienne (1311-1312). Philippe s’empara du numéraire et convertit en caisse royale la caisse du Temple.
Au cours de cette époque troublée, parallèlement aux actes, se développent les idées qui les expliquent, les principes d’un droit national opposé aux prérogatives de Rome. C’est pendant les luttes dont nous venons de donner une très brève impression, entre Philippe le Bel et Boniface VIII, que, pour la première fois, le roi de France en appelle des décisions du pape à un concile général. La supériorité des conciles nationaux, par rapport au Saint-Siège, deviendra une des thèses les plus chères du clergé gallican.
Nous ne sommes pas encore au moment de la déclaration gallicane de 1682: nous ne sommes même pas encore à la pragmatique sanction de Bourges; mais nous constatons l’élaboration doctrinale de ces deux actes essentiels dans l’existence de l’église libre de France. Les légistes de l’an 1300, les Guillaume de Nogaret, les Pierre Flotte, les Enguerrand de Marigny préparent, dans leurs écrits et par leurs actes, les événements importants qui vont suivre. Tandis que Philippe le Bel posait, sur le terrain des faits, le 21 grave problème de la séparation de l’Eglise romaine et de l’Etat, ses conseillers légistes le posaient sur le terrain des idées.
Nous passerons sur les événements qui suivirent. Ils sont importants cependant pour l’histoire de la papauté. C’est le grand schisme d’Occident, d’abord bicéphale, puis tricéphale. Ce sont les conciles qui, peu à peu, s’établissent en limitateurs de la puissance romaine. C’est le concile de Constance qui, en 1418, malgré la fuite du pape, se déclare œcuménique et proclame que «tout chrétien, y compris le pape, lui doit obéissance pour ce qui concerne la foi, l’extinction du schisme et la réforme générale de l’Eglise, dans son chef et dans ses membres.» C’est le concile de Bâle (1431), qui abolit l’impôt des annates, principal revenu des papes.
Eugène IV, alors pape, adresse une encyclique aux princes de l’Europe, disant qu’un concile a émis la prétention de porter atteinte à ses prérogatives et de diriger l’Eglise, en ses lieu et place. Il transfère le concile à Ferrare. Celui de Bâle se maintient et nomme un antipape.
Quelle est, dans le conflit, l’attitude du roi de France? Elle est d’un homme prudent, d’un politique avisé. Charles VII se déclare pour Eugène IV; mais, au même moment, il travaille à recueillir, dans les décrets de Constance et de Bâle ce qui peut être favorable aux théories gallicanes, et avec ces éléments il crée le statut nouveau de l’Eglise de France, la pragmatique sanction de 1438.
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La pragmatique sanction.—Charles VII avait déjà eu l’occasion, à plusieurs reprises, de faire montre de sentiment nationaux dans la question des rapports 22 entre l’Eglise de France et la papauté. Un des commentateurs de la pragmatique constate que, tout jeune encore, il n’était encore que dauphin, Charles VII ayant été chargé du gouvernement publia, en mars 1418, sous le nom de son père, des lettres qui rétablissaient l’ancien droit des Eglises de France et du Dauphiné, relativement aux élections et collations des bénéfices, «sans aucun égard aux réserves expectatives et aux autres prétendus droits de la Cour romaine, dont il ordonnait de faire cesser les exactions».
Plus tard, Charles VII avait aussi publié d’autres lettres relatives à la collation des bénéfices, «non par rapport à l’ordre des nominations mais par rapport aux personnes qui pouvaient être nommées». De tout temps, constate le commentateur, les rois de France avaient défendu qu’aucun étranger ne fût reçu à aucun bénéfice du royaume (lettre du 10 mars 1431). Mais leur défense avait été mal observée. Charles VI l’avait renouvelée dans des lettres adressées au Concile de Constance. Charles VII en fit, dans la suite, comme nous le disons, signifier de semblables. Le pape favorisait le parti anglais «donnant les bénéfices dans les Etats de Charles à ceux qui tenaient ce même parti. Depuis qu’Eugène IV avait succédé à Martin V, Charles l’avait fait prier de conférer les bénéfices considérables et de dignité «aux personnes nobles et de grand mérite, de la loyauté, prud’hommie, prudence et littérature desquels il était dûment informé». Mais Eugène continuait de donner les bénéfices à des étrangers et, même parfois, à des ennemis du roi, «ce qui était préjudiciable à l’Etat, et même dangereux, car, par là, non seulement les finances passaient en mains ennemies, mais des forteresses importantes, dépendantes de grands bénéfices, se trouvaient confiées à des personnes qui pouvaient en abuser».
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Les tendances nationales de Charles VII se précisèrent encore à mesure qu’il prit l’habitude du pouvoir.
De graves problèmes avaient été posés au Concile de Bâle. Charles VII convoqua son clergé pour en étudier les éléments. On vit à cette assemblée extraordinaire cinq archevêques, vingt-cinq évêques et un grand nombre de prélats. L’assemblée s’ouvrit le 1er mai 1438, mais elle ne fut complète que le 5 juin. Des envoyés avaient été dépêchés de Bâle et de Ferrare, porteurs de requêtes. On leur donna, aux uns et aux autres, de bonnes paroles, et on fit un examen minutieux des décrets du Concile de Bâle, afin de juger s’ils étaient bien conformes aux exigences de l’Eglise gallicane. Tous les membres de l’assemblée étaient d’accord pour considérer les libertés de l’Eglise gallicane, non comme des privilèges, mais comme des droits acquis, mais comme des droits primordiaux, essentiels, nécessaires à l’Eglise de France et à toute Eglise qui veut demeurer à l’abri des atteintes que les papes s’efforcent trop souvent de lui porter.
Le travail fut terminé le 7 juillet, et c’est le même jour que Charles VII publia l’édit célèbre intitulé: Pragmatique sanction sur l’autorité des conciles généraux, la collation des bénéfices, élections expectatives, appellations, annates, etc.
Le préambule de ce document important constitue un violent et amer réquisitoire contre les abus du Saint-Siège. Les églises de France sont les victimes de cupidités insatiables. Des «usurpations très graves» sont commises et d’ «intolérables entreprises» accomplies. L’argent du royaume est entraîné «en des régions étrangères». D’autre part, le culte du Christ s’atténue; c’est la faveur qui règle l’avancement des clercs. Il convient donc de recourir, pour guérir les maux de l’Eglise, aux remèdes indiqués par le concile de Bâle.
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Les deux premiers articles de la Pragmatique déclarent que les conciles sont supérieurs à tout autre autorité en matière de foi et de discipline. Un concile œcuménique devra être convoqué tous les dix ans.
D’autres articles interdisent la Fête des Fous et les spectacles donnés dans les églises, limitent la pratique de l’excommunication et répriment l’incontinence des clercs. Mais les articles qui intéressent surtout le clergé gallican sont ceux qui diminuent, dans de notables proportions, les droits du Saint-Siège en matière de bénéfices ecclésiastiques et de procès. Evêques et abbés devront être élus par les chapitres et les couvents. Le pape n’aura plus le droit de consacrer le nouvel élu, sauf le cas où celui-ci se trouverait à Rome au moment de l’élection. La Pragmatique déclare supprimer les annates et le pape ne pourra juger les procès en appel qu’une fois que les plaideurs auront épuisé toutes les autres juridictions.
Faut-il ajouter maintenant que cette charte du clergé gallican ne fut pas toujours appliquée? Charles VII y fit lui-même des entailles, chaque fois qu’il eut intérêt à se faire bien venir du Saint-Siège.
C’est l’histoire continuelle des rapports entre la royauté française et la papauté. Aux exigences de la foi et des principes se mêlent des raisons d’ordre politique ou d’intérêt privé qui les dénaturent. C’est ainsi que la Pragmatique fut bientôt violée de par la volonté même des rois de France. Elle donnait aux chapitres le droit d’élection des évêques et des abbés. Les rois jugèrent bientôt que l’autorité des chapitres en serait trop considérablement accrue et qu’elle limiterait la leur et ils s’entendirent avec Rome pour défaire ce qu’ils avaient fait.
En 1463, Louis XI déclare la Pragmatique abolie. Elle n’avait d’ailleurs jamais été reconnue par le Saint-Siège.
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Cette abolition fut complétée par la convention de 1470. Il est vrai que le roi obtenait du pape l’engagement de ne nommer que des Français et de tenir compte de la recommandation du roi. Nous entrons dans une période où la papauté reprend progressivement son influence. C’est le moment où Machiavel, alors ambassadeur en France (1501), écrivait au cardinal d’Amboise: «Les Français n’entendent rien à la politique; autrement, ils ne laisseraient pas l’Eglise devenir si grande.»
Le Concordat de Bologne.—En 1515, François Ier se rencontre à Bologne avec le pape Léon X. Un accord s’établit entre eux pour le gouvernement de l’Eglise de France. L’année suivante, le Concordat de Bologne est signé. Il consent l’abolition de la Pragmatique sanction de Bourges. Le roi et le pape se donnent réciproquement des attributions, qu’ils n’avaient pas eues jusque-là. Le roi se réserve la nomination des évêques et des abbés; le pape institue les prélats et reçoit l’annate des biens ecclésiastiques.
Par l’article 40 du traité de 1516, les prélats ont l’obligation, dès qu’ils sont institués, de payer au pape une somme équivalente au montant des revenus annuels de l’église ou de l’abbaye.
C’est cette contribution flétrie et supprimée par la Pragmatique qui a reçu le nom d’annate.
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Le résultat de cet accord de la royauté française avec Rome fut d’établir en France un pouvoir étranger, favorable, certes, dans certains cas, aux intérêts personnels du roi, mais nuisible au pays. Des abus furent dénoncés, sous Henri II, dans les perceptions romaines. De multiples compétitions se produisirent, 26 lorsqu’un bénéficiaire, élu d’après les canons des conciles, se trouvait en rivalité avec celui qu’avait nommé le roi. On portait alors l’affaire devant le Grand Conseil. Et quel abus n’entraîne point parfois la nomination royale! Les évêques, abandonnant le soin de leurs diocèses, laissèrent leurs vicaires les administrer et ils allèrent à la Cour se confondre dans la mêlée des courtisans. Le roi tira de ce clergé domestique d’excellents fonctionnaires. Napoléon recherchera plus tard dans un Concordat calqué sur celui de Bologne les avantages qu’y avait trouvés François Ier.
Les grands corps de l’Etat—parlement, université—avaient vu le danger et s’étaient opposés à l’enregistrement du Concordat, puis à son exécution. Nous empruntons à la Bibliothèque historique le texte des protestations du Parlement:
«La Cour, toutes chambres assemblées, voyant et considérant les grandes menaces dont on usait à son égard, ayant tout lieu d’appréhender sa propre dissolution, qui entraînerait celle du royaume, craignant que si aucunes étaient suscitées à l’occasion du délai de la publication du Concordat, on ne lui impute des malheurs qui pourraient arriver; craignant encore que les alliances, faites ou à faire avec les autres princes chrétiens ne fussent rompues ou empêchées par le refus d’enregistrement, et après que la Cour a fait tout ce qui lui était humainement possible pour obvier à cette publication et enregistrement, par devant et en présence sir Michel Blondel, évêque et duc de Langres, pair de France, comme authentique personne, elle a protesté et proteste, tant en général qu’en particulier, conjointement et divisement, qu’ils n’étaient et ne sont en leur liberté et franchise, et si la publication a lieu, ce n’était ni de l’ordonnance ou du consentement de la Cour, mais par le commandement du roi, 27 force et impressions ci-dessus déclarés, que ce n’était point leur intention de juger les procès conformément au Concordat, mais de garder, observer comme auparavant les saints décrets de la pragmatique sanction, dont le procureur du roi aurait appelé, tant pour et au nom de la Cour, que de tous les sujets du royaume; la Cour adhérant à ce premier appel et y persistant, appelle de nouveau au pape mieux informé, au premier concile général et à celui et à ceux auxquels il appartiendra.»
Si le Concordat, contre lequel le pouvoir laïque et national protesta dans les termes que nous venons d’indiquer, favorisa l’existence d’un épiscopat de courtisans, il y eut cependant dans le clergé français une majorité d’évêques et de prélats attachés aux libertés gallicanes, qui unirent leur protestation à celle de l’Université et du Parlement. Il suffit de lire les Mémoires du Clergé pour en être convaincu. On y voit que «l’Eglise de France n’a jamais approuvé le Concordat de 1516, et ne le reconnaît pas comme règle de discipline».
Mais un nouveau fait va contribuer à atténuer, pour un temps assez long, les protestations du clergé gallican. Les abus de la Cour de Rome, les vices et les dépravations du clergé de la Renaissance italienne, la domination envahissante de la papauté avaient permis aux tendances des chrétiens évangéliques de se traduire dans une doctrine nouvelle, qui va avoir ses savants, ses héros et ses martyrs. Le protestantisme profite du besoin général qu’on avait au XIVe siècle d’une vie religieuse plus réelle et plus profonde que celle du catholicisme romain, immobilisée dans le dogme et dans la pratique minutieuse de cérémonies dont le sens échappait à la plupart de ceux qui s’y soumettaient par contrainte. La religion avait été transformée par les papes en un simple moyen de 28 gouvernement; Luther affranchit la conscience. En vingt années, la moitié de la chrétienté rompt avec le chef et les dogmes du catholicisme.
Il y eut un protestantisme français. Il naquit parmi les humanistes, impressionnés par la lecture de l’Evangile, retrouvé parmi les textes de l’antiquité grecque et latine. «Ils étaient habitués à un culte qui attribuait une importance capitale aux observances, aux rites, aux pratiques, qui réclamait leurs dévotions pour la vierge, les saints et les saintes; ils lisent le texte même du Nouveau Testament et tout disparaît: il ne reste que Jésus-Christ: lui, toujours lui!»
Le clergé gallican se sentit anéanti par le développement de l’idée évangélique et le résultat fut qu’il resserra ses liens avec Rome. On le verra bientôt lorsqu’il s’agira de «recevoir» en France les décrets du concile de Trente.
Ce concile avait été réuni, sur l’initiative de la papauté, pour tenter de rétablir l’unité brisée de l’Eglise catholique (1545-1563). On s’attacha, d’une part, à maintenir la pureté du dogme, et, d’autre part, à rétablir la discipline au sein du clergé et à en réformer les mœurs. Pour donner aux décrets de ce concile une force incontestée, on décida que les décrets concernant le dogme exigeraient la foi et que seraient déclarés hérétiques ceux qui se refuseraient à y souscrire. Outre ces graves décisions, le concile avait également décidé que le jugement des évêques serait réservé au pape, que les juridictions ecclésiastiques conserveraient la faculté de prononcer des peines temporelles—amende ou emprisonnement—et que leurs privilèges seraient maintenus aux ordres religieux.
La «réception» du Concile des Trente en France occasionna de multiples péripéties. On examina la question en conseil du roi. Les décrets furent vivement critiqués par le chancelier de l’Hopital qui les 29 accusait de «trahir les libertés de l’Eglise gallicane». Catherine de Médicis, alors régente, qui voulait ménager les Huguenots, promit «de faire exécuter le Concile en particulier, sans le publier en général». Cette réponse politique marque le début des guerres de religion.
Elles avaient eu déjà leurs prodromes tragiques. A Paris, les premiers bûchers furent montés de 1525 à 1528, bien avant, par conséquent, le Concile des Trente. François Ier, qui venait d’unir son action à celle de la papauté, était hésitant. Le 24 juin 1539, on publie l’édit général contre les luthériens. Etienne Dolet, condamné comme athée à l’occasion d’un dialogue de Platon, monte au bûcher le 3 avril 1546; la chambre ardente, instituée sous Henri II pour expédier les procès d’hérésie, émet quatre cent trente-neuf sentences, dont soixante condamnations capitales. Et les édits se succèdent. «Le chef-d’œuvre classique, le monument de cette législation est l’édit de Châteaubriant (27 juin 1551), véritable code de la persécution. Tout est réglé dans ces quarante-six articles avec une précision juridique, depuis la surveillance minutieuse de l’imprimerie jusqu’à la dénonciation de ceux qui lisent la Bible. Interdiction de tout emploi public, même d’une place de régent, à quiconque ne produirait pas un certificat de bon catholique; ordre aux procureurs généraux de se livrer à une enquête sur les magistrats et officiers de justice de tout rang, pour sévir contre ceux qui seraient suspects de négligence dans la punition des luthériens; défense aux simples particuliers, que la pitié pourrait égarer, d’adresser aucune supplique ou demande de grâce en faveur d’un hérétique; interdiction, sous les peines les plus graves, de favoriser l’émigration à Genève; «et, pour ce que plusieurs sans aucun savoir, en prenant leurs repas ou bien en allant par les champs, parlent, devisent et 30 disputent des choses concernant la foy et les cérémonies de l’Eglise et font des questions curieuses et sans fruit; défense à toutes personnes non lettrées, de quelque estat qu’ils soient, de ne faire plus d’ores en avant telles propositions, questions et disputes; commandement très exprès à tous d’aller assidûment à la messe avec due révérence et démonstration». Enfin, comme sanction, outre les pénalités habituelles, une disposition nouvelle: le dénonciateur recevra le tiers des biens confisqués au dénoncé»[2]. Il y a plus: un autre édit, celui de Compiègne (1557), unifie la peine: ce sera la mort.
En 1555, l’Eglise réformée de Paris s’était fondée. En mai 1558 elle réunit 5.000 à 6.000 personnes au Pré-aux-Clercs et, dans cette assemblée, on distingua deux neveux du connétable de Montmorency, d’Andelot et l’amiral de Coligny. En 1559, eut lieu le synode des Eglises réformées de France.
Parallèlement à ce mouvement ascendant de l’idée protestante, se produit, au sein du Parlement, un mouvement d’idées qu’il est nécessaire de signaler, car il révèle une nouvelle conception du droit et il prépare les vues juridiques, d’après lesquelles nous envisageons aujourd’hui le problème des rapports de l’Eglise et de l’Etat, du spirituel et du temporel. Le Tiers apparaît, avec ses formes de pensées, ses notions juridiques, sa conception particulière de la vie. C’est Pierre Séguier et de Harlay, à la Chambre de la Tournelle, se refusant à prononcer la peine de mort pour choses de religion. Audacieuse prétention! C’est Anne du Bourg, qui en une séance solennelle des Chambres réunies—le roi est présent—revendique la liberté de la pensée: «Ce n’est pas chose de petite importance de condamner ceux qui, au milieu des flammes, 31 invoquent le nom de Jésus-Christ!». Anne du Bourg est envoyé au bûcher.
Après la mort de Henri II, une trêve se produit. Les Etats généraux sont convoqués, le Tiers formule ses prétentions: les causes de la détresse publique sont les richesses et le luxe du clergé. Les nobles et les communs sont d’accord pour émettre l’avis que l’on rembourse les dettes publiques, en vendant les biens d’église estimés à 120 millions de livres. Le connétable et le duc de Guise demandent à l’Eglise 15 millions de livres. Elle offre 9 millions 1/2, qui seront payés en six ans et elle remboursera les dettes de l’Hôtel de Ville de Paris. En général, le tiers est favorable aux protestants. Entre les extrêmes, se place le parti des Politiques, qui prépare notre droit moderne. A une époque où catholiques et protestants, d’accord en cela avec l’opinion publique, jugeaient impossible l’existence simultanée dans un pays de deux religions, dès 1504, les Politiques émirent cette idée que le rôle de l’Etat était de garder la neutralité, d’accorder aux deux cultes l’existence légale, et de faire respecter les droits de chacun. Suprême ironie à l’instant où l’on assiste aux massacres de la Saint-Barthélemy que célèbre le pape par des actions de grâce, où le dominicain Jacques Clément poignarde le roi Henri III, coupable de faiblesse à l’égard des hérétiques, où Henri IV doit abjurer afin de régner.
Le premier acte politique de Henri IV fut de se réconcilier avec le Saint-Siège, en promettant de «faire observer les décrets du concile de Trente, excepté aux choses qui ne se pourront exécuter sans troubler la tranquillité». Le deuxième acte fut l’édit de Nantes (13 avril 1598).
Cet édit célèbre, après avoir constaté que le culte catholique était rétabli là où il avait été supprimé et après avoir reconnu au clergé la totalité de ses biens 32 et droits antérieurs, assurait à la religion réformée la légalité. Il ne garantissait cependant l’exercice du culte que là où il existait déjà. Il fut donc, comme auparavant, défendu de pratiquer le culte réformé à Paris, ainsi que dans un certain nombre de villes d’où les protestants avaient été exclus par de récentes capitulations. Ils y purent cependant demeurer à la condition d’avoir leurs prêches dans les faubourgs. Dans ces dispositions accessoires, les droits civils étaient reconnus aux protestants, ainsi que l’accès des emplois publics, universités, collèges et hôpitaux. Amnistie générale était proclamée en faveur de quiconque avait été condamné pour sa foi.
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Le constant effort de la papauté va tendre maintenant à rendre éphémère cette victoire de l’esprit laïque. L’édit autorise le clergé à reprendre, moyennant indemnité, tous ceux de ses biens qui, depuis quarante ans, avaient été aliénés. Ce travail de reconstitution territoriale occupa d’abord les ressources d’ingéniosité de la diplomatie catholique. Elle sait quelle influence décisive a l’argent, que c’est le nerf non seulement de la guerre, mais de toutes les luttes, politiques ou idéales, et qu’avec de l’argent, à propos employé, on peut agir efficacement sur les rois eux-mêmes.
Si l’on envisage, d’une façon superficielle, le résultat obtenu par la diplomatie ecclésiastique, le grand événement de la Révocation de l’édit de Nantes apparaît dans un énorme relief, et d’autant plus important et décisif que les ruines, morales et matérielles, qu’il a causées, ont été plus grandes.
Mais cette révocation de l’édit de Nantes, si l’on 33 étudie les événements qui l’ont précédée, accompagnée et suivie, ne peut pas être considérée comme une victoire de la papauté. Elle fut l’acte nécessaire, inévitable, de celui qui, pour asseoir davantage sa domination absolue, voulut réaliser l’unité de l’église de France, croyant, comme il était encore commun au XVIIe siècle, que l’on peut, par la persécution, extirper la foi des consciences, et éteindre la pensée dans les cerveaux.
Le Concordat de Bologne, fruit d’un accord entre la royauté française et la Cour de Rome, avait enlevé la nomination des évêques et des prélats au clergé pour la confier au roi. En échange de cet abandon de privautés, qu’elle avait, elle aussi, revendiquées, la papauté avait reçu des compensations pécuniaires.
Ce nouveau privilège de la royauté permit aux souverains français, et aux ministres qui conseillaient leur politique, d’élever aux dignités importantes de l’épiscopat des hommes dont le dévouement et la fidélité pouvaient paraître sûrs. L’épiscopat n’y gagna point en dignité. Un clergé domestiqué permit à Louis XIV de triompher plus facilement dans ses conflits avec Rome. Il prétendait devenir le chef incontesté de l’Eglise de France. Sa politique fut anti-romaine, car il voulait annihiler toute autre autorité que la sienne. Elle devait être aussi anti-protestante, pour que son Eglise fût plus forte, en étant unifiée, et que sa puissance temporelle s’accrût de la force agissante d’une foi incontestée.
Cette réalisation totale du gallicanisme, qui se produisit sous le règne de Louis XIV, fut préparée par l’action des pouvoirs qui se succédèrent en France depuis la mort d’Henri IV.
Ce fut en premier lieu, sous la régence de Marie de Médicis, l’action des Etats généraux de 1614, où le tiers état, au premier article de son cahier, posait 34 comme foi fondamentale «qu’il n’y a personne en terre, quelle qu’elle soit, spirituelle ou temporelle, qui ait aucun droit sur le royaume, le roi ne tenant sa couronne que de Dieu seul.» Ce fut ensuite Richelieu qui, dès son arrivée aux affaires, se trouva en opposition avec le pape et inaugura une politique essentiellement laïque. Sous son inspiration, ou du moins sans qu’il y eut opposition de sa part, des livres sont imprimés où l’on se plaint de «l’oppression que le pouvoir des papes fait subir à la France». Il interdit aux prédicateurs toute allusion désagréable au gouvernement et, au besoin même, il lui fait une obligation d’en faire l’éloge. Une assemblée de prélats se réunit en 1641. Il l’épure, lorsqu’elle lui paraît dangereuse. Deux archevêques et quatre évêques, opposés à ses projets, doivent quitter la ville; les lettres royales qui leur enjoignent de partir se terminent ainsi: «Je prie Dieu, Monsieur l’archevêque, qu’il vous donne une meilleure conduite.»
Le jour où, devenu majeur, Louis XIV prit en mains les rênes du Gouvernement, l’archevêque de Rouen, Harlay de Champvallon, fut reçu par le roi: «Sire, lui dit-il, j’ai l’honneur de présider à l’assemblée du clergé de votre royaume. Votre Majesté m’avait ordonné de m’adresser à M. le cardinal Mazarin pour toutes les affaires; le voilà mort; à qui Sa Majesté veut-elle que je m’adresse à l’avenir?» «—A moi, monsieur l’archevêque, je vous expédierai bientôt.»
Ce fut lui, en effet, qui expédia toutes les affaires de son royaume. On connaît la formule: «l’Etat, c’est moi!» Il l’étendit aux choses de l’Eglise et Bossuet légitima ses prétentions dans des écrits où aboutissent, pour se transformer en un système cohérent, toutes les tendances qui s’étaient fait jour dans les assemblées de la bourgeoisie et qui affirmaient la royauté de droit divin, la supériorité des 35 conciles sur les papes et l’indépendance du clergé français vis-à-vis de la Cour de Rome.
Il devint impossible à un évêque d’établir une correspondance avec la Cour de Rome, sans avoir obtenu, au préalable, une autorisation régulière émanant du roi. L’usage des relations directes entre Rome et les évêques de France se perdit bientôt. Le clergé devient un corps de fonctionnaires, sur lequel Louis XIV conserve une autorité sans limites, ce qui fait écrire à Fénelon que «le roi est beaucoup plus chef de l’Eglise que le pape... L’Eglise de France, privée de la liberté d’élire des pasteurs, est un peu au-dessous de la liberté dont jouissent les catholiques sous l’empire du Grand-Turc.
Louis XIV pensait que le roi, représentant l’Etat, était le seul propriétaire de la fortune publique. Il en résultait pour lui le droit de disposer librement des biens ecclésiastiques. C’est lui, d’ailleurs, qui répartissait les bénéfices. Chaque fois qu’il devait communier, le lendemain il se mettait d’accord avec son confesseur pour donner des titulaires aux postes vacants. On remplissait la «feuille des bénéfices», qui était soumise au pape, par simple formalité.
Le souverain absolu intervint aussi dans les affaires de l’Eglise pour régler, ou plutôt pour achever d’anéantir son droit séculaire de juridiction. Le droit à une juridiction temporelle ecclésiastique datait de l’empereur Constantin. Au XIIe siècle, en France, cette juridiction appartient non seulement aux évêques, mais à d’autres ecclésiastiques: archidiacres, archiprêtres, chapitres, abbés des monastères. Elle s’exerçait au moyen des cours de chrétienté, qu’on appela dans la suite des officialités.
La compétence de ces cours était très étendue. Il suffisait d’être tonsuré pour en être justiciable et les historiens constatent que, vers 1288, il y eut jusqu’à 36 20.000 marchands qui «se faisaient donner par les barbiers couronne de clercs, pour profiter d’une procédure qui, à cette époque, était plus raisonnable que celle de la justice féodale. Outre les clercs, les veuves, les orphelins, les croisés, les écoliers des universités étaient, dans certains cas, soumis à leur compétence.
Les matières que la juridiction ecclésiastique avait à connaître étaient relatives à la foi, à la discipline ecclésiastique. Dans le domaine temporel, elle jugeait tous les procès qui avaient trait au mariage, aux propriétés du clergé, aux testaments, aux conventions confirmées par serment. Elle jugeait encore les crimes contre la religion, tels que le sacrilège, le blasphème, la sorcellerie et tous les crimes commis dans les lieux saints. Elle édictait des peines, qui consistaient en pénitences, emprisonnement et amendes, lesquelles étaient attribuées à des œuvres de piété. Elle excommuniait fréquemment aussi. Mais, sous prétextes que Ecclesia abhorret a sanguine, elle transmettait aux cours séculières les coupables qui méritaient la peine de mort ou les mutilations douloureuses.
Cette juridiction fut d’abord combattue par les barons féodaux; de Philippe le Bel à François Ier, sa compétence fut réduite. Des édits avaient transmis aux juges séculiers la connaissance des questions immobilières, des procès relatifs aux successions. Toutes ces restrictions se trouvent réunies dans l’édit que prit Louis XIV, en 1695, et qui traite, en même temps, de l’érection des cures, des fabriques, de l’entretien des églises et des cimetières, de la surveillance des maîtres et maîtresses d’école par le clergé, des prières publiques.
L’Eglise fut définitivement soumise à la justice civile, car, d’autre part, au moyen de l’appel comme d’abus, les juges séculiers pouvaient s’immiscer dans 37 les affaires spirituelles elles-mêmes. Cette théorie de l’appel comme d’abus avait été élaborée par les légistes. Tout acte qui semblait contraire aux libertés de l’Eglise gallicane put être supprimé par le Parlement comme abusif. L’auteur de cet acte pouvait même être condamné à l’amende et à la saisie de son bénéfice. Et Fénelon de s’écrier: «Ce n’est plus de Rome que viennent les empiètements et les usurpations; le roi est en réalité plus maître de l’Eglise gallicane que le pape; l’autorité du roi sur l’Eglise a passé aux mains des juges séculiers; les laïques dominent les évêques.»
Louis XIV avait atteint son but. Il avait un clergé impuissant à réagir contre son empreinte. On constata bien à quel point il était indépendant de Rome, au moment du conflit avec la papauté, à propos du droit de régale.
En vertu de ce droit séculaire, le roi de France percevait à la place des évêques décédés ou démissionnaires, les revenus de leurs diocèses, tout le temps de leur vacance, et il nommait aux bénéfices dont l’évêque avait, comme tel, la collation.
Il est juste d’ajouter qu’à plusieurs reprises, le Saint-Siège avait protesté contre la deuxième de ces prérogatives. D’autre part, certains diocèses s’étaient rachetés à prix d’argent et il y en avait un certain nombre qui n’avaient jamais été soumis au droit de régale.
Louis XIV voulut réaliser à son profit cette extension, et, par un édit du 10 février 1673, il en émit ouvertement la prétention, donnant compétence exclusive à la grande chambre du Parlement de Paris relativement aux procès concernant le droit de régale.
Cet édit amena les protestations de deux évêques atteints. Les autres ne protestèrent point. Innocent 38 XI se rangea à côté des plaignants; mais à la suite de diverses péripéties, une assemblée du clergé, réunie à Paris, au couvent des Grands-Augustins, confirma la régale universelle (1681).
La déclaration de 1682.—Le pape refuse de s’incliner; il annule les actes de l’assemblée générale du clergé de France et demande aux évêques de se rétracter; mais avant que sa lettre soit parvenue à destination, le clergé de France a signé une déclaration, divisée en quatre articles et rédigée de la main même de Bossuet. En voici le texte. Il est important, car cette déclaration constitue la charte essentielle du clergé de France.
Plusieurs personnes s’efforcent en ce temps-ci de ruiner les décrets de l’Eglise gallicane et ses libertés, que nos ancêtres ont soutenues avec tant de zèle, et de renverser leurs fondements appuyés sur les saints canons et la tradition des pères. D’autres, sous prétexte de les défendre, ne craignent pas de donner atteinte à la primauté de Saint-Pierre et des pontifes romains, ses successeurs, instituée par Jésus-Christ, et à l’obéissance que tous les chrétiens leur doivent, et de diminuer la majesté du Saint-Siège apostolique, respectable à toutes les nations où la vraie foi est enseignée et où l’unité de l’Eglise se conserve. D’un autre côté, les hérétiques, mettent tout en œuvre pour faire paraître cette autorité, qui maintient la paix de l’Eglise, odieuse et insupportable aux rois et aux peuples, et pour éloigner par ces artifices les âmes simples de la communion de l’Eglise leur mère, et par là de celle de Jésus-Christ. Afin de remédier à ces inconvénients, nous, archevêques et évêques assemblés à Paris par ordre du roi, représentant l’Eglise gallicane avec les autres ecclésiastiques 39 députés, avons jugé, après mûre délibération, qu’il est nécessaire de faire les règlements et la déclaration qui suivent:
I
Que Saint-Pierre et ses successeurs, vicaires de Jésus-Christ, et que toute l’Eglise même, n’ont reçu d’autorité de Dieu que sur les choses spirituelles et qui concernent le salut, et non point sur les choses temporelles et civiles; Jésus-Christ nous apprenant lui-même que son royaume n’est pas de ce monde, et, en un autre endroit, qu’il faut rendre à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. Qu’il faut s’en tenir à ce précepte de Saint-Paul: que toute personne soit soumise aux puissances supérieures, car il n’y a point de puissance qui ne vienne de Dieu, et c’est lui qui ordonne celles qui sont sur la terre: c’est pourquoi celui qui s’oppose aux puissances résiste à l’ordre de Dieu.
En conséquence, nous déclarons que les rois ne sont soumis à aucune puissance ecclésiastique par l’ordre de Dieu, dans les choses qui concernent le temporel; qu’ils ne peuvent être déposés directement ou indirectement par l’autorité des chefs de l’Eglise; que leurs sujets ne peuvent être exemptés de la soumission et de l’obéissance qu’ils leur doivent, ou dispensés du serment de fidélité; que cette doctrine, nécessaire pour la paix publique, et autant avantageuse à l’Eglise qu’à l’Etat, doit être tenue comme conforme à l’Ecriture sainte et à la tradition des Pères de l’Eglise et aux exemples des saints.
II
Que la plénitude de puissance que le Saint-Siège apostolique et les successeurs de saint Pierre, vicaires 40 de Jésus-Christ, ont sur les choses spirituelles est telle néanmoins que les décrets du saint concile œcuménique de Constance, contenus dans les sessions 4 et 5, approuvés par le Saint-Siège apostolique et confirmés par la pratique de toute l’Eglise et des pontifes romains, et observés de tout temps religieusement par l’Eglise gallicane, demeurent dans leur force et vertu, et que l’Eglise de France n’approuve pas l’opinion de ceux qui donnent atteinte à ces décrets ou les affaiblissent, en disant que leur autorité n’est pas bien établie, qu’ils ne sont point approuvés ou que leur disposition ne regarde que le temps du schisme.
III
Qu’il faut régler l’usage de l’autorité apostolique par les canons faits par l’esprit de Dieu et consacrés par le respect général de tout le monde; que les règles, les mœurs et les constitutions reçues dans le royaume et dans l’Eglise gallicane doivent avoir leur force et leur vertu, et que les usages de nos pères doivent demeurer inébranlables; qu’il est même de la grandeur du Saint-Siège apostolique que les lois et les coutumes établies du consentement de ce siège et des Eglises aient l’autorité qu’elles doivent avoir.
IV
Que, quoique le pape ait la principale part dans les questions de foi, et que ses décrets regardent toutes les Eglises, et chaque Eglise en particulier, son jugement n’est pas irréformable, si le consentement de l’Eglise n’intervient.
Ce sont les maximes que nous avons reçues de nos pères et que nous avons arrêté d’envoyer à toutes les 41 Eglises gallicanes et aux évêques que le Saint-Esprit y a établis pour les gouverner, afin que nous disions tous la même chose, que nous soyons tous dans les mêmes sentiments et que nous tenions tous la même doctrine.
Le Parlement de Paris enregistra le lendemain un édit par lequel il était défendu d’enseigner ou d’écrire rien qui fût «contraire à la doctrine contenue dans la déclaration». Désormais les quatre articles devront être enseignés dans les séminaires.
Innocent XI, en réponse à la déclaration, refusa l’institution canonique aux évêques qui, étant prêtres, auraient assisté, comme délégués à l’Assemblée de 1682 et signé la déclaration. Or, comme Louis XIV se gardait bien d’en nommer d’autres il arriva qu’en janvier 1688, trente-cinq églises-cathédrales se trouvaient sans pasteurs.
Innocent XI meurt en 1689. Son successeur, Alexandre III, déclare nulle la déclaration de 1682. Le conflit devient de plus en plus aigu; mais il meurt à son tour et, avec Innocent XII l’entente a lieu. Louis XIV donnera des ordres pour que l’édit ne soit pas observé et le pape s’inclinera devant les volontés du roi, en ce qui concerne le droit de régale.
Cependant, les parlements n’abdiquèrent pas. Ils ne cessèrent d’appliquer, dans leur jurisprudence, les quatre articles de la déclaration. Au XVIIIe siècle, ils reparaîtront dans les édits royaux. On les verra aussi rappelés dans les articles organiques du concordat de 1801.
Trois ans après la déclaration du clergé gallican, le 17 octobre 1685, Louis XIV signait l’édit de révocation de celui de Nantes, corollaire de la déclaration et qui devait, dans l’esprit du roi, réaliser l’unité du culte en France. Les réformés furent autorisés à demeurer 42 en France. Autorisation précaire, puisque tout culte public leur était interdit et que leurs enfants devaient être élevés dans le catholicisme. Il avait été ordonné précédemment que les notaires et huissiers protestants abandonneraient leurs charges à des catholiques (1682); que les officiers protestants de la maison du roi devraient abandonner leur place ou se convertir au catholicisme (1683); que les épiciers fermeraient leurs boutiques, sous peine de 3.000 francs d’amende. Une déclaration royale avait interdit aux sages-femmes protestantes «de se mêler d’accoucher».
Par le fait de ces décisions, 10.000 familles protestantes s’étaient expatriées avant la révocation. Vauban estime à 100.000 le nombre de protestants qui désertèrent la France à la suite de l’édit, avec 60 millions de francs. Cette exode causa la ruine du commerce; les flottes ennemies furent grossies de 9.000 matelots, les meilleurs du royaume; leurs armées de 600 officiers et de 12.000 soldats plus aguerris que les leurs.
Cette révocation avait été préparée par une action patiente et minutieuse du clergé français. Louis XIV n’était encore qu’un enfant qu’il entendait Choiseul, l’évêque de Commingues, lui dire: «Nous ne demandons pas à Votre Majesté de bannir encore de votre royaume cette malheureuse liberté de conscience qui détruit la liberté des enfants de Dieu, mais, s’il n’est en votre pouvoir d’étouffer l’hérésie d’un seul coup, de la faire du moins périr peu à peu.
Le clergé réclama d’abord que l’on observât strictement l’édit de Nantes, sans tenir compte des événements survenus depuis sa promulgation. Louis XIV fit envoyer les commissaires dans les provinces. Des temples furent démolis sous le prétexte qu’ils se trouvaient sur des lieux où le culte public n’avait pas 43 été fait en l’année 1593 et 1597 ainsi que l’indiquait l’édit de Nantes. Le 17 juin 1681, une déclaration paraît «portant que les enfants de la R. P. R. pourront se convertir à l’âge de sept ans et défend à ceux de la R. P. R. de se faire élever dans les païs étrangers». On n’a jamais pu noter pareille atteinte à l’autorité du père de famille. Faut-il parler des dragonnades qui suivirent? Les protestants avaient huit jours pour devenir catholiques; ensuite ils étaient chargés par des troupes, que conduisaient des évêques.
Louis XIV avait voulu réaliser l’unité du culte français. Il avait également pris part à la lutte contre les jansénistes—Port-Royal avait été rasé—et aussi contre les inoffensifs quiétistes. La conséquence inévitable de cette politique se produira bientôt; aucun pouvoir humain n’empêchera de naître la philosophie du XVIIIe siècle.
«La politique inepte du Gouvernement eut deux conséquences également funestes pour la Royauté et pour l’Eglise, écrit M. Debidour, dans l’introduction de son important et consciencieux travail sur le sujet qui nous occupe[3]; la première, fut d’enhardir la magistrature au point que, dès le milieu du XVIIIe siècle, elle pût ébranler le vieil édifice de l’absolutisme monarchique et que, par le seul exemple de ses résistances, elle rendit la Révolution inévitable; la seconde, fut de rendre ridicules et odieuses les querelles théologiques, les persécutions, d’affaiblir singulièrement la foi dans les classes supérieures et moyennes de la nation, de faire enfin le jeu des philosophes qui s’emparèrent dès lors de l’opinion et familiarisèrent bientôt beaucoup d’esprits avec l’idée de rejeter non 44 seulement l’infaillibilité du pape, mais toute autorité sacerdotale, toute religion révélée. Ce n’est plus dans l’Augustinus ou dans les Réflexions morales de l’ancien testament que l’on va chercher des arguments: c’est dans l’Encyclopédie et dans le Dictionnaire philosophique. Le mot d’ordre n’est plus de faire son salut, mais de fonder la liberté.»
Les dernières années du règne de Louis XIV illustrent cette vérité démontrée par l’histoire, qu’un pouvoir temporel ne peut être que l’ennemi de Rome ou son jouet. Louis XIV, on vient de le voir, s’était rapproché de Rome, en deux circonstances; Rome empiéta, les jansénistes avaient contesté l’infaillibilité du pape; la compagnie de Jésus, émanation agissante de la Papauté, convainquit le souverain absolu de la nécessité d’une publication urgente de la célèbre bulle Unigenitus (1713). Or, cette bulle ne conseille rien moins que l’obéissance aveugle aux ordres du Saint-Siège que Louis XIV avait mis tant d’acharnement à combattre. Quelques temps après, les jansénistes en ayant appelé à des décisions du Saint-Siège au concile, celui-ci ne put avoir lieu. Le pape reprenait la prééminence perdue.
Le Parlement repoussa la bulle et, lorsque sous le règne de Louis XV, par ordre de l’archevêque de Paris, plusieurs curés exigèrent des mourants la déclaration qu’ils adhéraient à la bulle Unigenitus ou un billet de confession provenant d’un prêtre non janséniste, le Parlement invita l’archevêque à retirer son mandement. Le roi casse l’arrêt du Parlement. Mais celui-ci ne se tient pas pour battu, et le conflit se poursuit et s’aggrave. Louis XIV en arrive à exiler les membres du Parlement (1713); mais aucune juridiction ne veut s’incliner devant les décisions du roi. Finalement Louis XIV cède au Parlement. Billets de confession, refus des sacrements sont interdits, et 45 Benoît XIV déclare que les ordonnances de l’archevêque ne seront applicables qu’à ceux qui seraient «publiquement et notoirement réfractaires à la bulle Unigenitus» (1756). Le Parlement a triomphé.
Le triomphe s’accompagne d’une réaction contre les jésuites. Gallicans, philosophes, encyclopédistes, sociétés secrètes se liguent contre eux. La faillite du P. Lavallette, ruiné à la Martinique, faillite dont les jésuites se refusent à solder le déficit, permet au procureur général du Parlement de Paris d’examiner les statuts de l’influente compagnie. En 1764, elle est supprimée par un édit royal. En 1776, une Commission, dite des Réguliers, est nommée par le roi pour réformer «le clergé régulier». Un édit du 24 mars 1778 prépare la disparition d’un grand nombre de monastères. Les protestants profitent de la détente générale; l’édit de novembre 1787 leur rend l’état civil. Ce sont des signes avant-coureurs de la prochaine liquidation. Cependant le clergé romain est toujours le premier ordre de la nation. Il est le plus riche, il est encore le plus puissant, au moment où va s’ouvrir la période de la Révolution française.
46
La suppression de la dîme, dans la fameuse nuit du 4 août, inaugure, pour le clergé, un ordre social nouveau. L’historique des discussions, qui agitèrent alors l’Assemblée nationale est suffisamment connu et nous ne l’entreprendrons pas ici. On sait qu’après avoir affirmé solennellement les Droits de l’Homme, l’Assemblée, inquiète à l’annonce des troubles et des violences qui affligeaient les provinces, lasses d’être pressurées, dans un mouvement spontané déclara que l’impôt serait désormais payé par tous les membres de la nation, que les droits féodaux seraient rachetables, et que les servitudes personnelles seraient radicalement abolies.
Ces sacrifices, acceptés du clergé et de la noblesse par le souci de sauver du naufrage l’existence même de leurs ordres, provoquèrent un bel enthousiasme. Avec une égale sincérité, chacun affirmait son dévouement à la chose publique par l’abandon d’un de ses privilèges, d’un de ses droits séculaires. Il se produisit ainsi comme un entraînement à la renonciation. A deux heures du matin, tout était consommé. Aussitôt, les membres du clergé, se ressaisissant, accusèrent l’Assemblée de précipitation.
Le 11 août, Camus se vit obligé de combattre le maintien des Annates, réclamé par de prétendus banquiers «en cour de Rome», qui en faveur de leur proposition se disaient partisans d’une entente entre la France et l’Italie. Camus déclara que les richesses expédiées à Rome étaient perdues pour la France.
La veille, Sieyès avait démontré qu’il avait été 47 bien entendu, le 4 août, que la dîme appartenait, en toute légitimité, à l’Etat et que ce n’est point platoniquement que des sacrifices avaient été faits à l’intérêt national.
Le projet d’arrêté destiné à sanctionner les décisions prises pendant la nuit du 4 août était en butte aux attaques sournoises de deux ordres qui s’étaient, contre eux-mêmes, dépouillés de leurs plus chers privilèges. Mais, en dépit de tous leurs efforts, la nation eut le dessus. Le 11, tous les articles furent décrétés.
Le régime féodal était à tout jamais anéanti. Les dîmes de toutes natures se trouvaient détruites, «sauf à aviser aux moyens de subvenir d’une autre manière à la défense du culte divin.»
L’Etat paraissait donc, par cette formule, reconnaître une obligation le liant au clergé. Cependant, dans les écrits du temps, inspirés clairement par le tiers ordre, on lit que le prêtre doit vivre désormais de l’autel et que le fidèle doit contribuer à la dot du pasteur. Assurément, la situation de l’Etat vis-à-vis du clergé, n’apparaissait pas encore aux membres de l’Assemblée nationale sous un jour très clair.
Le tiers état réformateur se contentait du résultat positif atteint: 133 millions de livres, soit 250 millions de francs, revenant à la partie la plus travailleuse de la nation au lieu d’aller annuellement grossir les recettes du budget clérical.
Des obligations nouvelles, du fait même de cette suppression, liaient-elles l’Etat au clergé? Rien ne paraît moins certain. Mais il n’est pas moins vrai qu’une situation équivoque venait de surgir, situation qui durera jusqu’au 10 octobre, jour où Talleyrand spécifiera nettement les droits de la nation sur le clergé.
L’évêque d’Autun était partisan de l’accomplissement total des réformes. Il était d’avis que l’Etat devait 48 assumer toutes les charges qui pouvaient le rendre tout puissant. Mais l’état des finances n’était-il pas tel que l’on ne saurait sans imprévoyance l’engager dans une série illimitée d’innovations? Et, puisque impérieuses sont les transformations de la Société, à quelles ressources extraordinaires l’Etat a-t-il le droit de faire appel?
Ce sont ces idées que Talleyrand développa, le 10 octobre, avec une clarté remarquable.
Ces ressources extraordinaires? Mais où les trouver sinon dans les biens du clergé? Et qu’on ne vienne point prétendre que l’Assemblée fera subir à cet ordre le faix d’une nouvelle charge. Les «charges politiques» ne peuvent être qu’allègrement consenties.
L’évêque d’Autun envisage ensuite les droits qu’a l’Etat de s’approprier les biens ecclésiastiques.
La nation souveraine peut sans conteste mettre la main sur les biens vacants des associations qu’elle juge inutiles. Cela est indiscutable. Peut-elle réduire le revenu des bénéficiaires vivants? Oui, si elle laisse au clergé ce qui est nécessaire à sa subsistance. Le surplus, elle l’emploiera au soulagement des déshérités de la nature et de la fortune, se substituant, de cette manière, à l’Eglise qui jusqu’alors avait le soin de l’assistance et qui était tenue selon l’intention première des donateurs du clergé.
La totalité des fonds du clergé s’élève à la somme de 70 millions et les dîmes, qui doivent être acquittées quelque temps encore, à 80 millions.
Une fois en possession de la fortune cléricale, c’est la subsistance de quatre-vingt mille ecclésiastiques qu’il faudra assurer. Talleyrand explique comment il entend les voies et moyens de cette opération.
Par la vente du capital, estimé 2 milliards, l’Etat rembourserait les rentes viagères et les rentes perpétuelles 49 sur le roi. Le déficit serait comblé. Il resterait,—100 millions étant assurés au clergé,—35 millions pour former le premier fonds d’une caisse d’amortissement, destiné à adoucir la prestation de la dîme jusqu’au jour où elle serait définitivement abolie.
De nombreux applaudissements accueillirent la lecture de ce projet, dont l’impression fut ordonnée au nombre de 1.200 exemplaires.
Cependant il ne devait pas être donné à l’évêque d’Autun d’attacher son nom à la réalisation de cette grande opération financière.
Il est indéniable que son rapport avait montré à tous l’opportunité de la réforme, mais la leur avait fait apparaître complexe, difficile; la documentation était abondante, savante; mais ce n’est point un tel langage qu’entend une assemblée politique. C’est ce que comprit Mirabeau avec son sens affiné de conducteur de majorités. Aussi deux jours plus tard, le 12 octobre, inopinément, comme d’une manière épisodique, Mirabeau, en peu de mots, demande que la propriété du clergé fasse retour à la nation, «à charge par elle de pourvoir à l’existence des membres de cet ordre», et que la disposition de ces biens soit telle qu’aucun curé ne puisse avoir moins de 1.200 livres avec le logement.
Le principe de la nationalisation était ainsi posé.
Quand, le lendemain 13, la discussion s’ouvrit, la droite fit remarquer qu’un tel procès de propriété ne devait se juger qu’à la dernière extrémité. Et les membres du clergé tentèrent l’impossible pour éluder la question.
Mais on alla aux voix et l’Assemblée décréta que la proposition de Mirabeau allait être examinée.
Camus affirma que l’Etat ne peut toucher aux propriétés de l’Eglise, sans s’exposer à détruire ce «corps 50 social». Plusieurs abbés s’essayèrent à prouver que la propriété du clergé ne peut être revendiquée par l’Etat, sinon contre tout droit et contre toute justice. L’abbé d’Eymar renforça son opinion de cette assertion que c’est vouloir porter atteinte à la religion que de salarier le clergé.
Mais Barnave revint au fait: la distribution des fonds assignés au service religieux appartient-elle à la nation? Il est deux sortes de biens: ceux qui ont pour source la nation et ceux qui viennent des fondateurs. Ces derniers appartiennent également de droit à la nation.
Les fondations ayant pour double objet l’assistance et le payement d’un service public ne sont qu’un dépôt entre les mains du clergé. Et Barnave déclara que, sans le bon vouloir de l’Etat, le clergé ne pourrait manifester aucune activité propre; les biens ecclésiastiques ne peuvent lui appartenir. Puis, quittant le domaine de la théorie, Barnave montre que l’état de choses national nécessite la nationalisation. La suppression des dîmes a dépouillé inégalement le clergé; il y a là une injustice à réparer. Enfin, dernier argument, par la vente des immeubles de l’Eglise, l’Etat évite la banqueroute.
L’abbé Maury répliqua que l’Assemblée, en tolérant le procès de la propriété ecclésiastique, allait au-devant d’un péril social; à remonter à l’origine des propriétés, on aboutit à la loi agraire. En outre, c’est ébranler les assises de l’Etat, car si le clergé n’est pas propriétaire des biens fonds, s’il est doté par le fisc, au premier revers dans les finances les particuliers refuseront de payer. La religion seule est la sauvegarde de l’Empire.
L’ancien gouverneur de la Guyane, Malouet, apporta au milieu de cette passionnante discussion, une note personnelle.
51
Pour lui, il reste indiscutable que les biens du clergé sont propriété nationale. L’Etat doit en régler l’emploi, afin que leur double destination soit rigoureusement remplie: entretien du clergé et soulagement des pauvres. Mais il ne saurait les aliéner sans méconnaître ses devoirs essentiels vis-à-vis de l’Eglise et vis-à-vis des malheureux; s’il lui est permis de disposer du revenu de ces propriétés, ce ne peut être que les années où, grâce à une meilleure administration, les ministres de l’Eglise étant entretenus et les pauvres secourus, un excédent résulterait des exercices.
Ce modus vivendi n’était pas conçu sans habileté. Il rallia de nombreux curés qui formèrent ainsi un parti intermédiaire, une minorité agissante mais faible. Contre les questions de principes, que la majorité posait inlassablement, on ne pouvait rien. Thouret proclamait que le clergé ayant cessé d’être un corps politique, son droit de propriété était inexistant puisque la loi ne connaît que les propriétaires réels. Ces corps ne peuvent plus posséder; sans spoliation, la nation peut donc reprendre au clergé les biens qu’elle lui avait seulement permis de posséder.
Les représentants du clergé s’évertuaient à rétorquer ces arguments de droit et de fait par tout un ensemble d’affirmations sèches, raides, scholastiques. Le clergé est une personne morale, disaient-ils; il peut être propriétaire. Le travail, les acquisitions sont de suffisants titres de propriété; mais, en réalité, il a acquis à deniers comptants et par échanges; ces actes ne sont pas ceux d’un usufruitier, mais d’un propriétaire.
Ce débat juridique eût pu s’éterniser si Mirabeau, le 30 octobre, n’était venu trancher la question avec son éloquence et sa logique coutumières. Loin d’accorder au clergé une qualité d’usufruitier, il ne voit 52 en lui que le dispensateur des biens qui, depuis un temps immémorial, étaient à la disposition du roi. Et il démontre qu’il doit être de principe que la nation est seule propriétaire des biens de son clergé.
Le 2 novembre, il combat de nouveau, avec une force dialectique encore plus puissante, le second discours de l’abbé Maury, tissé de menaces et de sophismes canoniques. Il répond aussi, moins sèchement toutefois, aux paroles de l’archevêque d’Aix. Et il n’est pas une seule raison, parmi celles que le clergé met en ligne, qui résiste à ses arguments politiques et théoriques.
«Vous allez décider une grande question, dit-il. Elle intéresse la religion et l’Etat. C’est moi, messieurs, qui ai eu l’honneur de vous proposer de déclarer que la nation est propriétaire des biens du clergé.
«Ce n’est point un nouveau droit que j’ai voulu faire acquérir à la nation; j’ai seulement voulu constater celui qu’elle a, qu’elle a toujours eu, qu’elle aura toujours, et j’ai désiré que cette justice lui fût rendue, parce que ce sont les principes qui sauvent les peuples, et les erreurs qui les détruisent.»
Suivant Mirabeau, la nation a le droit «d’établir ou de ne pas établir des corps». «Ce n’est point la réunion matérielle des individus qui forme une agrégation politique. Il faut qu’elle ait une personnalité distincte et qu’elle participe aux effets civils. Or, de pareils droits, intéressant la société entière, ne peuvent émaner que de sa puissance.»
Par suite, la société, ayant le droit d’établir ou de ne pas établir des corps, a également «le droit de décider si les corps qu’elle admet doivent être propriétaires ou ne l’être pas».
«La nation, dit-il, a ce droit, parce que si les corps n’existent qu’en vertu de la loi, c’est à la loi à modifier leur existence; parce que la faculté d’être 53 propriétaire est au nombre des effets civils, et qu’il dépend de la société de ne point accorder tous les effets civils: des agrégations qui ne sont que son ouvrage; parce qu’enfin la question de savoir s’il convient d’établir des corps est entièrement différente du point de déterminer que ces corps soient propriétaires.»
M. l’abbé Maury avait prétendu qu’aucun corps ne peut exister sans propriété. Mais Mirabeau lui répond:
«Quels sont les domaines de la magistrature et de l’armée? Quelle était donc la propriété du clergé dans la primitive Eglise? Quels étaient les domaines des membres des premiers conciles? On peut supposer un état social sans propriété, même individuelle, tel que celui de Lacédémone, pendant la législation de Lycurgue. Pourquoi donc ne pourrait-on pas supposer un corps quelconque, et surtout un corps du clergé, sans propriété?»
Mirabeau continue en disant que partout où des corps existent, la nation «a le droit de les détruire, comme elle a eu celui de les établir».
«Il n’est aucun acte législatif qu’une nation ne puisse révoquer; elle peut changer, quand il lui plaît, les lois, sa constitution, son mécanisme.»
Il ajoute que l’Assemblée devant laquelle il parle n’est pas seulement législative, mais constituante, et qu’elle a, par cela seul, tous les droits que pouvaient exercer les premiers individus qui formèrent la nation française.
Appliquant les principes au clergé, Mirabeau en déduit que la nation a le droit de décider que «le clergé ne doit plus exister comme agrégation politique».
Et si elle exerce ce droit, qu’en résultera-t-il? que deviendront les biens du clergé?
54
Mirabeau envisage plusieurs hypothèses: Retourneront-ils aux fondateurs? Seront-ils présidés par chaque église particulière? Seront-ils partagés entre tous les ecclésiastiques? La nation en sera-t-elle propriétaire? Il paraît évident que seule la dernière est légitime.
«Tous les biens de l’Eglise n’ont pas des titulaires; les titulaires mêmes n’ont pas des détenteurs, et il faut nécessairement que des biens qui ont une destination générale aient une administration commune.
«Il ne reste donc que la nation à qui la propriété des biens du clergé puisse appartenir; c’est là le résultat auquel conduisent tous les principes.»
Mais une question se pose alors: sera-t-il de l’époque de la loi, que la nation sera propriétaire, ou l’aura-t-elle toujours été? Faut-il, comme dit M. l’abbé Maury, tuer le corps du clergé pour s’emparer de ses domaines? Ou bien est-il vrai que l’Eglise n’a jamais eu que l’administration, que le dépôt de ces mêmes biens?
Mirabeau soutient cette deuxième thèse:
«En effet, dit-il, si tout corps peut être détruit, s’il peut être déclaré incapable de posséder, il s’ensuit que ses propriétés ne sont qu’incertaines, momentanées et conditionnelles; il s’ensuit que les possesseurs des biens, dont l’existence est ainsi précaire, ne peuvent être regardés comme des propriétaires incommutables, et qu’il faut par conséquent supposer pour ces biens un maître plus réel, plus durable et plus absolu.»
«... C’est pour la nation entière que le clergé a recueilli ses richesses; c’est pour elle que la loi lui a permis de recevoir des donations, puisque, sans les libéralités des fidèles, la société aurait été forcée elle-même de donner au clergé des revenus, dont ces propriétés, acquises de son consentement, n’ont été que 55 le remplacement momentané. Et c’est pour cela que les propriétés de l’Eglise n’ont jamais eu le caractère de propriété particulière.»
D’ailleurs, ne rentrent-elles point dans la même catégorie que celles qu’on a appelées le domaine de la Couronne? Est-ce qu’il ne serait pas au pouvoir de la nation de l’aliéner, d’en retirer le prix et de l’appliquer au payement de la dette?
Pour décider cette question, Mirabeau compare les propriétés de l’Eglise avec toutes les autres propriétés qui lui sont connues. Elles n’en possèdent aucun des caractères.
«Elles n’ont pas été données à des individus, mais à un corps; non pour les transmettre, mais pour les administrer; non à titre de salaire, mais comme un dépôt; non pour l’utilité de ceux qui devaient les posséder, mais pour fournir une destination publique et pour fournir les dépenses qui auraient été à la charge même de la nation.»
Par contre, les possessions de l’Eglise ont la même origine, la même destination, les mêmes effets que le domaine de la Couronne.
«Les biens, comme le domaine de la Couronne, sont une grande ressource nationale. Les ecclésiastiques n’en sont ni les maîtres, ni même les usufruitiers; leur produit est destiné à un service public; il tient lieu d’un impôt qu’il aurait fallu établir pour le service des autels, pour l’entretien de leurs ministres; il existe donc pour la décharge de la nation.»
«C’est donc pour son intérêt personnel, et pour ainsi dire, en son nom, que la nation a permis au clergé d’accepter les dons des fidèles; et, si le clergé cesse de posséder ces biens, la nation seule peut avoir le droit de les administrer, puisque leur destination est uniquement consacrée à l’utilité publique.»
A la suite de ce discours, la sécularisation des 56 biens du clergé fut votée par 568 voix, contre 346 et 40 voix nulles.
Par ce vote, l’Assemblée n’avait à vrai dire, fait que poser le principe. Comment l’appliquer dans la pratique? Mais des conséquences forcées découlaient naturellement de ce vote.
Le 13, Treilhard proposa de mettre le scellé sur tous les bénéfices, excepté les cures; ce qui fut décrété sur le champ. D’autre part, le Comité des finances s’inquiétait de l’état du Trésor. Le 19 décembre, un plan de son rapporteur, Le Coulteux de Canteleu, proposait la création d’une caisse, destinée à recevoir le produit de la vente des biens du clergé, caisse devenue nécessaire par le fait des votes précédents, particulièrement celui du 17 décembre par lequel Treilhard, au nom du Comité ecclésiastique, réclame la suppression de tous les couvents et maisons religieuses «dont l’inutilité est évidente». Ne seraient conservés que les ordres qui se consacrent à l’étude et au soulagement des malades. Le Comité prévoyait des pensions pour les religieux quittant le monastère.
De telles dispositions étaient inspirées par un sévère souci de l’équité. Mais elles n’eurent pas le don de plaire au haut clergé qui ne se fit point faute de manifester violemment son mécontentement. Déjà, il adressait des menaces directes à l’Etat, encouragé qu’il était par ceux de ses membres qui avaient passé la frontière.
L’Assemblée, prise par l’urgence de débats nouveaux, ne put discuter le projet de Treilhard que le 11 février 1790.
L’évêque de Clermont formula des vœux tendant à ce que les ordres monastiques reprissent leur ancienne splendeur; l’évêque de Nancy proclame que le catholicisme est une religion d’Etat. La séance du 13 fut des plus tumultueuses. En face des insolences de la 57 droite, la majorité jugea trop modérées les propositions de Treilhard et elle décréta que désormais la nation ne reconnaîtrait plus les vœux monastiques et toutes les congrégations furent supprimées. Les établissements de charité et d’éducation étaient cependant maintenus provisoirement.
Cette loi porta au comble l’irritation du clergé. Des tentatives contre-révolutionnaires furent signalées en divers diocèses; et, avant toute opération financière, les immeubles de l’Eglise, que l’Etat avait repris, étaient discrédités en chaque province.
D’autre part, la dîme n’étant due que jusqu’en 1791, l’entretien du clergé devenait un problème pressant. Mais, comme les domaines ecclésiastiques répondaient seuls de cet entretien, il s’agissait de les arracher à l’Eglise qui les détenait encore.
Tout d’abord, l’Assemblée eut souci de rassurer les futurs acquéreurs des biens dits du clergé. Et comment, sinon en mettant à la charge de l’Etat la dette totale du clergé?
Ensuite, le 9 avril, le rapporteur du Comité des dîmes, le jurisconsulte Chasset, donna communication d’un projet de décret, aux termes duquel le traitement de tous les ecclésiastiques serait payé en argent. A cet effet, une somme déterminée serait inscrite au budget de l’Etat. Et les anciens biens ecclésiastiques, tenus en état par les départements et par les villes, administrés par des citoyens élus, produiront des revenus, qui serviront uniquement à payer les intérêts de la dette publique.
Chasset fixait les frais du culte à 130 millions.
Il était donc possible, avec une telle somme, d’assurer un traitement convenable aux membres du clergé. Mais c’est le principe même du salariat, que l’Eglise repoussait; et elle ne pouvait se faire à l’idée qu’elle était dépossédée de son titre de propriétaire. 58 Il lui paraissait que, sans richesse matérielle, son prestige avait cessé d’être, ainsi que toute autorité morale et toute domination temporelle.
Aussi, est-ce solennellement, au nom de tous les établissements religieux, que l’évêque de Nancy déclare ne pouvoir consentir au décret et à tout ce qui s’en suivrait. L’archevêque d’Aix crut nécessaire d’user de moyens de conciliation et fit une offre de 400 millions hypothéquée sur les biens du clergé, qui en payerait les intérêts et en rembourserait le capital par des ventes progressives. Mais l’archevêque achevait son discours d’apaisement en évoquant la «puissance ecclésiastique», ce qui déplut à nombre de membres. Don Gerbe fut encore plus maladroit. «Il faut décréter, dit-il, que la religion catholique, apostolique et romaine est et demeure, et pour toujours, la religion de la nation, et que son culte sera le seul autorisé.» Un tel fanatisme, qui eut été compréhensible un siècle plus tôt déchaîna le tumulte et ce fut au milieu de propositions et de contre-propositions, de harangues menaçantes, que le projet Chasset fut adopté dans son économie essentielle.
Le clergé n’était plus désormais qu’un corps de fonctionnaires salariés par l’Etat. En moins d’un an l’Eglise catholique avait perdu tous ses privilèges; son pouvoir temporel, assise inébranlable de sa domination spirituelle, lui était ravi par l’Etat, maître de ses propres destinées.
Elle ne souffrit point pareille déchéance. Ses ministres s’enrôlèrent dans les rangs des ennemis de la Révolution, tandis que la nation, après avoir détruit l’édifice de l’ancienne Eglise, se donna pour devoir d’établir selon ses vues un nouvel ordre de choses religieux.
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La constitution civile du clergé[4].—Le 6 février 1790, l’Assemblée avait chargé son comité ecclésiastique de dresser un plan de réorganisation du clergé. Afin d’accélérer ses travaux, elle adjoignit à ce comité quinze nouveaux membres qui, pour éviter les fâcheuses critiques, furent choisis parmi les amis de l’Eglise.
L’assemblée avait à cœur de se tenir en dehors des matières spirituelles. Son rôle, elle désirait le borner à déterminer législativement les rapports que l’Etat devait entretenir avec l’Eglise, à établir les nouveaux principes qui subordonneraient le clergé, service public, à l’administration nationale.
Il paraît surprenant que les réformateurs de l’Assemblée constituante n’aient pas aperçu ce qu’il y avait, dans leur tentative, de contraire à la réalité, à la nature même des choses. Prétendre transformer le clergé en un corps de salariés, soumis à l’Etat, n’était-ce point méconnaître le caractère de l’Eglise catholique, universelle, romaine, n’était-ce pas renouveler l’erreur du gallicanisme, aboutissant à la bulle Unigenitus?
La temporalité était l’unique domaine où les constituants se donnaient le droit de légiférer. Mais dès l’instant où l’Etat fait intervenir son autorité dans les matières de juridiction ecclésiastique, n’est-il pas fatal de le voir aux prises avec des questions de droit canon? On croirait vraiment que nos grands laïcisateurs avaient perdu le souvenir d’une époque, pourtant récente, où s’était affirmée avec tant de force la toute-puissance de Rome sur son clergé. D’autre part, si les visées de leur politique étaient de susciter à nouveau une église gallicane, comment n’eurent-ils pas la prévoyance de la mettre à l’abri de toute réaction, en s’assurant le dévouement de la plus forte partie du clergé?
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Mais ce serait aller, croyons-nous, contre la vérité historique, que de prêter aux hommes de 1789 un projet aussi résolu dans leur esprit.
L’Eglise temporelle n’existait plus; aucun des privilèges d’autrefois ne subsistait. Cependant, la crédulité religieuse ne paraissait pas avoir reçu des atteintes sérieuses; à cette foi il fallait des serviteurs. L’Etat commit l’erreur de s’imaginer qu’il lui était possible de les créer de toutes pièces, de sa propre autorité; et cette Assemblée, qui se révoltait quand on lui proposait de décréter le catholicisme religion nationale, s’asservit à une collectivité d’hommes vivant du commerce de leurs croyances, tout en prétendant les soumettre à son despotisme, elle qui proclamait la liberté.
A cette époque de la Révolution, la paix et la liberté religieuses eussent pu être réalisées, si les esprits plus avisés avaient su reconnaître, dans le principe de la séparation des Eglises et de l’Etat, la solution de bons sens, la solution logique.
Bien au contraire, dans l’état de choses qu’elle prétendait instaurer, l’Assemblée nationale manifestera une légitime susceptibilité au sujet de son indépendance. Elle se montrera indignée, quand le pape Pie VI prononcera le 29 mars 1790, la condamnation des principes révolutionnaires. Et dans la crainte que ce clergé, qu’elle voulait à son service, ne prît au pied de la lettre les paroles enflammées du Saint-Siège, elle se décidera à rompre en visière avec Rome.
Mais, d’autre part, l’Assemblée ne fut pas longtemps sans s’apercevoir que les ecclésiastiques français, avec lesquels elle désirait négocier, lui échappaient chaque jour. Par tous les diocèses ils lançaient de fougueux mandements, encourageant la levée de libelles incendiaires, fanatisant les populations 61 et leur ouvrant le Paradis si elles marchaient d’une belle ardeur à la guerre sainte. De terribles émeutes ensanglantaient le midi et l’ouest; les anciennes congrégations devenaient des armées et les autorités civiles, harcelées, insultées, menacées, ne pouvant plus arrêter le flot des émeutiers catholiques, faisaient le sacrifice de leurs jours.
Un tel spectacle eut dû ouvrir les yeux de l’Assemblée. En quels rangs du clergé avait-elle la possibilité de recruter ses troupes? L’Eglise tout entière s’insurgeait contre la nation!
Mais non. La Constitution civile, en dépit des événements, fut portée à l’ordre du jour le 29 mai et le 12 juillet, le projet était décrété.
Elle donna lieu à des débats extrêmement laborieux. Le clergé répétait comme une antienne que les pouvoirs de l’Eglise sont inaliénables, imprescriptibles et illimités, que Jésus-Christ n’a pas donné aux empereurs le gouvernement ecclésiastique et qu’enfin la législation, la juridiction, l’enseignement sont des droits inviolables.
Devant une pareille irréductibilité, il apparaissait difficile de composer. Les Constituants ne se laissèrent pas rebuter, tant ils avaient conscience que la nécessité sociale leur commandait la réglementation civile de l’Eglise. Ils avaient beau entendre et souffrir des panégyriques du pape dans ce goût: «Le pape a la primatie d’honneur et de juridiction sur toute l’Eglise», ils ne s’émouvaient pas et persistaient dans leur intention de soustraire le clergé français au pouvoir romain. N’est-ce pas Robespierre qui déclarait l’obligation pour l’Etat d’attacher étroitement les prêtres à la société, de leur inculquer la notion de l’intérêt public?
Les représentants ecclésiastiques révoltés contre les «hérésies» des réformateurs n’avaient pas à 62 leur égard d’épithètes assez blessantes. L’une d’elles était que l’on conduisait la nation au presbytérianisme»! La majorité fit bon accueil à l’accusation. On proclama qu’en effet elle travaillait à fonder une église gallicane, libérée à tout jamais des doctrines ultramontaines.
Aussi sa constitution civile se ressent-elle, dans toutes ses parties, de ce souci de création politique, de cet effort, pour dresser l’édifice juridique où s’abritera la nouvelle Eglise.
Elle se divise en quatre parties: la première est consacrée aux offices ecclésiastiques, la seconde à la nomination aux bénéfices, la troisième a rapport au traitement des ministres de la religion et la quatrième établit les dispositions de la loi de résidence.
Le principe du titre Ier est que la configuration des diocèses reproduira les divisions départementales de l’Empire. Les seuls titres reconnus par l’administration sont ceux d’évêques et de curés; par suite, les offices autres que les évêchés et les cures sont abolis. De plus, l’évêque ne devient qu’un président de consistoire; le conseil, qui l’assiste, donne souverainement son avis. Ainsi désormais l’évêque ne sera plus le soldat obéissant du pape et, partant, les appels en cour de Rome ne seront plus possibles.
Le titre II réglementait la procédure de la nomination aux bénéfices. Les évêques et les curés seraient des élus du peuple. En effet, ne sont-ils pas assimilés aux fonctionnaires civils? Or, ceux-ci sont nommés par l’assemblée électorale; et, comme tels, les ecclésiastiques seront soumis à toutes les formalités ordinaires jusques et y compris celle du serment. Quant à l’investiture, elle serait donnée par le métropolitain du diocèse. Solliciter la confirmation du pape eût été un acte de rébellion contre l’Etat.
Les curés étaient élus parmi les prêtres ayant 63 exercé le sacerdoce pendant cinq ans. Après avoir prêté le serment consacré d’être fidèle à la nation, à la loi et au roi et de maintenir de tout son pouvoir la constitution décrétée par l’Assemblée nationale et par le roi, l’élu était admis à recevoir l’investiture canonique. Les curés avaient toute latitude, pour choisir leurs vicaires.
On voit que la direction de l’Eglise était mise tout entière entre les mains du pays. C’est ce que les adversaires de la loi se refusaient à tolérer; mais la disposition qui dépassait leur entendement était celle qui dépossédait le pape du droit essentiel du pontificat: le droit d’accorder ou de refuser l’institution canonique. Ils n’avaient pas de mots pour exprimer l’effet d’un tel outrage sur leur âme de chrétien. Quant à l’obligation du serment, c’était la consécration du schisme; les prêtres qui, cédant aux mesures coercitives de la nation, jureraient respect à la Constitution seraient déchus de leur dignité de ministres de Dieu. Mais les défenseurs du projet ne se dérobaient pas aux attaques. Et, tout d’abord, ils justifiaient l’élection en rappelant l’état primitif de l’Eglise, véritable démocratie. Et, pour expliquer la raison de l’éloignement où la Constitution tenait le pape, ils demandaient si le souverain pontife pouvait être autre chose, aux yeux des Français, que l’évêque de Rome.
Le titre suivant, qui faisait bénéficier le clergé d’avantages pécuniaires, fut adopté sans difficultés. La gauche de l’Assemblée s’éleva contre cette loi, qui rentait trop magnifiquement, à son avis, ceux-là qui n’étaient plus que des fonctionnaires. La réclamation demeura sans écho.
En outre, Robespierre invoqua la justice de l’Assemblée en faveur des ecclésiastiques «vieillis dans le ministère et qui, à la suite d’une longue carrière, 64 n’ont recueilli de leurs travaux que des infirmités». Libéralement de nombreuses pensions de retraite furent octroyées aux invalides.
Enfin par la loi de la résidence, objet du titre IV, il était interdit aux évêques de s’absenter de leur diocèse sans y être autorisé par le directoire du département; leur absence ne pouvait s’élever au delà de quinze jours. De même, les curés et les vicaires, n’avaient pas le droit de séjour ailleurs que dans leur cure; si des nécessités impérieuses les réclamaient ailleurs, le directoire du district examinait leur demande de congé.
Aussi l’Assemblée ne pouvait-elle accorder aux ecclésiastiques le droit de poser leur candidature à des emplois qui les auraient obligés à rester éloignés de leurs offices. Cependant exception était faite pour les élections à l’Assemblée nationale et, d’autre part, la raison d’interdire au clergé l’entrée des divers conseils administratifs de leur commune ne subsistait plus; l’Assemblée même avait une tendance à encourager les prêtres à s’occuper des affaires publiques, puisque son ambition était de doter la nation d’un clergé patriote et libéral.
Chaque article donna lieu à de violents débats; lentement, péniblement on atteignit le 12 juillet et l’ensemble de la loi fut adopté.
Quelques jours plus tard, le 24, Chasset, au nom du Comité ecclésiastique, déposa un projet de loi sur les retraites, destiné à compléter les dispositions relatives au traitement du clergé. Les évêques supprimés, selon les propositions du Comité, devaient jouir des deux tiers du traitement qu’ils auraient eu s’ils fussent restés en fonctions, à la condition que le tout n’excédât pas 30.000 francs; les évêques se démettant de leurs fonctions recevaient pareille somme.
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Il ne parut à aucun des membres de la majorité que la loi n’était pas suffisamment favorable au personnel de l’Eglise. On demanda même qu’il ne fut rien donné à ceux qui ne prouvaient pas que leur retraite était nécessitée par des raisons valables. Mais, par esprit de conciliation, et pour s’assurer le dévouement de tout le clergé, les vues du Comité furent adoptées.
Les largesses de l’Assemblée, loin de désarmer les ecclésiastiques, ennemis de la Constitution, prirent l’aspect d’une faiblesse et incitèrent davantage à la rébellion.
Le clergé démasqua sa politique. Il s’efforçait d’agir à la fois sur l’esprit du roi et sur celui du paysan; l’un et l’autre étaient sensibles aux prédications fanatiques. A celui-ci, il évoquait le roi, déchu de son autorité. A celui-là, il parlait du maître de tous les rois, du vicaire de Jésus-Christ, couvert d’invectives, bafoué, dont l’autorité spirituelle se trouvait compromise, sinon détruite, par les lois hérétiques de la Constituante.
Mais Pie VI, malgré son désir d’entrer en lutte contre la France révolutionnaire, hésitait, tergiversait, tant il avait souci de ne point exposer son domaine d’Avignon.
De son côté, le roi, pris entre les incitations du clergé et les menaces réservées de l’Assemblée, balançait à prendre une décision. Tout,—son éducation, ses intérêts, ses influences,—complotait à lui faire opposer son veto à la promulgation de la loi. Mais une telle indépendance vis-à-vis des législateurs ne pouvait que mettre sa couronne en péril. Dans son irrésolution, il réclama le secours du pape; celui-ci répondit que le dernier mot sur la constitution appartenait au sacré collège. Dès lors, Louis XVI, mis au pied du mur, promulgua, le 24 août, la loi religieuse.
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Les évêques décidèrent de combattre sans le secours du pape ni du roi. L’archevêque d’Aix lança un manifeste qui, après la réfutation des théories laïques, provoquait à la guerre civile. Désormais, l’Assemblée allait avoir, à l’ordre du jour de ses séances, des interpellations incessantes sur les troubles cléricaux.
Sans tarder, elle prit des mesures énergiques pour vaincre la révolte de l’Eglise. Tous les évêques et les curés en fonction furent tenus de prêter le serment constitutionnel, dans la huitaine sous peine de perdre leurs offices. Ce décret, présenté par Voydel, fut rendu, le 27 novembre, grâce à un discours de Mirabeau, qui légitima avec une abondante éloquence, tout ce que l’Assemblée pourrait tenter, pour assurer le respect de ses droits.
Mais le roi ne peut se résigner à sanctionner le décret. Le peuple se soulève contre son souverain, que Rome subjugue. L’émeute gronde. Le roi est soupçonné de trahison. Et ce sera le premier ébranlement sérieux que son royaume subira. Les assauts furieux et répétés de l’Eglise contre le pouvoir national prépareront la mesure trop tardive qui deviendra le salut public: la séparation des Eglises et de l’Etat.
Il ne nous appartient pas d’exposer ici tous les événements religieux qui se placent entre la Constitution de 1790 et le décret du 27 novembre 1793. Avec eux, nous sommes dans la période de l’insurrection. Et, s’ils forment comme une trame serrée, si les actes législatifs auxquels ils donnent naissance, paraissent découler légèrement les uns des autres, c’est qu’à toute cette agitation il n’était qu’un aboutissant politique: la dénonciation de l’erreur législative de 1790, de la constitution civile du clergé.
Et si, par la force des choses on en arriva à abandonner l’Eglise à ses destinées, c’est que les législateurs 67 acquirent l’expérience que toutes les mesures qu’ils pouvaient prendre à l’égard du clergé révolté seraient insuffisantes à assurer l’ordre et le respect de l’Etat laïque.
Le 18 septembre 1794, la Convention, par mesure financière, sur la proposition de Cambon, vota un projet, qui d’abord posait en principe que la République française ne payerait plus les frais ni les salaires d’aucun culte.
Ce principe, Cambon le dit formellement, était «dans tous les cœurs». Il n’était donc pas dicté uniquement par un état de choses financier; il résultait des leçons de l’expérience, et d’une cruelle expérience. «Proclamez un principe religieux, dit Cambon, de suite il faudra des temples, qui devront être gardés par des personnes, qui s’en prétendront les ministres; ils demanderont des traitements ou des revenus. S’ils réussissent dans leur première demande, ils élèveront bientôt de nouvelles prétentions, et, sous peu, ils établiront des hiérarchies et des privilèges.»
On ne saurait mieux faire apparaître le danger que fait courir à l’Etat une union avec l’Eglise. Mais, nous l’avons dit, ce n’est pas d’un coup que les conventionnels de 1794 arrivèrent à posséder une conscience aussi nette des intérêts supérieurs des deux partis. De 1790 à 1794, l’étape fut longue, ardue, sanglante; à diverses reprises, la solution finale ne manqua pas d’être présentée, formulée même et désirée.
C’est d’abord la rupture des relations diplomatiques avec le Vatican, lorsque le pape, prévoyant l’annexion d’Avignon, refusa de recevoir notre ambassadeur, M. de Ségur. Dès que la nouvelle fut connue à Paris, le 30 mai 1791, le nonce fut informé d’avoir à quitter aussitôt la France. Rien alors ne put mettre un frein à la violence des ecclésiastiques contre la Constitution civile; et de nombreux curés 68 assermentés, cédant à leur tendance ultramontaine, violèrent toutes les prescriptions de la loi, à plaisir, afin de la rendre inexistante. Ils ne tardèrent pas à atteindre leur but; la Constitution, qui avait donné naissance à un nouveau clergé, maintenant en révolte, n’était rien autre, à la fin de 1791, qu’un poids mort, qu’un monument législatif tout en façade, sans vertu, sans action, au nom duquel il fallait verser le sang, puisque l’Eglise en portant ses coups contre la Constitution, visait en plein cœur la nation. Il est donc tout naturel que, dès cette époque, de bons esprits aient cru politique pour l’Assemblée de détruire elle-même son œuvre.
André Chénier, dans une lettre adressée au Moniteur, le 22 octobre, disait que les prêtres cesseront d’être dangereux le jour où la nation se désintéressera des religions; «les prêtres ne troublent point les Etats quand on ne s’y occupe point d’eux».
Le 6 février 1792, l’Assemblée législative demanda au ministre de l’Intérieur, M. Cahier de Gerville, un tableau général de la situation du royaume. Celui-ci lut, à la séance du 18 février, un exposé détaillé de l’état de la France. Ce qui avait trait aux troubles religieux occupe la majeure partie de son rapport; et, en matière de conclusion, il exprimait de judicieuses pensées qui étaient le signe d’un nouvel état d’esprit:
Tout ce que peut faire une bonne Constitution, c’est de favoriser toutes les religions sans en distinguer aucune. Il n’y a point en France de religion nationale. Chaque citoyen doit jouir librement du droit d’exercer telle pratique religieuse que sa conscience lui prescrit, et il serait à désirer que l’époque ne fût pas éloignée où chacun eût la charge de son culte. Le fanatisme est comme un torrent qui détruit et renverse toutes les barrières qu’on lui oppose, et 69 qui s’écoule sans ravage lorsqu’on lui ouvre les issues.... L’intérêt des prêtres ne doit entrer pour rien dans les combinaisons du législateur. La patrie attend une loi juste qui puisse entrer dans le Code des peuples libres, et qui dispense de prononcer ici ces mots: Prêtres et Religions.
Le 13 novembre 1792, au cours d’un important débat sur le régime des impôts, Cambon monte à la tribune de la Convention et formule le principe de la séparation tel qu’il découlait de la situation financière de l’Etat:
«Ayant à nous occuper de l’état des impositions en 1793, nous devions nous poser cette question: si les croyants doivent payer leur culte. Cette dépense pour 1793 qui coûterait 100 millions ne peut pas être passée sous silence, parce que la trésorerie nationale ne peut pas la payer. Il faudrait donc que le Comité des finances eut l’impudeur de venir demander le sang du peuple pour payer des fonctions non publiques. Votre Comité a regardé cette question sous tous les points de vue. Il s’est demandé: Qu’est-ce que la Convention? Ce sont des mandataires qui viennent stipuler pour tout ce que la société entière ne pourrait stipuler elle-même. Ils ne doivent point fixer des traitements lorsque chacun y peut mettre directement la quotité. Alors il s’est dit: faisons l’application des vrais principes qui veulent que celui qui travaille soit payé de son travail, mais payé par ceux qui l’emploient.»
Cependant en dépit de toutes les raisons puissantes qui militaient en faveur de la proposition de Cambon, Robespierre, Danton et quelques autres se rangèrent d’un côté tout opposé. Selon eux, l’Etat devait continuer à salarier son clergé pour ne point aggraver par une suppression radicale, le caractère de sédition qui éclatait de toutes parts; et la motion que Cambon 70 développa en plusieurs séances fut définitivement écartée.
Il la reprit lui-même deux ans plus tard, quand la Convention décimée ne pouvait plus lui opposer ses antagonistes d’autrefois. La situation financière ne laissait pas que d’être encore plus alarmante, et les derniers conventionnels eux-mêmes trempés dans la tourmente terroriste, ayant appris jusqu’à quels crimes pouvait aller l’esprit d’insubordination du clergé, inclinaient vers l’unique solution capable de dissiper l’équivoque de 1790. Tous étaient partisans d’une rupture avec les errements des premières heures de la Révolution que, par une fausse conception des rapports du clergé et de l’Etat, il avait paru bon de conserver. Mais, sauf le financier Cambon, nul ne s’aventurait à exprimer l’esprit de la nouvelle politique.
Ce mérite revient à Grégoire qui, le 23 décembre 1794, fit la lumière sur les velléités communes à tous les conventionnels et formula les véritables principes de liberté en matière religieuse. Car il n’était pas suffisant de dire que, la Convention civile n’existant plus, l’Eglise avait seule à prendre souci d’elle-même. Grégoire s’élève au-dessus du moment et spécifie qu’absolument, dans tous les pays et dans tous temps, l’Etat n’a pas à légiférer en ce qui concerne les choses cultuelles.
«Le gouvernement, dit-il, ne peut adopter, encore moins salarier, aucun culte, quoiqu’il reconnaisse à chaque citoyen le droit d’avoir le sien. Le Gouvernement ne peut donc, sans injustice, refuser protection, ni accorder préférence à aucun. Dès lors, il ne doit se permettre ni discours, ni acte qui, en outrageant ce qu’une partie de la nation révère, troublerait l’harmonie ou romprait l’égalité politique. Il doit les tenir tous dans la juste balance, et 71 empêcher qu’on ne les trouble et qu’ils ne troublent.
«Il faudrait cependant proscrire une religion qui n’admettrait pas la souveraineté nationale, la liberté, l’égalité, la fraternité dans toute leur étendue; mais si un culte ne les blesse pas, et que tous ceux qui en sont sectateurs jurent fidélité aux dogmes politiques, qu’un individu soit baptisé ou circoncis, qu’il crie Allah ou Jéhova, tout cela est hors du domaine de la politique.»
On ne peut pas mieux dire. Nous sommes loin de l’opinion terre à terre de Cambon. Mais Grégoire, sans doute, péchait par le défaut contraire; il perdait son époque de vue et disait la législation d’un siècle plus calme. Il réclamait que les autorités fussent chargées de garantir à tous les citoyens l’exercice libre de leur culte, en prenant les mesures que commandent l’ordre et la tranquillité. Mais permettre le libre exercice du culte, n’était-ce point déchaîner la fureur homicide du clergé contre la Révolution? Néanmoins, l’Assemblée manifesta clairement, avant de passer à l’ordre du jour, qu’elle était assez détachée des religions pour laisser les prêtres à leur pratique, «à la condition, dit Legendre, qu’ils ne rétrécissent point l’esprit public».
Les événements donnèrent raison à la Convention. Il n’était pas un point de la France où il ne fallut réprimer des émeutes cléricales, sinon des batailles rangées; la messe était un acte subversif. Et ce ne fut que lorsque la Vendée, définitivement écrasée, réclama, comme une justice, la libre pratique des cultes que la Convention crut possible de détendre sa politique de défense révolutionnaire.
Le 21 février, elle étudia un projet de décret ne réglementant que la police des cultes. C’était tout un ensemble de garanties contre tout culte qui deviendrait exclusif ou dominant; la liberté de chacun 72 était minutieusement protégée. Plus d’oppression vis-à-vis de l’Eglise, mais une large et sévère surveillance.
Les communes ne pourront acquérir ni louer de local pour l’exercice des cultes; il ne peut être formé aucune dotation perpétuelle ou viagère, ni établi aucune taxe pour entretenir les prêtres. Aucun signe particulier à un culte ne peut être élevé, fixé sur quelque lieu que ce soit, sauf dans les Eglises et dans les maisons particulières. La République interdit en outre les exhibitions d’emblèmes, les proclamations confessionnelles, le port de tout insigne sacerdotal.
Les sanctions à toute cette série de prescriptions, nécessaires à rendre réelle la liberté de conscience, étaient des amendes de 100 à 1.000 livres et des emprisonnements d’un mois à dix ans.
A la faveur de cette loi, l’ancien clergé constitutionnel se réorganisa promptement. Le 17 mars, il lança une encyclique, à laquelle adhérèrent de nombreux évêques assermentés. Sa politique fut d’amener à lui les membres du clergé réfractaire; mais il n’y réussit pas.
D’ailleurs, bien que très agissant, le clergé gallican avait perdu toute popularité. Les croyants se tournaient vers l’Eglise dite orthodoxe, vers les insermentés et les émigrés. Chaque jour, les prêtres proscrits rentraient nombreux; et ils n’avaient rien de plus empressé, aussitôt sur le sol de la République, que d’user de la liberté nouvelle pour combattre les idées, les institutions et les hommes de la Révolution. Si bien que les menées audacieuses des anciens réfractaires provoquaient à la Convention, le 17 avril 1795, un violent débat qui aboutit au décret du 1er mai, condamnant à mort tous les émigrés saisis; les prêtres insermentés avaient un mois pour franchir la frontière.
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Le clergé antinational ne tenait, en effet, aucun compte du décret sur la liberté des cultes; il disait la messe dans les églises qui lui étaient interdites et prêchait ouvertement le royalisme.
La loi du 21 février fut donc encore prématurée, puisque la révolte contenue éclata plus violemment que jamais. Cependant, la République, pour ne point exaspérer les esprits et pour faire cesser la guerre civile, mit toutes les églises non aliénées à la disposition des prêtres qui feraient acte de soumission aux lois du pays. Mais ce nouveau serment, le clergé ne voulut pas le prêter, et il considéra cette formalité comme un prétexte pour mettre encore en mouvement ses compagnies d’émeutiers. La Convention dut encore voter des lois de bannissement et compléter la loi sur la police des cultes.
Les prêtres gallicans, par contre, protestent de leur égal respect pour l’autorité civile et pour l’autorité papale; mais leurs efforts pour apaiser la lutte de l’Eglise romaine et monarchique contre la République n’aboutirent pas. Les prêtres réfractaires violèrent chaque jour la loi sur la police des cultes. Le Directoire, pour anéantir les ennemis de la nation se résout alors à attaquer directement la papauté; contre les prêtres insoumis il vote des lois de salut public. Mais les Anciens ne le suivent pas dans cette voie; ils désiraient plutôt l’indulgence à l’égard des révoltés; et, le 5 septembre 1796, les prêtres étaient admis à prendre jouissance des biens qui avaient appartenu à l’Eglise d’autrefois.
D’un autre côté, par l’intermédiaire du général Bonaparte, le Gouvernement fait pressentir le pape pour le décider à prêcher aux réfractaires la soumission à l’Etat. Le Saint-Siège, qui apercevait dans la République de sérieux symptômes de désagrégation, ne se hâtait point d’acquiescer; le triomphe de la 74 contre-révolution l’assurait d’un meilleur avenir. En effet, elle était déjà triomphante. Les réfractaires, par la loi du 24 août étaient solennellement amnistiés: il fallut que la République, dans un sursaut d’énergie, se défendît par la loi du 19 fructidor, véritable coup d’Etat révolutionnaire. Le clergé insoumis et le pape subirent les durs effets de cette loi. Celui-là, par des prescriptions en masse, rapides et sans conditions; celui-ci par la lutte qu’il eut à soutenir dans sa ville pour empêcher que ne se dresse, en face de son pouvoir, un gouvernement démocratique.
A Rome, on ne recula point devant l’assassinat de l’ambassadeur Basseville et du général Duphot; et la République dut lancer contre son ennemi une armée qui fit prisonnier celui dont la Révolution avait tant à redouter.
Mais le régime de fructidor ne fut pas sans réveiller le fanatisme. Partout, ce sont des insurrections; les provinces sont travaillées par les prêtres qui, bien que bannis, viennent de nouveau ensanglanter la France. Plus qu’aux périodes troublées que le pays vient de vivre, la passion contre-révolutionnaire fanatise les esprits et devient, cette fois invincible. Le Directoire était au-dessous de sa tâche. Bonaparte s’offrit en sauveur.
Il voulut d’abord la restauration religieuse. Rien n’était plus politique pour l’accomplissement de ses ambitions. Un clergé gallican ne pouvait être utile à Bonaparte, puisque ce clergé, en dehors de Rome, était sans autorité sur le pays. Il était donc de toute nécessité que les relations avec le Saint-Siège fussent reprises. Mais un tel acte devait se produire à son moment. Bonaparte n’apporta aucune hâte malencontreuse dans la poursuite de ses desseins.
La pacification religieuse, il l’obtint par des mesures pondérées, où les concessions mutuelles s’équilibraient 75 habilement. Son ambition n’était, semblait-il, que d’assurer la plus complète liberté des cultes; il y arriva sans secousses. Que lui demander de plus? Le clergé constitutionnel se passait de Rome. Le clergé autrefois réfractaire entretenait librement avec le Saint-Siège les relations qui lui convenaient. Sous ce régime, la France revenait au calme.
Le concordat de 1801.—Toutefois, Bonaparte poursuivait son idée. Pour exercer sur le pays le pouvoir du maître, il avait besoin de rétablir en France les pratiques religieuses d’autrefois; de plus, pour la complète réussite de ses ambitions politiques, il fallait qu’il pût mettre à leur service la complaisance, sinon la complicité du souverain pontife.
Dès la nomination du nouveau pape, le 14 mars 1800, le premier consul commença ses avances. Du premier coup, il offrait à Pie VII ses anciens Etats. Par la même occasion, il lui demandait son avis sur l’état de choses ecclésiastiques en France. Mais le gouvernement consulaire ne paraissait pas suffisamment stable au Saint-Siège pour qu’il engageât d’emblée des négociations.
Ce fut seulement au lendemain de Marengo, que le pape, s’attendant à voir l’Italie envahie par les troupes françaises fit entendre à Bonaparte qu’il était prêt à entamer des pourparlers. Selon le désir du premier consul, c’est à Paris qu’ils s’ouvrirent. L’archevêque Spina, bien que délégué officiel du pape était néanmoins sans pouvoirs pour traiter quoi que ce fût. Mis en face du représentant du Gouvernement, il exposa, d’une façon si casuistique les prétentions du Saint-Siège que l’accord entre eux ne put s’établir.
Le plan de Bonaparte n’était pas compliqué.
L’Etat salarie les ministres du Culte. On fait table rase: réfractaires et constitutionnels donnent leur démission. Le premier consul désigne les titulaires; 76 le pape donne l’institution canonique. Les évêques nomment les curés. L’Eglise accepte la confiscation des biens ecclésiastiques. Tout le clergé prête serment de fidélité au Gouvernement.
Sur ces bases, l’entente est possible.
Mais Rome a d’autres visées.
En premier lieu, elle veut qu’il soit proclamé que le catholicisme est religion d’Etat en France. Quant aux réfractaires, aux ennemis de la République, ils avaient trop mérité de l’Eglise pour que le Saint-Siège pût les contraindre à donner leur démission. Quant aux évêques constitutionnels, il exigeait que tous reconnussent publiquement leurs erreurs.
D’autre part, le pape s’opposait aux règlements de police, quels qu’ils fussent. L’Etat civil n’avait aucun droit de commandement, de surveillance sur l’Eglise omnipotente. Enfin, en ce qui concerne les biens, il faisait abandon de ce qui avait été aliéné; mais il voulait que l’Eglise pût recevoir des biens-fonds par voie de legs ou de donation.
Tels étaient les desiderata du pape en face de ceux du premier Consul. Bonaparte aima mieux attendre l’écrasement de l’Autriche avant de conclure avec Rome. De son côté, le pape désirait connaître les résultats de la guerre avant de prendre de sérieux engagements avec le Gouvernement français.
Mais, après le traité de Lunéville, alors que les armées françaises occupaient tout le territoire de l’Eglise, Pie VII, par la force des choses, dut négocier avec le premier consul. Le délégué de Rome réclama Ferrare, Bologne et Ravenne. Il n’eut rien. Napoléon ne voulait point entendre parler de restitutions tant que le concordat, tel qu’il l’avait conçu et rédigé, n’aurait pas obtenu l’agrément du pape. Et, pour brusquer les choses, le premier consul expédia à Rome le diplomate Cacault, qui avait pour mission 77 de forcer la main au pape. Mais il n’aurait pu y parvenir. Le pape avait fait dresser un contre-projet par une congrégation de cardinaux, et il se préparait à connaître la réponse qu’allait lui faire le premier consul, quand il reçut un avis officiel qu’un délai de cinq jours lui était accordé pour accepter le concordat présenté par la France.
Aussitôt le pape envoie à Paris un négociateur, muni de pleins pouvoirs, le cardinal Consalvi, qui, voyant sur place combien les hommes du Gouvernement et des hautes fonctions étaient contraires à l’idée d’un concordat, eut la crainte de laisser échapper l’occasion de traiter avec Bonaparte s’il ne lui faisait pas de pénibles, mais nécessaires concessions.
On ne parla plus d’une religion d’Etat; il fut question d’une religion catholique «qui est celle de la majorité des Français». Sur tous les autres points, Napoléon resta intraitable. Il exprima même le désir de voir l’Eglise soumise, sans arrière-pensée, à un règlement de police.
Le cardinal Consalvi ne se permit aucune objection. Le 15 juillet 1801, le Concordat était signé, mais il ne fut mis en vigueur qu’au mois d’avril 1802, après l’établissement de la législation à la police des cultes.
Il est indiscutable que le mécontentement contre le premier consul fut très vif dans toutes les sphères politiques fidèles aux principes de la Révolution. Le Conseil d’Etat même le désapprouva par son silence. Le clergé constitutionnel, qui voyait de nouveau s’ouvrir l’ère des bulles pontificales et, qui, en sa qualité, n’ignorait pas tout ce dont étaient capables la rouerie et l’astuce du Gouvernement romain, fit part à Napoléon de ses justes alarmes. Le Sénat, le corps législatif souffraient pour la dignité nationale, car, alors même que le Concordat était favorable aux intérêts de l’Etat français, il n’en restait pas moins 78 que la France venait de conclure un accord avec le pape; or la France de la Révolution ignore Rome; elle ne saurait négocier avec le maître de l’Eglise.
Mais, par ses règlements de police, Bonaparte ne doutait pas de voir se calmer l’émotion des révolutionnaires. Le Concordat devait lui attirer les bonnes grâces de l’Eglise; ultérieurement il présenterait son interprétation de l’acte consenti avec la papauté, le correctif nécessaire, tous les tempéraments propres à faire de l’Eglise l’esclave docile de l’Etat.
On comprend que le premier consul n’ait éprouvé aucun besoin de dévoiler sa pensée entière. Il le ferait seulement le jour où le pape serait pris, pieds et poings liés, dans le piège du Concordat. D’ici là, il lui paraissait politique de laisser le champ libre à la cour de Rome, de l’encourager même à se donner des airs d’autorité souveraine.
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Comme l’organisation concordataire de l’épiscopat pressait, Napoléon fit des efforts pour que le pape usât sans tarder des prérogatives que lui conférait l’accord de 1801. En effet, il était temps que la nouvelle Eglise fût organisée sur les bases solides que l’on avait prévues. Mais rien n’était moins facile. Pour nommer des évêques, n’était-il pas nécessaire d’obtenir la démission des occupants? Or, Bonaparte avait à cœur de réserver l’honneur épiscopal aux anciens constitutionnels; tandis que Rome ne pouvait se décider à les faire rentrer dans la communion de l’Eglise, s’ils ne se soumettaient pas aux formalités humiliantes de l’abjuration publique de l’erreur gallicane. Sur ce point, Rome se montrait irréductible. Pour lui forcer la main, Napoléon tenait en réserve ses fameux articles organiques, dont il fit donner lecture au légat du pape, dès que celui-ci eut légitimé les nouvelles circonscriptions diocésaines et rendu possible le fonctionnement régulier de l’Eglise concordataire.
Quelle est donc l’économie générale de ces articles organiques, que Napoléon considérait comme le chef-d’œuvre de ses ressources astucieuses? Etaient-ils réellement de nature à mettre en échec l’autorité romaine?
Ce serait une grave erreur de le croire. Un siècle d’expérience a démontré la fragilité et l’insuffisance de ces précautions que le Saint-Siège n’a jamais voulu reconnaître.
En premier lieu, Napoléon céda aux instances du 80 pape, qui se refusait à observer toutes les prescriptions du règlement. Ainsi l’article 17 ordonnait l’information pour les candidats à l’épiscopat par-devant l’ordinaire du lieu de leur résidence. Rome qui se considère comme «la source de l’épiscopat», ne souffre pas de rester en dehors de l’acte préparatoire à l’institution canonique, puisque cette institution est le lien avec lequel elle a toujours tenu en laisse le monde chrétien et les empires. La question était donc d’importance; le pouvoir du Saint-Siège en France en dépendait. Néanmoins, Napoléon se rangea à l’avis du pape.
Ensuite, quelles étaient les innovations de ces articles? L’enseignement des quatre propositions du clergé? Mais ce n’était point une invention de l’esprit révolutionnaire, puisqu’elles dataient de 1682; et, par la suite, d’ailleurs, certaines des dispositions, qui émanaient de cet esprit, tombèrent en désuétude.
Cependant, il est indéniable que, sur certains points, le nouveau règlement affirme la prépotence du pouvoir laïque. Mais, après les années que la France venait de vivre, et qui avaient consacré dans les mœurs un nouvel état de choses, les législateurs ne pouvaient pas suivre une marche opposée aux tendances de l’opinion publique.
Enfin, cette loi sur la police des cultes n’est pas le contre-pied du Concordat lui-même, ainsi qu’on aurait voulu le faire entendre. Le Concordat, au dire des intéressés, satisfait pleinement les besoins de la religion; au culte, il assure la liberté et la sûreté, il lui accorde des temples et des ministres. Les articles organiques ne démentent d’aucune manière ces dispositions. D’autre part, l’accord de 1801 est exempt de matière bénéficiale; le clergé peut, de lui-même, pourvoir au nécessaire, le superflu seul est interdit. 81 Le règlement de 1802 reste aussi étranger à cette question.
En outre, ce soi-disant correctif de la convention avec Rome ne répare pas ce qu’avait d’antinational cet acte quand il stipule que le Gouvernement français doit nommer les évêques dans un délai donné, alors que le pape n’a point de terme pour instituer. C’était mettre la France en état d’infériorité vis-à-vis de Rome.
Avec le pape, Napoléon essaya de jouer au plus fin; mal lui en prit. Sa soi-disant Eglise, qu’il voulait docile à ses ordres, ne fut rien autre que romaine. Jamais, même au temps de la monarchie, elle ne se montra plus dépendante du Saint-Siège; dépouillée de ses biens temporels, comment aurait-elle pu vivre en dehors des volontés de Rome? Elle était une indigente à qui il n’était plus possible de se tracer librement un plan d’existence conforme à ses goûts, à son tempérament.
Napoléon a donc mis entre les mains du pape une arme dangereuse pour la France. Le salaire, loin de produire un lien d’attachement entre celui qui le donne et celui qui le reçoit, contribue plutôt à les éloigner l’un de l’autre. En 1801, cette vérité n’était point sensible. On a voulu assimiler le clergé aux autres serviteurs de l’Etat; le clergé a d’abord protesté, sa dignité lui faisant un devoir de refuser ce qu’il considérait comme une aumône; par la suite il a bien voulu consentir à recevoir le salaire, mais il se vengea en se dévouant tout entier à Rome contre la France.
Cependant Rome crut de bonne foi avoir été jouée, quand elle connut les articles organiques. Dans le consistoire de 1802, le pape formula véhémentement ses plaintes contre un règlement de police élaboré et édicté sans son consentement. Mais il n’eut garde de 82 mécontenter le premier consul, le Concordat dépassant ses espérances.
Les démêlés de Napoléon Ier avec le pape n’entrent pas dans le cadre de ce rapide exposé historique. Quels sont les actes législatifs qui sanctionnent les relations de l’Etat avec Rome? Telle est la question que jusqu’ici nous avons eu en vue et qui, au début du nouvel état de choses créé par le premier consul, sacré empereur, revêt à nos yeux une importance spéciale, puisque nous entrons dans la période contemporaine de ces relations.
Le pape, en retour de la consécration religieuse du nouvel empereur, comptait bien recevoir Bologne, Ravenne et Ferrare; en outre, il espérait, à brève échéance, de la magnanimité de Napoléon, le rétablissement des ordres religieux et l’abolition des articles organiques. Sa déception fut cruelle, car il n’obtint rien et, dès ce jour sans doute, il n’aspira qu’au retour des Bourbons. La prise d’Ancône exaspéra encore davantage ses sentiments d’hostilité à l’égard de l’empire. Plus tard, l’occupation de Civita-Vecchia mit le comble à son indignation. Le mariage de raison entre l’Eglise et l’Etat avait eu pour effet, presque immédiat, de susciter querelles sur querelles. Napoléon, il est vrai, était un prince trop remuant; mais, de son côté, le pape apportait tout son mauvais vouloir à l’expédition des affaires religieuses de la France. Et ce n’est point tant parce qu’il en avait contre l’empereur, mais bien plutôt parce que traiter avec l’autorité laïque lui était insupportable. Lorsqu’il réclamait avec tant d’insistance la restitution de toutes les parties de son domaine temporel, c’était pour que l’intégrité de son autorité spirituelle sur son armée cléricale ne fût pas atteinte par une diminution de sa puissance matérielle et qu’il pût mieux écraser les Etats du poids de sa domination. Dès qu’il lui paraît 83 que, sur les champs de bataille, Napoléon court à un échec, aussitôt il s’applique à entraver lui-même ses relations avec la France, à rendre son administration religieuse tracassière, lente, compliquée. Mais, de plus en plus, Napoléon fait sentir à la cour de Rome que c’est sa déchéance temporelle qu’il vise et qu’il obtiendra, si les relations ne s’améliorent pas; l’invasion de l’Etat pontifical par le général Miollis était un commencement d’exécution du projet impérial qui se réalisa définitivement, quelques jours plus tard, par une mainmise sur la puissance spirituelle du pape. Tout le sacré collège fut épuré des cardinaux qui entretenaient des intelligences avec les Bourbons, et, le 17 mai 1809, les Etats pontificaux étaient annexés à l’empire. La papauté temporelle n’était plus. Néanmoins, le pape conservait son autorité spirituelle.
Napoléon n’hésita pas à s’y attaquer; l’enlèvement de Pie VII n’a pas d’autre raison, et il est indiscutable que la destruction du Saint-Siège était dans la pensée de l’empereur.
La seule vengeance permise au pape ne pouvait être que le refus de l’institution canonique. Et, du reste, le concordat subsistait-il réellement? L’une des parties contractantes avait enfermé l’autre à Savone!
Napoléon ne trouvait pas l’expédient capable de mettre un terme à ces difficultés inextricables. Il s’en remit du soin de le chercher à une commission ecclésiastique; mais ce n’est pas une solution qu’il lui demandait. Il désirait être simplement instruit sur les véritables droits de l’Eglise.
Les travaux de la Commission traînèrent, puis furent brusquement interrompus par le vote d’une loi réglant les rapports du pape et de l’empereur. L’Etat pontifical formait deux départements français. Le pape ne disposerait désormais que de son 84 autorité spirituelle; deux millions de revenus lui étaient assurés et l’empire aurait la charge des dépenses du sacré collège et de la propagande. En outre, les quatre propositions de 1682 étaient proclamées lois de l’empire.
Le gouvernement donnait ensuite l’ordre à tous les cardinaux romains d’évacuer les domaines pontificaux, et il faisait saisir les archives du Vatican.
Les menées, qui s’exercèrent autour de la captivité du pape, les complots royalistes, qui sourdement, se tramaient dans l’ombre, éveillèrent les soupçons de l’empereur. Il vit que le schisme conduisait à la restauration et se décida à convoquer une seconde commission ecclésiastique pour parer au danger.
Elle se proposa trois objets principaux: 1o prévenir les communications avec le pape; 2o faire adopter une mesure relative à l’institution canonique; 3o faire rendre la liberté au pape.
Quand la Commission eut terminé ses travaux, à la fin de mars 1811, quatre de ses membres allèrent en députation auprès du pape, lui annoncer que l’empereur consentait à revenir au Concordat de 1801 si les évêques nommés étaient institués; que, de plus, il pourrait se rendre à Rome, s’il prêtait le serment prescrit par le Concordat. S’il refuse, il résidera à Avignon, avec la liberté d’administrer à sa guise le spirituel, et un concile d’Occident sera convoqué.
Le pape, en réponse aux négociateurs, rédigea une note par laquelle il s’engageait à accorder l’institution canonique aux sujets nommés, mais il ne signa que le premier article des quatre propositions.
Il est compréhensible que devant toutes ces intrigues, l’opinion restât confondue. La convocation d’un concile œcuménique pour le 9 juin 1811 fut un nouvel événement qui attira l’attention du monde catholique.
Ce concile était formé de tout l’épiscopat de 85 France, d’Italie et d’Allemagne; il se tint à l’archevêché de Paris. Son objet était de régulariser l’ordre de l’institution canonique. M. de Pradt fait remarquer que les Italiens paraissaient être plus gallicans que les Français et ceux-ci plus Italiens, plus Romains que gallicans; voilà qui indique que l’un des effets les plus remarquables du Concordat avait été de rapprocher l’Eglise de France de la Rome papale.
Dès l’ouverture du concile, lecture fut donnée d’un message impérial; c’était une violente critique de l’attitude du pape, depuis la signature du Concordat. L’intention formelle de Napoléon s’y trouvait formulée, d’instituer dorénavant les évêques selon les formes antérieures au Concordat, sans que jamais un siège pût vaquer au delà de trois mois. Cette volonté du maître, que l’on sentait planer menaçante déplut au concile; ses membres demandèrent que la liberté de discussion fût respectée par le gouvernement et, comme il n’en était rien, chacun s’employa à déranger l’ordre des travaux.
La commission des évêques proposa de déclarer le concile compétent pour statuer sur l’adoption du mode d’institution par le métropolitain, quand il y avait nécessité. Pareille proposition ne manqua pas d’être repoussée; le concile entendait que le pape, en matière d’institution, fût le seul maître de déclarer incompétent, c’était aller au-devant de la dissolution. Des discussions sans fin prirent naissance. Napoléon s’apercevait qu’un sentiment de vive hostilité contre sa personne se manifestait en toute occasion. Loin de devenir conciliant, il montra à tous que sa volonté était prédominante. Les ministres déclarèrent au corps législatif que le Concordat n’existait plus et que les évêques assemblés n’avaient pour objet que de pourvoir aux sièges vacants. Dès lors, toute idée de réconciliation paraissait bannie. De son côté, le concile 86 n’eut plus à cacher son jeu; il affirma sa politique romaine.
Cependant, désireux de préparer un terrain d’entente, Napoléon essaya de faire prendre le change à la commission du concile en lui annonçant que le pape entrait dans ses vues. La supercherie était trop évidente. Le concile, un instant abusé, s’abrita de nouveau sous l’autorité suprême du pape.
Napoléon prit un décret de dissolution et envoya au donjon de Vincennes les chefs de l’opposition.
Le procédé ne fut pas sans produire quelque effet sur l’esprit des prélats; ils se montrèrent disposés à venir à résipiscence pour peu qu’on les y engageât. Napoléon aussi désirait transiger à tout prix. Le concile démembré fut de nouveau réuni; le projet impérial se trouva être au goût de tout le monde et son adoption se fit sans difficulté.
Il était donc admis que les sièges épiscopaux ne pourraient être vacants plus d’un an; l’empereur nommerait les candidats et, dans les six mois, le pape devrait donner l’institution canonique. En cas de refus, le plus ancien évêque de la province ecclésiastique présiderait à l’institution.
Ce décret devait être soumis à l’approbation du pape.
Une seconde députation, composée de cinq cardinaux, fut envoyée à Savone. Le pape accéda à tout ce qui lui était proposé et sanctionna le décret du concile.
Le bref du pape paraissait être selon les désirs de Napoléon; néanmoins, celui-ci crut lire entre les lignes l’expression d’une indépendance invincible, de revendications temporelles, et il se demanda s’il n’était pas joué. Il en eut bientôt la certitude quand, après un long retard, les bulles d’institution canonique parurent; le pape parlait en maître comme si 87 Rome était son domaine. Les bulles ne furent pas publiées.
A cette époque, les événements de Russie pressaient Napoléon; aussi voulait-il en finir avec la question du pape. Rien ne semblait plus difficile. Pie VII se refusait à renoncer à la souveraineté de Rome et Napoléon retardait la publication du bref parce que les prétentions papales y étaient trop visibles. D’autre part, l’absence de conseillers apostoliques auprès de lui interdisait au pape d’entamer de nouvelles négociations.
Napoléon avait hâte de brusquer les choses. Il fit connaître au pape que, si le bref n’était pas revisé, le droit d’instituer les évêques ne lui appartiendrait plus. Le pape répondit qu’il n’obéirait pas aux injonctions tant qu’il ne jouirait pas d’une pleine liberté. Nouvelle sommation, et, cette fois, plus autoritaire que jamais. Mais elle resta sans résultats. Il fut donc notifié au pape que les Concordats étaient abrogés et qu’il n’aurait plus à intervenir dans l’institution canonique.
Le clergé, s’étant, à maintes occasions, montré outré de la conduite de l’empereur à l’égard du pape, ne se contint plus et fulmina au grand jour contre le maître de la France. La réponse ne se fit pas attendre.
Un décret du 15 novembre 1811 porta un coup terrible à l’enseignement religieux, en exigeant que les élèves des institutions libres suivent les cours des établissements laïques et en inscrivant que toutes les écoles pour candidats à la prêtrise soient soumises à l’Université; que, du reste, il n’en sera toléré qu’une par département. En outre, les élèves des séminaires n’obtiendront aucune sorte de bourses et ils seront soumis au service militaire. Les arrestations de prêtres loyalistes se multiplient à ce moment, et les chapitres doivent obéissance aux évêques nommés par 88 l’empereur. Enfin, le pape est transféré de Savone à Fontainebleau, ce qui paraît aggraver le caractère de sa captivité.
Mais, après le désastre de Russie, l’empereur revint plus conciliant. L’alliance avec l’Eglise lui parut une consolation à ses déboires; il fit tout pour aboutir à un rapprochement. Le 29 décembre 1812, l’empereur écrivit ses intentions à Pie VII. Peu de temps après, l’évêque de Nantes se présenta auprès du pape en négociateur. Mais cette première tentative resta vaine. Napoléon alla lui-même à Fontainebleau, le 18 janvier. Quelques jours suffirent pour amener une entente parfaite, et le 25 janvier, le Concordat de 1813 était signé.
Le pape devait exercer le pontificat en France et dans le royaume d’Italie de la même manière et avec les mêmes formes que ses prédécesseurs. C’était déjà une sérieuse concession à l’Eglise. Mais le but de ce concordat était d’établir une institution canonique régulière; il fallait que les vacances indéterminées de sièges devinssent impossibles. Sur ce point, il paraît que Napoléon a pu dicter ses propres instructions. Six mois étaient accordés à l’empereur pour nommer et six mois au pape pour instituer; les six mois expirés, le métropolitain, et à son défaut l’évêque le plus proche, aurait à procéder à l’institution.
Mais Pie VII avait bien tenu à signifier qu’il acceptait ces dispositions par «considération à l’état actuel de l’Eglise».
Napoléon, heureux d’être enfin parvenu à une solution acceptable, offrit au pape 300.000 francs. Pie VII les refusa. Il ne pouvait se résoudre à accepter la paix, et il attendit une occasion pour revenir sur ses engagements.
En effet, l’article sur l’institution des évêques était, 89 à ses yeux, la négation même de sa souveraineté spirituelle, et toutes les concessions qu’avait pu lui faire Napoléon ne rachetaient pas ce douloureux sacrifice. Pourtant, l’empereur était allé jusqu’à l’extrême limite des concessions que pouvait permettre le souci de son prestige et de la sauvegarde de ses droits.
N’avait-il pas, avec l’abandon des articles de 1682, remis au pape les évêchés de ses états pontificaux?
Mais qu’était cela pour le pape? Ce qu’il réclamait, c’était l’intégrité de sa puissance et, ne reculant pas devant une nouvelle rupture, il refusa les bulles instituant les nouveaux évêques. Puis, par une lettre, datée du 24 mars, il reprit sa parole. Le lendemain même parut un décret rendant obligatoire le Concordat de 1813 à tous les archevêques, évêques et chapitres, et déférant aux cours impériales, et non plus au Conseil d’Etat, le recours comme d’abus.
Il n’était plus possible de conclure un accord. Napoléon s’y résigna. Il pourvut d’évêques les diocèses vacants et s’interdit toutes relations avec Pie VII. Dans la suite, il réfléchit que se réconcilier avec le pape serait d’un heureux effet sur l’esprit de ses ennemis, et il fit dire à son prisonnier que la souveraineté temporelle ne lui serait plus contestée s’il agréait l’amitié de l’empereur. Pie VII se refusa à ces nouvelles ouvertures, «la restitution de ses Etats, disait-il, étant un acte de justice».
Pareille situation eut été sans issue si les coalisés, en abattant l’Empire, n’avaient en même temps rendu au chef de l’Eglise sa pleine et entière liberté.
Ils la lui rendirent trop complète pour que les Bourbons pussent échapper à son entreprise théocratique. Ce furent eux qui, en livrant l’Etat aux chaînes de l’Eglise, permirent à celle-ci de reprendre un nouvel essor, une puissance qui pèsera sur tout un 90 siècle et contre laquelle le pouvoir laïque n’essaya de lutter que par intermittence.
Après Coblentz, une nouvelle génération sacerdotale envahissait la France. L’Eglise devint double. Il y avait plusieurs évêques pour un seul siège, et le clergé resté en France n’était que toléré. Une refonte le ferait disparaître.
Telles étaient les dispositions d’esprit des hommes de la Restauration à l’égard de l’Eglise, de la Révolution et de l’Empire. Leur programme réformiste était dicté par la même haine des années vécues depuis 1789.
Les rapports entre l’Eglise et l’Etat redevenaient ce qu’ils étaient sous la monarchie. Par conséquent, l’Eglise reconquérait sa puissance temporelle. Les anciens diocèses étaient reconstitués et le clergé doté en biens-fonds ou en rentes perpétuelles. Les ordres religieux pouvaient accroître leurs biens indéfiniment. Les évêques réfractaires, connus sous le nom de petite église, émettaient encore d’autres prétentions.
Louis XVIII n’était pas d’avis de les suivre jusqu’au bout de leurs prétentions. La charte proclame la liberté des cultes, mais elle dit que le catholicisme est la religion de l’Etat. Les prêtres constituaient son entourage et le circonvenaient. Après avoir détruit l’Université, le 17 février 1815, Louis XVIII proposa à Rome de rétablir le Concordat de François Ier; mais Pie VII répondit que le Concordat de 1801 avait été librement consenti par lui.
Le retour de Napoléon interrompit les négociations.
La seconde Restauration déchaîna les fureurs réactionnaires que l’on connaît. Elle voulut, plus encore que la première, l’Eglise toute-puissante. Non seulement le parti des prêtres réclamait la restitution des biens non vendus; mais même une inscription de rentes au grand livre de la dette publique. Ses revenus 91 eussent été de 82 millions. La Chambre introuvable regimba contre de telles prétentions. Il y eut des royalistes assez avisés pour affirmer que l’Etat avait le droit de supprimer les corporations; que, par suite, la propriété de ces corporations appartenait légitimement à l’Etat. L’article concernant le retour à l’Eglise des domaines non vendus fut seul voté.
L’Eglise ne se tint pas pour battue. La souveraineté par l’argent lui échappant en partie, elle réclama le monopole de l’enseignement, afin d’imprimer une empreinte ineffaçable sur l’esprit des générations futures et d’assurer ainsi son règne moral.
Louis XVIII se vit déborder par les prêtres et leurs partisans; il inclina vers un léger libéralisme et fit reprendre les négociations avec Rome.
Le 25 août 1816, l’ambassadeur du roi auprès du souverain pontife put enfin expédier à son gouvernement un projet de concordat. Le concordat de 1516 serait rétabli, mais celui de 1801 n’était pas annulé. Seuls, les articles organiques devaient être établis. En outre, le pape exigeait la démission des évêques qui ne reconnaissaient point le concordat de 1801.
Ces propositions n’eurent pas le don de plaire à Paris. Le gouvernement monarchique n’était point opposé aux articles organiques.
Le Concordat de 1817.—De nouvelles négociations aboutirent. Le 11 juin 1817, le quatrième concordat avait pris forme.
Son apparition remua extrêmement l’opinion. Elle donna naissance à un nombre considérable d’écrits, la plupart contre cette convention.
On était, en effet, arrivé à une époque où tout acte religieux émanant de Rome inspirait une vive défiance. La plus violente critique porta sur ce point 92 que le concordat est tout de matière bénéficiale, alors qu’il n’y a plus de bénéfices. Et ces bénéfices, il n’est pas dit quel en sera le nombre ni qui les payera.
L’opinion se révoltait contre l’abolition des articles organiques, parce que publiés, disait le concordat, sans l’aveu du Saint-Siège et, parce que contraires à la doctrine et aux lois de l’Eglise. Or, en quoi atteignaient-ils ces lois? On ne saurait le spécifier exactement; mais il est probable que le principal grief du pape consistait à reprocher à ces articles la liberté qu’ils accordaient aux ordinaires d’informer sur les évêques nommés.
Enfin, l’augmentation des sièges épiscopaux paraissait exorbitante; l’Etat oubliait trop que c’était le contribuable qui devait en faire les frais. «L’ordre religieux se maintenant par tributs publics, les établissements religieux ne peuvent être multipliés que par impôts.» Cette vérité, M. Frayssinous la méconnaissait trop, lorsqu’il disait qu’il est bon de multiplier les sièges pour qu’il y ait plus de prêtres et plus de vocations. A quoi M. de Pradt répliquait: «M. Frayssinous entend-il que la France devienne une tribu de Lévi uniquement occupée de produire des prêtres et de provoquer des vocations?» D’autre part, les évêques choisis étaient ceux qui s’étaient signalés par une longue opposition à la constitution civile, à la République et à l’Empire.
L’opinion publique n’était donc pas sans inquiétude. Pour la rassurer, le Gouvernement publia un projet de loi garantissant les libertés. Mais il n’atteignit que difficilement son but.
Le Concordat paraissait antinational au premier chef. Il était contraire au droit public, au gouvernement constitutionnel, aux droits du gallicanisme. La France s’était laissée imposer quatre-vingt-douze 93 diocèses; elle avait toléré que le pape, pour pourvoir à l’entretien de l’Eglise, assignât lui-même une dotation en biens-fonds ou en rentes sur l’Etat.
Dans toutes ces dispositions, le Concordat et la bulle de circonscription avaient l’aspect d’une provocation à la société nouvelle.
On a dit qu’à cette époque la France devenait une «terre d’indemnités». Rien n’est plus vrai. Le budget de 1818, à la charge du Trésor, était de 29 millions, et encore faut-il ajouter à ce chiffre les dépenses locales, les suppléments de traitements, les entretiens de cathédrales, d’évêchés, etc., etc.
Mais le Gouvernement se ressaisissait. Il décida qu’un projet de loi serait présenté aux Chambres pour rendre la convention de 1818 plus acceptable; mais, peu après, il le retira, pour ne pas courir le risque d’aller à un échec. Il aima mieux se contenter d’envoyer à Rome un négociateur pour amender le Concordat; ce fut le comte Portalis. Un accord eut lieu entre Rome et la France, sans qu’il y eut abrogation du Concordat. Il constitue la France en pays d’obédience, c’est-à-dire que les évêques en fonction ont l’autorisation d’administrer les nouveaux diocèses. Cet accord, qui n’avait pour but que de pourvoir aux sièges vacants, fait dépendre du pape tout l’ordre religieux.
Le clergé se plaignait d’avoir été tenu à l’écart de cette dernière négociation avec Rome; on pouvait lui répondre qu’il avait pris soin de faire défendre ses intérêts par le pouvoir temporel. C’est cette observation qui faisait écrire à un homme d’Etat de l’époque: «Le clergé continue d’attacher son salut à la protection du temporel.»
Le temporel d’alors ne méritait pas le reproche de ne pas assez prendre soin du clergé.
Dans son rapport, le Ministre de l’Intérieur trace 94 au roi le tableau ancien et nouveau de l’Eglise de France.
Avant 1815, le budget du clergé actif était de 11.500.000 francs.
En 1819, il est de 25.000.000. Les pensions ecclésiastiques se montent à 11 millions.
Et cette somme de 33 millions était doublée, chaque année, par les suppléments de traitements que votaient les Conseils généraux et les communes.
Le traitement des curés de 1re et de 2e classe augmentait en proportion de l’âge. Les vicaires généraux et chanoines étaient inscrits pour une somme de 5.000 francs. Les archevêques et évêques pour la somme de 10.000 à 50.000 francs. Les séminaires recevaient un supplément de pension de 300.000 francs. Les congrégations religieuses avaient à se partager la somme de 200.000 francs. Et, pour la réparation des églises, on prévoyait une somme de 650.000 francs.
Le clergé manifestait cependant le plus vif mécontentement. Dans leur lettre au pape, les évêques, sous prétexte de réclamer l’exécution du Concordat, se plaignent de la précarité de leur traitement. Le roi dut s’engager à faire jouir le clergé «d’une position stable et définitive» et à augmenter le nombre des sièges épiscopaux, selon sa promesse et selon les «formes constitutionnelles».
Mais, répondant au clergé, le pape annonce que le Concordat est suspendu, parce que la création des quarante-deux nouveaux sièges est cause d’embarras financiers et que le royaume ne cesse d’apporter des obstacles à l’exécution du Concordat.
Les évêques en fonctions conservaient l’administration des circonscriptions, conformément à la bulle de 1801, et le pape instituait les évêques nommés aux sièges vacants.
L’avortement du Concordat exaspéra le parti clérical. 95 Jamais, a-t-on écrit, la cour de Rome n’a reçu «d’hommages aussi ardents». Et quand les royalistes et les ultramontains arrivèrent au pouvoir, après la chute du libéral Decazes, l’Eglise triompha pleinement.
Dix-huit nouveaux sièges furent créés. La France était soumise à Rome. Les contestations n’étaient plus possibles, puisque le Gouvernement avait aliéné ses droits de gouvernement libre. La question primordiale qui parut nécessiter le Concordat: la régularisation de l’institution canonique n’a plus sa raison d’être; les ultramontains agissent comme bon leur semble, suivant les intérêts de l’Eglise universelle.
La Révolution de 1830 ne fut pas irréligieuse, mais les hommes qui en bénéficièrent paraissaient résolus à repousser les entreprises théocratiques et à débarrasser le Gouvernement des doctrines ultramontaines. Ils ne purent y réussir, soit que leur énergie combative n’égalât pas celle du parti clérical, soit que la conscience des nécessités politiques modernes leur fît défaut.
Et cependant le programme d’action anticléricale était dicté, pour ainsi dire, par l’Eglise elle-même. Elle visait, pour l’instant, à l’anéantissement de l’Université; il était donc de toute nécessité de protéger et d’affermir celle-ci. Les congrégations, affluant de tous côtés, attendaient la chute de la rivale pour s’emparer de l’enseignement et arrêter l’essor des idées d’émancipation, il importait d’appliquer les lois contre certaines d’entre elles et de dissoudre les autres. Rien de tout cela ne fut fait.
Le clergé séculier, aux ordres de Rome, put, sans risques ni péril, mener la contre-révolution, de concert avec le clergé régulier. Ils firent tourner au cléricalisme le plus éhonté le Gouvernement de Juillet; ils dénaturèrent l’œuvre révolutionnaire de 1848; ils 96 préparèrent le coup d’Etat de décembre et triomphèrent sous ce régime, qui abattit définitivement l’enseignement universitaire, favorisa les congrégations, protégea le concile de 1869 et accomplit, en moins de vingt ans, un tel effort de réaction, que la troisième République en est réduite à étayer l’édifice politique de la Révolution sapé, durant près d’un siècle, par ses pires ennemis.
Le labeur est immense, car les crimes commis contre la liberté sont innombrables; mais nous atteignons le moment où nous verrons la chaîne se renouer.
Déjà, par la libération de l’Université, par la loi sur les congrégations, un vaste terrain est reconquis. Nous voici au jour où la séparation de l’Eglise et de l’Etat mettra fin à ce mariage insensé, contre nature, de deux parties qui ne parlent pas le même langage et qui sont d’espèces différentes.
En 1830, il est incontestable cependant qu’une victoire fut remportée. On supprima de la Charte l’article proclamant que le catholicisme est la religion de l’Etat. Un pareil acte contenait comme l’engagement implicite de rompre tous les liens concordataires avec l’Eglise. Lamennais, d’ailleurs, ne s’y trompera point quand, un peu plus tard, il écrira que la séparation est inscrite dans la Charte du 7 août.
Cependant, en l’absence de toute nouvelle réglementation, les principes du Concordat de 1801 et des articles organiques constituèrent la base des rapports entre le Vatican et le Gouvernement français. Mais le pouvoir laïque restait incapable de faire respecter ce Concordat, qui n’avait pour raison d’être que de l’asservir à l’Eglise; tandis que les obligations de l’Etat vis-à-vis du clergé étaient énormes, celui-ci demeurait en dehors de tout engagement. Il y a plus: le clergé combattait l’esprit dont s’était inspiré le Concordat en travaillant à ruiner l’autorité civile et à se substituer à elle.
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Campagne séparatiste.—Certains ecclésiastiques répugnèrent à jouer ce rôle, non par pure moralité, mais pour assurer le repos à leur conscience et pour pouvoir combattre avec plus d’indépendance; ils s’élevèrent contre le Concordat et en demandèrent la suppression. Un grand mouvement d’opinion prit ainsi naissance; Lamennais, Montalembert, Lacordaire, tous ultramontains déterminés, en étaient les promoteurs. Leur conception n’était pas sans grandeur. Partisans de la prédominance du spirituel sur le temporel, ils revendiquaient pour l’Eglise une indépendance absolue. Libre, elle saurait conquérir la suprématie à laquelle elle est appelée par la loi divine, s’emparer de ce qui est de sa compétence et que l’Etat s’est approprié. L’Eglise seule a pour mission de régénérer l’humanité.
Lamennais et ses sectateurs ne pouvaient désavouer les conquêtes de la Révolution, puisque, dans leur pensée, l’Eglise se substitue à l’Etat pour réaliser le bonheur des peuples. Dès lors, l’Eglise doit être elle-même et non plus compromettre sa cause, en servant des dynasties et des oligarchies; et, en se séparant de l’Etat, en refusant fidélité aux factions politiques, en n’étant qu’universelle et apostolique, il ne sera plus possible de l’abîmer d’accusations affreuses: complaisances envers le gouvernement, convoitises temporelles, atteintes aux droits de l’homme.
Pour vivre de sa vie propre, il ne fallait à l’Eglise que la liberté et l’égalité. Et, à la monarchie de Juillet se réclamant de la Révolution de 1789, ce sont toutes les libertés que Lamennais demandait pour elle: liberté des cultes, de l’enseignement, de la presse, de réunion. Afin de mieux défendre, avec sa belle ardeur, ses théories, Lamennais fonda, en octobre 1830, un journal politique, l’Avenir, qui, dès son premier numéro, indiquait sa tendance:
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«Tous les amis de la Religion doivent comprendre qu’elle n’a besoin que d’une seule chose, la liberté. Sa force est dans la conscience des peuples, non dans l’appui des gouvernements. Elle ne redoute de la part de ceux-ci que leur dangereuse protection, car le bras, qui s’étend pour la défendre, s’efforce presque toujours de l’asservir...»
La campagne de l’Avenir dura un an. Elle fut ardente, impétueuse, mais remarquable par sa logique et sa bonne foi. Maints articles fourmillent d’arguments en faveur de la séparation, qui, si elle doit affranchir l’Eglise d’une tutelle qui lui fait horreur, n’en sera pas moins féconde en avantages pour l’Etat.
Et l’on ne saurait dire que l’opinion de Lamennais demeurait sans écho. Innombrables sont les lettres que le directeur de l’Avenir recevait des membres du clergé et qu’il publiait à la bonne place. Plusieurs prêtres d’un diocèse du Nord lui écrivent que le clergé «ne sera hostile à aucun gouvernement qui lui laissera toutes les libertés et tous les droits spirituels qu’il tient de la divine institution. Plus de nominations aux évêchés et aux cures par les hommes du pouvoir, plus de budget ecclésiastique. Nous voulons une liberté large sauf la soumission aux lois et au droit commun.»
Un autre groupe de curés signe cette autre déclaration: «Nous ne demandons au Gouvernement ni protection ni privilèges. Nous préférons notre indépendance et la liberté à de prétendus bienfaits. Entre le Dieu et le Trésor, il faut choisir. La liberté de notre conscience, de notre culte, de notre hiérarchie, voilà notre premier besoin.»
Les appréciations de la presse parisienne sur la campagne de l’Avenir furent très diverses. Le Globe dit que l’Etat continuera à payer le clergé, parce qu’il 99 ne pourra se passer d’un Salvum fac. Le Courrier français souscrit à l’opinion de Lamennais. Liberté pour tous; par ce moyen, on déchargerait le budget national de 36 millions. La Gazette de France craint que la suppression du budget des cultes n’entraîne la chute de la plus grande partie des établissements ecclésiastiques. Le Journal des Débats fait des réserves; il s’étonnerait qu’on accordât à une classe d’hommes une liberté sans surveillance, que nul ne possède dans l’Etat. A cette objection, l’Avenir répond: «L’Etat connaît le citoyen; il ignore le prêtre; le prêtre n’est atteint par l’Etat que quand il viole une obligation de citoyen.»
Cependant, le Courrier français, favorable à la séparation, se demandait si «ce projet plairait aux archevêques, évêques et aux prêtres catholiques. L’archevêque de Paris consentira-t-il jamais à renoncer à son palais épiscopal, à ses 100.000 francs de traitement et à Conflans?» Et le Courrier raille M. de Frayssinous possesseur de «canapés soyeux», d’un «billard», entouré de «toutes les jouissances de la vie».
Ces encouragements permettent à Lamennais de triompher. Il proclame que «la religion ne peut être sauvée que par la liberté, et que la condition de cette liberté est la séparation totale de l’Eglise et de l’Etat.» Et, à tous ceux qui veulent des atermoiements, il demande «si les rapports qui unissaient l’Eglise à l’Etat, lorsque celui-ci était catholique, peuvent subsister lorsqu’il a cessé de l’être».
Alors, prenant une plus exacte conscience de la justice de la cause qu’il défend, à ses arguments secs, rudes, impitoyables il mêle des invectives, un esprit sarcastique, dont ses adversaires se montrent confondus:
«Si Néron ressuscitait, écrit-il, et qu’il envoyât un prétorien vous demander un Te Deum, on vous condamnerait 100 à le chanter. S’il réclamait votre bénédiction avant de frapper le ventre de sa mère et que vous eussiez l’audace de la lui refuser, tous les préfets de l’Empire vous adresseraient une proclamation, au nom de l’honneur et de la patrie, pour vous rappeler que vous vivez des bienfaits de l’Etat. Car, entendez-le: ils exigent de vous des prières dont votre conscience ne reste pas juge et ils l’exigent en n’invoquant qu’une raison: c’est que vous êtes payés; ils n’ont pas besoin d’être justes: vous êtes payés.
«Ils n’ont point de compte à vous rendre: vous êtes payés... Catholiques! voilà ce que vous coûtent les millions de l’Etat: la liberté de conscience.»
Ainsi, par respect pour la dignité de l’Eglise, la séparation de l’Eglise et de l’Etat s’imposerait.
Elle s’imposerait, parce que, nous dit Lamennais, «l’Eglise veut accomplir ses destinées». De quel droit l’Etat peut-il l’en empêcher? Si ces destinées sont périlleuses pour lui, il saura intervenir, pensent aujourd’hui les partisans de la séparation.
On connaît la fin de Lamennais et de ses théories. Celles-ci, il n’en faut pas douter, furent partagées par l’ensemble du clergé, par les humbles curés qui aspiraient à «n’avoir que Dieu pour patrimoine». Mais elles furent désavouées par l’idole même de Lamennais, par le pape. Quant aux évêques, ils refusaient de devenir pareils aux «prolétaires». Le 15 novembre 1831, l’Avenir dut cesser de paraître.
Mais les opinions qui y furent si ardemment défendues ayant produit un certain ébranlement dans l’Eglise, le pape, par son encyclique du 15 août 1832, fulminait contre les principes de 1789, que le Concordat approuvait; et, fait étrange, la séparation y était condamnée, comme attentatoire à la puissance spirituelle.
Les amis de Lamennais poursuivirent la lutte dans 101 un sens qui ne pouvait que plaire à Rome. Ils ne parlèrent plus de séparation, mais réclamèrent la liberté d’enseignement et la liberté d’association.
La monarchie de Louis-Philippe s’inféodant de jour en jour au clergé, on ne voit pas ce qui pouvait empêcher le Gouvernement de céder aux instances de l’Eglise. Le budget des cultes atteignait la somme de 34.491.000 francs en 1840; et il augmentait, chaque année, selon une proportion constante. Grâce à un nombre considérable de sociétés religieuses militantes, les associations s’emparaient de tout le territoire français. Les couvents et fabriques ouvraient leurs caisses aux dons et aux legs; la «mainmorte», devenait formidable. Les congrégations non autorisées violaient la loi, sûres de l’impunité et essaimaient leurs établissements en tous les départements, en toutes les régions. On disait que les jésuites sortaient «de dessous terre»; et, dès qu’ils apparaissaient en quelque endroit, c’étaient des acclamations enthousiastes. Les doctrines des disciples d’Ignace de Loyola formaient la substance de l’enseignement donné dans les écoles religieuses. Une «Association catholique», composée d’éléments divers, se posait comme l’état-major de cette guerre à outrance contre la société civile; elle encourageait les combattants et leur indiquait les tactiques pour démolir les institutions laïques et faire triompher Rome.
La mission des soldats du Christ était aisée, le Gouvernement lui-même ouvrant les portes aux ennemis de l’Etat.
Dès lors, grassement renté, officiellement protégé, libre de s’enrichir, le clergé eût été bien stupide s’il ne s’était plaint que la monarchie ne lui accordait pas les faveurs, les avantages auxquels il déclarait avoir droit. Selon ses dires, l’autorité laïque n’avait pas à lui mesurer ses libéralités ou, plutôt, la restitution des 102 pouvoirs spirituel et temporel dont la Révolution l’avait frustré.
Louis-Philippe pensait sans doute comme le clergé. Et quand l’archevêque de Paris vint lui dire que l’Eglise réclamait la liberté de l’enseignement, s’il n’avait tenu qu’à lui de la décréter, il n’aurait pas su refuser à l’Eglise un régime sous lequel elle comptait écraser les dernières libertés.
Mais elle ne doutait pas du succès. Guizot, en 1836, lui avait donné des preuves certaines de son dévouement en autorisant la création d’établissements libres. En 1843, ses dispositions d’esprit ne paraissaient pas moins favorables; il se devait d’élaborer une loi enfin efficace, démolissant les derniers remparts du monopole universitaire.
En effet, le principe de la liberté de l’enseignement fut consacré par la loi; mais le ministre Villemain, peu favorable aux jésuites, l’ayant présentée, le parti clérical ne voulut pas considérer la force qu’il en retirait. La surveillance et l’inspection de l’Etat étaient à ses yeux des survivances d’une époque impie, et l’article qui obligeait les directeurs à déclarer qu’ils n’appartenaient à aucune congrégation non autorisée était condamnable au premier chef par les lois de l’Eglise. Il disait que la liberté d’ouvrir des institutions, presque sous conditions, n’avait rien de loyal. Et Villemain se voyait voué aux gémonies, alors qu’il s’était efforcé de plaire à Montalembert et de mécontenter les Troplong, les Dupin, qui proclamaient les droits de l’Etat sur l’éducation publique.
De nouveau, l’Eglise fit entendre un branle-bas de combat. Elle réédita ses accusations contre l’Etat, qui, dans ses écoles, encourageait le parricide, l’homicide, l’inceste, l’adultère, l’infanticide, etc... Le Gouvernement subissait les pires affronts, souffrait les menaces. Il n’était plus possible de faire face au débordement 103 des passions cléricales. C’est alors que l’on remarqua au Palais-Bourbon, parmi les partis de gauche, un courant d’opinion en faveur d’une rupture entière avec l’Eglise. Déjà, en 1843, Lamartine, à la tribune, avait avoué qu’il ne connaissait qu’un moyen à l’Etat pour résister aux assauts des factions cléricales: la séparation. Quand, un an après, la loi de Villemain fut mise en discussion, cette opinion, bien que prévalant chez les républicains, n’osa s’affirmer avec force et conviction.
Le 24 mai 1854, à la suite de débats passionnés, la loi sur l’enseignement secondaire, amendée dans un sens nettement clérical, fut adoptée par la Chambre des Pairs. La surveillance et l’inspection n’appartenaient plus à l’Etat, mais à un Conseil de l’enseignement. C’était dire que l’Université n’avait plus la confiance du pays.
Cependant, la Chambre des Députés ne paraissait nullement disposée à voter la loi. Thiers, rapporteur du projet, énumérait toutes les garanties auxquelles l’Etat ne pouvait renoncer. Son rapport bannissait les complaisances que l’on serait tenté d’accorder aux partis de l’Eglise. Et, timidement encore, il laissait entrevoir la nécessité pour le Gouvernement d’enchaîner le cléricalisme par une loi sur les congrégations.
Jamais les jésuites n’avaient été aussi redoutables. Incroyable était leur pouvoir sur les croyants; et l’Eglise toute entière se trouvait entre leurs mains. Poussé par eux, l’archevêque de Lyon ne venait-il pas de condamner les articles organiques?
Il y avait une opinion favorable à la répression. Thiers ouvrit les hostilités; il démontra que les lois sur les congrégations n’avaient pas cessé d’être en vigueur et que les évêques français inféodés à l’ordre des jésuites constituaient un «péril national».
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Son ordre du jour était explicite, mais le Gouvernement ne cacha point qu’il aimait mieux s’entendre avec Rome. Il en fut ainsi décidé.
Les Jésuites s’organisèrent pour la résistance. Et, quand Rome répondit au Gouvernement que les jésuites n’existeraient plus en France, ils étaient prêts à interpréter à leur façon la volonté du pape. Ce fut une duperie.
Du reste ce qui suivit montre amplement que Thiers et les autres libéraux avaient été joués.
Le comte de Salvandy, succédant à Villemain, élabora, à son tour, un nouveau projet de loi sur l’enseignement, de concert avec des conseillers à sa dévotion. L’Université n’était pas consultée. Le ministère l’avait achevée.
Aussi l’Eglise, reprenant confiance, assura le succès des élections de 1846. Ses candidats annonçaient que «la lutte pour la liberté religieuse n’aurait ni fin ni trêve». Ils devinrent, au Parlement, une majorité importante. Et, pour le gouvernement, les élections prenant le caractère d’une indication formelle, la tolérance vis-à-vis de l’Eglise devint sa politique.
Sous le couvert même de l’Etat, qui cessait de jour en jour d’être laïque, les congrégations prirent une nouvelle vigueur, tandis que les professeurs, les fonctionnaires civils se voyaient dénoncés, persécutés, poursuivis. La délation des hommes et des doctrines était à l’ordre du jour.
Et le clergé, inassouvi, continuait à se plaindre. Son porte-parole auprès du pape fut l’archevêque de Paris lui-même. Le projet de loi Salvandy était déjà devenu insuffisant. D’ailleurs, à quoi bon cacher son jeu? L’Eglise disait bien haut qu’elle voulait l’anéantissement de l’Etat.
Ainsi, durant tout le règne de Louis-Philippe, la lutte de l’Eglise contre l’Etat fut surtout dirigée 105 contre l’Université. C’était elle qu’il fallait abattre pour que l’écroulement de tout l’édifice laïque s’ensuivît.
On sait que la Révolution de 1848 fit surgir un état d’esprit à la fois socialiste, républicain et catholique. Sans doute, les idées de Lamennais avaient germé.
Dans ce retour aux doctrines de la primitive Eglise et à l’Evangile, où la bourgeoisie libérale reconnaissait, sans difficulté, les rudiments d’un bon gouvernement démocratique, le haut clergé ne se berçait pas d’illusions. Ses visées n’avaient pas cessé d’être la conquête intégrale du pouvoir spirituel par l’enseignement et la soumission absolue de la France à l’ultramontanisme.
Nul doute qu’à cette époque le clergé plébéien n’ait éprouvé une sincère sympathie envers les sentiments fraternitaires, mais chez les catholiques de haute volée, l’attachement aux opinions démocratiques n’était que calcul; les faits qui suivirent ne le prouvèrent que trop.
Lamennais et certains de ses amis restèrent fidèles à leurs idées. Ils s’imaginèrent que la séparation de l’Eglise et de l’Etat était une mesure qui ne pouvait trouver que bon accueil au sein d’une Assemblée libérale. Erreur; la Constituante, après avoir affirmé qu’il est des devoirs et des droits antérieurs aux lois positives, accorde la liberté à tous les cultes, sans renoncer à salarier le clergé.
Il est vrai que le Concordat, avec ses articles organiques, apparaissait comme un monument législatif quelque peu démodé, depuis qu’une Constitution, animée d’un souffle nouveau, régissait les Français. De bons esprits pensèrent que les rapports entre l’autorité et le pouvoir spirituel réclamaient une consciencieuse revision. Le Comité des cultes eut à examiner des propositions; mais aucune n’aboutit, les ecclésiastiques du Comité ayant fait ressortir que les 106 législateurs français, sans le consentement et les lumières du pape, ne pouvaient s’autoriser à refondre les lois concordataires.
En revanche, le comité consacra de longues séances à discuter des propositions de réforme qui toutes s’inspiraient du souci de républicaniser le sacerdoce. Mais de nouveau on rencontra l’opposition des évêques. L’idée de 1789, d’appeler le peuple à l’élection des évêques, sans être théoriquement combattue, fut repoussée comme impraticable. De même, il ne fut pas possible de faire admettre que les desservants, ne jouissant pas de l’inamovibilité curiale fussent en droit d’être assimilés aux curés après cinq ans d’exercice. Mais les évêques avaient trop grand soin de défendre l’intégrité de leur autorité despotique pour qu’on pût leur arracher leur adhésion à de telles formules.
Voilà qui montre suffisamment que l’Eglise, loin d’abandonner les privilèges qu’elle tenait du Concordat, manifestait, à chaque occasion, sa ténacité à défendre pied à pied le statu quo de 1801. Ce qui suivra fera jaillir les idées cachées et montrera que ses ambitions, sans limites, encore non avouées, aspiraient jusqu’à détrôner l’Etat.
Pour atteindre à ses fins, elle avait sa politique. Rien ne lui aurait servi de découvrir son jeu; avant de ruiner le prestige de l’Etat et de le démanteler, elle avait à l’utiliser.
L’autorité temporelle du pape étant mise en danger par les révolutions, qui allaient changer la face de l’Europe et constituer de nouvelles nationalités, le clergé n’eut de cesse avant d’avoir convaincu le Gouvernement que les traditions françaises lui commandaient de courir au secours de Rome. Mais pour qu’un pareil acte pût s’accomplir, elle aperçut fort bien qu’une toute autre politique gouvernementale devait 107 être inaugurée. N’est-ce pas elle qui a contribué de toute son influence au succès du coup d’Etat qui confia les destinées de la France au plus dangereux des princes? En tant que Président de la République, Louis-Napoléon lui avait donné les plus sérieux gages de son dévouement; grâce à lui, le pape rentrait en possession de ses Etats et, par suite, de sa puissance temporelle et l’enseignement prenait d’emblée un caractère nettement anticlérical. La main mise sur l’éducation, l’Eglise ne pensait réaliser que plus tard cet article de son programme; d’un coup, sa prédominance s’établissait au centre même du pouvoir national. C’était une seconde campagne de Rome, selon le mot de Montalembert, une «campagne de Rome à l’intérieur». Le comte de Falloux, ministre de l’Instruction publique, la mena à bien.
Il présidait lui-même la Commission à qui était confié le soin d’élaborer la nouvelle loi. Thiers faisait fonctions de vice-président obéissant aux ordres de Dupanloup, de Montalembert, de Riancey. Les débats furent vivement menés; mise en discussion en janvier 1850, la loi fut votée le 15 mars de la même année.
En voici les dispositions essentielles:
Un Conseil supérieur de l’Université groupait huit membres de l’Université, trois archevêques, un évêque, un ministre protestant, un ministre de la Confession d’Augsbourg, trois conseillers d’Etat et trois membres de l’Institut; chacun d’eux était élu par ses pairs; le Gouvernement ne désignait que trois représentants de l’enseignement libre.
Les attributions de ce conseil étaient suffisamment vastes pour priver l’Université d’une direction directe et effective de l’enseignement: règlements d’examens, de concours, programmes, surveillance des 108 écoles libres, autorisations de livres, créations de facultés, de lycées, etc., etc.
D’autre part, les conseils académiques dirigeaient sans contrôle enseignement primaire et enseignement secondaire qui étaient, l’un et l’autre, accessibles aux religieux. Le titre de ministre du culte suffisait pour professer dans les écoles primaires et aucune autorisation administrative n’était requise pour ouvrir une école libre, secondaire ou primaire.
De tous côtés, la loi ouvrait des voies d’accès à l’envahissement du clergé.
L’Eglise triompha, et dès lors ne se crut plus tenue à cacher l’audace de ses entreprises. Après l’enseignement, l’assistance publique devint l’objet de ses convoitises. Le Gouvernement n’eut garde de la mécontenter; dans toutes les lois sur la bienfaisance, l’influence cléricale fut favorisée et devint prépondérante.
Le Concordat lui-même n’était plus observé. Les évêques quittaient leurs diocèses; ils allaient à Rome recevoir des bulles pontificales. Bien plus, ils se plaçaient en dehors du droit commun sans être inquiétés; les conciles, les synodes se multipliaient, alors que pour les autres citoyens la liberté de réunion avait disparu.
Il est tout naturel que les conséquences financières de cette renaissance cléricale aient été importantes. En 1848, le budget des cultes était de 42 millions; en 1852, de 44 millions; en 1859, il dépassait 46 millions.
En outre, l’Etat subventionnait de nombreuses communautés. Et les couvents, par des dons et legs autorisés et par des fidéicommis, atteignaient un chiffre de fortune considérable. En 1859, les congrégations étaient propriétaires de 14.660 hectares de terre; la valeur des immeubles leur appartenant s’élevait à 109 105 millions de francs; leurs valeurs en portefeuille restaient ignorées.
Quant aux congrégations non autorisées, rien ne s’opposait au développement de leur influence et de leurs richesses.
Les prescriptions de l’autorité laïque étaient impunément violées.
La loi Falloux portait ses fruits. Les écoles primaires n’avaient qu’à de rares exceptions des instituteurs laïques. Et, dans l’enseignement secondaire, le nombre des lycées et des collèges diminuait, tandis que les établissements libres se multipliaient et prospéraient. En 1850, 914 écoles, dirigées par des évêques, des prêtres séculiers ou des congrégations, étaient signalées; en 1854, elles étaient au nombre de 1.081. D’autre part, des séminaires pour enfants possédaient au bas mot 25.000 élèves.
Enfin, les ordres hospitaliers prenaient une influence toujours plus grande. Les hôpitaux s’ouvraient aux sœurs de la Charité; les Petites sœurs des pauvres, en moins de quatre ans, acquéraient pour plus de 25 millions de francs de biens-fonds déclarés. Des sociétés de propagande, sous le couvert de la charité, agitaient l’opinion et rendaient l’Eglise plus militante, plus active qu’elle n’avait jamais été.
Napoléon III laissait donc l’Eglise prendre soin de ses intérêts en lui accordant toutefois la plus large protection. Il n’avait que le souci de marcher sur les brisées de son oncle et il rêvait d’être sacré pareillement par le Saint-Siège. Mais celui-ci entrevoyait l’affaire sous l’aspect d’un marché; il imposait ses conditions: abolition des articles organiques et de la loi sur le mariage civil. Napoléon résista et les négociations avortèrent.
Le résultat fut un changement dans la politique de l’Empire. La loi Falloux fut amendée dans un sens 110 plus libéral: le nombre des académies passa de 86 à 16 et les recteurs jouirent d’une plus grande indépendance vis-à-vis de l’épiscopat.
Mais l’empereur allait avoir d’autres occasions de lutter contre l’ultramontanisme vainqueur.
Pie IX, mis en goût par la puissance temporelle et spirituelle que, depuis longtemps Rome n’avait pas possédée à un tel degré, formait le projet d’en finir avec les principes de la Révolution. L’Eglise, il se l’était promis, devait dépasser en omnipotence, en absolutisme, en intransigeance, tout ce que les papes-rois du moyen âge avaient pu rêver.
En premier lieu, l’Eglise avait à s’affirmer infaillible. Pie IX n’avait pour cela qu’à agir en souverain absolu, au mépris de tout concile œcuménique. Il proclama donc, de sa propre autorité, le dogme de l’Immaculée conception de la Vierge, le 8 décembre 1854.
L’épiscopat, que Rome n’avait pas consulté, ne se rebiffa point, tant il s’était donné, corps et biens, à l’ultramontanisme. Mais Napoléon témoigna quelque humeur contre Pie IX, qui décelait trop ouvertement sa fiévreuse ambition. Ensuite, l’empereur se rapprochait de Victor-Emmanuel; et ce ne pouvait être qu’au préjudice du pape, car un des premiers articles du programme piémontais était le démembrement de l’Etat pontifical. Dès que l’empereur le sut, il mit au service de la cause italienne l’armée et l’argent de la France; mais, dès que son entourage lui représenta qu’il s’aliénait l’Eglise s’il persistait dans sa politique internationale, il signa avec l’Autriche les préliminaires de Villafranca.
Cependant, le peuple italien, qui voulait, à tout prix, réaliser l’unité nationale, ne comprit pas que l’on arrêtât la Révolution. Le traité de Villafranca disait, en effet, que la Confédération italienne aurait 111 le pape comme président honoraire, à la condition qu’il introduisît dans son royaume les réformes indispensables. Mais de telles stipulations ne pouvaient être prises au sérieux; le pape se refusait à les admettre, tandis que les initiateurs du mouvement populaire entendaient que le mouvement unitaire ne reçût aucune entrave.
Cette agitation détruisit la bonne entente qui jusque-là avait régné entre l’Empire et l’Eglise. Napoléon, attaqué par le haut clergé, encourageait ceux-là qui prêchaient au pape l’abandon de sa souveraineté temporelle. Et lui-même écrivit à Pie IX de renoncer à ses légations qui naturellement, par la force des choses, se détachaient de lui.
La réponse du souverain pontife fut une encyclique, déclarant qu’en vouloir à son autorité spirituelle équivalait à haïr son pouvoir spirituel, et que les Etats du Saint-Siège étaient la légitime propriété, non de la papauté, mais du monde catholique.
Ces véhémentes protestations n’empêchèrent pas l’annexion des légations pontificales au Piémont. Pie IX en fut réduit à excommunier ses spoliateurs.
Alors, le catholicisme, sans distinction de nuances, déclare la guerre à l’Empire, «fauteur de désordres», choryphée de l’anarchie. L’on vit se répandre des brochures cléricales, où les théories les plus séditieuses se donnaient carrière. D’un autre côté, les partis démocratiques reprochaient à l’empereur d’avoir manqué à ses engagements par le traité de Villafranca.
Le gouvernement impérial se maintenait en protestant du dévouement de l’empereur au Saint-Siège et en donnant des ordres pour que les troupes françaises quittassent Rome.
Cette duplicité ne pouvait qu’aggraver l’état de choses. L’empereur crut trouver un modus vivendi; il fit connaître au pape qu’il était prêt à lui garantir l’intégrité 112 des possessions qui ne lui avaient pas été confisquées, et que les puissances catholiques ne lui refuseraient pas un subside et un corps de troupe. L’orgueil du pape était trop irréductible pour qu’il acceptât; c’est à l’aristocratie catholique qu’il se résolut à jeter un appel désespéré. On sait que ce ne fut pas en vain.
Un nouveau Coblentz sembla renaître à Rome, et l’irritation de Napoléon s’accrut d’autant.
L’audace du pape précipita le dénouement. Son armée, défaite à Castelfidardo, mit fin aux hésitations. Cavour ouvrit à Turin le premier Parlement italien.
L’Eglise, blessée au cœur, gémit et se révolta. Les mandements épiscopaux prirent la couleur d’appels à la guerre civile; ils suscitèrent parmi les croyants la plus vive émotion. Et bientôt toute la bourgeoisie conservatrice, et même libérale, manifesta à l’égard de l’empereur une indignation telle, que celui-ci, en manière de réponse, tempéra son absolutisme gouvernemental. Le Sénat et le Corps législatif furent autorisés à juger la politique impériale, et le prince Napoléon eut toute liberté pour combattre à la tribune la puissance temporelle de la papauté. On vit alors les partisans cléricaux de Napoléon passer dans le camp de l’opposition, exhaler leurs lamentations en face de leurs espoirs ruinés.
Napoléon, aigri par cette agitation, n’aurait pas répugné à se rapprocher de Rome; mais Pie IX repoussait toutes les ouvertures de transactions comme injurieuses pour sa dignité. D’ailleurs, il n’était pas sans agir; deux cent quatre-vingts ecclésiastiques venaient, par son ordre, d’affirmer l’inviolabilité des domaines pontificaux et de jurer fidélité à une théocratie absolue, négation radicale de tous les principes du droit moderne.
Toutes ces démonstrations accusaient plus profondément 113 le divorce moral entre l’Etat laïque et l’Eglise. Napoléon le sentit tellement qu’il engagea la Russie et la Prusse à reconnaître le nouveau royaume d’Italie. Mais, cédant aux instances de certains conseillers, craignant que sa majorité d’autrefois ne tournât à la légitimité ou à l’orléanisme, Napoléon imprima à sa politique une direction nouvelle. A l’Italie, qui réclamait Rome pour capitale, il ne répondit pas; au parti clérical, qui, depuis des mois, l’outrageait et le vilipendait, il fit des avances pour la constitution d’un ministère conservateur. Le maintien du pouvoir temporel du pape devint, aux élections de 1864, l’article primordial du programme des candidatures.
Néanmoins, Pie IX ne sut aucun gré à l’empereur de ce revirement. Il ne craignit pas de lui créer des embarras, dès qu’il en eut l’occasion. De vive force, il imposa la liturgie romaine au diocèse de Lyon. Et il s’obstina dans ses errements gouvernementaux, si opposés, si contraires aux principes de 1789.
Il est vrai que la France blessait les convictions du souverain pontife. Après l’opposition gouvernementale, de bons catholiques battaient en brèche sa politique théocratique. Au Congrès de Malines, Montalembert fit le procès de l’Inquisition et réclama toutes les libertés, jusques et y compris celle de «l’erreur».
De telles «hérésies» décidèrent enfin Pie IX à rompre les liens qui créaient quelque solidarité entre lui et les Etats laïques, à condamner radicalement les sociétés issues de la Révolution.
La convention du 15 septembre 1864, par laquelle la France et l’Italie s’engagèrent à respecter Rome, si l’ordre n’y était pas troublé, parut au pape une menace dissimulée, d’autant plus que les deux gouvernements lui avaient laissé ignorer les négociations.
114
Le Syllabus.—Pie IX n’y tint plus et se sépara avec éclat d’une société qu’il abominait. Le 8 décembre 1864, l’encyclique Quanta cura apprit au monde la rupture complète du droit laïque et des principes théocratiques, la déclaration de guerre ouverte, sans trêve ni merci, que le pape adressait aux gouvernements qui refusent de se soumettre à sa puissance temporelle et spirituelle. Et pour qu’il n’y eût pas d’équivoque, Pie IX spécifiait dans le Syllabus les quatre-vingts propositions qualifiées: Erreurs principales de notre temps, que Rome désormais tiendrait pour hérétiques.
La prépotence du pouvoir civil, la libre recherche de la vérité, les droits de la conscience, la neutralité scolaire, le droit civil, le suffrage universel, la police des cultes, la civilisation moderne, l’indépendance de la morale et de la philosophie vis-à-vis du catholicisme, la science, la liberté de la presse et de la parole, tels sont les objets principaux que le souverain pontife vise et réprouve. Enfin la séparation de l’Eglise et de l’Etat est la cinquante-cinquième proposition, que l’on ne saurait formuler comme un vœu sans encourir les foudres de la Rome papale.
Les catholiques se voyaient donc dans la nécessité de prendre parti pour l’Etat ou pour l’Eglise; de proclamer celle-ci supérieure à celui-là ou d’abjurer leur foi.
Beaucoup d’entre eux—le plus grand nombre—avaient, depuis longtemps, promis obéissance à Rome; quant aux intolérants, ils résistèrent dans leur conscience aux injonctions de la papauté. Les évêques lancèrent des mandements, destinés à faire connaître aux fidèles l’esprit de l’encyclique et du Syllabus; dans leur chaire, ils commentèrent abondamment les deux documents romains. Un seul gallican osa les critiquer. Le Gouvernement impérial, qui vainement 115 s’opposa à la propagation des paroles papales, mis moralement en demeure de se prononcer, répondit selon la coutume, d’une façon détournée, en projetant de faire décréter la gratuité et l’obligation de l’enseignement primaire. Duruy fut chargé du rapport. Mais Napoléon, circonvenu par Thiers et par un certain nombre de conservateurs, qui réagissaient contre l’opposition républicaine, désavoua le rapport Duruy.
Puis, quelque temps après, Pie IX ayant réprimandé les ecclésiastiques fidèles à l’empereur, Napoléon, las de cette ingérence continue de Rome dans ses affaires, se rapprocha de l’Italie unifiée, en ordonnant le rappel du corps d’occupation.
Cependant, comme il apparaissait de bonne politique de ménager les ultramontains, il déclara respecter la souveraineté temporelle du Saint-Siège.
Mais il n’est nulles transactions qui puissent tempérer l’ardeur du clergé militant; l’œuvre laïque de Duruy était maintenant le point de mire des attaques de l’Eglise. Que prétendait-il inaugurer? La soumission des congrégations enseignantes au droit commun. Rome encourageait ses fidèles de France de ses prédications théocratiques. Pie IX, au mois de juin 1867, exaltait le Syllabus devant quatre cent cinquante évêques et projetait, ce même jour, la réunion d’un concile œcuménique pour décider que la politique nouvelle du Saint-Siège sera enseignée comme un dogme et que l’infaillibilité pontificale deviendra un acte de foi. Il rêvait d’une monarchie papale et tenait à s’assurer le concours des évêques dans les luttes futures; ceux-ci, après la destruction de l’Eglise monarchique, n’avaient plus que le pape comme objet de sincère attachement. Contre les révolutions politiques et sociales, qui pouvaient de nouveau survenir, ils estimaient que l’Eglise trouverait la force 116 de résister aux assauts de ses adversaires dans la fusion intime des pouvoirs ecclésiastiques, dans l’absolutisme de ses doctrines et de ses commandements. Ce coup d’Etat religieux jugé nécessaire, un concile œcuménique fut convoqué pour le 8 décembre 1869.
Dans sa bulle d’induction de 1868, le pape indiquait que le but du concile était de fortifier la discipline ecclésiastique; d’examiner et de déterminer ce qu’il convient de faire «en ces temps si calamiteux» pour proscrire les «sectes impies» et «redresser les erreurs qui bouleversent la société civile.»
De nouveau, le gouvernement impérial allait être anathémisé par le prochain concile; ce n’était point douteux. Et pourtant, il avait sacrifié à cette Rome intolérante la précieuse amitié de la jeune Italie, vaincue à Mentana par l’armée même de Napoléon. Contre ce pouvoir exorbitant du Saint-Siège, qu’il avait à la fois louangé et blâmé, critiqué et protégé, il ne lui était plus possible de conclure une alliance pour la suprême sauvegarde du droit moderne.
Les intentions de l’Eglise ne pouvaient cependant faire allusion aux gouvernements des puissances dites catholiques. Pour lutter contre «l’esprit du siècle», contre le «mal», il n’était à ses yeux qu’un procédé: ériger en lois positives, en dogmes, le contenu et de l’Encyclique et du Syllabus, affirmer les droits inébranlables du Siège apostolique.
Du reste, la bulle de convocation, le 29 juin 1868, fut commentée dans la basilique de Saint-Pierre en des termes tels que les fidèles et les dirigeants des nations purent avoir un avant-goût de ce que seraient les prochains débats du concile. Le concile, disait le doyen des pronotaires apostoliques, devra «réprimer tout vice et repousser toute erreur, afin que notre auguste religion et sa doctrine salutaire reprennent partout une vigueur nouvelle, qu’elles se propagent 117 de jour en jour, qu’elles reconquièrent leur légitime empire».
Les convocations furent faites aux cardinaux, aux archevêques, aux évêques, aux abbés, selon les traditions des précédents conciles. Seulement, pour la première fois, les «princes laïques» ne reçurent aucune invitation. N’étaient-ce pas eux cependant qui, autrefois, convoquaient les conciles, les imposaient aux papes? Benoît XIV remarquait même que la présence des princes ou celle de leurs ambassadeurs relevait l’éclat des conciles.
La bulle de Pie IX ne faisait que s’adresser indirectement à ces «princes laïques» en un langage quelque peu dédaigneux: «Nous voulons croire, disait-elle, que les souverains et les chefs des peuples, particulièrement les princes laïques, reconnaissent de plus en plus avec quelle abondance tous les biens découlent de l’Eglise sur la société humaine...»
Mais n’était-ce pas consacrer, par une situation de fait, la rupture politique entre les Etats modernes et l’Eglise, que de ne point inviter les princes laïques à assister aux travaux du concile? Par la publication de l’Encyclique et du Syllabus, Pie IX s’était inscrit en faux contre l’esprit même du Concordat de 1801: la reconnaissance par la papauté de la Révolution de 1789 et de toutes les réformes juridiques, politiques et sociales qui en découlaient, sécularisation de l’Etat, expropriation des biens du clergé, abolition des corporations religieuses, etc. Ne point consulter le pouvoir civil, c’était donc confirmer ouvertement la dénonciation du Concordat par Rome elle-même.
Et il paraît indiscutable que la séparation de l’Eglise d’avec l’Etat laïque était une volonté expresse du Saint-Siège; mais c’était une séparation morale, en quelque sorte, la dénonciation d’un Concordat fondé sur des théories impies, mais aussi la conservation 118 de ce même Concordat en tant qu’il assure à l’Eglise des avantages pécuniaires. La casuistique seule peut expliquer cette subtilité.
La bulle d’induction présentait aussi une nouvelle doctrine: celle de l’infaillibilité pontificale. Une telle innovation suffisait à infirmer la valeur légale du Concordat, l’Eglise revêtant un caractère spirituel et temporel qu’elle n’avait pas au temps des négociations de 1801. Il eût été opportun pour nos hommes politiques et nos jurisconsultes de l’époque d’envisager la situation nouvelle créée par l’Eglise et de s’éloigner du pape, puisqu’il prétend être roi du monde spirituel et temporel, tout-puissant, infaillible, avec qui, par conséquent, ne saurait être conclu ni contrat ni concordat. Des avantages, des privilèges, comment les lui concéder, les lui reconnaître, puisqu’il n’est aucun prince du temporel au-dessus de lui?
Le Concile s’ouvrit le 8 décembre 1869 à la basilique de Bramante et de Michel-Ange. Dès le début, il apparut que l’Eglise aurait recours à la pire intransigeance pour combattre les principes laïques. L’archevêque de Paris, plus libéral que ses coreligionnaires, en informe l’empereur et n’hésite pas à faire appel à son intervention. Il avoue d’abord que la liberté de discussion n’est pas respectée; puis:
«Je me demande, dit-il, si l’intérêt général, l’intérêt de la société religieuse et civile n’exige pas qu’on nous vienne en aide. Le gouvernement de l’Empereur ne pourrait-il pas faire connaître au gouvernement pontifical les appréhensions que les débuts du concile causent même à des esprits sérieux et non prévenus, et lui laisser entrevoir les conséquences possibles des tendances et des agissements signalés...? Ne faudrait-il pas dire au public... que l’on veille à ce 119 que les intérêts dont l’Etat est le défenseur soient suffisamment sauvegardés et à ce que la bonne entente, établie entre les deux autorités par le Concordat, ne soit pas compromise comme elle le serait certainement, si les résolutions du concile étaient trop peu en rapport avec les institutions, les lois et les habitudes de la France?»
Mais le gouvernement impérial se montrait résolu à se désintéresser, comme incompétent, des objets que le concile discutait.
Cependant, le 21 janvier, les Pères du Concile reçurent un schéma sur la Constitution de l’Eglise, le schéma nommé de Ecclesia. Il est divisé en quinze chapitres; vingt et un canons le complètent.
Les chapitres affirment que l’Eglise est un «corps mystique», qu’elle est une société parfaite, spirituelle et surnaturelle, que son unité est indivisible, que la communion avec elle assure le salut, qu’elle est indéfectible, infaillible dans l’enseignement, qu’elle possède une puissance de juridiction, que le pape jouit d’une primauté de juridiction et de garanties temporelles. L’un des chapitres envisage les rapports de l’Eglise et du pouvoir laïque; et, cette fois, le Concile émet l’opinion que la séparation de l’Eglise et de l’Etat ne saurait s’imposer. Bien plus, la loi divine la condamne, car l’Etat a pour devoir primordial de protéger la seule vraie religion; et le Concile ajoute qu’il ne sera plus question de séparation le jour où les maîtres du pouvoir temporel reconnaîtront que l’Eglise est plus précieuse que leurs Etats.
Mais l’Eglise n’attend pas ce jour, sans doute encore lointain, pour prétendre qu’elle a le droit de veiller à l’enseignement, de fonder en toute liberté les ordres religieux qu’il lui plaira d’acquérir, de posséder sans tolérer l’ingérence du pouvoir civil.
120
Les canons qui suivent donnent à ces différents postulats l’armature dogmatique:
«Si quelqu’un dit que l’infaillibilité de l’Eglise est restreinte aux choses contenues dans la révélation divine et qu’elle ne s’étend pas aussi à toutes les vérités nécessaires à la conservation intégrale du dépôt de la révélation; qu’il soit anathème.
«Si quelqu’un dit que les lois de l’Eglise n’ont pas la force d’obliger tant qu’elles n’ont pas été confirmées par la sanction du pouvoir civil, ou qu’il appartient audit pouvoir de décréter en matière de religion, en vertu de son autorité suprême; qu’il soit anathème.»
Les canons concernant les rapports de l’Eglise et de l’autorité laïque ne revêtent pas une bien grande importance; ils sont conformes à cette idée que la société civile et la société religieuse sont l’une et l’autre deux sociétés indépendantes. La première procède de Dieu immédiatement; la seconde, médiatement. Il paraissait donc que l’Eglise se fît tolérante, puisqu’il n’était plus admis que la société laïque était soumise à la puissance ecclésiastique.
Mais dès qu’il eut connaissance de ces canons, le gouvernement impérial s’émut. Le comte Daru, ministre des Affaires étrangères, trouva exorbitant que le Concile tranchât, de sa propre autorité, des questions politiques et envahît ainsi un domaine où il ne lui appartenait pas de pénétrer. Le pouvoir d’agir, de légiférer, de commander en dehors de l’autorité laïque, l’Eglise ne saurait avoir le droit de se l’arroger et il importait de le lui contester. Ainsi pensait M. Daru; mais il n’était pas libre de parler au nom du ministère, car celui-ci s’opposait à ce que la politique de l’Empire vis-à-vis du Saint-Siège devînt agressive. Rome pouvait donc empiéter sur les droits 121 de la société civile, sans crainte de nous voir intervenir.
Le 6 mars 1870, Pie IX estima qu’il était temps de faire proclamer le dogme de l’infaillibilité. Il fit donc distribuer le schéma, concernant la question qui lui tenait le plus au cœur. Mais ses dispositions d’esprit furent mieux indiquées dans un bref, qu’il adressait au bénédictin Gueranger, auteur de la Monarchie Pontificale:
«Les adversaires de l’infaillibilité sont des hommes qui, tout en se faisant gloire du nom de catholiques, se montrent complètement imbus de principes corrompus, ressassent des chicanes, des calomnies, des sophismes pour abaisser l’autorité du chef suprême que le Christ a préposé à l’Eglise et dont ils redoutent les prérogatives. Ils ne croient pas, comme les autres catholiques, que le Concile est gouverné par le Saint-Esprit.»
Le comte Daru s’était autorisé à rappeler le concile au droit public français. Le 19 mars, le cardinal Antonelli lui répondit qu’il s’étonnait que le projet de constitution de l’Eglise pût faire naître des alarmes, les thèses et les principes du concile ayant été de tous temps ceux de l’Eglise; un bon catholique ne peut nier que la mission de l’Eglise soit de conduire les hommes à une foi surnaturelle. Et puis, insinue avec impertinence le cardinal Antonelli, l’Etat français n’a-t-il pas le Concordat pour le protéger? «Les rapports de l’Eglise et de l’Etat sur des objets de compétence mixte ayant été réglés par ce pacte, les décisions que le concile du Vatican viendrait à prendre en semblable matière n’altéreraient pas les stipulations spéciales conclues par le Saint-Siège tant avec la France qu’avec d’autres gouvernements, toutes les fois que ceux-ci de leur côté ne mettent point 122 d’obstacle à l’entière observation des choses convenues.»
Il est certain qu’ainsi que le faisait obligeamment entendre le cardinal Antonelli, le Concordat pouvait être invoqué contre un excès d’audace de l’Eglise. Mais d’autre part, et c’est un cercle vicieux, si les enseignements du schéma de Ecclesia avaient sur les esprits l’influence prévue par l’Eglise, le Concordat, violé par les catholiques, deviendrait inexistant. M. Emile Ollivier, lui-même en convient, et il va jusqu’à prévoir l’apparition d’un nouveau Concordat tout pénétré de l’esprit théocratique.
Cependant le schéma de Ecclesia et ses canons n’étaient pas les actes du concile qui donnaient surtout lieu aux inquiétudes des défenseurs de l’ordre laïque. Le schéma sur l’infaillibilité, seul, assombrissait l’avenir. Cette infaillibilité absolue, personnelle, dictatoriale, apparaissait comme un élément de subversion pour les Etats et pour l’Eglise, car elle avait trop de points de contact avec les conditions politiques des sociétés.
Il fut convenu, en Conseil des Ministres, qu’un memorandum serait adressé au pape, protestant contre les maximes qui subordonnent la société civile à la société religieuse; mais le Ministère spécifie que son intention n’est que morale. Quel effet dès lors pouvait-elle produire sur Rome?
Les débats suivirent donc leur cours. Et le 24 avril, la constitution de fide était adoptée. C’était toute une série de propositions dogmatiques sur la création, la révélation, le rapport de la raison avec la foi.
La discussion de l’infaillibilité était impatiemment attendue de tout le monde catholique. Et il n’était pas une puissance étrangère qui se désintéressât des résolutions du concile à ce sujet. Les croyants approuvaient et blâmaient; en Angleterre, en Allemagne, on 123 tendait vers la protestation. La France était profondément divisée.
Le 13 mai, la discussion s’ouvrit. Les discours furent et nombreux et passionnés. Une des raisons justifiant l’infaillibilité fut qu’il faut «garantir la divine certitude avec laquelle la révélation chrétienne s’est transmise jusqu’à nous». La minorité contre l’infaillibilité ne combattait pas la doctrine, mais la définition dans le moment présent, son opportunité.
La constitution relative à l’infaillibilité fut enfin adoptée, le 18 juillet.
Elle est divisée en chapitres. Le premier a trait à l’institution de la papauté apostolique; les suivants dissertent sur la perpétuité et la nature de cette primauté, enfin sur le «magistère infaillible» du souverain pontife.
Il y est dit que l’infaillibilité est destinée à affermir les bases de l’église. Le Concile en donne la définition:
«Le pontife romain, lorsqu’il parle ex cathedra, c’est-à-dire lorsque, remplissant la charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens, en vertu de sa suprême autorité apostolique, il définit qu’une doctrine sur la foi ou sur les mœurs doit être crue par l’Eglise universelle, jouit pleinement, par l’assistance divine qui lui a été promise dans la personne du bienheureux Pierre, de cette infaillibilité dont le divin rédempteur a voulu que son Eglise fût pourvue en définissant la doctrine touchant la foi et les mœurs; et par conséquent de telles définitions sont irréformables d’elles-mêmes et non en vertu du consentement de l’Eglise.»
Tel est le dogme. Anathème contre celui qui y contredirait.
On en voit toutes les conséquences. Le pape désormais 124 ne consultera plus l’épiscopat avant de formuler ses définitions, qui sont définitives, irréformables, obligatoires, grâce uniquement à «l’assistance divine»; le pape demeure le seul maître.
Contre lui, les «princes laïques» ne sauraient opposer leurs théories, leurs politiques; vainement, ils prétendraient l’influencer, le circonvenir, l’amener à composition; l’ère des pactes est définitivement close. D’autre part, le pouvoir pontifical s’isole de l’épiscopat pour ne point s’exposer à des menées personnelles, dont les suites fatales seraient l’affaiblissement de sa toute-puissance.
Les évêques, qui constituèrent au Concile la minorité opposante, firent leur soumission. Et le Gouvernement français lui-même ne mit aucun obstacle à la publication de la Constitution. Il est vrai que des événements plus graves occupaient alors son attention.
L’Italie seule répondit au concile. En septembre 1870, elle anéantissait la puissance temporelle du pape; c’était obéir à la logique de son histoire. Il n’en est pas moins vrai que ce coup cruel porté à la soi-disant invulnérabilité du pontificat déchaîna la réaction ultra-catholique qui, se réclamant du Syllabus, rompit en visière avec la troisième République et l’eût mise en péril si les partis démocratiques n’avaient sonné le ralliement en face de l’ennemi commun.
125
On vient de voir comment la papauté, poursuivant son évolution naturelle, avait fait inscrire dans sa constitution l’infaillibilité du chef suprême de l’Eglise, infaillibilité qu’elle avait déjà revendiquée au cours des siècles et qu’elle imposait désormais à ses fidèles comme un article de foi.
Ce dessein persévérant d’atteindre à la domination universelle se manifesta en France au lendemain des événements de 1870, à l’heure où la nation venait de se donner la forme républicaine. A mesure que la démocratie se développera dans notre pays, à mesure que les esprits s’éveilleront plus nombreux aux vérités scientifiques, apparaîtra plus profond l’abîme qui sépare le catholicisme romain de la civilisation moderne. Des lois seront édictées pour dégager progressivement les intelligences enfantines de l’obscurité du dogme. De là des luttes, des crises, dont on n’a point perdu le souvenir. Avant qu’un Parlement ait pu envisager comme possible—et prochaine—la séparation complète des Eglises et de l’Etat, des mesures de transition ont dû être prises, qui toutes ont provoqué les protestations les plus vives de la cour de Rome. Nous les allons indiquer brièvement et l’on verra que depuis trente-cinq ans la société laïque a marché, d’un pas mesuré mais sûr, vers son émancipation définitive.
En 1873, l’Eglise romaine est toute-puissante. En pleine crise nationale et sociale, au moment où l’Assemblée nationale expédiait les affaires de la France, dans une pétition, les évêques n’avaient pas craint de 126 réclamer le rétablissement du pouvoir temporel du pape. Habile aux expédients parlementaires, M. Thiers avait su faire enterrer la protestation, par le renvoi pur et simple au Ministère des Affaires étrangères, malgré l’intervention de l’évêque Dupanloup. Le 24 mai consacre le règne du clergé. Une délégation de la Chambre s’est retirée des obsèques civiles de M. le député Brousses. Dans un ouvrage d’une belle tenue littéraire, qui prend par instants l’allure du pamphlet, MM. Yves Guyot et Sigismond Lacroix font un exposé de la situation du clergé, que nous ne pouvons mieux faire que de citer:
«Mis en possession d’églises, d’édifices innombrables, dont la flèche domine toutes les villes, tous les hameaux, dont les cloches remplissent l’air, attestant qu’il est partout et que nul ne peut lui échapper, de séminaires où il élève ses recrues, le clergé prélève sur le budget de l’Etat une somme de 49 millions, qui chaque année augmente; le budget de l’instruction publique est de 36 millions.
«Ce n’est pas tout: du département et des communes, il touche une somme minimum de 31 millions; soit une part dans l’impôt général de 80 millions. A ces 80 millions, vous, nous tous, libres penseurs, contribuons.
«Ce n’est pas tout: ces hommes qui sont au Conseil supérieur de l’instruction publique, ce sont des évêques et des archevêques; ils sont encore dans le Conseil départemental de l’instruction publique; ils nomment et destituent l’instituteur. Voici le curé qui entre dans l’école, la loi de 1850 à la main, disant à l’instituteur:—Vous devez, avant tout autre, l’instruction religieuse.
«Le prêtre est partout; il a l’assistance publique, on le trouve dans les prisons, à l’armée, sur chaque 127 vaisseau. L’armée lui prête ses canons et ses armes pour célébrer ses fêtes. Généraux, fonctionnaires, magistrats, professeurs suivent ses processions et courbent la tête sous la bénédiction de l’évêque.
«Quant à ses charges, il n’en a pas; il est exempt du service militaire, il en fait exempter ses acolytes...
«Et quand le prêtre a pris sa place partout, dans toute la société, quand il tient l’éducation d’une main, l’assistance de l’autre, il descend dans la Congrégation. Les articles 291 et 292 du Code pénal lui sont inconnus. La Congrégation se forme, se développe, enfonce ses racines dans le sol, en fait émerger de vastes casernes, d’immenses bâtiments, séquestre, enferme des multitudes, fouille de ses tentacules toutes les couches sociales pour en aspirer la vie et la richesse.»
La solution de MM. Yves Guyot et Sigismond Lacroix était celle que nous préconisons aujourd’hui: Répondre aux principes de persécution du clergé, par des principes de liberté. Rejeter les prêtres dans leurs églises, pour que soit affranchie la société laïque.
Depuis que ces lignes ont été écrites, la solution qu’elles préconisaient n’a pas été atteinte; mais des mesures de défense ont été prises par la société laïque pour lutter contre l’ingérence cléricale; elles sont présentes à tous les esprits. Les noms de Gambetta, de Jules Ferry surtout, de Paul Bert, de Goblet, de Waldeck-Rousseau et de Combes demeurent attachés au souvenir de ces mesures, de ces réformes essentielles.
C’est Jules Ferry qui, en 1879, a fait voter la loi réorganisant le Conseil supérieur de l’enseignement public, et les Conseils académiques. L’élément ecclésiastique qui s’y était glissé à la faveur de la loi Falloux en était éliminé. C’est Jules Ferry qui fit voter 128 la loi restituant à l’Etat le monopole de la collation des grades universitaires, supprimant les jurys mixtes, obligeant les élèves des établissements libres d’enseignement supérieur à prendre leurs inscriptions dans les Facultés de l’Etat, et enlevant le droit d’enseigner ou de diriger un établissement d’instruction à tout membre d’une congrégation non autorisée.
Mais cette dernière disposition, adoptée par la Chambre, fut repoussée par le Sénat. C’est le fameux article 7. Jules Ferry suppléa à cette lacune de la loi, en prenant les décrets du 29 mars 1880, qui, au nom des lois existantes, prescrivaient la dissolution des congrégations non autorisées. Il était alors Ministre de l’Instruction publique dans le cabinet Freycinet. Il les fit appliquer quelque temps après, comme Président du Conseil. Il est de nouveau ministre de l’Instruction publique en 1882, et il fit voter la loi prescrivant la gratuité, l’obligation et la laïcité de l’instruction primaire.
L’œuvre laïque de Jules Ferry se continue par la loi qui faisait participer les séminaristes aux obligations militaires. Enfin, le ministère Waldeck-Rousseau fit voter cette loi sur les associations qui, depuis que la République existe fut réclamée comme le prélude indispensable à la séparation, notamment par M. Goblet. On va voir comment, appliquée par M. Combes, avec une énergie à laquelle tous les républicains ont rendu hommage, elle devait logiquement avoir pour conséquence la séparation.
Mais il convient auparavant, par quelques faits empruntés à notre histoire depuis trente ans, de répondre à ceux qui prétendent que le Concordat a réalisé la pacification religieuse dans le pays.
En réalité, le Concordat ne fut jamais observé, dans sa lettre, par la Papauté. Il n’y eut accord entre celle-ci et la France qu’au moment où Rome espérait pouvoir 129 reprendre, dans notre pays, sa suprématie perdue.
Trois occasions permirent surtout au clergé ultramontain de manifester ses secrètes tendances.
Rarement, la crise fut plus aiguë qu’en mai 1877. Elle fut le contre-coup d’une décision de la Chambre italienne. Celle-ci avait voté une loi sur les abus du clergé, qui avait soulevé l’indignation de la Papauté. Au cours d’une allocution, qu’il prononça à l’occasion d’un Consistoire, Pie IX dénonça comme des persécutions dirigées contre l’Eglise certaines mesures législatives, telles que la conversion de la mainmorte ecclésiastique, la sécularisation de l’enseignement public; et il invita les évêques à agir auprès de leurs Gouvernements en faveur du Saint-Siège opprimé.
Un certain nombre de députés et de sénateurs français, appartenant à la droite du Parlement, firent à ce propos, une démarche auprès de M. Decazes, alors ministre des Affaires étrangères, lequel répondit évasivement. Obéissant aux injonctions papales, des évêques faisaient parvenir au Gouvernement des mandements. L’évêque de Nîmes annonçait que «le pouvoir temporel des Papes revivrait après quelques secousses profondes où s’engloutiraient peut-être bien des armées et bien des couronnes.» Dans une lettre au maréchal de Mac Mahon, l’évêque de Nevers le suppliait de «renouer la chaîne des anciennes traditions de notre France, et de reprendre sa place de fils aîné de l’Eglise». L’évêque de Nevers avait pris également soin de faire parvenir copie de cette lettre à tous les maires de son diocèse, en réclamant leur concours officiel à la propagande des évêques.
Pour répondre à cette agitation anticoncordataire, M. Jules Simon, alors Président du Conseil, interdit le colportage de la pétition «dont les termes sont offensants pour les pouvoirs publics d’un pays voisin et 130 ami». Certaines tolérances, dont on usait à l’égard du clergé catholique, furent restreintes. A la Chambre des Députés, une interpellation, signée des présidents des trois Gauches, permit à M. Jules Simon de faire connaître «les mesures qu’il avait prises et se proposait de prendre pour réprimer les menées ultramontaines dont la recrudescence inquiétait le pays».
M. Jules Simon constate, dans son discours, que «le clergé et la religion catholique ont en France autant et peut-être plus de liberté qu’ils n’en ont jamais eue. Ainsi, les évêques se rassemblent en synodes sans autorisation; ils se rendent sans autorisation à la cour de Rome; ils possèdent... Enfin, on publie des bulles et des brefs pontificaux, et je dois dire que si c’est sans autorisation qu’on les publie, c’est aussi sans légalité; jamais de telles infractions n’auraient été tolérées par les régimes précédents.»
M. Jules Simon promet, en terminant, de faire appliquer la loi; mais c’est Gambetta qui exprima le sentiment de la gauche.
«Il faut savoir, dit-il, que depuis 1870, depuis qu’on a proclamé le dogme qui a fait du pape le docteur infaillible des vérités de l’Eglise, le clergé et l’épiscopat français ne comptent plus d’opposants, ne comptent plus de résistants, et quand Rome a parlé, tous sans exception, les prêtres, les curés, les évêques, tout le monde obéit.
«L’esprit clérical, avec l’habileté et la souplesse qui le caractérisent, a commencé, au début, par être fort modeste en ses prétentions. Il s’est contenté de demander une humble place au soleil; puis, quand cette place a été obtenue, il n’a cessé de ridiculiser, de couvrir de ses sarcasmes la Déclaration de 1682, c’est-à-dire les anciens principes de l’Eglise de France.»
En terminant, l’orateur déclare qu’il ne veut défendre 131 le Concordat que tout autant que le contrat sera interprété comme un contrat bilatéral qui oblige l’Eglise et la tient, comme il oblige l’Etat et le tient. «Il faut que, malgré le mépris que peuvent inspirer au robuste bon sens de la France ces menées coupables, le Gouvernement déclare qu’il entend délivrer la France des étreintes de la politique ultramontaine.»
L’ordre du jour suivant, accepté par le cabinet, fut voté comme conclusion à ce débat:
«La Chambre, considérant que les manifestations ultramontaines, dont la recrudescence pourrait compromettre la sécurité intérieure et extérieure du pays, constituent une violation flagrante des droits de l’Etat, invite le Gouvernement, pour réprimer cette agitation antipatriotique, à user des moyens légaux dont il dispose, et passe à l’ordre du jour.»
Une nouvelle levée de crosses se produisit, en 1891, au moment où des pèlerins français se permirent, à Rome, d’acclamer le «pape-roi». M. Gouthe-Soulard trouva cette manifestation de son goût et le déclara hautement. Sa réponse à une circulaire demandant aux évêques de suspendre leurs pèlerinages, le fit traduire devant la Cour d’appel de Paris. «On nous offre l’apaisement, disait-il, avec un Gouvernement qui a déclaré que le cléricalisme est l’ennemi, qui a brisé le Concordat en supprimant les traitements ecclésiastiques, qui a dispersé les congrégations vouées à l’enseignement, à la prédication, au soulagement des pauvres et des malades, qui a frappé d’une taxe les congrégations autorisées, qui a édicté l’obligation du service militaire pour le clergé, qui a chassé la religieuse des salles d’asile et de l’hôpital! Nous ne voulons pas de cet apaisement; ce serait de l’avilissement.»
Une interpellation du sénateur Dide permit à M. de 132 Freycinet de s’expliquer, au nom du Gouvernement. Le Président du Conseil fit allusion, en commençant, aux manifestations épistolaires des évêques qui avaient suivi la condamnation de M. Gouthe-Soulard.
«Il résulte de la lecture de ces documents, dit-il, qu’une partie des membres du clergé affichent la prétention d’être au-dessus des lois... Ils sont allés jusqu’à soutenir cette thèse que le ministre de la Justice, appliquant la loi à l’un d’eux, le tribunal devant lequel il comparaissait n’avait pas qualité pour le juger. Cette doctrine ne s’est jamais manifestée d’une manière aussi claire.
«Si les moyens que la loi met au service du Gouvernement ne suffisent pas pour faire respecter les droits de l’Etat, nous n’hésiterons pas à proposer aux Chambres les moyens complémentaires qui pourraient nous faire défaut.
«Je sais bien que, de ce côté-ci (la droite), on ne reconnaît pas la valeur des articles de lois auxquels je fais allusion. On affecte de séparer les lois organiques du Concordat. Je sais que cette prétention a été élevée et l’honorable M. Buffet me fait un signe d’assentiment qui semble indiquer que, sans doute, il partage cette opinion.
«M. Buffet.—Complètement!
«M. le Président du Conseil.—Eh bien! je déclare, quant à moi, que je la trouve renversante.
«... Les évêques sont, j’imagine, des citoyens français. Est-ce que les lois organiques ne sont pas des lois applicables comme les autres lois? Si ces lois répugnent à leur conscience, qu’ils ne sollicitent pas un siège épiscopal. Personne ne les y a contraints.
«Nous voulons vivre en paix; mais nous ne voulons pas être dupes.
«Le cabinet qui siège sur ces bancs ne croit pas avoir reçu le mandat, ni des Chambres ni du pays, 133 d’accomplir la séparation des Eglises et de l’Etat, ni de la préparer, mais nous avons reçu le mandat de faire respecter l’Etat, et si la séparation devait s’accomplir à la suite de l’agitation à laquelle je viens de faire allusion, la responsabilité en tomberait sur ses auteurs et non sur nous.»
Après le discours du Président du Conseil, on adopta l’ordre du jour suivant:
«Le Sénat, considérant que les manifestations récentes d’une partie du clergé pourraient compromettre la paix sociale et constituent une violation flagrante des droits de l’Etat,
«Confiant dans les déclarations du Gouvernement,
«Compte qu’il usera des pouvoirs dont il dispose ou qu’il croira nécessaire de demander au Parlement, afin d’imposer à tous le respect de la République et la soumission à ses lois, et passe à l’ordre du jour.»
Cet ordre du jour porte, entre autres signatures, celle de M. Ranc. Au cours de la séance, M. René Goblet avait affirmé ses préférences pour la séparation des Eglises et de l’Etat. Cette thèse fut également défendue, quelques jours plus tard, à la Chambre des députés, par M. Pichon, à l’occasion d’une interpellation de M. Hubbard.
L’orateur constate que, depuis le Syllabus, le clergé ultramontain n’a jamais cessé d’intervenir dans nos affaires intérieures. Le pape intervient directement par des brefs. Dans leurs mandements, les évêques invitent à voter pour les candidats catholiques. Dans un moment critique pour lui, le clergé conseille au maréchal de Mac-Mahon, dans le cas où il ne serait pas soutenu par le Sénat, «de pourvoir au salut de la France d’une autre manière. Il faut 134 faire un appel à la nation, après vous être assuré de l’armée». C’est la théorie du coup d’Etat. Ce qui importe à l’Eglise, ce n’est pas la tranquillité des Etats, mais le succès de sa doctrine, qui est celle du Syllabus.
Au cours de cette discussion, le principe de la séparation avait été nettement posé. Il l’avait été déjà d’ailleurs par M. de Freycinet, dans sa déclaration, après les élections de 1885. «L’intervention du clergé dans nos luttes politiques, et récemment encore dans les élections, disait-il, est pour les esprits sages le sujet de sérieuses préoccupations. Chacun a compris qu’une telle situation ne saurait se perpétuer et que le grave problème de la séparation de l’Eglise et de l’Etat ne tarderait pas à s’imposer irrésistiblement». Et, en 1881, M. Ferry, disait déjà: «Si nous voyons, aux élections prochaines, ce que nous avons vu à une époque toute récente, s’il se fait une collusion entre les préfets de la France et les ennemis de la République, alors nous demanderons la séparation; nous qui ne la voulons pas, nous vous dirons alors: l’heure est venue.»
Chaque fois que le problème se posait ainsi avec précision, la nécessité d’une loi préalable sur les associations apparaissait à l’esprit. C’est à Waldeck-Rousseau qu’il appartint de la faire voter.
C’est dans son discours de Toulouse, le 28 octobre 1900, que M. Waldeck-Rousseau exposa, pour la première fois, le problème avec une pleine lucidité.
Après avoir prévu que la loi nouvelle qu’il allait proposer aux Chambres aurait pour résultat de ne soumettre qu’au droit commun les associations, il ajoutait:
«Il s’agit ensuite, par la même loi, de faire face au péril qui naît du développement continu, dans 135 une société démocratique, d’un organisme qui, suivant une définition célèbre dont le mérite revient à nos anciens Parlements, «tend à introduire dans l’Etat, sous le voile spécieux d’un institut religieux, un corps politique dont le but est de parvenir d’abord à une indépendance absolue, et, successivement, à l’usurpation de toute autorité...»
«Je parle en homme qui n’est animé d’aucun esprit sectaire, mais simplement de l’esprit qui a dominé non seulement la politique de la Révolution, mais toute la politique historique de la France.»
Dans ce même discours, M. Waldeck-Rousseau avait fait allusion aux agitations politiques des moines. En janvier avait eu lieu, en effet, le procès des Assomptionnistes qui avait permis de constater l’intervention de cette congrégation militante dans les élections de 1898.
La congrégation fut dissoute comme illicite; et le lendemain du jour où elle était condamnée, le cardinal de Paris, M. Richard, allait rendre visite aux pères assomptionnistes.
Le Gouvernement lui demanda des explications et le blâma. Il supprima en même temps, les traitements de l’archevêque d’Aix, des évêques de Montpellier, Versailles, qui avaient écrit aux pères assomptionnistes des lettres de félicitations ou d’encouragement.
Comme on le voit, le clergé ultramontain n’avait pas abdiqué.
Le 31 janvier 1901, fut voté le premier article de la loi; elle devait être bientôt adoptée définitivement par les deux Chambres.
Le 3 octobre, expirait le délai imparti aux congrégations religieuses pour se conformer aux prescriptions de la nouvelle loi.
136
Sur 753 congrégations non autorisées (147 d’hommes et 606 de femmes), 53 congrégations d’hommes avaient sollicité leur autorisation, et 482 congrégations de femmes. Les jésuites s’étaient dispersés.
Quelque temps après, en juin 1902, M. Waldeck-Rousseau ayant abandonné le pouvoir, M. Combes recueillit la lourde responsabilité de faire respecter la loi nouvelle. Il le fit avec une énergie à laquelle il convient de rendre hommage, 321 voix l’approuvèrent à la Chambre lorsqu’il affirma que les ministres de son cabinet étaient «bien décidés à assurer la suprématie de la société laïque sur l’obédience monacale». Cette majorité lui fut fidèle et le bloc ne se déjugea point lorsqu’il s’agit de tirer de la loi de 1901 toutes les conséquences que nécessitait son application intégrale.
L’action cléricale se manifesta, à cette occasion, sous différentes formes. L’agitation gagna la rue. La Bretagne fut en proie aux excitations cléricales les plus violentes. Des officiers en service commandé refusèrent de procéder aux expulsions. Enfin, le 15 octobre, se produisit la manifestation traditionnelle de l’épiscopat ultramontain. Une pétition fut adressée par soixante-douze archevêques et évêques aux membres du Parlement pour les prier de se montrer favorables aux demandes d’autorisation formulées par certaines congrégations religieuses. C’était une nouvelle et flagrante violation du Concordat. Le Conseil des Ministres déféra comme d’abus au Conseil d’Etat cette pétition des membres de l’épiscopat. Puis le traitement de M. Perraud fut supprimé. L’année suivante, en avril et mai 1903, des moines furent accueillis dans les églises concordataires. Il y eut, à ce propos, des bagarres, notamment dans les églises d’Aubervilliers et de Belleville.
Le 19 mai, M. Combes dut répondre à une interpellation 137 sur «la légalité des circulaires par lesquelles était interdite la prédication dans les églises aux moines sécularisés.» Dans sa réponse à M. Gayraud, le Président du Conseil se demande si «le Concordat et les articles organiques, qui en sont le développement prévu et voulu, ne créent les obligations qu’à l’Etat, ou si leurs prescriptions s’imposent également au pouvoir ecclésiastique.»
«Tout le monde sait, ajoutait M. Combes, que l’Etat n’a à sa disposition que des armes insuffisantes pour garantir ses droits et les faire triompher.
«L’appel comme d’abus fait sourire, et, lorsqu’il est réclamé par le Ministre des Cultes pour l’honneur des principes, il lui attire le plus souvent, de la part de l’ecclésiastique incriminé, une belle protestation publique, à laquelle nombre de ses collègues s’empressent de s’associer.
«La suppression du traitement est d’un mode moins solennel et d’un usage plus efficace, comme tous les coups qui frappent à la bourse. La généralité du bas clergé la redoute. Pour le haut clergé, c’est un jeu de la braver, quand ce n’est pas un calcul prémédité, en raison des avantages pécuniaires qu’il en retire, sous forme de souscriptions et d’offrandes. Reste la prison sur la paille très peu humide... On peut se demander seulement s’il serait sage d’y recourir systématiquement.
«... Quant à nous, déclarait M. Combes, puisqu’on nous demande notre sentiment, nous estimons préférable de faire l’opinion publique juge de la conduite de l’épiscopat. Notre raison est que les rapports entre l’Etat et l’Eglise catholique sont entrés, depuis quelque temps, dans une phase nouvelle.»
Le Président du Conseil montre comment la procédure de l’entente préalable, imposée par le pape Pie IX et le cardinal Antonelli à la faiblesse des 138 Ministres de la République, a permis au pouvoir ecclésiastique d’installer à la tête de la plupart des diocèses de France les candidats de ses préférences par le refus d’agrément dont il a frappé les candidats du pouvoir civil. Alors de constantes violations du Concordat se sont produites, si bien que l’opinion publique se demande ce qu’elle doit augurer d’un tel spectacle.
«Pour peu que le spectacle se prolonge, elle sera amenée à rejeter sur le Concordat la responsabilité d’un ordre de chose, où les écarts de conduite et les intempérances du clergé s’enhardissent par l’insuffisance même des moyens de répression. Puis, la logique aidant, l’opinion publique inclinera forcément à conclure que le Concordat de 1801 a fait son temps, et que le seul remède au désordre moral dont il s’agit ne peut se trouver que dans l’une ou l’autre de ces solutions: ou bien la séparation de l’Eglise et de l’Etat suivant une formule qui fera l’Eglise libre sous la souveraineté de l’Etat, ou bien une revision sérieuse et efficace des règlements de police jugés nécessaires pour le maintien de la tranquillité publique par l’auteur même du Concordat.»
A la suite de ce discours, on se demanda vers quelle solution penchait alors M. Combes. Dans les discours qu’il prononça ensuite aux banquets démocratiques de Marseille, de Tréguier et de Clermont-Ferrand, il parle de légiférer sur les rapports de l’Eglise et de l’Etat, mais sans autre précision. Sans doute, il souhaitait une transformation prochaine des liens concordataires entre le Vatican et la France; mais se fera-t-elle dans le sens de la liberté pour les Eglises ou dans le sens d’une aggravation des articles organiques?
Ce n’est qu’au banquet d’Auxerre que M. Emile Combes se prononça ouvertement en faveur de la séparation 139 des Eglises et de l’Etat. Une commission parlementaire s’était constituée à la Chambre et un projet de loi était résulté de ses travaux. De plus en plus, au sein du Parlement, une opinion se formait, nettement favorable au principe de la séparation. M. Combes vit une indication assez nette et il collabora même, on le verra, par le dépôt d’un projet de loi, à l’œuvre qui s’élaborait dans le sein de votre Commission.
Divers incidents nouveaux, et des plus graves, s’étaient d’ailleurs produits, qui mettaient à l’ordre du jour, d’une manière particulièrement pressante, la question des rapports de l’Eglise et de l’Etat. A l’occasion de la loi qu’avait déposée M. Combes dans le but de supprimer l’enseignement congréganiste, une véritable rébellion des cardinaux s’était produite. Leur protestation prit la forme d’une lettre au Président de la République. Elle était nouvelle, elle était imprévue. Sans doute, elle était en contradiction avec l’esprit même du Concordat, mais nul article ne lui était applicable. La chose finit ainsi qu’il devait arriver: au Conseil d’Etat.
Un fait plus grave, qui acquit une extrême importance par les événements qui s’ensuivirent, fut la protestation que le pape, récemment élu, Pie X, adressa aux chancelleries à l’occasion de la visite que le Président de la République venait de faire au roi d’Italie. En France, on fut presque unanime à trouver intolérable cette prétention du Saint-Siège à porter un jugement, sur notre politique extérieure. D’ailleurs, une phrase contenue dans les exemplaires reçus par les puissances catholiques, et dont le texte fut révélé par le journal l’Humanité, ne se trouvait pas dans la note qui avait été adressée au quai d’Orsay. Cette phrase laissait entendre que la même attitude de la part des autres puissances catholiques provoquerait 140 le rappel immédiat du nonce. Ce document a sa place ici, car il aura exercé sur les événements une influence décisive.
Des Chambres du Vatican,
28 avril 1904.
La venue à Rome en forme officielle de M. Loubet, Président de la République française, pour rendre visite à Victor-Emmanuel III, a été un événement de si exceptionnelle gravité que le Saint-Siège ne peut le laisser passer sans appeler sur lui la plus sérieuse attention du Gouvernement que Votre Excellence représente.
Il est à peine nécessaire de rappeler que les chefs d’Etats catholiques, liés comme tels par des liens spéciaux au Pasteur Suprême de l’Eglise, ont le devoir d’user vis-à-vis de Lui, des plus grands égards, comparativement aux Souverains des Etats non catholiques, en ce qui concerne sa dignité, son indépendance et ses droits imprescriptibles. Ce devoir, reconnu jusqu’ici et observé par tous, nonobstant les plus graves raisons de politique, d’alliance ou de parenté, incombait d’autant plus au premier Magistrat de la République française, qui, sans avoir aucun de ces motifs spéciaux, préside en revanche une nation qui est unie par les rapports traditionnels les plus étroits, avec le Pontificat Romain, jouit, en vertu d’un pacte bilatéral avec le Saint-Siège, de privilèges signalés, a une large représentation dans le Sacré-Collège des Cardinaux, et par suite dans le Gouvernement de l’Eglise universelle, et possède par singulière faveur le protectorat des intérêts catholiques en Orient. Par suite, si quelque Chef de nation catholique infligeait une grave offense au Souverain Pontife en venant prêter hommage à Rome, c’est-à-dire au lieu même du Siège pontifical et dans le même palais apostolique, à celui 141 qui contre tout droit détient sa souveraineté civile et en entrave la liberté nécessaire et l’indépendance, cette offense a été d’autant plus grande de la part de Monsieur Loubet; et si, malgré cela, le Nonce Pontifical est resté à Paris, cela est dû uniquement à de très graves motifs d’ordre et de nature en tout point spéciaux. La déclaration faite par M. Delcassé au Parlement français ne peut en changer le caractère ni la portée,—déclaration suivant laquelle le fait de rendre visite n’impliquait aucune intention hostile au Saint-Siège; car l’offense est intrinsèque à l’acte d’autant plus que le Saint-Siège n’avait pas manqué d’en prévenir ce même Gouvernement.
Et l’opinion publique, tant en France qu’en Italie, n’a pas manqué d’apercevoir le caractère offensif de cette visite, recherchée intentionnellement par le Gouvernement italien dans le but d’obtenir par là l’affaiblissement des droits du Saint-Siège et l’offense faite à sa dignité, droits et dignité que celui-ci tient pour son devoir principal de protéger et de défendre dans l’intérêt même des catholiques du monde entier.
Afin qu’un fait aussi douloureux ne puisse constituer un précédent quelconque, le Saint-Siège s’est vu obligé d’émettre contre lui les protestations les plus formelles et les plus explicites, et le soussigné Cardinal, secrétaire d’Etat, par ordre de Sa Sainteté, en informe par la présente, Votre Excellence, en vous priant de vouloir porter le contenu de la présente Note à la connaissance du Gouvernement, de...
Il saisit en même temps cette occasion de confirmer à Votre Excellence les assurances... etc...
Cardinal MERRY DEL VAL.
Le résultat de cette protestation incorrecte fut le rappel de notre ambassadeur du Vatican.
Vers le même moment, des plaintes qui avaient 142 autrefois été portées contre deux évêques concordataires, MM. Le Nordez et Geay,—le premier du diocèse de Dijon, le second de celui de Laval,—eurent des suites. Les deux prélats furent sommés de comparaître devant le Saint-Office. Ils opposèrent quelque résistance et finalement, ayant reçu une lettre du secrétaire d’Etat Merry del Val leur enjoignant, sous menaces des plus graves sanctions canoniques, d’être à Rome dans la quinzaine, ils la remirent à leur chef hiérarchique, M. Dumay, directeur des cultes.
Il y avait là, de la part du Saint-Siège, une nouvelle violation du Concordat, une atteinte des plus graves au droit de l’Etat. Le Ministre des Cultes refusa aux deux évêques l’autorisation de comparaître devant un pouvoir étranger. Ceux-ci tentèrent d’abord de résister à Rome, puis sentant finalement leur position intenable dans leurs diocèses, ils les quittèrent un jour et allèrent se soumettre à l’autorité du Saint-Siège, en implorant sa pitié. Le Gouvernement ne put que supprimer leurs traitements.
Mais il continua à les considérer comme évêques, bien qu’ils eussent été destitués canoniquement par le pape.
La situation ne s’aggrava point en ce qui concerne M. Geay; il n’en fut pas de même dans la circonscription de M. Le Nordez. Le pouvoir y était, en réalité, exercé par deux vicaires généraux, considérés comme les représentants de l’évêque. Le Ministre des Cultes adressait sa correspondance à M. l’évêque de Dijon et les vicaires généraux répondaient, en empruntant la signature épiscopale. La fiction subsistait.
Mais les deux vicaires s’avisèrent de prendre des mesures contraires à l’esprit qui avait dicté auparavant les actes de M. Le Nordez. Celui-ci, se souvenant 143 alors qu’il était encore évêque, et faisant acte du pouvoir administratif, les révoqua.
M. Combes ne pouvait qu’approuver cette résolution.
Quelques jours après, M. Bienvenu Martin devenait Ministre des Cultes. C’est lui que M. Morlot interpella sur cette situation bizarre.
Le nouveau Ministre des Cultes fit des déclarations très nettes en faveur de la séparation et la majorité républicaine de la Chambre s’y associa[5]. Depuis, l’évêque de Dijon a désigné au Gouvernement deux vicaires généraux de son choix. Ils eurent l’agrément du Ministre des Cultes, et Rome, soudain conciliante, voulut bien les agréer aussi, accordant pour un instant à M. Le Nordez des pouvoirs qu’elle lui avait contestés.
Les rapports de la République avec Rome en sont là, au moment même où va s’ouvrir devant vous la discussion sur la séparation des Eglises et de l’Etat.
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Chaque fois qu’au cours des chapitres d’histoire qui précèdent nous avons rencontré un chiffre représentant les charges qui résultent pour l’Etat de son union concordataire avec l’Eglise romaine, nous nous sommes fait une obligation de le noter.
Il nous paraît cependant utile, au risque de faire quelques répétitions, de donner ici, dans une brève notice, un état des divers budgets des cultes, depuis le Concordat de 1801; ne serait-ce que pour répondre par une statistique victorieuse à ceux qui prétendent que la France républicaine est demeurée dans la limite stricte des obligations budgétaires qu’elle a souscrites envers l’Eglise.
M. Clemenceau, s’appuyant sur les chiffres fournis dans son ouvrage par M. Charles Jourdain[6] et sur la statistique dressée par M. Nicolas[7] avait déjà fait cet utile travail qui fut publié en articles dans le journal l’Aurore.
Nous nous sommes reportés à ces articles, aux sources qu’ils signalent, ainsi qu’à l’article inséré par M. Léon Say, dans son Dictionnaire des Finances.
Il résulte de nos recherches que le budget des cultes consenti par la troisième République, est trois fois supérieur au premier budget concordataire, qui est celui de 1810. Les années précédentes, le Concordat n’avait pas été appliqué dans sa rigueur et l’on connut 145 le budget insignifiant de 1802 (1.258.197 francs) et celui de 1804 (4 millions environ).
Le premier budget, établi suivant les obligations concordataires, se répartissait ainsi:
Chapitre premier. — Service intérieur: traitement du ministre, des employés et frais de bureau | 345.000 fr. |
Chap. 2. — Traitement des ministres des cultes en activité (haut clergé) | 1.480.234 fr. |
Chap. 3. — Curés et desservants | 10.660.000 fr. |
Chap. 4. — Pensions accordées par décrets impériaux | 156.000 fr. |
Chap. 5. — Séminaires | 700.000 fr. |
Chap. 6. — Dépenses diverses | 535.530 fr. |
Chap. 7. — Dépenses accidentelles | 493.236 fr. |
Total | 14.370.000 fr. |
Aux termes du Concordat, l’Etat ne devait assurer que le traitement des archevêques et des évêques fixé, pour les archevêques, à 15.000 francs, et, pour les évêques à 10.000 francs, et celui des curés proprement dits, qui étaient divisés en deux classes; dans l’une, on touchait 1.500 francs, dans l’autre, 1.000 francs.
Il n’était rien alloué aux autres titulaires ecclésiastiques. Le traitement des vicaires généraux et des chanoines restait à la charge des budgets locaux.
Mais, dans la suite—première atteinte au Concordat—des dépenses furent mises à la charge de l’Etat.
Un arrêté consulaire du 14 ventôse an XI, assure à l’un des vicaires généraux de chaque archevêché 2.000 francs et 1.500 francs aux deux autres, ainsi qu’à tous les vicaires généraux reconnus des évêchés.
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En 1819, ces traitements seront portés à 4.000 francs, 3.000 fr. et 2.000 francs, puis augmentés encore de 500 francs chacun, à partir de 1853.
Le même arrêté consulaire de l’an XI allouait 1.000 francs aux chanoines, dont le traitement fut également augmenté en 1819: ceux de Paris eurent 2.400 francs; ceux des départements 1.500 fr. On alloua depuis à ces derniers 100 francs de plus.
Notons que ces nouvelles obligations consenties par l’Etat n’empêchèrent point les départements et les grandes villes de voter des suppléments en faveur des vicaires généraux et des chanoines. Ils en ont joui jusqu’à ces dernières années.
Malgré les nouvelles charges qui résultèrent pour l’Etat de ces nouveaux traitements, le budget des cultes atteignait à peine, en 1817, la moitié de ce qu’il est aujourd’hui. Il a fallu l’Empire et le Gouvernement de l’ordre moral pour lui donner l’extension considérable qu’on lui a vu prendre.
On va voir, d’après les chiffres de M. Léon Say, quelle progression il a subi de 1860 à 1875. On notera ensuite un mouvement décroissant dû à ce que les gouvernements devenant démocratiques se sont refusés de plus en plus à accorder le concours de l’Etat au culte catholique pour l’entretien des bourses dans les séminaires et pour les secours aux communautés religieuses.
Voici la statistique de M. Léon Say:
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ANNÉES. | CARDINAUX archevêques et évêques. Chapitre de Saint-Denis, chapitre de Sainte - Geneviève. |
MEMBRES des chapitres et clergé paroissial. |
BOURSES des séminaires et secours. |
SERVICE INTÉRIEUR des édifices diocésains. Travaux d’entretien et réparations. |
TOTAL. |
fr. c. | fr. c. | fr. c. | fr. c. | fr. c. | |
1860 | 1.698.975 78 | 35.876.588 78 | 2.007.561 91 | 8.595.493 64 | 48.178.620 11 |
1870 | 1.895.452 36 | 38.488.749 34 | 2.139.550 19 | 3.110.793 89 | 45.634.545 78 |
1870 | 1.915.896 69 | 39.271.305 20 | 2.086.908 57 | 2.932.138 70 | 46.206.249 16 |
1875 | 1.983.607 54 | 39.339.597 19 | 2.157.943 32 | 8.707.307 20 | 52.188.455 25 |
1880 | 1.449.009 12 | 39.076.981 27 | 2.021.647 02 | 7.609.226 27 | 50.156.863 68 |
1885 | 921.712 76 | 38.083.359 59 | 903.294 27 | 4.291.990 93 | 44.200.357 35 |
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Les chiffres empruntés par M. Clemenceau aux deux sources que nous avons indiquées sont assez sensiblement plus élevés, bien qu’ils permettent de noter une progression semblable. On trouverait la raison de cette différence, en analysant les chapitres qu’ils représentent. Nous les donnons ici tels qu’ils se trouvent dans les articles de M. Clemenceau:
En 1817, le budget des cultes atteint | 21.900.364 fr. |
— 1820 — — | 24.711.777 fr. |
— 1823 — — | 26.677.792 fr. |
— 1826 — — | 30.584.581 fr. |
— 1826 — — | 30.584.581 fr. |
— 1830 — — | 36.513.573 fr. |
— 1831 (monarchie de juillet), le budget des cultes atteint | 34.624.789 fr. |
En 1843, le budget des cultes atteint | 37.687.694 fr. |
— 1846 — — | 38.170.855 fr. |
— 1847 — — | 38.970.855 fr. |
— 1848 — — | 40 millions environ. |
— 1853 — — | 44.498.699 fr. |
— 1855 — — | 45.580.880 fr. |
— 1856 — — | 47.422.136 fr. |
— 1860 — — | 50.088.543 fr. |
— 1867 — — | 54.035.667 fr. |
— 1869 — — | 54.532.936 fr. |
— 1871 — — | 49.963.526 fr. |
— 1872 — — | 53.216.748 fr. |
— 1876 — — | 53.727.995 fr. |
— 1880 — — | 53.443.666 fr. |
— 1882 — — | 53.365.866 fr. |
— 1884 — — | 51.407.006 fr. |
— 1886 — — | 46.348.763 fr. |
— 1887 — — | 45.649.563 fr. |
Depuis cette époque, le budget des cultes s’est maintenu à ce taux approximatif, que différents rapporteurs du budget des cultes, tels que MM. Georges Leygues et Lasserre, ont donné comme étant la conséquence inévitable des obligations concordataires.
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Une loi de séparation des Eglises et de l’Etat ne peut être vraiment équitable qu’à la condition de respecter la constitution intime de toutes les Eglises et de leur permettre, au lendemain de l’abrogation du budget des cultes, une organisation telle qu’elles puissent réunir les ressources nécessaires à la continuation de leur œuvre. Briser leurs cadres ecclésiastiques, les forcer à adopter un régime contraire à leurs traditions et à leurs besoins, serait une mesure d’oppression. Il est donc au plus haut point important de connaître les principes et la forme ecclésiastique de chaque confession religieuse.
En ce qui concerne les Eglises protestantes, notons, dès le début, les caractères généraux et la situation de fait qui les différencient toutes de l’Eglise catholique romaine.
1o L’Eglise catholique a une constitution monarchique. Un seul y commande, le pape, qui ne tient ses pouvoirs que de Dieu et les délègue au clergé, maître absolu en matière religieuse.
Les Eglises protestantes françaises ont une constitution démocratique et parlementaire. C’est le peuple qui choisit ses représentants et qui, par eux, nomme son clergé. La prédominance ou l’égalité numérique de l’élément laïque est assurée dans tous les corps directeurs et dans toutes les assemblées délibérantes;
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2o Le centre et la tête de l’Eglise catholique est à Rome.
Les Eglises protestantes sont strictement nationales.
3o Les circonscriptions ecclésiastiques de l’Eglise catholique sont indépendantes les unes des autres et ne relèvent que du Vatican. L’archevêque de Paris n’a, par exemple, aucun pouvoir sur l’archevêque de Lyon. Chaque archi-diocèse a son autonomie complète.
Les circonscriptions ecclésiastiques protestantes dépendent les unes des autres. Le système synodal, qui est celui de la plupart de ces Eglises et des plus importantes, a pour base la paroisse, pour couronnement le synode national, ayant autorité sur toutes les paroisses. Aucun groupe régional n’a et ne peut avoir une vie absolument indépendante.
4o L’Eglise catholique compte «nominalement» plus de 37 millions de fidèles, uniformément répartis sur le territoire français.
Les Eglises protestantes ont environ 650.000 fidèles très inégalement dispersés dans toute la France. D’après le recensement officiel de 1872, le dernier qui ait tenu compte des opinions religieuses, un seul département compte plus de 100.000 protestants;
12 départements en comptent de | 10.000 à 47.000. |
16 — — | 4.000 à 10.000. |
23 — — | 1.000 à 3.000. |
35 — — | 17 à 973. |
Ceci dit d’une façon générale, il n’est peut-être pas inutile de rappeler, à traits rapides, comment le culte protestant a été introduit en France, dans quelles circonstances et sur quelles bases ses Eglises s’y sont constituées.
La réforme religieuse du XVIe siècle avait trouvé, dans notre pays, d’ardents défenseurs. Les adeptes des 151 idées nouvelles n’envisagèrent pas, il est vrai, à l’origine, la possibilité comme la nécessité d’une rupture avec l’Eglise romaine, ils étaient plutôt disposés à croire que cette Eglise accepterait les réformes qu’ils réclamaient. Un long travail de préparation précéda l’organisation définitive du nouveau culte. Le mouvement réformateur trouva en Jean Calvin l’homme qui, par la puissance du génie, la netteté de l’esprit et le labeur infatigable, devait le faire aboutir à la création de ces Eglises réformées de France, qui furent souvent appelées, du nom de leur célèbre fondateur: Eglises calvinistes.
Ce fut, en effet, sur le modèle de la première Eglise réformée française, créée par Calvin en 1538 à Strasbourg, devenu l’asile des persécutés, que fut fondée à Meaux, en 1546, la première Eglise réformée de France. Dix ans plus tard, l’Eglise de Paris était dressée, suivant l’expression du temps, et si rapide furent les progrès de la réforme religieuse que le 25 mai 1559 se réunissait dans cette ville le premier synode national où 72 Eglises étaient représentées.
Le souci de la défense des intérêts religieux, le devoir de faire connaître leurs doctrines, la nécessité d’une organisation ecclésiastique étaient la justification de cette assemblée dont les membres se réunissaient au milieu des feux de la persécution.
Dans ce synode furent posées les bases de cette organisation presbytérienne synodale—c’est-à-dire gouvernement de l’Eglise par des prêtres et des anciens—à laquelle les réformés devaient rester invariablement fidèles et qu’ils considèrent encore aujourd’hui comme la condition même de leur existence. Il sera intéressant d’en exposer les principes tels qu’ils furent par la suite définitivement établis, alors que les Eglises réformées étaient sous le régime de l’Edit de Nantes.
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A la base se trouvait l’Eglise desservie par un ou plusieurs pasteurs ou ministres, nommés par le consistoire, conseil des anciens, élus «par le peuple». Les ministres devaient être présentés à l’Eglise avant d’être nommés, le Consistoire devant examiner et juger les protestations qui pourraient s’élever. «Le silence du peuple était tenu pour exprès consentement.» Chaque Eglise avait sa vie particulière et dans chaque Eglise nul pasteur ne pouvait prétendre à un rang plus élevé que celui de ses collègues et nulle Eglise ne pouvait «prétendre domination» sur une autre Eglise. Cependant, comme des intérêts communs existaient entre elles, des liens étroits les unissaient dans une gradation sagement étudiée.
C’est ainsi que plusieurs Eglises d’une même province formaient un colloque, composé des divers pasteurs de ces Eglises accompagnés d’un «ancien» désigné par le consistoire. Le colloque était appelé à juger en première instance des différends qui s’élevaient dans les Eglises qui les composaient.
Les Eglises d’une même province se réunissaient en un synode appelé provincial, auquel chaque Eglise députait un pasteur et un ancien. Le synode réglait toutes les affaires ressortissant de la province, à l’exception de certaines questions et particulièrement les questions de doctrines sur lesquelles le synode national statuait définitivement.
Cette assemblée suprême était composée de députés laïques et ecclésiastiques. Chaque synode provincial élisait, dans son sein, deux pasteurs et deux anciens et autant de membres suppléants, chargés de représenter les intérêts de la province au synode national qui s’appela ainsi, dans l’origine, et à travers les siècles garda toujours ce caractère.
On peut dire que, dans ces temps anciens, les Eglises réformées réalisèrent en pratique, surtout après la 153 fin des guerres de religion, où le protestantisme cessa d’être un parti politique, le principe «de l’Eglise libre dans l’Etat souverain». Sans doute, elles eurent des écoles, des collèges, des académies, mais elles obéissaient à une nécessité que justifiait le caractère exclusivement catholique de tous les établissements d’instruction de l’ancien régime. Le caractère égalitaire et démocratique de ce gouvernement ecclésiastique, provenant de l’élection populaire et se maintenant par la libre discussion, suffit à expliquer l’invincible attachement qu’il a toujours inspiré aux protestants et leur désir unanime de le conserver.
L’Eglise réformée était en fait séparée de l’Etat, car si Henri IV, après l’Edit de Nantes, accorda aux Eglises une subvention «des deniers royaux», il ne s’en réserva pas le contrôle. Le synode national était chargé d’en assurer la distribution, du reste fort minime, car en 1598 chaque pasteur ne reçut que 52 écus et 37 sols. Louis XIII maintint cette subvention pendant les premières années de son règne; en 1628 elle cessa d’être payée.
Le clergé catholique n’avait accepté que contraint et forcé l’Edit de Nantes qui assurait la liberté du culte aux réformés. Avec une persévérance que rien ne lassa, il considéra que «la destruction de l’hérésie était sa principale affaire»[8]. Pendant trente ans (1655-1685), les assemblées générales du clergé de France ne cessèrent de demander et d’obtenir du gouvernement de Louis XIV des mesures persécutrices qui devaient aboutir à la révocation de l’Edit de Nantes (18 octobre 1685).
Par une mesure aussi injuste qu’elle était impolitique, les Eglises réformées de France furent condamnées 154 à disparaître. Tous les pasteurs furent exilés, partout les temples furent démolis, tous les biens des Eglises furent donnés aux hôpitaux catholiques et plus de cinq cent mille Français durent s’exiler pour sauvegarder la liberté de leur conscience. Les dragonnades dévastèrent les provinces protestantes et par milliers furent jetés dans les prisons et les bagnes les réformés qui ne voulurent pas accepter «la religion du roi». La persécution ne respecta pas même la mort et, sans respect de l’âge ou du sexe, les cadavres des réformés furent souvent jetés à la voirie. On comprend qu’un historien ait pu écrire: «C’est une date à marquer au tableau noir des grands désastres nationaux, des déroutes humiliantes, des traités ruineux.» (A. Sorel.)
Il pouvait sembler que les Eglises réformées ne se relèveraient jamais de leurs ruines; mais trente années plus tard, un jeune homme âgé de vingt ans, Antoine Court, qui a mérité d’être appelé le restaurateur du protestantisme en France, réunissait le 21 août 1715 quelques réformés, restés fidèles à leur foi malgré les persécutions, et reprenait la tradition synodale. Les Eglises se reconstituèrent lentement au milieu de dangers sans nombre, pasteurs et fidèles étant sans cesse sous la menace de la mort ou du bagne, et de toute manière dans la condition la plus misérable du monde, car une législation odieuse refusait l’état civil aux protestants, faisant de leur mariage un concubinage et condamnant leurs enfants à la bâtardise.
A la veille de la Révolution française, lorsque fut promulgué l’édit de Tolérance de 1787 qui ne rendait aux protestants «que ce que le droit et la nature ne permettaient pas de leur refuser», c’est-à-dire l’état civil, la réorganisation des Eglises était un fait accompli, alors même que le culte ne se célébrât, suivant une expression alors consacrée, qu’au désert, 155 c’est-à-dire en plein air, la loi interdisant tout culte public aux réformés. Pendant tout le XVIIIe siècle, les Eglises réformées avaient été non seulement séparées de l’Etat, mais surtout persécutées par l’Etat.
Le 21 août 1789, les Etats généraux rendirent le célèbre décret ordonnant que nul ne devait être inquiété pour ses opinions, même religieuses, et posèrent ainsi les principes constitutifs de la liberté des cultes. Mais en 1793 les Eglises réformées subirent, comme l’Eglise catholique une profonde crise qui amena la suspension du culte pendant plusieurs années. Lorsqu’elle eut pris fin, les protestants voulurent, une fois de plus, réorganiser leurs Eglises et, au moment où le Premier Consul se préparait à signer le Concordat, quelques-uns de leurs représentants les plus connus demandèrent leur union avec l’Etat. Telle fut l’origine de la loi du 18 germinal an X, qui devait régler si longtemps les rapports entre les Eglises protestantes et l’Etat. Avec la loi de germinal, commençait une nouvelle période de l’histoire du protestantisme français. Si la liberté du culte était reconnue et proclamée, si même son clergé, naguère persécuté, recevait un salaire, il n’en était pas moins vrai qu’elle n’avait plus le privilège d’être Eglise libre, maîtresse de ses destinées. Le principe de l’élection populaire avait disparu, les intérêts religieux étaient confiés aux plus imposés au rôle des contributions directes, l’égalité entre les ministres du culte n’existait plus, le plus âgé des pasteurs étant appelé à la présidence du consistoire devenu une création purement arbitraire. Si le synode provincial était encore maintenu, sa convocation était rendue si difficile qu’en fait il était impossible de le réunir. Quant au synode national, la loi du 18 germinal n’en faisait aucune mention.
Fidèles à toutes leurs traditions, les protestants 156 français n’ont pas cessé, au cours du siècle dernier, de demander une revision profonde de la loi de germinal, si contraire à l’esprit démocratique de la Réforme. Le décret-loi du 26 mars 1852 rétablit le suffrage paroissial et créa un conseil central des Eglises réformées, dont les membres nommés d’abord par le Gouvernement, devaient par la suite être élus par les consistoires. Il semblait qu’ainsi dût être comblée la grave lacune qui laissait les Eglises réformées sans représentation autorisée de leurs intérêts auprès du Gouvernement, les consistoires qui les représentaient vivant dans une complète indépendance les uns des autres.
Mais rien ne devait égaler la ténacité des protestants dans la revendication de droits qu’ils estimaient indiscutables. En 1848, ils provoquèrent la réunion d’un synode général, mais sans l’autorisation du Gouvernement. Sa tâche fut de procéder à une revision de la loi de germinal. Après la guerre de 1870, cédant à leurs instances, M. Thiers, le 20 septembre 1871, rendait le décret qui convoquait les synodes provinciaux pour la nomination de leurs délégués au synode national qui se réunit à Paris le 6 juin 1872.
L’histoire du protestantisme français montre donc, d’une manière évidente, que son organisation ecclésiastique, à l’abri de toute influence étrangère, exige pour être complète, le fonctionnement régulier des synodes qui doivent être la représentation de toutes les Eglises réformées de la France. Limité à une action exclusivement religieuse, étranger, par cela même, aux questions politiques, le fonctionnement du synode national, loin d’être un danger, présente au contraire des garanties d’ordre, en raison du rôle d’arbitre qui lui est dévolu. Aussi rien ne paraît plus justifié que de rendre possible, par un dispositif de 157 la loi, la convocation de ces assemblées religieuses, sans lesquelles, comme le disait, en 1659, le modérateur du synode national de Loudun, «la religion protestante ne saurait subsister».
Quant à la séparation de l’Eglise et de l’Etat, on ne saurait oublier qu’elle a trouvé des défenseurs éloquents dans les Eglises réformées, longtemps avant que la question se posât devant l’opinion publique. Dès 1829, le pasteur Samuel Vincent écrivait dans les Vues sur le protestantisme: «Je suis fortement convaincu que la séparation finale de l’Eglise et de l’Etat doit se réaliser un jour... Le changement sera sensible, sans doute, et beaucoup d’intérêts privés pourront en être lésés, mais le protestantisme n’a rien à craindre. La liberté sera pour lui la force et la vie, et c’est à ce prix peut-être qu’il peut voir s’accomplir les destinées que l’avenir lui prépare». Aussi demandait-il déjà l’abrogation du trop célèbre article du Code pénal, relatif aux associations de plus de vingt personnes. «Il respire, disait-il, la jalousie et le despotisme, il tient en réserve la persécution pour tout mouvement de l’esprit; il affranchit vingt personnes, la charte parle à tous les Français». Mais nulle influence ne peut être comparée à celle qu’exerça et qu’exerce toujours le penseur Vinet dont on peut dire qu’il fut le théoricien de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, dans les Eglises protestantes de langue française. «Aucune religion a-t-il écrit, n’est digne du nom de religion si elle ne dit: «Mon règne n’est pas de ce monde». Aucune religion n’est une religion si elle se propose l’alliance du pouvoir civil comme moyen ou comme but.»
Conséquent avec ses principes, Vinet avait été l’un des fondateurs de l’Eglise libre du canton de Vaud: Son exemple devait trouver des imitateurs en France. Après la révolution de Juillet, quelques 158 Eglises s’étaient fondées, ne se rattachant pas aux Eglises officielles. Le synode de 1848 amena une scission plus profonde, car, par suite de son refus de promulguer une confession de foi, les dissidents convoquèrent un synode constituant des nouvelles Eglises le 20 août 1849, sous la présidence du pasteur Frédéric Monod, où treize Eglises constituées et dix-huit en formation furent représentées. Les nouvelles Eglises adoptèrent l’organisation presbytérienne synodale qu’elles ont toujours fidèlement maintenue et prirent comme dénomination le titre d’Union des Eglises évangéliques libres de France. Elles ont réalisé depuis cette époque, de la manière la plus complète, le principe de la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Avoir pris courageusement l’initiative d’une aussi grande réforme est un titre d’honneur pour ces Eglises qui malgré leur petit nombre, une cinquantaine, ont donné un grand exemple. Il est impossible d’oublier qu’Edmond de Pressensé, disciple de Vinet, qui fut au cours de sa carrière politique le partisan si résolu, le défenseur si autorisé de la séparation, était l’un des pasteurs de cette Eglise libre[9].
Ce mouvement séparatif ne s’est pas limité à l’union des Eglises évangéliques libres; il s’est produit au sein même des Eglises réformées et a abouti à la formation des communautés indépendantes[10] de l’Etat, mais rattachées officieusement aux Eglises réformées. Il est nécessaire, en effet, de 159 faire remarquer qu’à côté de l’organisation administrative qui régit les rapports des Eglises protestantes et de l’Etat s’est constituée, depuis un quart de siècle, une double organisation de caractère purement officieux à laquelle se rattachent les deux grandes fractions qui se partagent le protestantisme français. Elles reproduisent l’une et l’autre, sous des noms divers, le type consacré des Eglises de la Réforme française. On peut y voir une préparation de la séparation; c’est à ce titre qu’il n’était pas inutile d’en faire mention; mais l’Etat est toujours demeuré étranger à ces organisations particulières.
D’autres Eglises existent, du type congrégationaliste, c’est-à-dire séparées de l’Etat, ne se rattachant à aucune organisation et ne dépendant que d’elles-mêmes. Elles sont très peu nombreuses et se trouvent sur le littoral de la Méditerranée, à Nice, Menton, Cannes, Hyères, Saint-Raphaël, Antibes.
Il en est de même des Eglises baptistes, qui se groupent en associations régionales du Nord, de l’Ouest, de l’Est, et du Midi.
Mention doit aussi être faite de l’Eglise évangélique méthodiste de France, dont l’organisation se rapproche de celles des Eglises presbytériennes synodales.
Les chiffres qui suivent donneront une indication à peu près exacte sur la situation et les forces respectives des diverses Eglises protestantes en France à l’heure actuelle:
L’Eglise réformée de France comprend 101 consistoires dont dépendent 534 paroisses. Pour les desservir existent 639 places de pasteurs ainsi réparties:
12 places hors classe Paris à | 3.000 fr. |
100 places de 1re classe à | 2.200 fr. |
91 places de 2e classe à | 2.000 fr. |
427 places de 3e classe à | 1.800 fr. |
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Les 101 consistoires sont répartis en 21 circonscriptions synodales formant chacune un synode provincial.
Le synode national est composé des délégués laïques et ecclésiastiques élus par chaque synode provincial.
Le synode national n’a pas été réuni depuis l’année 1873.
L’Église réformée possède, d’après un rapport établi en 1899, 887 temples ou oratoires et 162 presbytères, 120 temples appartiennent aux conseils presbytéraux, 50 aux consistoires, 325 aux communes, 8 à l’Etat, 20 à des particuliers. La propriété de 39 est contestée. Les oratoires appartiennent, 61 aux conseils presbytéraux, 78 aux consistoires, 38 aux communes, 6 à l’Etat, 84 à des particuliers, 2 aux départements, et 36 sont contestés.
Quant aux presbytères, voici leur répartition:
23 aux conseils presbytéraux, 16 aux consistoires, 98 aux communes, 1 à l’Etat, 20 à des particuliers, 4 dont la propriété n’est pas déterminée.
Ces chiffres sont exacts à quelques unités près, quelques temples et presbytères ayant été construits depuis cette époque (1899).
L’Eglise réformée possède deux facultés de théologie, l’une à Montauban, l’autre à Paris, celle-ci commune aux réformés et aux luthériens. Le budget de ces facultés dépend du Ministère de l’Instruction publique.
La population des Eglises réformées ne peut être donnée que d’une manière approximative, mais elle peut être évaluée à 550.000, ce chiffre étant considéré comme un minimum. Les centres de population protestante sont dans le Gard, l’Ardèche, la Drôme, la Lozère, les Deux-Sèvres, la Seine, Tarn-et-Garonne, etc. Bordeaux, Lyon, Marseille, Nancy, Lille, Le Havre 161 forment d’importantes Eglises. Au 25 novembre 1904, il n’y avait que neuf places vacantes dans l’Eglise réformée.
L’Eglise évangélique de la confession d’Augsbourg, désignée souvent sous le nom d’Eglise luthérienne, comprend six consistoires et 49 paroisses, réparties entre deux synodes particuliers, celui de Paris et celui de Montbéliard, dont les délégués forment le synode général qui nomme une Commission exécutive permanente chargée de la défense des intérêts de l’Eglise.
Les 62 places de pasteurs sont ainsi divisées:
10 places, Paris à | 3.000 fr. |
5 places, 1re classe à | 2.200 fr. |
7 places, 1re classe à | 2.000 fr. |
40 places, 1re classe à | 1.800 fr. |
Paris et Montbéliard sont les deux centres de la population luthérienne qui s’élève à environ 80.000 âmes.
On ne saurait oublier que, par suite de l’annexion de l’Alsace et la Lorraine, l’Eglise luthérienne a perdu près des trois quarts de ses membres, outre sa faculté de Strasbourg. L’Eglise luthérienne comprenait alors 44 consistoires, elle n’en a plus que six aujourd’hui.
Les pasteurs de l’Eglise luthérienne font leurs études à la faculté de théologie de Paris, où professent des professeurs luthériens et réformés.—Au 20 octobre 1904 il n’y avait qu’une place vacante dans l’Eglise luthérienne.
Eglises séparées de l’Etat.—Nous avons dit qu’en dehors des églises officielles mais se rattachant d’une manière officieuse à l’Eglise réformée, se trouvaient de nombreuses églises fondées par l’activité de la 162 Société centrale d’évangélisation. Ces églises sont considérées, en effet, comme des annexes des paroisses officielles, dans le ressort desquelles elles ont été fondées. Ces créations d’églises sont dues au fait que le crédit réservé aux créations d’églises nouvelles a été supprimé par la loi de finances du 23 décembre 1880. Ces églises répandues par toute la France ne reçoivent aucune subvention ou traitement du Gouvernement, bien qu’elles se rattachent à l’Eglise réformée reconnue par l’Etat.
L’Union des églises évangéliques libres de France comprend soixante et une églises ou stations d’évangélisation, desservies par soixante-quatre pasteurs ou évangélistes.
La population de ces églises peut être évaluée entre douze et quinze mille, répartie surtout dans le Tarn, le Gard, l’Ardèche, Paris.
L’Eglise évangélique méthodiste compte vingt-sept églises desservies par vingt-neuf pasteurs, se trouvant principalement dans le Gard et la Drôme. Leur population s’élève à cinq ou six mille âmes.
Les Eglises baptistes sont congrégationalistes, chaque église étant indépendante, mais elles sont reliées cependant par l’unité doctrinale et la communauté du but poursuivi. Elles sont au nombre de 24, les principales dans les départements du Pas-de-Calais, de l’Aisne et de l’Oise. On peut évaluer leur population religieuse à 2 ou 3.000 âmes.
Les églises indépendantes fondées par la Société évangélique de France ne sont souvent que des postes d’évangélisation. De même on doit citer un certain nombre d’églises ne se rattachant à aucune organisation ecclésiastique, comme les églises de Menton, de Cannes, d’Antibes. Elles ont du moins toutes un caractère commun, c’est d’être séparées de l’Etat.
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Sous l’ancien régime, les juifs, soumis au bon plaisir de l’autorité royale, tout à tour expulsés, tolérés, ou spoliés, ne jouissaient d’aucun droit et n’avaient pas de culte constitué. Leurs communautés n’avaient qu’une existence précaire.
Les penseurs et les écrivains qui, durant le cours du dix-huitième siècle, préparèrent le grand mouvement révolutionnaire ne furent pas sans réclamer des mesures de tolérance et de liberté pour les juifs de France. La monarchie atténua les rigueurs dont ils étaient l’objet et leur accorda même quelques privilèges. En juin 1776, notamment, et en janvier 1784, Louis XVI rendit des édits favorables aux israélites. «Voulons, disaient les lettres patentes de 1776, qu’ils soient traités et regardés ainsi que nos autres sujets nés en notre royaume et réputés tels.»
Peu d’années avant la Révolution, Malesherbes avait formé une commission chargée d’examiner les questions relatives à l’émancipation des juifs. Les événements se précipitèrent et ce fut l’Assemblée constituante qui accomplit l’œuvre de libération.
Dès le 3 août 1789, l’abbé Grégoire appelait l’attention de ses collègues sur la situation des juifs français. Joignant ses efforts à ceux de son collègue Grégoire, Clermont-Tonnerre portait la question à la tribune le 3, puis le 28 septembre 1789.
Discutée avec ardeur et passion par Rewbell, 164 l’abbé Maury et l’évêque de Nancy, la cause des juifs fut défendue par Clermont-Tonnerre, Duport, Barnave et Mirabeau, au cours des séances des 21, 23 et 24 décembre. Le premier résultat de ces délibérations fut un décret du 28 janvier 1790, confirmant les privilèges des israélites du midi et leur reconnaissant les droits de citoyens. Le 25 février 1790, puis le 26 mai 1791, la municipalité de Paris fit des démarches auprès de l’Assemblée afin que les israélites de la capitale fussent compris dans les dispositions du décret de 1790.
Le 23 août 1789, la Constituante avait déjà proclamé le grand principe de la liberté de conscience. Elle le sanctionna par l’article 10 de la Déclaration des droits qui forma le préambule de la Constitution de 1791. S’appuyant sur ces principes, Duport soumit à l’Assemblée, le 27 septembre 1791, un projet d’émancipation des juifs, et dans la même séance la Constituante rendit un décret qui accordait aux juifs français tous les droits du citoyen.
La Constitution de 1793 reconnut et garantit également le libre exercice de tous les cultes. Celle de l’an III, qui rétablit en fait et en droit la liberté religieuse, laissa aux citoyens, tous égaux devant la loi, le soin de pourvoir aux dépenses de leur culte. Les israélites, qui n’avaient jamais cessé de subvenir par eux-mêmes aux besoins des communautés, continuèrent à entretenir par des taxes rituelles et des contributions volontaires l’exercice de leur culte et le fonctionnement de leurs œuvres de charité et d’assistance.
Il n’existait cependant aucun groupement régulier, officiel, reliant les communautés entre elles. Les ministres de la religion n’étaient investis d’aucune autorité administrative. Ils devaient se conformer aux prescriptions de la loi leur enjoignant de 165 ne donner la bénédiction nuptiale qu’à ceux qui auraient contracté mariage devant l’officier d’état civil. (Arrêté du 1er prairial, an X.)
Cette organisation du culte israélite fut l’œuvre de Napoléon. Elle vint, après le Concordat et les lois organiques de l’an X, compléter l’ensemble de la législation qui règle l’exercice des trois religions reconnues par l’Etat.
Un décret du 30 mai 1806 convoqua à Paris une assemblée de juifs notables, désignés par les préfets, d’après le tableau suivant: Haut-Rhin, 12 membres; Bas-Rhin, 15; Mont-Tonnerre, 9; Rhin et Moselle, 4; Sarre, 1; Roër, 1; Moselle, 5; Meurthe, 7; Vosges, 7; Gironde, 2; Basses-Pyrénées, 2; Vaucluse, 2; Côte-d’Or, 1; Seine, 6.
Dans les autres départements, les préfets devaient désigner un délégué par 500 citoyens de religion juive.
Conformément aux dispositions du décret de mai, les délégués se réunirent, à l’Hôtel de Ville, le 26 juillet 1806. Ils étaient au nombre d’environ 120.
Napoléon chargea Mathieu Molé, Portalis fils et Pasquier des fonctions de commissaires auprès de l’assemblée. Une Commission de neuf membres fut nommée par les délégués, et de concert avec Molé, Portalis et Pasquier, un règlement organique du culte mosaïque fut élaboré. L’Assemblée l’adopta à l’unanimité le 10 décembre 1806.
En outre, la Commission prépara un certain nombre de décisions doctrinales qui furent soumises à l’approbation et à la sanction d’une autre assemblée, le Grand Sanhédrin, composé en majeure partie de rabbins. Ce Sénat juif, qui comprenait 71 membres, se réunit à l’Hôtel de Ville le 9 février 1807 et approuva les formules morales proposées par la Commission des neuf et par les trois commissaires supérieurs. 166 Ces formules, imprégnées de l’esprit moderne, résumaient les principes de doctrine morale et religieuse dont devaient s’inspirer les ministres du culte et les administrateurs des communautés et des consistoires établis par le règlement organique. L’ordonnance de mai 1844, dont nous parlerons plus loin, et qui forme actuellement le principal corps de législation concernant les israélites, le reproduit dans ses grandes lignes.
Le règlement du culte mosaïque groupait les synagogues et communautés en consistoires départementaux ou en circonscriptions consistoriales comprenant plusieurs départements; fixait le mode d’élection des consistoires et de nomination des rabbins; plaçait les consistoires de province sous le contrôle d’un consistoire central à Paris. Il indiquait le chiffre du traitement destiné aux rabbins, sans le mettre à la charge de l’Etat.
Un décret du 11 décembre 1808, signé au camp de Madrid, fixa le nombre des consistoires à treize, et les établit à Paris, Strasbourg, Wintzenheim, Mayence, Metz, Nancy, Trèves, Coblentz, Crefeld, Bordeaux, Marseille, Turin et Casal.
Deux ordonnances de Louis XVIII, l’une du 29 juin 1819, l’autre du 20 août 1823, apportèrent quelques modifications au règlement organique de 1806, et mirent la législation en rapport avec les besoins nouveaux créés par l’accroissement de la population.
Sous Charles X, un arrêté ministériel autorisa, en 1829, l’établissement d’une école centrale rabbinique à Metz. Un règlement fixa le nombre des élèves, le programme des études, le mode d’attribution des diplômes rabbiniques. L’école était placée sous la direction du consistoire de Metz et sous l’autorité du consistoire central de Paris.
167
Il était pourvu aux frais du premier établissement de l’école sur des fonds réservés du traitement de l’un des grands rabbins du consistoire central pour 1827. Les dépenses annuelles étaient payées au moyen d’une allocation au budget du consistoire central, laquelle devait être répartie entre les divers consistoires de province.
Les ministres du culte étaient payés, eux aussi, par les communautés et les consistoires. Ce fut seulement sous le règne de Louis-Philippe que le traitement des rabbins fut mis à la charge du Trésor. La proposition en fut faite à la Chambre, le 7 août 1830, au moment de la discussion de la charte, par Viennet et Berryer. L’article du projet gouvernemental attribuait aux seuls ministres des cultes chrétiens un traitement de l’Etat. De Rambuteau proposa la suppression du mot seuls et son amendement fut adopté.
Le 13 novembre 1830, un projet de loi ainsi conçu fut présenté à la Chambre:
«A compter du 1er janvier 1831, les ministres du culte israélite recevront des traitements du Trésor public.»
Rapporté par Augustin Périer, le projet fut adopté à une grande majorité et passa à la Chambre des Pairs, présidée par Pasquier. Celle-ci, sur le rapport de Portalis, vota à son tour, par 57 voix contre 37, le 1er février 1831, l’adoption du projet.
La loi du 8 février 1831 consacra ainsi l’égalité des différents ministres des cultes au point de vue des traitements. Deux ordonnances, l’une du 22 mars, l’autre du 6 août 1831, fixèrent les détails de ces traitements pour les rabbins. La période historique de l’organisation du culte israélite en France était close.
«Plusieurs dispositions de ces décrets et ordonnances 168 sont encore en vigueur. Mais la législation du culte israélite est presque tout entière renfermée dans l’ordonnance fondamentale des 25 mai-14 juin 1844, qui est pour ainsi dire la charte de ce culte,—le décret du 15 juin 1850 sur les consistoires départementaux,—le décret important du 29 août 1862 portant modification de l’ordonnance du 25 mai 1844,—le décret du 5 février 1867 sur les élections consistoriales,—le décret du 12 septembre 1872 sur les élections des grands-rabbins et des rabbins. Il faut y ajouter diverses dispositions légales relatives à l’administration des biens et à la comptabilité des consistoires, ainsi qu’aux inhumations et pompes funèbres.» (Baugey. De la condition légale du culte israélite.)
Nous nous proposons d’extraire des textes énumérés dans ce résumé les dispositions qui régissent actuellement le culte israélite.
Celui-ci est administré, sous le contrôle du consistoire central, par les consistoires départementaux et par les commissions administratives.
Consistoire central.—Le Consistoire central se compose d’un grand rabbin et d’autant de membres laïques qu’il y a de consistoires départementaux (actuellement 9 dans la métropole et 3 en Algérie). Les membres laïques du consistoire central sont élus pour huit ans par l’assemblée des électeurs; le grand rabbin est nommé à vie par un collège électoral composé des membres du consistoire central et des délégués choisis par les électeurs à raison de deux par circonscription consistoriale.
Le Consistoire central est l’intermédiaire entre le Ministre des Cultes et les Consistoires départementaux. Il est chargé de la haute surveillance des intérêts du culte israélite. Il approuve les règlements 169 relatifs à l’exercice du culte. Il a le droit de censure à l’égard des membres laïques des Consistoires départementaux; il peut provoquer, pour des causes graves, la révocation de ces membres, et même la dissolution d’un Consistoire départemental. Il délivre seul les diplômes du premier et du second degré pour l’exercice des fonctions rabbiniques, donne son avis sur la nomination des rabbins départementaux et des rabbins communaux; il statue sur la révocation des ministres officiants, proposée par les Consistoires départementaux. Enfin, il approuve le budget, ainsi que le compte de l’ordonnateur de chaque communauté consistoriale, et délibère sur les tarifs proposés par les Consistoires pour la quotité et le mode de perception des diverses taxes.
Consistoires départementaux.—Chaque consistoire départemental se compose du grand rabbin de la circonscription et de six membres laïques.
Le grand rabbin est nommé par le Consistoire central sur une liste de trois candidats présentée par le Consistoire départemental auquel s’adjoint une Commission composée: 1o d’un délégué nommé par les électeurs inscrits de chaque communauté ayant un ministre du culte rétribué par l’Etat; 2o nombre égal de délégués choisis par les électeurs du chef-lieu consistorial. Les membres laïques sont élus pour huit ans par les électeurs de la circonscription.
Le Consistoire départemental a l’administration et la police des temples de sa circonscription et des établissements et associations pieuses qui s’y rattachent. Il fait, sous l’approbation du Consistoire central, les règlements concernant les cérémonies religieuses relatives aux inhumations et à l’exercice du culte dans tous les temples de son ressort. Il institue auprès de chaque temple un commissaire administrateur ou 170 une Commission administrative qui agit sous sa direction et sous son autorité. Il représente en justice les synagogues de son ressort et exerce en leur nom les droits qui leur appartiennent. Il participe à la nomination du grand rabbin et à celle des rabbins communaux, dans les conditions ci-dessus énoncées; il nomme les sous-rabbins, le ministre officiant et tous les agents du temple du chef-lieu consistorial. Il surveille les ministres du culte de la circonscription consistoriale, sur lesquels il exerce des pouvoirs disciplinaires. Il est chargé de l’administration des biens de la communauté consistoriale et exerce, en outre, vis-à-vis des communautés non consistoriales les attributions dévolues au Consistoire central relativement aux communautés consistoriales.
Outre son rôle administratif, le Consistoire départemental a un rôle social; ainsi, il est chargé par le règlement de 1806 d’encourager par tous les moyens possibles les israélites de la circonscription consistoriale à l’exercice des professions utiles et par l’arrêté du 17 avril 1832 de surveiller et d’encourager les écoles primaires israélites.
Enfin, l’article 22 de l’ordonnance de 1844 charge le Consistoire d’adresser chaque année au préfet un rapport sur la situation morale des établissements de charité, de bienfaisance ou de religion spécialement destinés aux israélites.
Il faut ajouter que le Consistoire de Paris a été chargé par un décret en date du 1er juillet 1859 de l’Administration de l’Ecole centrale rabbinique, transférée à Paris le 1er novembre 1859. Cette école, où sont formés les ministres du culte, est moins un séminaire qu’ «un établissement d’enseignement supérieur, puisqu’on n’y est admis qu’à la condition de produire le diplôme de bachelier ès lettres. C’est la faculté de théologie israélite qui délivre des diplômes 171 de licenciés en théologie aux élèves ayant quatre années de scolarité, et, à la fin de leurs études, des certificats d’aptitude au titre de sous-rabbin, rabbin ou grand rabbin (Baugey).» Son programme comprend, outre les études religieuses et théologiques, l’histoire de la philosophie, la littérature grecque, la littérature latine, le chaldéen, le syriaque, l’arabe, etc.
Les circonscriptions consistoriales sont au nombre de neuf, savoir:
Circonscription consistoriale de Bayonne (2.000 âmes): Basses-Pyrénées, Hautes-Pyrénées, Haute-Garonne, Ariège, Pyrénées-Orientales, Aude, Tarn, Aveyron, Tarn-et-Garonne, Gers, Lot, Lot-et-Garonne, Landes.
Circonscription consistoriale de Besançon (2.250 âmes): Doubs, Jura.
Circonscription consistoriale de Bordeaux (3.000 âmes): Gironde, Dordogne, Corrèze, Creuse, Haute-Vienne, Charente, Charente-Inférieure, Vendée, Deux-Sèvres, Vienne, Maine-et-Loire, Loire-Inférieure, Mayenne, Ille-et-Vilaine, Morbihan, Côtes-du-Nord, Finistère.
Circonscription consistoriale d’Epinal (3.700 âmes): Haute-Saône, Haute-Marne, Vosges, Territoire de Belfort.
Circonscription consistoriale de Lille (3.800 âmes): Nord, Pas-de-Calais, Somme, Oise, Aisne, Ardennes, Marne.
Circonscription consistoriale de Lyon (2.600 âmes): Rhône, Isère, Savoie, Haute-Savoie, Ain, Saône-et-Loire, Nièvre, Cher, Allier, Puy-de-Dôme, Loire, Haute-Loire, Cantal.
Circonscription consistoriale de Marseille (5.500 âmes): Bouches-du-Rhône, Vaucluse, Gard, Hérault, 172 Lozère, Ardèche, Drôme, Hautes-Alpes, Basses-Alpes, Alpes-Maritimes, Var, Corse.
Circonscription consistoriale de Nancy (4.500 âmes): Meurthe-et-Moselle, Meuse, Yonne, Aube.
Circonscription consistoriale de Paris (50.000 âmes): Seine, Seine-et-Marne, Seine-et-Oise, Seine-Inférieure, Eure, Eure-et-Loir, Loiret, Loir-et-Cher, Indre, Indre-et-Loire, Sarthe, Orne, Calvados, Manche.
Des chiffres indiqués pour chaque circonscription, il ressort que le total de la population israélite de la métropole s’élève à 77.350 âmes; mais ces chiffres ne comprennent que les israélites connus comme tels: n’étant basés sur aucun recensement officiel, ils ne sont qu’approximatifs et certainement inférieurs au nombre réel des israélites habitant la métropole, que l’on peut évaluer à 120.000 âmes environ.
Commissions administratives.—Les Commissions administratives sont instituées, par délégation du Consistoire départemental, auprès de chaque temple de la circonscription. Dans la pratique, les électeurs de chaque communauté choisissent les membres de la Commission chargée de l’administration de leur temple et font ratifier leur choix par le Consistoire départemental. Les Commissions administratives, exercent surtout des attributions relatives aux biens qu’elles sont chargées d’administrer conformément aux prescriptions du décret du 27 mars 1893.
Ministres du culte.—Les ministres du culte sont: le grand rabbin du Consistoire central; les grands rabbins des Consistoires départementaux; les rabbins communaux, les sous-rabbins et les ministres officiants.
Le mode de nomination du grand rabbin du Consistoire 173 central et des grands rabbins des Consistoires départementaux a été indiqué ci-dessus.
Les rabbins communaux sont nommés par le Consistoire départemental assisté d’une Commission composée de délégués élus au scrutin de liste, moitié par le chef-lieu de la circonscription rabbinique, moitié par les autres communautés de cette circonscription, le nombre de ces délégués ne pouvant dépasser six.
Les sous-rabbins sont nommés par les Consistoires départementaux.
Les ministres officiants sont élus par une Assemblée, comprenant au moins cinq membres, tous désignés par le Consistoire départemental.
Conclusion.—L’esprit qui a présidé à l’élaboration des divers textes qui ont établi le régime légal du culte israélite en France a été fort bien défini dans le rapport qui sert de préambule à l’ordonnance du 25 mai 1844.
Après avoir indiqué l’origine du décret du 16 mars 1808 et exposé la méthode suivie par la confection de la nouvelle ordonnance, destinée à compléter ou à modifier les dispositions des textes antérieurs, le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et des Cultes, termine son rapport par ces lignes, qu’il est bon de reproduire, parce qu’elles caractérisent bien la charte constitutive du culte israélite:
«Dans son ensemble, cette ordonnance (celle de 1844) assure à l’autorité publique la légitime part d’influence qui lui appartient sur les intérêts administratifs du culte israélite, sans permettre que jamais elle s’immisce dans des questions dogmatiques auxquelles elle est étrangère, conciliant ainsi l’indispensable surveillance du pouvoir avec la liberté de conscience. Elle resserre les liens de la discipline et de la hiérarchie; elle définit les droits et les devoirs des 174 consistoires et des ministres du culte israélite; elle obtint, lorsqu’elle n’était encore qu’en projet, l’assentiment des israélites éclairés, auxquels elle fut communiquée. Tous leurs coreligionnaires applaudiront, je n’en doute pas, à ses dispositions diverses.»
Les prévisions formulées par l’auteur de l’ordonnance de 1844 se sont réalisées. Grâce aux dispositions qu’elle contient, les communautés israélites se sont développées; la centralisation et la hiérarchie établies par les pouvoirs publics, tout en permettant de donner satisfaction aux aspirations variées qui se manifestent dans toute collectivité, ont maintenu dans les diverses agrégations israélites l’unité et la concorde indispensables, surtout aux minorités.
175
Au moment où vous vous apprêtez à régler d’après une conception nouvelle la situation juridique des Eglises en France, il est assurément indispensable d’examiner quel est le régime légal adopté dans les autres pays. Pour décrire d’une manière complète les institutions politico-ecclésiastiques des nations étrangères, les rapports de droit et de fait entre les diverses Eglises et les divers Etats de l’Europe ou du Nouveau-Monde, il faudrait de longues pages. Nous devons ici nous borner à des notions succinctes. Aussi bien une vue d’ensemble sur la législation étrangère suffira-t-elle pour faire comprendre la continuité de cette évolution, qui, par des degrés successifs, conduit les nations de l’antique régime théocratique à celui de la complète laïcité.
Plusieurs pays d’Europe en sont encore à la première phase, théocratique ou quasi-théocratique, dans laquelle l’Etat est, sinon subordonné à l’Eglise, du moins étroitement uni à elle, reconnaît la prédominance d’une religion sur toutes les autres et n’admet que des institutions sociales conformes aux principes de cette religion. D’autres, de beaucoup les plus nombreux en Europe, ont atteint le second stade, celui de la demi-laïcité; ils proclament et appliquent plus ou moins complètement les principes de la liberté de conscience et de la liberté des cultes, mais considèrent, néanmoins, certaines religions 176 déterminées comme des institutions publiques qu’ils reconnaissent, protègent et subventionnent.
Enfin, dans quelques pays d’Europe et surtout dans plusieurs grandes Républiques américaines, apparaît le troisième terme de l’évolution. L’Etat est alors réellement neutre et laïque; l’égalité et l’indépendance des cultes sont reconnues; les Eglises sont séparées de l’Etat. C’est surtout la législation des pays parvenus à cette troisième période qu’il convient d’étudier ici avec quelques détails.
L’Espagne est au nombre des rares pays d’Europe où les rapports entre l’Eglise catholique et l’Etat sont encore réglés par des actes bilatéraux, par des accords conclus avec le chef de l’Eglise, des Concordats. Le régime concordataire tend, en effet, à disparaître de plus en plus. Le Concordat conclu en 1827 avec le royaume des Pays-Bas a été virtuellement abrogé ou dénoncé en Belgique par la Constitution de 1831, le Concordat conclu avec l’Autriche-Hongrie, en 1855, avait été dénoncé par le Gouvernement autrichien, en 1870, au lendemain de la promulgation du dogme de l’infaillibilité; il a été abrogé définitivement par la loi autrichienne du 7 mai 1874. Celui qui était intervenu avec le grand duché de Bade avait été dénoncé en 1850. La création du royaume d’Italie et la loi des garanties du 13 mai 1871, ont mis à néant les divers Concordats conclus par le Saint-Siège avec les divers Etats italiens, antérieurement à l’unification de la péninsule. Le Concordat qui a le plus récemment disparu est celui de la République de l’Equateur avec le Saint-Siège, qui datait de 1862. Une loi du 12 octobre 1904 l’a abrogé en tant que loi de la République, sans aucune dénonciation préalable.
On affirmait dans une discussion parlementaire récente, que toute législation destinée à régler dans 177 notre pays la situation de l’Eglise catholique sur d’autres bases que celles adoptées en 1801 devait, pour être acceptable aux yeux des catholiques, n’être édictée qu’après entente, après «conversation» avec le représentant suprême de l’Eglise. Peut-être est-il bon de faire une remarque à ce propos. Il y a, sans doute, en Espagne, en Portugal, en Bavière, dans certains cantons suisses et au Monténégro, environ 28 millions de catholiques que régissent des dispositions légales conformes à des Concordats écrits ou à des ententes verbales intervenus avec le Saint-Siège; en revanche, il y a en Italie 31 millions de catholiques, 20 millions en Autriche, 9 millions en Hongrie, 12 millions en Prusse, 6 millions en Belgique, 5 millions et demi dans le royaume de Grande-Bretagne et d’Irlande, etc., pratiquant librement leur culte conformément à leurs législations nationales, lesquelles ont été promulguées sans aucune entente, sans aucune convention préalable avec la curie romaine. De même, dans le Nouveau-Monde, les législations d’un caractère concordataire ne s’appliquent qu’à un nombre de catholiques beaucoup moins grand que celui de leurs coreligionnaires vivant au Canada, aux Etats-Unis, au Mexique, à Cuba, au Brésil, sous le régime de la séparation.
En Espagne, au contraire, le Concordat de 1851 est toujours en vigueur; il a même été complété récemment par un nouveau Concordat relatif aux congrégations. D’autre part, l’Espagne et le Portugal sont les seuls pays d’Europe où la religion catholique soit encore reconnue effectivement comme religion d’Etat, au sens ancien de l’expression, comme «religion dominante». Malgré cette union intime entre l’Eglise et l’Etat, vestige de l’antique subordination de l’Etat à l’Eglise, les principes de la société moderne ont dû être proclamés dans les textes constitutionnels 178 des deux royaumes de la péninsule ibérique. L’article 11 de la Constitution espagnole porte que nul ne peut être inquiété pour ses opinions religieuses ni pour l’exercice de son culte sauf le respect dû à la morale chrétienne; en revanche, il prohibe toutes les manifestations et cérémonies publiques d’une religion autre que celle de l’Etat. En Portugal, l’article 145 § 4 de la Constitution proclame le principe de la liberté de conscience; mais les cultes autres que la religion d’Etat ne peuvent être exercés que dans des édifices n’ayant pas la forme extérieure des temples. Dans les deux pays la religion catholique est, bien entendu, largement dotée par le budget.
La législation politico-ecclésiastique de ces pays présente trop peu d’analogie avec celle qu’il peut être question d’établir dans un Etat laïque pour qu’il soit nécessaire d’en faire ici un examen approfondi. La même observation doit être faite en ce qui concerne ceux des pays d’Europe qui, bien qu’ayant proclamé et appliqué les principes modernes de la liberté de conscience et du libre exercice des divers cultes reconnaissent des Eglises nationales officielles, considèrent un ou plusieurs cultes comme des institutions d’Etat, subventionnées et réglementées par l’Etat.
Le nombre de ces pays est encore considérable. Ce sont d’abord tous les pays de l’Europe orientale: la Russie, où l’Eglise orthodoxe, placée sous l’autorité suprême du Saint-Synode et du tsar, a tous les caractères d’une grande institution d’Etat; la Grèce, où la religion orthodoxe est essentiellement nationale, et qui est le foyer d’une propagande à la fois religieuse et politique en faveur de l’hellénisme. Ce sont la Roumanie, la Bulgarie et la Serbie, avec leurs églises également rattachées au rite grec orthodoxe, mais 179 nationales et autocéphales, indépendantes de tout pouvoir religieux étranger et, en même temps, reconnues, organisées, dotées par l’Etat.
Dans les pays scandinaves la religion luthérienne est religion de l’Etat. En Norvège, beaucoup de fonctions publiques ne sont accessibles qu’à ceux qui professent la religion luthérienne. En Suède le libre exercice des cultes «étrangers» n’a été garanti qu’à une date relativement récente.
En Prusse, enfin, dans les autres Etats allemands, et en Autriche, il n’y a pas une religion «dominante», une religion d’Etat exclusive de toute autre; mais plusieurs religions ont un caractère officiel tout à fait semblable à celui des cultes reconnus de notre législation actuelle.
Depuis la Révolution de 1848, l’organisation des Eglises protestantes (évangéliques) de la Prusse et d’autres Etats allemands a été profondément modifiée; de monarchique, elle est devenue élective et synodale et une indépendance presque complète a été reconnue à l’Eglise pour l’administration de ses biens. Pourtant l’Eglise évangélique de Prusse, pas plus que celle d’autres Etats allemands, n’est une Eglise libre et séparée de l’Etat. Le souverain temporel est en même temps le chef de l’Eglise, le «summus episcopus»; l’organisation intérieure de l’Eglise est réglée par ordonnances du roi en sa qualité de chef de l’Eglise; les rapports de l’Eglise et de l’Etat sont réglés par le Landtag. Les traitements et pensions du clergé protestant sont fixés et payés par l’Etat. Les rapports de la Prusse avec l’Eglise catholique ne sont guère moins étroits. Celle-ci est aussi une Eglise officielle dotée par l’Etat. Même au temps de la lutte âpre qui fut engagée par le prince de Bismarck contre le Vatican, il ne fut jamais question d’une séparation entre l’Eglise et l’Etat, mais 180 au contraire d’une réglementation plus étroite de l’Eglise par l’Etat.
Ces temps sont d’ailleurs bien oubliés aujourd’hui; presque toutes les dispositions des fameuses «lois de mai» ont été abrogées; les traitements du clergé catholique, dont le montant avait été mis sous séquestre, et qui formait un total de plus de 16 millions, ont été restitués au clergé par la loi du 24 juin 1891. Les traitements des membres du clergé catholique et du clergé protestant ont été augmentés par deux lois du 2 juillet 1898.
Dans tous les Etats allemands, les cultes catholique et protestant sont, comme en Prusse, largement dotés par l’Etat; en outre, des taxes spéciales sont perçues dans certains Etats sur les fidèles pour subvenir aux frais de chaque culte.
En Autriche, les rapports entre l’Eglise catholique et l’Etat sont réglés par la loi du 7 mai 1874 dont l’article premier abroge la patente du 5 novembre 1855 portant promulgation du Concordat du 18 août précédent. La loi du 20 mai 1874 est relative aux communautés religieuses, autres que l’Eglise catholique et qui sont reconnues par l’Etat. En fait, sinon en droit strict, l’Eglise catholique est véritablement une religion officielle.
Les hauts dignitaires de l’Eglise jouissent des revenus immenses de leurs bénéfices ecclésiastiques et sont au nombre des plus riches propriétaires fonciers de l’Europe. Les autres membres du clergé sont rétribués au moyen des revenus des propriétés des cures, du «Fonds de religion» (Religionsfond) provenant de la confiscation des biens des congrégations, ordonnée par Joseph II, et enfin, en cas d’insuffisance de ces ressources, au moyen d’une dotation de l’Etat.
181
Une loi du 19 avril 1885 a fixé le montant des traitements et pensions du clergé catholique. Les autres communautés religieuses reconnues par l’Etat couvrent les frais du culte au moyen de taxes spéciales perçues dans les mêmes formes que les impôts publics.
La Hongrie a fait dans la voie de la laïcisation un pas considérable au cours des quinze dernières années. Les lois du 9 décembre 1894 sur le mariage, la religion des enfants (en cas de mariage mixte) et les actes de l’état civil ont définitivement sécularisé l’état civil. La loi du 26 novembre 1895 organise le régime des cultes. L’article premier de cette loi proclame la liberté de conscience et la liberté des cultes, et l’article 5 reconnaît à toute personne le droit de sortir d’une communion religieuse.
Tous les cultes reçus ou légalement reconnus constituent des communions ou associations religieuses des «corps religieux publics» placés sous la protection et le contrôle de l’Etat. Or, ces cultes reconnus étaient fort nombreux à la date de la promulgation de la loi (cultes catholique romain, catholique grec, protestant de la Confession d’Augsbourg, réformé, grec ou uni, unitaire, israélite, etc.); et tous les autres cultes peuvent être reconnus moyennant production de leurs statuts et s’ils remplissent certaines conditions limitativement énumérées par la loi.
Les communions religieuses peuvent s’administrer librement, prélever des taxes sur les fidèles, recueillir des fonds, mais elles ne peuvent posséder d’autres immeubles que ceux servant à l’exercice du culte, au logement des ministres, à des œuvres scolaires et charitables et des cimetières. Les pasteurs et administrateurs de paroisse sont choisis sans aucune intervention de l’autorité, mais doivent être de nationalité hongroise. Le ministre compétent a le droit 182 d’exercer une haute surveillance sur les biens des communions religieuses et sur les fondations dont elles sont en possession; il doit veiller à ce que ces biens soient réellement affectés aux buts (religieux, scolaire, charitable) qui sont autorisés par la loi.
Cette législation établit, on le voit, une parfaite égalité entre les divers cultes; elle ne laisse subsister que des liens très lâches entre l’Etat et l’Eglise; il n’y est pas fait mention d’allocations fournies par l’Etat.
Sans doute le budget des cultes est incorporé dans le budget général de l’Etat qui se charge du payement des dépenses afférentes aux divers cultes; mais ces dépenses sont couvertes par le montant des taxes d’église perçues spécialement sur les fidèles de chaque culte. En sorte que les ressources générales du budget ne sont point affectées aux cultes et que les citoyens «sans confession» ne participent aux frais d’aucun culte. Une semblable législation présente, avec un régime légal de séparation, de grandes analogies. Toutefois l’Eglise catholique demeure en Hongrie une religion officielle: elle est celle de la couronne, sinon de la majorité de la population (sur 19 millions 254.000 habitants il n’y a que 9.919.000 catholiques romains). Les hauts dignitaires de cette Eglise touchent comme les membres du haut clergé autrichien, les revenus d’un patrimoine foncier très considérable, accumulé depuis de longs siècles et à l’égard duquel n’est intervenue jusqu’à présent aucune loi de sécularisation.
Il y a deux pays voisins du nôtre où les idées de laïcité et de neutralité de l’Etat ont fait, au siècle dernier, des progrès bien plus sensibles que dans la plupart des Etats de l’Europe centrale et orientale, mais où l’on aurait tort néanmoins de vouloir chercher 183 des exemples d’une séparation véritable entre l’Eglise et l’Etat: ces deux pays sont l’Italie et la Belgique.
Italie.—C’est, on le sait, le grand ministre italien Cavour qui a repris et rendu célèbre la formule de Montalembert: l’Eglise libre dans l’Etat libre. On a dit parfois que dans sa pensée cette formule visait presque exclusivement les rapports de la dynastie de Savoie avec le Pape résidant dans la capitale du royaume italien. En réalité, Cavour et les hommes politiques qui collaborèrent à son œuvre, tels que Minghetti auteur d’un ouvrage célèbre sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat[11], entendaient appliquer la même formule aux rapports de l’Etat avec le clergé séculier tout entier et l’ensemble des catholiques. Mais leur idéal n’a point encore été réalisé. La législation italienne ne présente que l’ébauche d’une séparation.
L’Eglise ne possède point une complète indépendance; l’Etat est bien loin d’avoir rompu tout lien avec elle. L’article 1er du Statuto (Constitution) du royaume sarde, promulgué en 1848, déclarait que «la religion catholique apostolique et romaine est la seule religion de l’Etat» et que «les autres cultes existants sont tolérés conformément aux lois»; et cet article est encore l’un des textes constitutionnels du royaume d’Italie. Assurément il a cessé depuis longtemps d’être appliqué à la lettre. Les principes de l’égalité et de la liberté des cultes et de la liberté de conscience sont hautement reconnus en Italie; les questions religieuses ne jouent aucun rôle en ce qui touche l’aptitude aux fonctions et emplois publics; les principaux services publics (état civil, instruction, assistance) ont un caractère laïque. Pourtant 184 l’ancienne disposition du Statuto n’est point tout à fait oubliée; le parti clérical l’invoque dans les polémiques présentes relatives à l’obligation de l’enseignement religieux dans les écoles primaires (voir le Courrier Européen du 27 janvier 1905).
Le clergé séculier jouit d’une très grande liberté; toute restriction à l’exercice du droit de réunion des membres du clergé catholique a été abolie par l’article 14 de la loi du 13 mai 1871 (loi des garanties) dont le titre Ier est consacré aux prérogatives du Saint-Siège et le titre II aux rapports de l’Etat avec l’Eglise. Le libre exercice du culte est donc garanti aux catholiques. Il l’est d’ailleurs aussi aux non catholiques, (protestants, israélites). Le Code pénal édicté, en 1889, punit par des dispositions spéciales (articles 140, 141), la répression de tout trouble apporté à l’exercice du culte, de tout outrage envers l’un des cultes admis par l’Etat: l’article 142 punit quiconque, par mépris de l’un des cultes admis par l’Etat, détruit, dégrade ou profane dans un lieu public des objets destinés au culte ou bien use de violence contre un ministre du culte; enfin l’article 143 punit toute détérioration de monuments, peintures, statues, etc., placés dans un lieu destiné au culte. La contre-partie de ces dispositions se trouve dans les articles 182 et 183 du même Code qui répriment les délits commis par les ministres des cultes dans l’exercice de leurs fonctions (blâme ou censure publique des institutions ou des lois de l’Etat, excitation au mépris des institutions, à l’inobservation des lois, des prescriptions de l’autorité ou des devoirs inhérents à une fonction publique, etc.); l’article 184 prévoit, en outre que, pour tout délit autre que ceux spécifiés aux articles précédents la peine est augmentée d’un sixième à un tiers, si c’est un ministre du culte qui, en se prévalant de sa qualité, a commis le délit. Dans la pensée 185 des hommes d’Etat italiens qui, continuant l’œuvre de Cavour, ont achevé l’unification de l’Italie en donnant au nouveau royaume une législation pénale uniforme, la formule «l’Eglise libre dans l’Etat libre» n’excluait pas, on le voit, des dispositions très précises concernant la police des cultes.
L’organisation intérieure de l’Eglise est en partie indépendante de l’action de l’Etat. Les évêques sont dispensés de toute prestation de serment. Le roi n’a ni le droit de nommer, ni celui de proposer les titulaires des bénéfices ecclésiastiques, sauf en ce qui touche la collation de certains bénéfices dits «de patronat royal» (et c’est là, à vrai dire, une exception importante). Les titulaires de bénéfices ecclésiastiques doivent dans toute l’Italie, sauf à Rome, être de nationalité italienne. Le pouvoir civil se refuse à prêter l’appui du bras séculier pour l’exécution des actes des autorités ecclésiastiques, en matière spirituelle et disciplinaire; ces actes ne produisent d’autres effets juridiques que ceux qui sont reconnus par les tribunaux civils. En revanche, la publication des actes des autorités ecclésiastiques en matière spirituelle est dispensée de toute autorisation administrative. En tant que puissance spirituelle, l’Eglise catholique se trouve ainsi réellement séparée de l’Etat. C’est en ce qui touche l’administration du temporel des cultes que les rapports subsistent. Au budget italien ne figurent sans doute ni les traitements, ni les pensions des membres du clergé. Mais c’est une administration de l’Etat, celle du Fonds pour le culte (Fondo per il culto), qui pourvoit au payement de ces traitements et pensions dont le taux est fixé par des lois et des décrets royaux (une loi du 4 juin 1899 a augmenté le traitement des curés). Le Fonds pour le culte a été constitué en 1866, au début de la grande sécularisation des biens ecclésiastiques 186 (le produit des deux tiers du patrimoine ecclésiastique sécularisé a été affecté à ce Fonds). L’administration du Fondo per il culto n’est pas la seule qui soit chargée des affaires ecclésiastiques. Il existe en outre une administration du patrimoine ecclésiastique de laquelle dépendent les économats et subéconomats des bénéfices vacants. La gestion des biens temporels affectés au culte est, en effet, en cas de vacance du siège, conservée par l’autorité civile; de même que tous les actes des autorités ecclésiastiques (pape et évêques) concernant le temporel des cultes (collation des bénéfices ecclésiastiques, administration des biens ecclésiastiques), sont soumis à l’approbation gouvernementale ou préfectorale (exequatur royal et placet royal).
Ce qui achève de donner à l’Eglise catholique le caractère d’une institution publique, sinon d’une institution d’Etat, c’est que les fabriques des églises paroissiales et cathédrales, les sanctuaires, oratoires, etc., ont échappé à la suppression générale des corporations et institutions religieuses effectuées dans la seconde moitié du XIXe siècle; il subsiste ainsi un nombre considérable d’établissements doués de la personnalité juridique, pouvant recevoir des dons et legs, bref tout à fait semblables aux établissements publics préposés aux cultes qu’a institués notre droit concordataire. La législation de l’époque napoléonienne est d’ailleurs encore en vigueur dans une partie de l’Italie, et les règles relatives à l’acquisition et à l’aliénation des biens des établissements du culte sont, dans le Code civil italien, les mêmes que dans notre Code civil.
La législation concernant les rapports de l’Eglise et de l’Etat en Belgique, serait, si l’on s’en rapportait aux déclarations faites tant par les catholiques que par les libéraux lors de l’élaboration de la Constitution 187 belge, en 1830, inspirée par le principe de la séparation; mais ici, plus encore qu’en Italie, il s’agit bien plutôt de l’indépendance de l’Eglise, considérée comme pouvoir spirituel, à l’égard de l’Etat, que d’une séparation réelle et complète; comme institution temporelle l’Eglise est subventionnée et réglementée par l’Etat.
La Constitution, après avoir proclamé et garanti la liberté de conscience, la liberté des cultes et de leur exercice public (art. 14 et 15), déclare que l’Etat n’a pas le droit d’intervenir dans la nomination ni dans l’installation des ministres d’un culte quelconque, ni de défendre à ceux-ci de correspondre avec leurs supérieurs et de publier leurs actes. Mais l’article 117 de cette même Constitution met à la charge de l’Etat les traitements des ministres des cultes. Le budget des cultes a constamment augmenté, surtout dans les vingt dernières années, pendant lesquelles le parti clérical a été au pouvoir. Il s’élève, si l’on tient compte des allocations des provinces pour l’entretien des cathédrales et des séminaires, et de celles des communes pour les dépenses du culte paroissial en cas d’insuffisance des revenus des fabriques, à plus de huit millions et demi. Une loi du 24 avril 1900 a réglementé à nouveau les pensions et les traitements ecclésiastiques. Les traitements fixés par cette loi sont très supérieurs à ceux du clergé catholique en France. Le logement du ministre du culte est à la charge des communes.
Cet appui financier n’est pas le seul privilège dont jouisse l’Eglise. Tandis que les associations d’un caractère laïque, qui peuvent se constituer librement et sans aucune déclaration ni autre mesure préalable (art. 20 de la Constitution) ne possèdent aucune capacité juridique, n’ont point la personnalité ou la «personnification civile», comme on dit en Belgique, il 188 en est tout autrement en ce qui concerne les Eglises. La législation datant de l’époque où la Belgique faisait partie de l’Empire français est considérée comme toujours en vigueur: les fabriques d’Eglise continuent à être régies par le décret du 30 décembre 1809 et sont de véritables établissements publics préposés aux cultes qui acquièrent et accumulent des biens de mainmorte dans les mêmes conditions qu’en France sous le régime concordataire.
Une loi du 4 mars 1870 a réglé le mode de gestion des biens paroissiaux et la comptabilité des conseils de fabrique. Les autres cultes reconnus (protestant, israélite et anglican) dont les fidèles sont d’ailleurs très peu nombreux jouissent aussi du bénéfice de la personnalité civile et sont soumis à une réglementation analogue à celle prévue pour le culte catholique.
Bref, on peut dire avec le grand jurisconsulte belge Laurent (l’Eglise et l’Etat depuis la Révolution): «le système belge ne consacre pas la vraie séparation de l’Eglise et de l’Etat: l’Etat a des obligations sans avoir aucun droit tandis que l’Eglise a des droits sans avoir aucune obligation».
Il convient de noter qu’en Belgique, comme en Italie, la liberté de l’exercice des cultes est garantie d’une part et d’autre part limitée par des dispositions pénales: l’article 267 du Code pénal belge punit le ministre des cultes qui, hors les cas formellement exceptés par la loi, procède à la bénédiction nuptiale avant la célébration du mariage civil; l’article 267 punit celui qui, dans l’exercice de son ministère, et en assemblée publique, attaque le gouvernement, une loi, un arrêté royal ou tout autre acte de l’autorité publique. Les articles 142 et 146 reproduisent presque textuellement les articles 260 à 264 de notre Code de 1810 qui répriment les atteintes au libre exercice des cultes.
189
La législation ecclésiastique des Pays-Bas ne diffère guère de celle de la Belgique. La Constitution proclame la liberté des opinions religieuses et déclare qu’une protection égale est accordée à toutes les communions religieuses. Mais il y a trois religions privilégiées, subventionnées par l’Etat: ce sont les cultes catholique, protestant et israélite.
Dans les deux pays d’Europe dont il nous reste à parler, on rencontre, à côté des Eglises officielles, des Eglises libres et séparées de l’Etat: et, particularité intéressante, l’Eglise catholique est au nombre de ces Eglises libres.
Les deux pays dont il s’agit sont: la Grande-Bretagne et la Suisse.
Grande-Bretagne et Irlande.—Il y a, dans le Royaume-Uni, deux Eglises officielles, «établies»: ce sont l’Eglise anglicane (Church of England) en Angleterre, et l’Eglise presbytérienne en Ecosse. Le souverain en est le chef suprême. On sait que la hiérarchie ainsi que les dogmes et les rites de l’Eglise anglicane diffèrent assez peu de ceux du catholicisme romain, tandis que l’Eglise établie d’Ecosse est organisée d’après le système électif généralement adopté par les sectes protestantes. Ces Eglises officielles sont spécialement protégées par l’Etat, mais non pas subventionnées par lui. Il n’y a point de budget des cultes. Les revenus de la dotation immobilière attachée depuis de longs siècles aux divers titres ecclésiastiques (archevêchés, évêchés, chapitres et cures), le produit des dîmes, les contributions des fidèles constituent les ressources de l’Eglise anglicane. Mais on ne peut s’attarder ici à l’étude de ces églises établies. Il est plus utile d’examiner la condition juridique des Eglises séparées et libres et aussi de rappeler dans quelles conditions a été opérée, il y 190 a trente-six ans une véritable séparation d’une Eglise et de l’Etat, à savoir le Disestablishment de l’Eglise protestante d’Irlande.
I.—Il y a dans le Royaume-Uni beaucoup d’Eglises protestantes qui ne sont rattachées par aucun lien à l’Etat et n’ont jamais été «établies». On range leurs fidèles sous les dénominations génériques de dissenters (dissidents) et non conformistes. Dans le pays de Galles, les six septièmes de la population (qui est d’environ 1.574.000 habitants) se rattachent à des sectes non-conformistes (méthodiste, congrégationaliste, wesleyenne, baptiste, etc.). En Ecosse, les fidèles des Eglises indépendantes de l’Etat sont beaucoup plus nombreux que ceux de l’Eglise presbytérienne établie. Enfin l’Eglise catholique romaine compte environ 5.750.000 fidèles, dont 3.308.000 en Irlande. Pendant de longs siècles, non-conformistes et catholiques furent soumis à un régime d’exception; l’exercice de leurs cultes était à peine toléré et ils étaient privés en partie de leurs droits civils et de tous droits politiques. Il ne reste aujourd’hui que des vestiges de cette législation draconienne, issue des guerres religieuses du seizième et du dix-septième siècles. Des lois de 1791 et de 1829 ont accordé aux catholiques presque tous les droits civils et politiques. Seules quelques hautes fonctions de l’Etat demeurent interdites aux dissidents et aux catholiques romains; encore la question est-elle controversée. L’exercice du culte dans les églises et temples est libre pour toutes les sectes dissidentes, mais cet exercice doit être public. Depuis 1832 aucun «enregistrement», aucune déclaration n’est plus obligatoire pour l’ouverture d’un lieu de culte. Mais quand les temples sont déclarés, ces édifices sont exemptés d’impôts, et les ministres qui sont attachés à ces temples jouissent de certains 191 privilèges analogues à ceux qui appartiennent aux ministres de l’Eglise anglicane (exemption du jury, du service dans la milice, etc.). Une ancienne loi exempte du péage sur les chemins à péage tout ministre d’un culte et tout fidèle qui se rend les dimanches et jours de fêtes religieuses de son domicile au lieu de culte ou qui en revient. Enfin l’article 26 de la loi du 6 août 1861 (Ann. 24-25 Victoria, chap. 100), qui est applicable à tous les ministres des cultes sans distinction, punit de deux ans de prison avec ou sans travaux forcés (hard labour) ceux qui troublent ou menacent un ecclésiastique dans l’exercice de ses fonctions, soit au cours d’une cérémonie du culte, soit pendant un convoi funèbre, et ceux qui commettent des violences à l’égard d’un ecclésiastique dans les mêmes circonstances. La police des cultes existe donc plutôt pour protéger la liberté des cultes que pour la limiter. Rien n’est plus fréquent en Angleterre, on le sait, que des prédications, ou réunions d’un caractère religieux, en plein air, et sur la voie publique. Les ministres des divers cultes jouissent d’une entière liberté de parole, interviennent dans les affaires politiques, on en a vu, pendant la guerre du Transvaal, apprécier en chaire, dans les termes les plus sévères, les actes du gouvernement. La multiplicité des sectes, la faiblesse numérique relative de chacune d’elles servent de contre-poids, en quelque sorte, à cette liberté de parole presque illimitée accordée aux ecclésiastiques. L’Eglise catholique bénéficie comme les sectes protestantes de ce régime très bienveillant. Elle est toutefois soumise à quelques restrictions particulières; on n’a point abrogé la disposition de la loi de 1829 qui interdit aux prêtres catholiques, sous peine de 1.250 francs d’amende, d’exercer leur culte ou de porter des habits sacerdotaux ailleurs que dans les lieux réservés à cet 192 exercice (ce qui équivaut à l’interdiction des processions).
L’organisation de l’Eglise catholique et des Eglises protestantes non établies est, dans le Royaume-Uni, celle d’associations libres vivant chacune suivant ses propres règles. L’autorité gouvernementale n’intervient pas dans le fonctionnement de ces associations. Les difficultés qui peuvent s’élever à ce sujet sont du ressort des tribunaux. Un schisme s’est produit récemment au sein de l’Eglise presbytérienne libre d’Ecosse: la majorité des fidèles et des pasteurs a décidé de s’unir à l’Eglise presbytérienne unie, autre faction du presbytérianisme qui est également indépendante de l’Etat; (la seule Eglise unie à l’Etat est l’Eglise presbytérienne «établie»). A la suite de ce schisme, le patrimoine très considérable qui provenait de fondations pieuses et charitables a naturellement fait l’objet de revendications contradictoires. Le litige a été porté devant la Cour d’Edimbourg et en appel devant la Chambre des Lords; et cette haute juridiction a attribué la totalité du patrimoine à la minorité composée de quelques pasteurs et d’un petit nombre de fidèles. Ce n’est pas la première fois, loin de là, que de semblables procès, où des questions d’ordre religieux et même dogmatique doivent être examinées, sont soumis aux tribunaux anglais.
L’Eglise catholique a constitué en Angleterre l’organisation hiérarchique qui lui est particulière. Sans doute, ses évêchés et ses paroisses ne sont pas érigés en personnes morales, en corporations; mais elle participe indirectement à tous les avantages de la personnalité civile. La législation anglaise du moyen âge réprimait très sévèrement les abus de la mainmorte; mais elle a, pour ainsi dire, disparu, grâce à l’institution du fidéicommis, et spécialement du fidéicommis charitable (charitable trust) qui permet d’affecter 193 à perpétuité à l’un des buts autorisés par la loi une libéralité déterminée. Depuis la loi de 1601 promulguée sous le règne d’Elisabeth jusqu’à celles de 1888 à 1891, le nombre des charitable trusts admis par les législateurs s’est beaucoup accru: on reconnaît notamment que tout legs fait dans un but religieux rentre dans cette catégorie. Le Roman catholic charities act de 1860 autorise spécialement les catholiques à instituer toutes sortes de fondations charitables et religieuses. Toutefois, il faut que tout bien immobilier faisant l’objet d’une fondation charitable ou religieuse soit vendu et converti en valeurs mobilières dans l’année du décès du testateur. Il n’est fait exception qu’à l’égard de terrains devant servir à la construction d’un temple ou d’un autre bâtiment nécessaire au fonctionnement de l’œuvre. Enfin, la jurisprudence anglaise refuse de valider certains dons ou legs d’un caractère religieux, telles que les fondations à charge de dire des messes pour le repos d’une âme: on les considère comme des usages superstitieux (superstitious uses) et comme étant à ce titre entachés de nullité. Le testateur doit, d’après cette jurisprudence, se borner à faire un legs en vue de l’exercice et du maintien du culte; il peut exprimer le désir qu’un ecclésiastique dise des prières à son intention, mais en stipulant expressément, à peine de nullité du legs, que ce désir ne crée aucune obligation légale.
Il n’est contesté par personne que, depuis l’émancipation des catholiques, en 1829, la puissance matérielle de l’Eglise catholique en Angleterre n’a fait que s’accroître, que chapelles, églises, couvents, écoles confessionnelles s’y sont multipliés. Les ordres monastiques se rattachant au catholicisme romain n’ont et ne peuvent avoir aucune capacité juridique en tant qu’êtres collectifs: mais ils s’enrichissent par 194 l’intermédiaire de leurs membres, ni la loi, ni la jurisprudence n’ayant pris de précautions sérieuses contre les fraudes dues à l’interposition de personnes.
II. La Séparation en Irlande. («Disestablishment» de l’Eglise d’Irlande.)—L’Eglise anglicane s’était imposée par la conquête en Irlande. «Cette Eglise, dit Minghetti[12], petite par le nombre de ses fidèles, mais puissante par sa hiérarchie, fortement organisée, se partageant l’île entière et liguée avec les possesseurs du sol, avec l’Eglise d’Angleterre et avec l’Etat, dominait une nation de catholiques, réduite au dernier degré de la misère.» Par la loi du 26 juillet 1869 (Ann. 32-33, Victor. chap. 42), l’Eglise d’Irlande cessa d’être une Eglise officielle et devint une Eglise libre. L’article 3 chargea de la liquidation des biens de l’Eglise trois «commissaires du temporel de l’Eglise d’Irlande», au nom desquels fut transférée toute la propriété ecclésiastique. Les «corporations» existantes (personnes morales correspondant aux établissements publics de notre droit), telles qu’archevêchés, évêchés, etc., furent déclarées dissoutes à partir du 1er janvier 1871. L’œuvre de sécularisation, de «dédotation» (disendowment) de l’Eglise d’Irlande est aujourd’hui presque achevée. Le patrimoine ecclésiastique, que Gladstone évaluait à 360 millions en capital, s’est trouvé être en réalité plus considérable encore. Le paiement des rentes viagères et allocations dues aux évêques et autres dignitaires, aux curés, etc., d’une indemnité globale de 11.250.000 fr. remise au corps représentatif de la nouvelle Eglise libre pour compensation de la perte des dotations privées, terres et dîmes, des dépenses afférentes aux édifices, et de diverses autres indemnités, 195 a absorbé une somme totale de 279 millions, supérieure d’un tiers environ à celle qui avait été promise en 1869. Et après avoir ainsi pourvu d’une manière extrêmement large aux besoins de l’Eglise «désétablie» il a été possible d’affecter une somme de 135 millions aux besoins de l’Irlande, notamment à l’instruction et à l’assistance publiques dans l’île. La même loi de 1869 supprime tous les droits de patronage, royaux et autres, afférents à la collation des fonctions ecclésiastiques. Elle accorde au clergé pleine liberté de se réunir et de s’associer. Elle décide que les statuts et règles dogmatiques ou disciplinaires de l’Eglise d’Irlande ne vaudront plus qu’à l’égard des fidèles, et à titre des stipulations librement consenties dans les conditions du droit commun. Pour les édifices du culte, l’article 25 de la loi contient les dispositions suivantes: les édifices religieux ne servant plus au culte, mais devant être conservés à titre de monuments historiques, sont remis à l’Administration des Travaux publics (Commissioners of Public Works) de l’Irlande, avec charge de veiller à leur conservation; les églises qui seront réclamées pour le service du culte par les représentants de l’Eglise leur sont attribuées; les églises non réclamées par ces représentants de l’Eglise et élevées au frais d’un particulier sont remises au donateur, sur sa demande, ou aux héritiers du testateur, pourvu toutefois que le décès du testateur soit postérieur à l’année 1800. Dans les autres cas, les Commissaires peuvent disposer de ces édifices comme ils l’entendent. On le voit, dans un pays voisin du nôtre, la séparation d’une Eglise officielle et de l’Etat a été légalement opérée et l’application de la loi n’a soulevé aucune difficulté particulière; la question agraire seule, à l’exclusion de la question religieuse, et celle de l’autonomie législative (Home rule) sont demeurées en Irlande des 196 causes d’agitation. L’Eglise protestante d’Irlande ne paraît pas d’ailleurs avoir souffert des modifications ordonnées par la loi, et la disparition de ses privilèges et de son caractère officiel n’a pas nui à son développement; et elle s’est reconstitué, depuis la séparation, un patrimoine considérable.
III. Projets de séparation en Angleterre.—Il y a en Angleterre, surtout depuis une trentaine d’années, un courant d’opinion assez marqué en faveur de la séparation entre l’Eglise et l’Etat. La Liberation society, «société fondée en vue de libérer la religion du patronage et du contrôle de l’Etat», poursuit avec une inlassable ténacité la campagne de brochures, de manifestes, de publications de toute espèce qu’elle a entreprise. D’après les estimations des «liberationists», c’est-à-dire les partisans de la séparation, les revenus capitalisés de l’Eglise anglicane et les églises et cathédrales représenteraient au total une somme de 220 millions livres de livres (5 milliards de francs). On estime qu’en privant l’Eglise de ses dotations, moyennant de larges compensations calculées d’après les mêmes bases que pour l’Eglise d’Irlande en 1869, l’Etat pourrait disposer d’environ 3 milliards. Tout un plan a été élaboré; il comporte l’attribution au Domaine des terres de rapport, l’attribution des anciennes églises (antérieures à 1818) aux habitants des paroisses, qui pourraient les employer au mieux de leurs intérêts ou les aliéner; l’attribution des églises modernes aux groupes de fidèles qui les ont construites, ou aux particuliers qui les ont fait élever à leurs frais, s’ils sont encore vivants[13].
Les «liberationists» n’ont jamais espéré ni obtenu 197 que l’appui politique du parti libéral. Le parti conservateur leur est nettement hostile. Même si les libéraux revenaient au pouvoir, les partisans de la séparation ne pourraient sans doute pas songer à la réalisation complète et immédiate de leur programme, qui est la suppression de toute Eglise officielle, même en Angleterre; mais peut-être ferait-on de nouveaux efforts pour obtenir le «Disestablishment» dans le pays de Galles et en Ecosse. Des propositions en ce sens ont été faites déjà à diverses reprises au Parlement anglais, et n’ont été repoussées qu’à une très faible majorité. Il est certain que le maintien d’une Eglise anglicane officielle dans le pays de Galles, où cette Eglise possède des revenus importants et perçoit pour plus de 5 millions de francs de dîmes, ne s’explique guère, alors que l’immense majorité de la population est détachée de cette Eglise.
Suisse.—La Constitution fédérale de la Confédération Suisse déclare inviolable la liberté de conscience et de croyance et garantit le libre exercice des cultes dans les limites compatibles avec l’ordre public et les bonnes mœurs (art. 49 et 50). Elle autorise la Confédération et les Cantons à prendre des mesures pour le maintien de l’ordre public et de la paix entre les membres des diverses communautés religieuses, ainsi que contre les empiètements des autorités ecclésiastiques sur les droits des citoyens et de l’Etat. Elle s’abstient de toute ingérence dans l’organisation et le fonctionnement des Eglises, sauf sur un point: le dernier paragraphe de l’article 50 stipule qu’il ne peut être érigé d’évêchés sur le territoire suisse sans l’approbation de la Confédération. Enfin, l’article 49, § 6, porte que nul n’est tenu de payer les impôts dont le produit est spécialement affecté aux frais du culte d’une communauté religieuse 198 à laquelle il n’appartient pas. De l’ensemble de ces prescriptions on ne doit point inférer qu’un régime analogue à celui de la séparation des Eglises et de l’Etat est établi dans toute la Suisse. Si la liberté de conscience et la liberté du culte sont pleinement assurées dans chaque canton conformément aux principes posés par la Constitution fédérale, la disposition relative à la participation aux frais du culte est à peu près inapplicable. Les subventions allouées par beaucoup de cantons à certains cultes étant payées sur les ressources générales des budgets et non pas fournies par des impôts spéciaux, les contribuables participent ainsi nécessairement aux frais d’un culte non pratiqué par eux.
Il y a dans tous les cantons des Eglises nationales, réglementées et, souvent, subventionnées par l’Etat. Il y a aussi des Eglises libres et séparées de l’Etat. Rien, au surplus, n’est moins uniforme que la législation politico-ecclésiastique des cantons suisses. La scission qui s’est produite après 1870 entre les vieux-catholiques et les catholiques romains, les tentatives faites par les gouvernements de certains cantons, à Genève notamment, en vue de constituer des Eglises catholiques nationales ont rendu les rapports de fait et de droit entre les Eglises et les cantons plus complexes encore.
D’une manière générale, on peut dire que les Eglises reconnues et officielles de chaque canton, c’est-à-dire l’Eglise protestante dans les uns, l’Eglise catholique dans les autres, les deux Eglises dans d’autres encore, sont subventionnées par l’Etat. Quand les revenus d’anciennes fondations, qui existent dans presque tous les cantons, où les taxes perçues sur les fidèles ne suffisent pas pour l’entretien du culte, des allocations sont fournies par les cantons. Les traitements des ministres des cultes figurent dans la plupart 199 des budgets cantonaux. Il y a des cantons (Argovie, Zurich, Fribourg, etc.) où des taxes spéciales pour les frais du culte sont perçues sur les fidèles de chaque Eglise dans la même forme que les impôts. En général les édifices des cultes appartiennent aux cantons ou aux communes, qui les mettent gratuitement à la disposition des cultes.
La situation légale de l’Eglise catholique romaine résulte d’anciennes coutumes dans certains cantons, dans d’autres d’une législation ayant un caractère concordataire: ainsi, pour le Tessin, des conventions ont été conclues avec le Saint-Siège les 1er et 23 septembre 1884 par le Gouvernement fédéral (dont les relations diplomatiques avec le Vatican étaient cependant rompues depuis dix ans) et par les autorités cantonales du Tessin. Ailleurs, enfin, cette situation est uniquement réglée par la loi cantonale.
Parfois l’Eglise s’est soumise sans difficulté à la législation civile; dans le canton de Thurgovie, par exemple, elle a accepté l’organisation synodale (comportant l’élection des curés par les fidèles), que la loi lui avait imposée, et elle est restée dans ces conditions Eglise officielle. Mais plus souvent elle a refusé de se plier à la réglementation faite par le pouvoir civil, et a renoncé à tous les droits et privilèges d’une Eglise officielle. Les catholiques romains se sont alors constitués en associations libres, entièrement séparées de l’Etat. Les Eglises catholiques officielles et subventionnées par les cantons, n’ont, depuis ce moment, compté d’autres fidèles que les vieux-catholiques, ou catholiques-chrétiens, dont le nombre est fort réduit[14]. Telle est la situation qui s’est produite, notamment à Bâle, à Berne et à Genève. 200 Dans le canton de Genève, c’est une association privée, l’Œuvre du Clergé, qui recueille les souscriptions des fidèles et paie les curés et vicaires. Pour remplacer les églises mises à la disposition des vieux catholiques, de nouveaux édifices ont été construits aux frais des fidèles. Toutefois les relations entre l’Eglise catholique et les autorités civiles de Genève, de Berne et de Bâle, fort tendues il y a une trentaine d’années, se sont beaucoup améliorées. Des édifices communaux sont mis gratuitement à la disposition des catholiques romains dans plusieurs communes du canton de Genève, à Bâle et dans le canton de Berne.
L’Eglise catholique n’est pas la seule qui vive séparée de l’Etat dans certains cantons suisses: il y a également à Genève, dans les cantons de Vaud et de Neuchâtel, des Eglises protestantes libres à côté des Eglises protestantes nationales. Là, comme pour les catholiques, l’initiative de la séparation est venue non du pouvoir civil, mais du groupement religieux.
En ce qui touche la police des cultes, on rencontre également en Suisse les régimes les plus divers. Dans le canton de Berne a été promulguée, le 14 septembre 1875, une loi sur la «répression des atteintes portées à la paix confessionnelle». L’article 2 de cette loi punit de l’amende et de la prison tout ecclésiastique faisant des institutions politiques ou des décisions des autorités de l’Etat l’objet d’une publication ou d’un discours de nature à mettre en danger la paix publique ou l’ordre public: (disposition reproduisant presque textuellement l’article 130 du Code pénal allemand). L’article 5 interdit sous peine d’amende et d’emprisonnement les processions et autres cérémonies religieuses en dehors des églises, chapelles et autres locaux privés. Saisi d’un recours contre ces dispositions de la loi cantonale, le Conseil 201 fédéral déclara, le 13 mai 1875, qu’elles ne portaient point atteinte aux principes de la liberté de conscience et de la liberté des cultes inscrits dans les articles 49 et 50 de la Constitution fédérale. A Genève, la loi du 28 août 1875 contient des dispositions analogues à la loi bernoise. Les processions sont également interdites dans le canton de Vaud. Elles sont, au contraire, autorisées dans le Valais et dans d’autres cantons catholiques. Dans le Tessin, notamment, l’administrateur apostolique, délégué direct du Saint-Siège, a des pouvoirs très étendus; il peut faire ordonner des prières publiques et des processions: (conventions de 1884 conclues avec le Saint-Siège). En vertu des mêmes conventions, les autorités civiles doivent prêter leur concours aux autorités ecclésiastiques pour l’exécution des mesures prises pour elles.
Ce qui précède suffit pour donner une idée de la diversité des législations relatives aux cultes dans les cantons suisses. Il convient d’ajouter que les tendances vers la séparation complète entre toutes les Eglises et les pouvoirs laïques s’accentuent dans beaucoup de cantons de la Confédération.
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Le régime de la séparation des Eglises et de l’Etat, encore si faiblement et incomplètement mis en pratique en Europe, est, au contraire, largement adopté dans le Nouveau-Monde; le Canada (où une loi de 1854 a sécularisé certains biens ecclésiastiques et a enlevé à l’Eglise tout caractère officiel), les Etats-Unis, le Mexique n’en connaissent point d’autre. On le rencontre encore dans la jeune république de Cuba, dans trois républiques du Centre-Amérique et enfin 202 dans le plus important des Etats de l’Amérique du Sud: les Etats-Unis du Brésil.
Etats-Unis.—Les rapports entre les pouvoirs civils et les religions aux Etats-Unis ont été, dans ces dernières années, fréquemment exposés. Les ouvrages de MM. le vicomte de Meaux (l’Eglise catholique et la liberté), Claudio Jeannet (les Etats-Unis contemporains), P. G. La Chesnais (Trois exemples de séparation), de Bryce (la République américaine [traduit en français], tome IV), de l’abbé Félix Klein (Au pays de la vie intense) fournissent à cet égard de nombreux éléments d’information qu’on doit compléter par l’examen des textes constitutionnels ou législatifs. Le principe de la laïcité et de la neutralité de l’Etat est consacré dans la constitution fédérale, qui décide qu’aucune déclaration de foi religieuse ne peut être requise comme condition d’aptitude pour l’obtention des fonctions et charges publiques dépendant du gouvernement fédéral (article 6) et qui interdit au Congrès de faire aucune loi à l’effet d’ «établir» (c’est-à-dire de reconnaître officiellement) une religion ou d’interdire son libre exercice (même article, amendement I). Ces mêmes principes, qui, au début du XIXe siècle, n’étaient pas encore appliqués dans tous les Etats de l’Union sont aujourd’hui uniformément proclamés et mis en pratique sur tout le territoire de la République. Presque toutes les constitutions des Etats déclarent que nul ne doit être forcé de contribuer aux dépenses d’une Eglise ou de se rendre à ses offices; beaucoup prohibent toute marque de préférence à l’égard d’une secte particulière. L’égalité des divers cultes est aussi complète que leur liberté. Mais la neutralité de l’Etat ne comporte, en Amérique, ni hostilité ni même indifférence à l’égard des religions. C’est de l’incompétence du pouvoir laïque 203 en matière religieuse et d’un sentiment profond de l’égalité que dérivent ces législations excluant toute religion officielle. La neutralité de l’Etat est essentiellement une neutralité bienveillante à l’égard des religions dont l’utilité est très généralement reconnue. Ainsi que l’a très justement fait observer Minghetti, il y a une séparation juridique, mais une véritable union morale entre l’Etat et les Eglises, et M. Bryce a pu aller jusqu’à dire que le «christianisme est en fait considéré comme étant, sinon la religion légalement établie, du moins la religion nationale». «Les fondateurs de notre gouvernement et les auteurs de notre constitution ont reconnu qu’entre la religion chrétienne et un bon gouvernement il y a une intime connexion et que cette religion est le fondement le plus solide d’une saine morale.» Ainsi s’exprime un juriste américain dans une étude sur le régime légal des Eglises dans l’Etat de New-York. Ces citations, auxquelles on pourrait en ajouter bien d’autres, permettent de comprendre quelle est la conception spéciale de la laïcité qui est admise aux Etats-Unis.
On s’explique ainsi le caractère très favorable aux Eglises, aux «corporations religieuses» des législations qui les régissent.
On s’explique aussi certaines dérogations au principe de la neutralité qui pourraient, au premier abord, paraître surprenantes; les allocations accordées par les Chambres fédérales à des chapelains appartenant aux diverses confessions chrétiennes, et qui disent des prières au début de chaque séance; la proclamation annuelle du Président de la République ordonnant des actions de grâce; les proclamations analogues de gouverneurs d’Etat fixant des jours pour la célébration de cérémonies religieuses; les honneurs publiquement rendus et les égards officiellement témoignés 204 par le Président de la République et toutes les autorités civiles aux dignitaires ecclésiastiques, notamment aux archevêques et cardinaux de l’Eglise romaine, etc.
La police des cultes est fortement organisée, mais presque uniquement en faveur des religions. Dans un certain nombre d’Etats, des lois punissent le blasphème, interdisent de travailler le dimanche; dans presque tous les Etats tout désordre causé au cours de l’exercice d’un culte, toute entrave au libre exercice des cultes, toute vente de marchandises, vins ou spiritueux aux alentours des églises et temples, des lieux destinés à des réunions religieuses ou prédications en plein air (camp-meetings) sont punis de l’amende et de la prison. Les cérémonies religieuses et processions sur les voies publiques sont généralement autorisées; pourtant une loi de 1880 les a interdites dans l’Etat de New-York.
Il n’y a, d’autre part, aucune loi dans les Etats de l’Union qui réprime spécialement des délits commis par les ecclésiastiques. Il faut dire que jusqu’à présent les ministres des divers cultes se sont presque toujours renfermés dans leur mission. La neutralité de l’Etat en matière religieuse coïncide réellement et effectivement, aux Etats-Unis, avec la neutralité des Eglises en matière politique. C’est un principe unanimement reconnu que «l’Eglise est un corps spirituel existant dans un but spirituel et se mouvant dans des voies purement spirituelles». (Bryces, La République américaine, tome IV, p. 461.) «On n’admet pas, dit le même auteur, qu’un clergyman s’immisce dans les affaires politiques et traite en chaire aucun sujet séculier.» (Ibid., p. 474). On ne peut qu’envier la grande démocratie américaine de ce que la sanction de l’opinion publique suffise, sans aucune disposition pénale, pour réprimer certains excès.
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L’organisation intérieure des diverses Eglises protestantes et de l’Eglise catholique est celle d’associations libres et volontaires; toutes les questions de propriété, celles de discipline et de juridiction ecclésiastique, sont, lorsqu’on les soumet aux tribunaux, résolues suivant les règles du droit commun. Il est à peine besoin de dire que le pouvoir civil n’intervient à aucun degré dans la nomination des dignitaires ecclésiastiques. Les Eglises protestantes élisent leurs pasteurs, leurs évêques, suivant les règles adoptées par chacune d’elles. Les curés catholiques sont choisis par les évêques; les évêques sont désignés par la Curie romaine sur une double liste de présentation dressée par les curés du diocèse et les évêques de la province.
Comme la législation anglaise, la législation américaine est peu défiante à l’égard des établissements de mainmorte; le bénéfice de la personnalité civile, qui emporte le droit de posséder et celui d’acquérir des biens à titre gratuit, est donc très libéralement accordé aux associations religieuses. Celles-ci peuvent soit ne pas se faire «incorporer», c’est-à-dire transformer en personnes morales, et se borner à constituer des fidéicommissaires (trustees) qui assurent la conservation des biens, soit devenir des corporations, des personnalités juridiques en vertu d’une déclaration faite devant une autorité administrative ou judiciaire, ou en vertu d’une loi spéciale. Mais des garanties sont prises contre l’accroissement illimité des biens de ces associations. Dans certains Etats la loi détermine le maximum du capital qu’elles peuvent posséder (Alabama, Colorado, Tennessee: 250.000 frs; Michigan, Caroline du Sud: 500.000 francs, etc.); dans d’autres, c’est le maximum du revenu des biens qui est fixé (Maryland, New-Jersey: 10.000 francs de revenu; Delaware: 1.500 fr. de revenu provenant 206 d’immeubles et 3.000 francs de revenu provenant de valeurs mobilières; Californie: 100.000 francs; New-Hampshire: 25.000 francs; Caroline du Nord, 30.000 francs; New-York: 60 000 francs). Ailleurs, la loi limite le nombre d’acres de terrain que peut posséder une Eglise: dans le district de Columbia, chaque association religieuse ne peut posséder qu’un acre de terrain pour y construire des églises et autres établissements servant à l’accomplissement du but de la société; dans l’Illinois, chaque association ne peut posséder d’autres immeubles que ceux servant au fonctionnement de l’association; dans l’Iowa, nul ne peut donner ou léguer à une association religieuse plus du quart de sa fortune.
On voit que, sous des formes très diverses, les législatures américaines ont pris des précautions contre l’accroissement des biens de mainmorte. Les corporations religieuses sont toutefois traitées avec beaucoup de bienveillance, on ne saurait trop le répéter. Leurs biens sont parfois partiellement exemptés d’impôts. Dans certains Etats (Maine, Massachusetts) elles sont autorisées non seulement à réclamer des cotisations, des taxes aux fidèles, mais encore à faire percevoir ces taxes dans les mêmes formes que les impôts d’Etat ou les impôts communaux.
Enfin, outre les lois générales, les législatures des Etats ont fréquemment édicté des lois relatives à telle ou telle Eglise protestante ou à l’Eglise catholique afin de donner à chacune d’elles l’organisation particulière qui lui convient le mieux. L’Eglise catholique a largement bénéficié de ces dispositions bienveillantes et a, dans beaucoup d’Etats, fait créer ainsi, à son profit, un droit spécial, qu’elle préfère au droit commun des associations. Un jurisconsulte catholique faisait naguère remarquer que l’association, c’est-à-dire le libre groupement de citoyens associés 207 pour exercer un culte, «est la négation pratique et le renversement de la hiérarchie catholique,» (Voir rapport sur les projets de lois relatifs à la séparation adressé par M. G. Théry, ancien bâtonnier du barreau de Lille à l’archevêque de Cambrai, dans le Siècle du 1er janvier 1905). Or, aux Etats-Unis, le désir de ne refuser aucune concession au sentiment religieux l’a emporté sur le respect dû aux principes démocratiques. L’Eglise catholique a dans certains Etats fait reconnaître et consacrer par la loi l’organisation hiérarchique et autoritaire qui lui est chère. Ainsi dans l’Etat de New-York, à la suite de la campagne menée par l’évêque Hughes, une loi du 25 mars 1863 a admis que la paroisse catholique, qui constitue une «corporation», c’est-à-dire une personne morale, serait administrée par l’évêque du diocèse, un vicaire général, le curé de la paroisse et deux laïques nommés par les trois premiers membres. Le vicaire général et le curé étant eux-mêmes nommés par l’évêque, celui-ci a en réalité les pouvoirs les plus complets quant à l’administration de la paroisse. La personnalité civile de l’évêché ou du diocèse, que l’Eglise catholique a fait tant d’efforts pour faire reconnaître en France depuis le Concordat, a été obtenue dans plusieurs Etats; tantôt des lois spéciales ont reconnu la personnalité juridique de certains archevêchés ou évêchés nominativement désignés (Michigan: loi du 27 mars 1867.—Massachusetts: loi du 11 juin 1897); tantôt les lois déclarent en termes généraux que l’évêque ou tout autre chef spirituel d’une commission religieuse peut constituer ce que le droit anglo-saxon appelle une corporation sole, c’est-à-dire une personnalité juridique apte à posséder et à acquérir à titre gratuit des biens affectés à un but religieux et devant être transmis aux titulaires successifs de la fonction ecclésiastique (Californie, Orégon).
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Néanmoins toute ingérence des fidèles dans l’administration temporelle des Eglises n’a pas été entièrement écartée: généralement le sermon d’un dimanche par an est remplacé par un compte rendu de gestion aux fidèles.
Un semblable régime légal a, bien entendu, eu pour conséquence un accroissement prodigieusement rapide de la puissance morale et matérielle des Eglises, et notamment de l’Eglise catholique. Jusqu’à présent aucun parti politique ne paraît songer à y mettre obstacle. Le nombre des non-croyants est néanmoins considérable aux Etats-Unis. Si les interventions des Eglises dans les affaires politiques devenaient plus fréquentes et moins discrètes, si les efforts d’ailleurs couronnés de succès, qu’a faits l’Eglise catholique en vue de constituer un enseignement primaire strictement confessionnel, apparaissaient un jour comme dangereux à certains égards, notamment au point de vue du retard qui en résulte pour l’assimilation des immigrés catholiques et leur fusion avec les autres races[15], peut-être les Américains connaîtraient-ils à leur tour cette question cléricale qu’ils considèrent, avec un dédain un peu superficiel et avec la confiance d’un peuple jeune, n’ayant point encore fait certaines expériences, comme occupant une trop grande place dans les préoccupations politiques du vieux monde. Peut-être viendra-t-il un jour où il y aura parmi eux non seulement des non-croyants, des «agnostiques», mais des anticléricaux.
Mexique.—La séparation des Eglises et de l’Etat apparaît dans la législation du Mexique sous un tout autre aspect qu’aux Etats-Unis. On ne peut parler ici d’une étroite union morale entre l’Etat et l’Eglise 209 tempérant ou altérant les effets de la séparation juridique.
Rappelons en quelques mots les origines historiques de la séparation au Mexique que M. P. G. La Chesnais a exposées très complètement dans son intéressante brochure intitulée Trois exemples de séparation, publiée par les soins des Pages libres.
Le clergé catholique, peu nombreux, mais tout-puissant par ses immenses richesses, possédait au milieu du XIXe siècle un tiers des biens fonciers de la nation. Après la guerre d’indépendance, qui libéra le Mexique de la suzeraineté de l’Espagne, il ne cessa point d’intervenir dans les luttes politiques.
Le parti fédéraliste devint un parti nettement anticlérical. En 1856, ce parti, parvenu au pouvoir, supprima la mainmorte ecclésiastique en autorisant les tenanciers à devenir propriétaires des terres louées par les titulaires de bénéfices ecclésiastiques; puis il fit disparaître les congrégations d’hommes, nationalisa les édifices du culte, laïcisa l’état civil, supprima enfin la légation mexicaine près le Vatican. Pour conserver ses richesses, le clergé déchaîna la guerre civile, puis la guerre étrangère. On sait comment se termina tragiquement le règne éphémère de l’archiduc autrichien Maximilien, à qui Napoléon III avait cru devoir offrir l’appui d’une armée française. Le parti fédéraliste, définitivement vainqueur avec Juarez, édicta une loi de laïcisation qui établissait notamment une séparation complète entre l’Etat et l’Eglise. Il convient de citer ou d’analyser les dispositions de cette loi, promulguée le 14 décembre 1874 (voir le texte complet dans l’Annuaire de législation étrangère, publié par la Société de législation comparée, année 1875).
«L’Etat et l’Eglise, dit l’article premier, sont indépendants l’un de l’autre. Il ne pourra être fait de loi 210 établissant ou prohibant aucune religion; mais l’Etat exerce son autorité sur chaque religion en ce qui concerne l’ordre public et les institutions.»
L’article 2 est ainsi conçu: «L’Etat garantit l’exercice des cultes dans la République. Il ne punira que les actes et pratiques qui, bien qu’autorisés par quelque culte, constituent une contravention ou un délit conformément aux lois pénales.»
L’article 3 déclare que les autorités publiques ne prendront plus part officiellement aux cérémonies d’un culte quelconque. Ne sont plus reconnus comme jours fériés que ceux ayant pour objet exclusif la célébration d’événements purement civils. Toutefois, le dimanche demeure désigné comme jour de repos pour les bureaux et administrations publiques.
L’article 5 n’autorise la célébration publique d’un acte religieux que dans l’intérieur d’un temple, et ce sous peine d’une amende de 10 à 200 piastres et d’une incarcération de deux à quinze jours; un emprisonnement de deux à six mois peut être prononcé si l’acte a un caractère solennel et s’il y est procédé en violation d’une injonction de l’autorité en ordonnant l’interruption immédiate. Hors des temples, le port de vêtements et d’insignes distinctifs est interdit tant aux ministres des cultes qu’aux fidèles, sous peine de 10 à 200 piastres d’amende.
L’usage des cloches n’est autorisé qu’en tant qu’il est strictement nécessaire pour appeler les fidèles à l’office; il peut faire l’objet de règlements de police (article 6).
Les temples doivent faire l’objet d’une déclaration ou d’enregistrement. Ils jouissent alors, tant qu’ils demeurent affectés à l’exercice du culte, de la protection accordée aux lieux du culte par l’article 969 du code pénal de district fédéral. Ce code contient huit articles relatifs aux atteintes à la liberté des cultes 211 (articles 968 à 975): l’article 969 punit le trouble apporté à l’exercice du culte dans un lieu affecté à cet exercice, et l’article 971 réprime l’outrage envers un ministre du culte dans l’exercice de ses fonctions; des dispositions analogues se rencontrent dans les codes pénaux des divers Etats mexicains.
Les ministres des cultes ne jouissent, depuis la séparation, d’aucun privilège qui les distingue des autres citoyens et ne sont soumis à aucune prohibition autre que celle résultant des lois et de la Constitution (loi de 1847, article 10).
«Les discours prononcés par les ministres des cultes qui contiendront le conseil de désobéir aux lois ou la provocation à quelque crime ou délit rendent illicite la réunion où ils se tiennent; et cette réunion, cessant de jouir du privilège contenu en l’article 9 de la Constitution, peut être dissoute par l’autorité. L’auteur du discours restera dans ce cas soumis à la disposition du titre VI, chapitre VIII, livre 3 du code pénal du district fédéral applicable, dans ce cas, à toute la République. Les délits commis à l’instigation ou à la suggestion d’un ministre du culte dans les cas ci-dessus constituent ce dernier auteur principal du fait» (article 11).
«Toutes les réunions qui auront lieu dans les temples seront publiques et soumises à la surveillance de la police et l’autorité pourra y exercer les pouvoirs qui lui appartiennent si les circonstances l’exigent» (article 12).
Les organisations religieuses s’organisent hiérarchiquement comme il leur convient et leur supérieur les représente devant l’autorité (article 13). Elles ne peuvent acquérir et posséder des biens-fonds et des capitaux à eux attachés, exception faite pour les temples consacrés d’une façon directe au service public du culte et pour les annexes et dépendances des temples 212 qui sont strictement nécessaires au service du culte (article 14). Elles peuvent recevoir des aumônes et des donations mobilières, mais non des legs. Les quêtes ne sont permises que dans l’intérieur des temples. Toute infraction à cette prescription est punissable d’une amende pouvant s’élever jusqu’à mille piastres (article 15).
Les temples, nationalisés par la loi du 12 juillet 1859, demeurent propriété de l’Etat; ils sont laissés à l’usage exclusif des institutions religieuses qui doivent veiller à leur conservation et à leur amélioration (article 16). Les temples appartenant à l’Etat sont exempts de contributions.
Telles sont les dispositions régissant au Mexique l’exercice des cultes.
La même loi du 14 décembre 1874 a supprimé l’enseignement religieux et les exercices religieux dans les écoles ou tous autres établissements publics (article 4). Elle refuse aux ministres des cultes la capacité d’être institués héritiers ou légataires par ceux à qui ils ont prêté leurs secours spirituels (articles 8 et 9). Elle interdit enfin les ordres monastiques (articles 19 et 20), supprime le serment religieux (article 21), refond les lois antérieures sur la laïcisation de l’état civil et le mariage civil (articles 22, 23 et 24), sur la laïcisation des cimetières, etc., prohibe tout pacte ou convention ayant pour objet la perte ou le sacrifice irrévocable de la liberté de l’individu.
Le Mexique possède ainsi la législation laïque la plus complète et la plus harmonique qui ait jamais été mise en vigueur jusqu’à ce jour. Il est délivré depuis trente ans de la question cléricale et a pu se vouer entièrement à son développement économique: il connaît réellement la paix religieuse. L’Eglise catholique ne paraît pas avoir souffert, d’ailleurs, du 213 régime légal assez strict mais non oppressif sous lequel elle vit. «Le clergé n’est pas à plaindre. Les curés des paroisses rurales ont une situation plutôt meilleure que sous l’ancien régime. Les dons, les quêtes dans l’église, le casuel suffisent à soutenir les frais du culte et entretenir les ministres et les séminaires... Les églises, fort délabrées et mal desservies en 1857, ont recouvré leur splendeur» (P. G. La Chesnais, op. cit., p. 89.) Le gouvernement du président Porfirio Diaz n’a cessé d’appliquer sans hostilité à l’égard de l’Eglise, mais avec fermeté, la législation laïque de 1874; et, s’il faut en croire une correspondance récemment adressée de Rome au Journal des Débats, il a toujours opposé une fin de non-recevoir aux démarches officieuses faites assez fréquemment. par le Saint-Siège en vue de la conclusion d’un nouveau Concordat.
Cuba.—La République de Cuba, dont la population d’environ 1.572.000 habitants est presque entièrement catholique, offre un exemple unique assurément. La séparation complète de l’Etat et de l’Eglise s’y est faite «sans phrases», pourrait-on dire: sans promulgation d’aucune loi ni d’aucun décret, sans agitation anticléricale, sans protestation de la part de l’Eglise.
Les Etats-Unis, en intervenant militairement dans l’île en 1899, n’ont pas seulement donné aux Cubains la liberté et l’indépendance; ils ont substitué, sans mot dire, au régime espagnol de la religion d’Etat le régime américain de la séparation. Sous la domination espagnole les frais du culte catholique (traitements, pensions, entretien des édifices) étaient supportés par le budget; les autres cultes n’étaient que tolérés et leur service n’était permis que dans des locaux privés. Dès le début de l’intervention américaine 214 l’Eglise catholique cessa d’être subventionnée par l’Etat; l’exercice de tous les cultes devint libre. Ce changement radical s’opéra sans bruit, sans difficulté d’aucune sorte. Et depuis l’établissement définitif de la République cubaine (20 mai 1902) aucune loi n’est intervenue à l’effet de régler cette situation toute nouvelle. Les seuls textes qui aient trait à la question sont un règlement relatif aux cimetières, qui fut édicté le 12 avril 1899 par l’autorité militaire américaine, un acte notarié, intervenu entre le gouverneur américain et les représentants de l’Eglise catholique pour reconnaître à celle-ci la propriété de certains immeubles qu’avait confisqués le gouvernement espagnol, et enfin l’article 26 de la constitution de la nouvelle République. Cet article déclare que l’exercice de tous les cultes est libre, que l’Eglise est séparée de l’Etat, et que l’Etat ne peut en aucun cas subventionner un culte quelconque.
Le règlement du 12 avril 1899 a confié aux municipalités l’administration des cimetières construits à ses frais. L’article 5 spécifie en termes généraux que tous les édifices du culte ou autres bâtiments servant à un but religieux et dont les ministres du culte ou les représentants d’une Eglise sont en possession seront considérés comme propriétés de l’Eglise tant qu’il n’en aura pas été décidé autrement par l’autorité compétente; et ce texte provisoire paraît avoir suffi à trancher jusqu’à présent toute difficulté.
Les processions et manifestations extérieures du culte ne sont aucunement réglementées. On admet généralement qu’il appartient aux autorités municipales de les autoriser ou de les interdire.
Brésil.—Une récente étude de M. Louis Guilaine, parue dans la Revue politique et parlementaire du 10 janvier 1905, et à laquelle nous empruntons une 215 notable partie des renseignements qui vont suivre, expose dans quelles conditions la séparation des Eglises et de l’Etat a été établie et réalisée au Brésil.
Le Brésil est, comme le Mexique, presque exclusivement peuplé de catholiques (15 millions et demi sur une population de 16 millions). Avant la révolution de 1889 la monarchie brésilienne reconnaissait la religion catholique romaine comme religion d’Etat. Jusqu’en 1881 les non-catholiques étaient exclus de tout mandat législatif. Depuis la révolution, le Brésil est une république fédérative et décentralisée où les principes de la laïcité de l’Etat et de la liberté des cultes ont été reconnus.
Les textes qui organisèrent le nouveau régime sont le décret du gouvernement provisoire du 7 janvier 1890, la Constitution du 24 février 1891 et la loi sur les associations du 10 septembre 1893.
L’article 2, § 2, de la Constitution interdit aux Etats comme à l’Union d’établir, de protéger ou d’entraver les cultes religieux.
L’article 72, § 7, interdit toute subvention officielle en faveur d’une Eglise, tous rapports officiels avec une Eglise.
L’article 72, § 3, consacre, comme l’avait fait l’article 2 du décret du 7 janvier 1890, le principe du libre exercice—privé ou public—de tout culte.
L’article 72, § 28, porte que nul citoyen brésilien ne pourra en raison de ses croyances ou de ses fonctions religieuses être privé de ses droits réels ou politiques ni se soustraire à l’observation de ses devoirs de citoyen.
Le budget des cultes est, on le voit, entièrement supprimé. Il s’élevait, avant 1889, à environ 2.500.000 francs et comprenait, outre les traitements des ministres du culte, les allocations qui étaient accordées aux bienheureux saint Sébastien et saint Antoine à raison 216 de leurs titres de majors de l’armée brésilienne. C’est le prieur d’un couvent de Rio-Janeiro qui touchait ces traitements au nom de leurs célestes titulaires.
Au début, le nouveau régime fut assez mal accueilli par le haut clergé dont certains membres prirent part à des conspirations antirépublicaines. Mais peu à peu l’Eglise s’est ralliée à la nouvelle législation qui, d’ailleurs, depuis la promulgation de la Constitution n’a été ni complétée par des textes ni appliquée par les pouvoirs publics dans un sens anticlérical. L’Eglise a perdu les subventions budgétaires, mais elle est délivrée de la tutelle parfois très dure que le pouvoir civil exerçait, avant la proclamation de la République, sur l’épiscopat brésilien. Presque aucune précaution n’est prise pour empêcher l’accroissement de ses biens. L’acquisition de toute espèce de biens est permise aux associations religieuses qui ont acquis la personnalité juridique par un enregistrement au bureau des hypothèques. Ce n’est qu’en cas d’extinction d’une association, et si aucune association analogue n’est apte à recueillir son patrimoine, que celui-ci passe au domaine de l’Etat. Chaque Eglise a d’ailleurs conservé la propriété des édifices consacrés au culte et des autres immeubles dont elle était en possession sous l’ancien régime. (Décret du 7 janvier 1890, article 5). Aucune disposition légale ne limite le libre exercice des cultes. Les processions et autres manifestations extérieures sont autorisées et l’article 72, § 7, de la Constitution est si peu strictement appliqué que les autorités civiles figurent dans les processions et que l’archevêque de Rio-de-Janeiro est assis aux côtés du Président de la République dans les cérémonies civiles. Les prêtres et séminaristes ne font pas de service militaire; le mariage civil ne doit pas obligatoirement précéder le mariage religieux. 217 Bref, on a pu dire que «la séparation faite en théorie est loin d’être achevée dans la pratique». Et l’on ne s’en étonne point si l’on songe que la séparation des Eglises et de l’Etat n’a été décrétée qu’il y a quelques années; qu’elle n’a pu changer subitement les croyances et les mœurs d’un peuple profondément catholique, et qu’enfin elle n’a pas été l’œuvre d’anticléricaux ou tout au moins de libres-penseurs peu favorables aux Eglises, mais d’un groupe de positivistes ennemis de toute religion officielle, et partisans déclarés de la liberté absolue et illimitée des diverses religions. (Voir à ce sujet, dans le Courrier Européen du 16 janvier 1905, une lettre de M. Miguel Lemos, chef de «l’Eglise positiviste» du Brésil.)
Equateur.—La république de l’Equateur était demeurée jusqu’à la fin du dix-neuvième siècle une véritable théocratie. Les moines y étaient tout-puissants: ils y avaient accumulé une énorme fortune; ils étaient les maîtres occultes des administrations et du gouvernement. L’Eglise catholique était la religion de l’Etat; un concordat avait été conclu avec le Vatican en 1862. Par l’intermédiaire des moines, le Saint-Siège dominait en réalité la République; le clergé séculier dépendait étroitement des ordres monastiques, et des prélats allemands, italiens, espagnols étaient envoyés dans le pays pour y occuper les hauts emplois ecclésiastiques. Une révolution survenue en 1895 amena le parti clérical au pouvoir. Et, en moins de dix ans, par un changement d’une singulière soudaineté, cette république théocratique est devenue un Etat laïque.
Le mariage civil a été rendu obligatoire; le divorce non encore admis dans les autres républiques hispano-américaines qui ont institué le mariage civil, a été autorisé; la légation près le Vatican a été supprimée. 218 Enfin, une loi sur les cultes est intervenue le 12 octobre 1904. L’article final de cette loi abroge le Concordat. L’article 1er proclame la liberté et l’égalité des cultes. La loi exige que tous les évêques, curés, vicaires et autres ministres des cultes soient de nationalité équatorienne. Elle interdit la fondation de nouveaux couvents, l’immigration des moines étrangers; elle supprime par extinction les couvents cloîtrés en leur interdisant de recevoir des novices. Les biens des ordres monastiques sont placés sous le contrôle du gouvernement. Ils ne peuvent plus être aliénés sans son autorisation; ils doivent tous être loués aux enchères publiques ou administrés par des commissaires gouvernementaux. Les revenus de ces biens sont affectés, en première ligne, aux besoins des membres des ordres religieux, en seconde ligne, à l’exercice et à l’entretien du culte et du clergé séculier; s’il y a un excédent, il est attribué dans chaque province à des œuvres de bienfaisance ou d’utilité publique. Si, au contraire, les revenus de ces biens sont insuffisants pour pourvoir tout à la fois aux besoins du clergé régulier et à l’entretien du culte, l’Etat doit fournir une subvention complémentaire pour cet entretien; mais c’est là un cas exceptionnel, dont on ne prévoit guère la réalisation, étant donné l’importance du patrimoine des ordres religieux; aussi la loi considère-t-elle cette subvention éventuelle de l’Etat comme rentrant au nombre des dépenses extraordinaires. Et il n’y a pas normalement de budget des cultes.
Bref, on peut dire que la République de l’Equateur, qu’on appelait encore il y a dix ans «la République du Sacré-Cœur», a décrété tout à la fois la sécularisation des biens du clergé, la limitation du monarchisme, la neutralité et la laïcité de l’Etat, la 219 suppression du budget des cultes et l’abrogation du Concordat.
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On voit que sous des formes diverses, et avec des caractères différents, le régime de la séparation est aujourd’hui en vigueur dans la plus grande partie du Nouveau-Monde. Certaines républiques sud-américaines, qui ne l’ont pas encore adopté, l’adopteront peut-être dans un avenir peu éloigné (on signalait récemment au Chili une vive agitation en faveur de la suppression du budget des cultes). D’autre part, plusieurs colonies anglaises n’ont jamais connu d’autre régime, par exemple la Nouvelle-Zélande; et dans la plupart des colonies où des liens officiels unissaient l’Etat à l’Eglise ces liens ont été rompus: au Canada (on l’a déjà signalé) en 1854, dans les colonies australiennes en 1863, 1866 et 1870, à la Jamaïque en 1870, dans les autres Antilles en 1868, 1871 et 1873, au Cap en 1875, à Ceylan en 1881[16].
Ce qui a été ébauché en Europe et réalisé en Amérique et dans tout l’empire colonial anglais n’est pas inconnu en Extrême-Orient. Il est piquant de constater qu’une tentative en vue d’instaurer une religion d’Etat a été faite au Japon, dans les trente dernières années et qu’elle a échoué. Le Ministère des Cultes a été supprimé et deux bureaux du Ministère de l’Intérieur ont été chargés des affaires religieuses. L’égalité et la liberté des divers cultes (bouddhiste, shintoïste et chrétien) ont été proclamées. La séparation complète des Eglises et de l’Etat compte de nombreux partisans et une fraction du Parlement japonais s’est 220 prononcée en faveur de cette réforme il y a cinq ans[17].
On disait récemment que la politique historique de la France tendait à la distinction complète du domaine civil et du domaine religieux. En réalité, c’est là que tend la politique de toutes les nations civilisées.
221
Telle est, dans les principales nations du monde, l’état de la législation appliquée aux diverses religions; telle est en France, la situation des trois cultes reconnus au moment où vous êtes appelés à résoudre l’un des plus gros problèmes politiques qui aient jamais sollicité l’attention du législateur. Ce problème, votre Commission a pu l’étudier et s’efforcer à le résoudre en toute impartialité comme en toute sérénité d’esprit.
Le moment où elle a été constituée, les conditions dans lesquelles elle a entrepris et poursuivi son œuvre la mettaient à l’abri des coups de passion et lui permettaient d’envisager sa tâche avec le calme et le sang-froid désirables. Le 18 juin 1903, date à laquelle elle a été nommée, les événements n’avaient pas pris encore le caractère aigu et pressant que les conflits avec le Saint-Siège lui ont donné depuis. La question de la séparation n’était pas posée dans le domaine des faits; elle restait sous la seule influence des considérations théoriques et des raisons de principe. C’est dire que l’on pouvait croire encore lointaine la solution qui s’impose aujourd’hui.
La majorité de la Commission, favorable en principe à la réforme, ne travaillait donc pas pour un résultat immédiat; la fièvre du succès prochain ne 222 risquait pas de troubler ses délibérations. Si elle ne se désintéressa à aucun moment de la tâche que vous lui aviez confiée c’est que, d’abord, elle comprit toute la valeur de propagande que pourraient avoir dans le pays et au sein du Parlement même, ses efforts; c’est qu’ensuite elle ne tarda pas à se laisser prendre tout entière par le vif intérêt de ses travaux. Les membres de la minorité eux-mêmes n’échappèrent pas à cette attraction et c’est leur honneur d’avoir pendant les 39 séances qui ont été consacrées par la Commission à l’accomplissement de son mandat, collaboré loyalement, avec un zèle persistant et une entière sincérité, avec leurs collègues de la majorité dans la recherche des solutions qui vous sont aujourd’hui proposées.
Nous pouvons dire que le projet finalement adopté est l’œuvre de la Commission tout entière. Beaucoup de ses dispositions portent l’empreinte de la minorité, dont le succès a souvent couronné les efforts, attestant que l’esprit systématique et le parti-pris étaient exclus des délibérations communes. S’il en avait été autrement, les travaux de votre Commission eussent été frappés de stérilité. De par sa composition même, elle semblait, en effet, dès l’origine, vouée à une incurable impuissance, et l’on ne peut pas reprocher à son honorable président de s’être montré exagérément pessimiste quand, après avoir accepté une fonction qui ne devait pas être pour lui une sinécure, il prononça ces paroles peu rassurantes:
«Aucun de nous ne se dissimule les conditions très spéciales, pour ne rien dire de pis, dans lesquelles notre Commission aborde sa tâche.
«Elle est venue au jour sous des auspices peu favorables, les augures sont unanimes à lui prédire la vie difficile. Ils ne s’entendent, d’ailleurs, que sur un point: Que peut faire d’utile une Commission partagée 223 par moitiés égales à une unité près? La discussion y sera, disent les uns, si passionnée, la lutte à chaque séance si acharnée, que le temps se passera en une longue querelle sans issue, et que la Commission se perdra dans le bruit. Au contraire, disent les autres, le sentiment même de l’inutilité de débats qui ne peuvent pas aboutir, paralysera vite, des deux parts, l’ardeur des combattants: la Commission se perdra dans le silence.»
Si cette sombre prédiction n’est pas réalisée, si votre Commission a pu conduire à bonne fin la tâche lourde et difficile que vous lui aviez confiée, c’est, je le répète, grâce à la bonne volonté réciproque dont n’ont cessé de faire montre les membres de la minorité et de la majorité.
Dans sa première réunion constitutive, la Commission avait élu pour président M. Ferdinand Buisson; pour vice-présidents MM. Bepmale et Baudon; pour secrétaires MM. Gabriel Deville et Sarraut; pour rapporteur provisoire le signataire de ce rapport. Aussitôt après, elle adoptait, à la majorité de 17 voix contre 15, un ordre du jour proposé par MM. Allard et Vaillant, et ainsi conçu:
«La Commission décide qu’il y a lieu de séparer les Eglises et l’Etat, et de commencer l’examen des systèmes divers proposés pour remplacer le régime du Concordat.»
C’était, dès le premier jour, les travaux de la Commission nettement orientés dans le sens de la séparation. Les séances qui suivirent furent consacrées à l’examen des diverses propositions de loi qui avaient été déposées au cours de la législature sur le bureau de la Chambre et renvoyées à la Commission.
Ces propositions, il convient de les rappeler ici, 224 dans leur ordre chronologique, et de leur consacrer une rapide analyse.
Elles ont ouvert ou jalonné la voie que la Commission a suivie, et par leur influence directe ou indirecte, certainement concouru à ses conclusions finales.
Proposition Dejeante.—La première en date est celle de M. Dejeante, déposée à la séance du 27 juin 1902. Elle reproduit la proposition de notre collègue Zévaés sous la précédente législature et se caractérise par une économie des plus simples. Elle a pour objet la dénonciation du Concordat, la suppression immédiate de toutes les congrégations religieuses, la reprise par l’Etat des biens appartenant aux congrégations et aux établissements ecclésiastiques. Les capitaux et les ressources rendus disponibles par la suppression du budget des cultes seraient affectés à la constitution d’une Caisse des retraites ouvrières.
Proposition Ernest Roche.—Très succinctement aussi est libellée la proposition de M. Ernest Roche, du 20 octobre 1902. Elle prononce la dénonciation du Concordat, supprime le budget des cultes et l’ambassade auprès du Vatican. Les associations formées pour l’exercice des cultes sont soumises au droit commun. Les immeubles dont les Eglises ont actuellement la disposition feraient l’objet de baux librement conclus avec l’Etat ou les communes. Les ressources devenues disponibles par ce nouveau régime seraient remises comme premier apport à une Caisse des retraites ouvrières constituée sans délai. Une loi spéciale déterminerait les mesures transitoires rendues nécessaires par l’application de ces dispositions.
Ces deux propositions, assez laconiques, avaient surtout dans la pensée de leurs auteurs le caractère de projets de résolution. Elles devaient permettre à la 225 Chambre de se prononcer sur le principe même de la séparation des Eglises et de l’Etat. C’est dans la séance du 20 octobre que la Chambre, après avoir repoussé l’urgence sur les propositions de MM. Dejeante et Ernest Roche, adoptait la motion de M. Reveillaud qui instituait une Commission de 33 membres chargés d’examiner tous les projets relatifs à un nouveau régime des cultes.
Proposition de Pressensé.—Le premier qui fut déposé depuis fut celui de M. Francis de Pressensé le 7 avril 1903.
Il serait difficile de rendre un hommage exagéré à un travail aussi savant et aussi consciencieusement réfléchi.
M. de Pressensé s’est donné pour tâche, et a eu le très grand mérite de poser nettement toutes les principales difficultés soulevées en aussi grave matière, et d’envisager résolument le problème dans toute son étendue.
Les solutions qui ont été adoptées dans la suite peuvent être différentes, souvent même divergentes de celles qu’il indiquait lui-même; il n’en demeure pas moins que sa forte étude a contribué beaucoup à faciliter les travaux de la Commission.
La caractéristique du projet est de réaliser radicalement la séparation des Eglises et de l’Etat en tranchant tous les liens qui les rattachent. Il garantit expressément la liberté de conscience et de croyances. Dénonciation du concordat, cessation de l’usage gratuit des immeubles affectés aux services religieux et au logement des ministres des cultes, suppression du budget des cultes et de toutes subventions par les départements ou les communes, telles sont les mesures générales par lesquelles serait assurée la laïcisation complète de l’Etat. Des dispositions spéciales à une 226 période de transition déterminent les pensions allouées aux ministres des cultes en exercice, sous certaines conditions très strictes d’âge et de fonction. Les immeubles, provenant des libéralités exclusives des fidèles, seraient attribués à des «sociétés civiles» formées pour l’exercice du culte; tous les autres feraient retour à l’Etat ou aux communes, selon qu’ils sont actuellement diocésains ou paroissiaux. Les églises et presbytères pourraient être pris en location par les sociétés cultuelles.
Selon une disposition intéressante, dont certains n’ont peut-être pas bien compris le but éloigné de toute arrière-pensée de vexation, l’Etat ou les communes pourraient insérer dans les baux des stipulations leur réservant le droit, à certains jours, en dehors des heures de culte et de réunions religieuses, d’user des immeubles loués, pour des cérémonies civiques, nationales ou locales.
Les sociétés cultuelles se formeraient selon le droit commun. Elles ne pourraient cependant posséder plus de cathédrales, évêchés, églises, presbytères, que les établissements ecclésiastiques n’en ont aujourd’hui à leur disposition, proportionnellement au nombre des fidèles, ni plus de capitaux que ceux produisant un revenu égal aux sommes nécessaires pour la location des édifices religieux et le traitement des ministres du culte.
Les sociétés cultuelles doivent rendre public le tarif des droits perçus ou des prix fixés pour les cérémonies du culte et pour la location des chaises. Ce tarif ne pourra, en aucun cas, s’élever au-dessus du tarif en cours à l’époque de la promulgation de la loi.
La police des cultes est déterminée, dans ce projet, avec un soin précis, pour empêcher toute action ou manifestation étrangère au but religieux des sociétés cultuelles.
227
Par des dispositions minutieuses relatives aux privilèges, dispenses, incompatibilités dont les ministres du culte sont actuellement l’objet, aux aumôneries, au serment judiciaire, aux cimetières et pompes funèbres, toutes les particularités inscrites encore dans la législation pour des motifs religieux, toutes les manifestations ou signes extérieurs du culte sont supprimés.
Une analyse exacte et complète de ce texte étendu exigerait des développements que nous ne pouvons malheureusement lui consacrer. Son rédacteur a cherché, tout en sauvegardant fermement les intérêts de la société laïque, à effectuer une séparation nette et décisive entre l’Etat et les Eglises.
Proposition Hubbard.—L’originale proposition de M. Hubbard présentée le 26 mai 1903 ne tendait pas uniquement à ce but. Elle assimile les associations religieuses aux associations ordinaires et s’efforce de les rapprocher en fait. Elle supprime tous les textes relatifs au régime des cultes et le budget des cultes actuel. Les prêtres, pasteurs et rabbins qui justifieraient de ressources personnelles insuffisantes recevraient pendant deux ans une indemnité. Celle-ci serait payée à titre viager aux vieillards et infirmes. Les biens des menses seraient repris par l’Etat, ceux des fabriques par les communes, sauf revendications des donateurs et des héritiers légitimes des testateurs pour les dons et legs recueillis depuis moins de 30 ans.
Mais l’idée toute nouvelle de la proposition est la création qu’elle prescrit dans chaque commune et chaque arrondissement urbain, d’un conseil communal d’éducation sociale. Ce conseil, composé en partie de femmes, administrerait les biens affectés gratuitement aux cultes et à leurs ministres et en réglerait l’usage. Il aurait de même des droits et obligations de 228 gérance pour tous les immeubles servant aux cérémonies et au fonctionnement de toutes les associations d’enseignement ou de prédication morale, philosophique ou religieuse. Toutes les manifestations extérieures du culte, toutes réunions seraient régies par le droit commun.
Nous ne pouvons entrer dans le détail de cette organisation. M. Hubbard a voulu rapprocher dans la pratique toutes les formes de la vie religieuse et de la vie intellectuelle ou morale, et leur donner comme des guides communs. Son projet est, dans le fond comme dans l’expression, particulièrement philosophique.
Proposition Flourens.—La proposition de M. Flourens, du 7 juin 1903, réalise l’indépendance absolue et légalise la création ou la résurrection de toutes les associations religieuses quelconques. L’Etat, une période de transition écoulée, ne subventionnerait aucune de ces associations. Encore devrait-il, sur la simple demande de celles-ci, mettre à leur disposition les édifices actuellement affectés à l’usage religieux, sous la seule condition de ne pas les détourner de cette affectation. La partie caractéristique de cette proposition est sans nul doute celle qui est relative aux œuvres et fondations charitables des associations cultuelles et à la propagation et l’enseignement de leurs doctrines.
Toutes les formes de pareilles manifestations de la vie ecclésiastique sont réalisables; les associations sont libres sans restriction et sans qu’il y ait lieu de rechercher si leurs adhérents ou ceux qui sont à leur service ont appartenu à des congrégations ou communautés autorisées ou non autorisées.
Il apparaît immédiatement que l’effet certain d’un tel projet serait la libération sans garantie de l’Eglise, 229 sa mise à l’abri de toute règle légale d’intérêt public, et la reconstitution définitive et inébranlable de toutes les congrégations.
Proposition Reveillaud.—La proposition de M. Reveillaud, présentée le 25 juin 1903, est marquée par un caractère vraiment libéral, mais tient compte des nécessités et des droits de la société civile.
Suivant un plan très net, elle garantit la liberté religieuse et n’y marque d’autre limite que celles demandées par l’intérêt public.
Les associations sont régies par la loi de 1901.
Les édifices religieux ou affectés au logement des ministres des cultes, qui appartiennent actuellement à l’Etat ou aux communes, sont laissés à la disposition des associations cultuelles sous la condition de payer une redevance annuelle de 1 franc par an destinée à assurer la pérennité du droit de propriété des concédants. Les meubles et immeubles appartenant aux menses, fabriques et consistoires seraient dévolus, sans frais, aux associations nouvelles. Les ministres des cultes actuellement salariés par l’Etat toucheraient la totalité de leur traitement leur vie durant, s’ils ont plus de cinquante ans d’âge; la moitié s’ils ont de trente-cinq à cinquante ans, et le quart s’ils ont moins de trente-cinq ans.
La police des cultes est strictement assurée et fixe, pour chaque infraction, des peines mesurées avec modération.
L’exercice du culte est réglementé suivant les dispositions puisées dans une proposition de M. Edmond de Pressensé, votée en première lecture par l’Assemblée nationale, et qui a fait au Sénat l’objet d’un rapport favorable d’Eugène Pelletan.
La proposition de M. Reveillaud contient un article dont le principe a été repris et adopté par la Commission.
230
Il fixe le maximum des valeurs mobilières placées en titres nominatifs au capital produisant un revenu ne pouvant dépasser la moyenne des sommes dépensées pendant les cinq derniers exercices.
Proposition Grosjean et Berthoulat.—Ce qui caractérise la proposition de MM. Grosjean et Berthoulat, du 29 juin 1903, est le souci de laisser aux Eglises le maximum de libertés et d’avantages compatibles avec les garanties indispensables à l’ordre public.
Le droit commun d’association leur est applicable.
Les édifices appartenant à l’Etat ou aux communes sont mis gratuitement à la disposition des communautés religieuses. Il résulte du silence de la proposition que les grosses réparations de ces édifices gratuitement concédés resteraient à la charge de l’Etat ou des communes propriétaires.
L’ouverture des édifices religieux et la tenue des réunions religieuses ne sont soumises qu’à une seule et simple déclaration faite à la municipalité.
Les ministres du culte ayant dix ans de fonctions jouiraient à vie du traitement qu’ils reçoivent actuellement. Les dispositions relatives à la police des cultes reproduisent les règles unanimement admises avec des peines très modérées pour les infractions prévues.
D’après cette proposition, un budget des cultes considérable resterait durant de longues années nécessaire pour le service des pensions au clergé.
En outre, les édifices religieux, loin de produire le moindre revenu, seraient pour leurs propriétaires nominaux, l’Etat ou les communes, la cause de dépenses élevées.
Proposition Sénac.—La proposition de M. Sénac, déposée le 31 janvier 1904, la dernière en date, s’inspire 231 de tout autres préoccupations. En maintenant provisoirement l’état actuel des choses, elle vise à donner à toute heure au Gouvernement le droit de briser l’action individuelle ou collective des membres des associations cultuelles, qui pourrait être contraire aux intérêts de la République.
L’Etat, les départements et les communes auraient la propriété de tous les édifices religieux. Ceux-ci resteraient à la disposition des divers cultes qui en jouissent actuellement, mais les propriétaires pourraient leur en retirer à volonté l’usage.
Les ministres des cultes recevraient, à titre de subvention, leur traitement actuel, mais il devrait leur être annuellement accordé. Les ministres des cultes, non encore en fonctions, recevraient sous certaines conditions des secours ou indemnités. Ces traitements, subventions et secours pourraient à tout moment être supprimés et celui qui aurait été l’objet de pareille mesure ne pourrait plus exercer son ministère dans un édifice public affecté au culte.
Cette proposition, qui a pour objet évident la défense laïque, établit plutôt un régime de police des cultes qu’elle ne réalise la séparation des Eglises et de l’Etat.
*
* *
Tels sont les divers projets émanant de l’initiative parlementaire, qui, présentés à la Chambre au cours de cette législature, ont été renvoyés à la Commission. Celle-ci a entendu tous leurs auteurs, sauf M. Sénac, dont la proposition fut déposée au moment même où la Commission mettait la dernière main à ses travaux.
232
La première discussion ouverte sur ces propositions révéla qu’aucune d’elle ne répondait pleinement aux vœux de la Commission. Celle-ci manifesta alors la volonté d’établir elle-même un texte complet qui serait, en son nom, proposé à la Chambre. Mais, dans une matière aussi délicate, où tant de questions graves et complexes se posaient, il était indispensable qu’un plan de discussion clair et méthodique, fût arrêté d’abord, selon lequel la Commission pourrait discuter et faire connaître ses vues sur chacune des difficultés essentielles du problème à résoudre.
Le rapporteur provisoire proposa aux délibérations de ses collègues le plan suivant qui fut adopté à l’unanimité:
1o Le projet devra-t-il se borner à établir un régime de séparation des Eglises et de l’Etat à l’exclusion de toute disposition concernant les congrégations?
2o Le projet s’inspirera-t-il exclusivement du droit commun ou bien édictera-t-il, au moins à titre transitoire, des mesures de précaution dans l’intérêt, à la fois de l’Etat et de l’Eglise?
3o Les associations constituées en vertu de la loi de 1901 pour assurer l’exercice des différents cultes auront-elles la faculté:
a) De se fédérer entre elles régionalement et nationalement?
b) De recevoir des dons de l’Etat, des départements et des communes?
4o A quel régime seront soumis les édifices publics affectés au culte?
5o Le projet abrogera-t-il toutes les législations antérieures par une seule disposition générale ou 233 devra-t-il, par des articles spéciaux et précis, régler chaque point particulier?
Après avoir discuté longuement et minutieusement sur chacune des questions posées, la Commission se détermina dans le sens de l’affirmative sur la première. Le projet à rédiger ne devait contenir aucune disposition relative aux congrégations.
Sur la deuxième, il fut décidé à l’unanimité que le régime de séparation devrait être établi selon «la liberté la plus large dans le droit commun; qu’il convenait de s’en écarter le moins possible et seulement dans l’intérêt de l’ordre public».
Sur la troisième, la Commission conclut au droit pour les associations cultuelles de s’organiser en fédérations régionales et nationales. Elle se prononça contre toute subvention de l’Etat au profit des cultes, mais elle ne put formuler une opinion sur le droit à accorder ou à refuser aux départements et aux communes de subventionner les églises. Treize de ses membres avaient voté pour l’affirmative et treize contre.
Il fut également impossible à la Commission d’émettre un avis formel sur les deux dernières questions posées.
Elle décida alors de s’en remettre à son rapporteur provisoire du soin de rédiger, en tenant compte des indications recueillies au cours des dernières discussions, un avant-projet complet qui servirait de base aux délibérations ultérieures.
Ainsi fut-il fait. Et cet avant-projet, après des débats nombreux et approfondis au cours desquels plusieurs dispositions furent amendées sur les propositions de membres tant de la majorité que de la minorité, fut finalement adopté en première lecture par la Commission. En voici le texte:
234
——
TITRE I
Principes.
Article premier.
La République assure la liberté de conscience.
Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions ci-après, dans l’intérêt de l’ordre public.
Art. 2.
La République ne protège, ne salarie, ni ne subventionne, directement ou indirectement, sous quelque forme et pour quelque raison que ce soit, aucun culte.
Elle ne reconnaît aucun ministre du culte.
Elle ne fournit, à titre gratuit, aucun local pour l’exercice d’un culte ou le logement de ses ministres.
TITRE II
Abrogation des lois et décrets sur les cultes.—Dénonciation du Concordat.—Liquidation.
Art. 3.
A dater de la promulgation de la présente loi, la loi du 18 germinal an X est abrogée; la Convention passée à Paris, le 26 messidor an IX, entre le Gouvernement français et le Pape Pie VII est dénoncée.
Sont également abrogés: le décret-loi du 26 mars 1852 et les arrêtés du 10 septembre 1852 et du 20 mai 1853; la loi du 1er août 1879, les décrets des 12-14 mars 1880, 12-14 avril 1880 et 25-29 mars 1882; les décrets du 17 mars 1808 relatifs à l’exécution du règlement du 10 décembre 1806; la loi du 8 février 1831 et l’ordonnance du 24 mai 1844.
Art. 4.
L’ambassade auprès du Vatican et la direction des Cultes sont supprimées.
Art. 5.
A partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente 235 loi seront et demeureront supprimés: toutes dépenses publiques pour l’exercice ou l’entretien d’un culte; tous traitements, indemnités, subventions ou allocations accordés aux ministres des cultes, sur les fonds de l’Etat, des départements ou des communes.
Art. 5 bis.
Les sommes rendues disponibles par la suppression du budget des cultes seront employées à la détaxe de la contribution foncière des propriétés non bâties, à la culture desquelles participent effectivement les propriétaires eux-mêmes.
Seront appelées à bénéficier de la remise les cotes uniques ou totalisées qui ne sont pas supérieures à 40 francs, à la condition que la part revenant à l’Etat sur la contribution personnelle mobilière, à laquelle sont assujettis les contribuables dans leurs diverses résidences, ne dépasse pas 25 francs.
Art. 6.
A partir de la même date, cessera de plein droit l’usage gratuit des édifices religieux: cathédrales, églises paroissiales, temples, synagogues, etc., ainsi que des bâtiments des séminaires et des locaux d’habitation: archevêchés, évêchés, presbytères, mis à la disposition des ministres des cultes par l’Etat, les départements ou les communes.
Art. 7.
Les biens mobiliers et immobiliers appartenant aux menses épiscopales ou curiales, aux fabriques, consistoires ou conseils presbytéraux et autres établissements publics des différents cultes seront, dans un délai de six mois, à partir de la promulgation de la présente loi, répartis par les établissements précités, existant à cette date, entre les associations formées pour l’exercice et l’entretien du culte dans les diverses circonscriptions religieuses. Cette répartition ne donnera lieu à la perception d’aucun droit au profit du Trésor.
Les biens immobiliers qui proviennent de dotations de l’Etat feront retour à l’Etat.
Art. 7 bis.
Les biens appartenant aux fabriques, consistoires ou conseils presbytéraux, qui ont été spécialement affectés par l’auteur d’une libéralité à une œuvre de bienfaisance seront, dans le délai de six mois, attribués par les établissements précités, soit aux bureaux de bienfaisance, soit aux hospices, soit à tous autres établissements de bienfaisance publics ou reconnus d’utilité publique.
236
Le choix de l’établissement bénéficiaire de la dévolution devra être ratifié par le Conseil d’Etat, s’il est conforme à la volonté du donateur ou du testateur. Cette attribution ne donnera lieu à aucun droit au profit du Trésor.
Art. 8.
Aux ministres des cultes, actuellement en exercice, archevêques, évêques, curés, vicaires, desservants, aumôniers, pasteurs, rabbins, présidents de consistoires, inspecteurs ecclésiastiques, suffragants et vicaires des églises réformées et de la Confession d’Augsbourg; directeurs et professeurs de séminaires, doyens et professeurs des Facultés de théologie, etc., qui auront au moins quarante-cinq ans d’âge et vingt ans de fonctions rémunérées par l’Etat, les départements ou les communes, il sera alloué une pension viagère. Réserve est faite des droits acquis en matière de pension par application de la législation antérieure.
Art. 9.
Cette pension, basée sur le traitement et proportionnelle au nombre des années de fonctions rétribuées par l’Etat, les départements et les communes, ne pourra être supérieure à 1.200 francs.
Elle ne pourra, en aucun cas, dépasser le montant du traitement actuel de l’ayant droit, ni se cumuler avec toute autre pension ou tout autre traitement à lui alloué à un titre quelconque par l’Etat, les départements ou les communes.
Art. 10.
Le payement des pensions ecclésiastiques aura lieu par trimestre. La jouissance courra au profit du pensionnaire du premier jour de l’exercice qui suivra la promulgation de la présente loi. Les arrérages des pensions inscrites se prescrivent par trois ans. La condamnation à une peine afflictive et infamante entraîne de plein droit la privation de la pension. Les pensions et leurs arrérages sont incessibles et insaisissables, si ce n’est jusqu’à concurrence d’un cinquième pour dettes envers le Trésor public et d’un tiers pour les causes exprimées aux articles 203, 205 et 214 du Code civil.
TITRE III
Propriété et location des édifices du culte.
Art. 11.
Les édifices antérieurs au Concordat qui ont été affectés à l’exercice des cultes ou au logement de leurs ministres, cathédrales, 237 églises paroissiales, temples, synagogues, archevêchés, évêchés, presbytères, bâtiments des séminaires, ainsi que les objets mobiliers qui les garnissaient au moment où lesdits édifices ont été mis à la disposition des cultes, sont et demeurent propriétés de l’Etat ou des communes.
Les édifices postérieurs au Concordat, construits sur des terrains qui appartenaient aux établissements publics des cultes ou avaient été achetés par eux avec des fonds provenant exclusivement de collectes, quêtes ou libéralités des particuliers, sont la propriété de ces établissements.
Art. 12.
Dans un délai d’un an, à partir de la promulgation de la présente loi, ils seront dévolus par lesdits établissements à l’association civile de la circonscription religieuse intéressée.
Art. 13.
Les édifices servant ou ayant servi aux cultes, qui appartiennent à l’Etat ou aux communes, sont inaliénables, sauf dans les cas d’expropriation pour cause d’utilité publique.
La location n’en peut être faite qu’à titre onéreux et pour une durée maximum de dix ans.
Art. 14.
Pendant une période d’une année à partir de la promulgation de la présente loi, l’Etat et les communes sont tenus de consentir pour une durée de dix ans la location de ces édifices aux associations formées pour assurer l’exercice et l’entretien du culte.
Le prix du loyer ne pourra être supérieur à 10 0/0 du revenu annuel moyen de la circonscription religieuse intéressée, telle qu’elle se trouve actuellement constituée.
Le revenu sera calculé sur la moyenne des cinq dernières années.
Tous les frais de réparations locatives, d’entretien et de grosses réparations, sauf celles qui seraient causées par un sinistre ne pouvant être couvert par un contrat d’assurances sont à la charge des locataires.
Toutefois, pour plus de garanties et sans déroger à la responsabilité générale prévue dans le paragraphe ci-dessus, les locataires seront tenus de contracter une assurance contre les risques spéciaux de l’incendie et de la foudre.
La résiliation est de droit dans le cas où les lieux loués ne seraient pas entretenus en bon état.
Art. 15.
Les lois, décrets et règlements relatifs à la conservation et à 238 l’entretien des monuments ou objets historiques continueront à être appliqués à tous les immeubles et meubles servant au culte rentrant ou pouvant rentrer dans cette catégorie.
TITRE IV
Associations pour l’exercice du culte.
Art. 16.
Les associations formées pour subvenir aux frais et à l’entretien des cultes sont soumises aux prescriptions de la loi du 1er juillet 1901, sous la réserve des modifications ci-après.
Art. 17.
Elles pourront recevoir, en outre des cotisations prévues par l’article 6 de cette loi, le produit des quêtes et collectes pour les frais et l’entretien du culte, percevoir des taxes (même par fondation) pour les cérémonies ou services religieux, pour la location des bancs et sièges, pour la fourniture des objets destinés au service des funérailles dans les édifices religieux et à la décoration intérieure et extérieure de ces édifices.
Art. 18.
Lesdites associations ne pourront, sous quelque forme et pour quelque raison que ce soit, recevoir de subventions de l’Etat, des départements ou des communes.
La prestation de meubles et immeubles servant au culte, consentie dans les conditions des articles 13 et 14, ne constitue pas une subvention.
Art. 19.
Ces associations pourront, dans les formes déterminées par l’article 7 du décret du 18 août 1901, constituer des unions avec administration ou direction centrale.
Art. 20.
Les valeurs mobilières disponibles des associations formées pour assurer l’exercice du culte seront placées en titres nominatifs. Leur revenu total ne pourra dépasser la moyenne annuelle des sommes dépensées pendant les cinq derniers exercices pour les frais et l’entretien du culte.
Toutefois, ce capital pourra être augmenté de sommes qui, placées en titres nominatifs déposés à la Caisse des dépôts et consignations, seront, après avis du Conseil d’Etat, exclusivement affectés, compris les intérêts, à l’achat, à la construction ou à la réparation d’immeubles ou meubles jugés indispensables pour les besoins de l’association.
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Art. 20 bis.
Les biens meubles et immeubles appartenant aux associations seront soumis aux mêmes impôts que ceux des particuliers.
Ils ne seront pas assujettis à la taxe d’accroissement. Toutefois, les immeubles, propriétés de ces associations, seront passibles de la taxe de mainmorte.
TITRE V
Police des cultes.
Art. 21.
Les cérémonies pour la célébration d’un culte sont assimilées aux réunions publiques. Elles sont dispensées des formalités de l’article 8, mais restent à la surveillance des autorités dans l’intérêt de l’ordre public. La déclaration en sera faite dans les formes de l’article 2 de la loi du 30 juin 1881. Une seule déclaration suffira pour l’ensemble des cérémonies ou assemblées cultuelles permanentes ou périodiques. Toute réunion non comprise dans la déclaration, toute modification dans le choix du local devront être précédées d’une déclaration nouvelle.
Art. 22.
Il est interdit de se servir de l’édifice consacré au culte pour y tenir des réunions politiques. Toute infraction sera punie d’une amende de 100 à 1.000 francs et d’un emprisonnement de quinze jours à trois mois ou de l’une de ces deux peines en la personne des auteurs responsables.
Art. 23.
Seront punis d’une amende de 50 à 500 francs et d’un emprisonnement de quinze jours à trois mois ou de l’une de ces deux peines, ceux qui, par injures, menaces, violences ou voies de fait, tenteront de contraindre une ou plusieurs personnes à contribuer aux frais d’un culte ou à célébrer certaines fêtes religieuses ou bien de les empêcher de participer à l’exercice d’un culte, d’observer tel ou tel jour de repos, ou de s’abstenir de les observer, soit en les forçant à ouvrir ou fermer leurs ateliers, boutiques, magasins, ou de quelque manière que ce soit.
Art. 24.
Ceux qui auront empêché, retardé ou interrompu les exercices d’un culte par des troubles ou des désordres dans l’édifice servant au culte, ou qui auront, par paroles ou gestes, outragé les objets d’un culte dans le temple même affecté à l’exercice 240 de ce culte, seront punis d’une amende de 16 à 300 francs et d’un emprisonnement de six jours à un mois ou de l’une de ces peines.
Lesdites peines pourront être portées au double en cas de voies de fait contre les personnes.
Art. 25.
Les dispositions de l’article ci-dessus ne s’appliquent qu’aux troubles, outrages ou voies de fait dont la nature ou les circonstances ne donneront pas lieu à de plus fortes peines d’après les autres dispositions du Code pénal.
Art. 26.
Tout ministre du culte qui, dans l’exercice de ses fonctions et en Assemblée publique, aura, soit en lisant un écrit contenant des instructions pastorales, soit en tenant lui-même un discours, outragé ou diffamé un membre du Gouvernement, des Chambres ou une autorité publique, sera puni d’une amende de 500 à 3.000 francs et d’un emprisonnement de un mois à un an ou de l’une de ces deux peines.
Art. 27.
Si un discours prononcé ou un écrit lu par un ministre du culte dans l’exercice de ses fonctions et en assemblée publique contient une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ou s’il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui l’aura prononcé sera puni d’un emprisonnement de trois mois à un an, si la provocation n’a été suivie d’aucun effet, et d’un emprisonnement de un an à trois ans si elle a donné lieu à une résistance autre, toutefois, que celle qui aurait dégénéré en révolte, sédition ou guerre civile.
Art. 28.
Lorsque la provocation aura été suivie d’une sédition, révolte ou guerre civile dont la nature donnera lieu, contre un ou plusieurs coupables, à des peines plus graves que celles portées à l’article précédent, cette peine, quelle qu’elle soit, sera appliquée au ministre du culte coupable de provocation.
Art. 29.
L’auteur de l’écrit qui aura été lu par le ministre du culte dans les conditions ci-dessus indiquées, sera, en cas de complicité établie, puni des peines portées aux articles précédents contre le ministre du culte coupable.
241
Art. 29 bis.
Dans le cas de poursuites exercées par application des articles 27 et 28, l’association constituée pour l’exercice du culte locataire de l’immeuble dans lequel le délit aura été commis, sera assignée en responsabilité civile.
Art. 30.
L’article 463 du Code pénal et la loi de sursis sont applicables à tous les cas dans lesquels la présente loi édicte des pénalités.
Art. 31.
Dans tous les cas de culpabilité prévus et punis par la présente loi, le contrat de location de l’édifice, propriété de la commune ou de l’Etat, où le délit aura été commis par un ministre du culte, pourra être résilié.
TITRE VI
§ 1er.—Manifestations et signes extérieurs du culte.
Art. 32.
Les processions et autres cérémonies ou manifestations extérieures du culte ne peuvent avoir lieu qu’en vertu d’une autorisation du maire de la commune. Les sonneries de cloches sont réglées par arrêté municipal.
Art. 33.
La formule du serment judiciaire est libre. Nul ne peut être tenu de prêter serment sur un emblème philosophique ou religieux, ou dans des termes susceptibles de porter atteinte à la liberté de sa conscience.
Art. 34.
Aucun signe ou emblème particulier d’un culte ne peut être élevé, érigé, fixé et attaché en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception de l’enceinte destinée aux exercices du culte, des cimetières, sous les conditions ci-après, et des musées. Ceux qui existent contrairement à la présente disposition pourront être enlevés par les autorités publiques compétentes, sauf dans le cas où il s’y attacherait une valeur ou un intérêt artistique ou historique spécial.
Il est interdit d’en rétablir ou établir sous peine d’une amende de 100 à 2.000 francs.
242
§ 2.—Cimetières.
Art. 35.
Les cimetières appartiennent aux communes. L’autorité en a la garde, la police, l’entretien.
Art. 36.
Il est interdit de bénir, consacrer, ou de faire bénir et consacrer par une cérémonie religieuse, un cimetière tout entier ou une portion de ce cimetière contenant plusieurs tombes.
Il est interdit d’y ériger ou d’y faire ériger des emblèmes religieux ayant un caractère collectif, sauf sur la sépulture unique consacrée à une famille ou à une collectivité.
Toute infraction sera punie d’une amende de 100 à 500 francs et, en cas de récidive, de deux à cinq jours de prison.
La destruction de l’emblème illégalement érigé sera ordonnée. Elle aura lieu aux frais du coupable.
Art. 37.
Les ornements et inscriptions funéraires sur les tombes ou monuments particuliers demeurent soumis à l’autorité municipale. Toutefois, ils ne peuvent être interdits, supprimés ou modifiés qu’au cas où ils porteraient atteinte aux lois, aux bonnes mœurs et à la paix publique.
Art. 38.
Tout concessionnaire ou membre de la famille, enlevant, détruisant ou faisant enlever ou détruire un emblème philosophique ou religieux déposé en vertu de la volonté du défunt, même par un étranger, sera puni des peines portées contre la violation de sépulture à l’article 360 du code pénal.
Art. 39.
Il est interdit aux autorités publiques d’assigner des heures spéciales ou des modes particuliers pour la célébration des obsèques, sous quelque prétexte philosophique ou religieux que ce puisse être.
D’assigner des places spéciales aux suicidés ou aux personnes non baptisées ou de religion différente de celle de la majorité des habitants de la commune.
Ou de faire quoi que ce soit de nature à déshonorer la mémoire d’une personne, de quelque façon qu’elle soit morte, ou qu’elle se fasse ensevelir, ou qu’elle ait vécu.
Toute infraction à ces dispositions entraînera la révocation du magistrat municipal qui s’en sera rendu coupable.
243
Art. 40.
Un règlement d’administration publique déterminera les mesures propres à assurer l’exécution de la présente loi.
La Commission en était là de ses travaux; elle procédait déjà à une deuxième et dernière délibération sur son texte quand, le 10 novembre 1904, lui fut renvoyé le projet de loi ci-dessous que M. Emile Combes, Président du Conseil, Ministre de l’Intérieur et des Cultes, venait de déposer, au nom du Gouvernement, sur le bureau de la Chambre.
——
TITRE PREMIER
Suppression des dépenses des cultes.—Répartition des biens.—Pensions.
Article premier.
A partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi sont et demeurent supprimés: toutes dépenses publiques pour l’exercice ou l’entretien d’un culte; tous traitements, indemnités, subventions ou allocations accordés aux ministres d’un culte sur les fonds de l’Etat, des départements, des communes ou des établissements publics hospitaliers.
Art. 2.
Pendant deux ans, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, la jouissance gratuite des édifices du culte sera laissée aux associations dont il sera parlé au titre II ci-après.
Après cette période de temps écoulé, cessera de plein droit l’usage gratuit des édifices religieux; cathédrales, églises, chapelles, temples, synagogues, ainsi que des bâtiments des séminaires et des locaux d’habitation: archevêchés, évêchés, presbytères, mis à la disposition des ministres des cultes par l’Etat, les départements et les communes.
Art. 3.
Les biens mobiliers et immobiliers appartenant aux menses, fabriques, consistoires, conseils presbytéraux et autres établissements 244 publics préposés aux cultes antérieurement reconnus, seront concédés à titre gratuit aux associations qui se formeront pour l’exercice d’un culte, dans les anciennes circonscriptions ecclésiastiques où se trouvent ces biens.
Ces concessions, qui n’auront d’effet qu’à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront faites dans les limites des besoins de ces associations, par décret en Conseil d’Etat ou par arrêté préfectoral, suivant que la valeur des biens s’élèvera ou non à 10.000 francs, pour une période de dix années et à charge d’en rendre compte à l’expiration de cette période. Elles pourront être renouvelées dans les mêmes conditions pour des périodes de même longueur ou d’une longueur moindre.
Ne pourront être compris dans ces concessions: 1o les immeubles provenant de dotations de l’Etat, qui lui feront retour; 2o les biens ayant une destination charitable, qui seront attribués par décret en Conseil d’Etat ou par arrêté préfectoral, suivant la distinction précitée, aux établissements publics d’assistance situés dans la commune ou dans l’arrondissement.
Les biens non concédés dans un délai d’une année, à dater de la promulgation de la présente loi, ou dont la concession ne serait pas redemandée, seront attribués dans les mêmes formes entre les établissements d’assistance ci-dessus visés.
Art. 4.
Les ministres du culte qui, par application de la présente loi, cesseront de remplir des fonctions rétribuées par l’Etat, recevront les pensions et allocations suivantes:
1o Les curés et desservants, vicaires généraux et chanoines, âgés de plus de 60 ans et comptant 25 ans de service au moins, 900 francs; les vicaires remplissant les mêmes conditions, 350 francs.
2o Les curés et desservants, vicaires généraux et chanoines, âgés de plus de 50 ans et comptant au moins 20 ans de service, 750 francs; les vicaires remplissant les mêmes conditions, 300 francs.
3o Les curés et desservants, vicaires généraux et chanoines, âgés de plus de 40 ans et comptant 15 ans de service au moins, 600 francs; les vicaires remplissant les mêmes conditions, 250 francs.
4o Les curés et desservants, âgés de moins de 40 ans, recevront, pendant 4 ans, une allocation de 400 francs.
Les ministres des cultes protestant et israélite, les directeurs et professeurs des séminaires de ces cultes auront les mêmes pensions et allocations que celles attribuées aux curés et desservants, suivant les distinctions précitées et à des taux calculés 245 dans les mêmes proportions que ci-dessus par rapport aux traitements actuels.
Les archevêques et évêques, le grand rabbin du Consistoire central auront une pension de 1.200 francs.
Ces pensions et allocations cesseront de plein droit en cas de condamnation à une peine afflictive ou infamante ou pour un des délits visés par les articles 17 et 19 de la présente loi.
Les conditions de payement de ces pensions et allocations, ainsi que toutes les mesures propres à assurer l’exécution du présent article, seront déterminées par un règlement d’administration publique.
Art. 5.
Les édifices et autres biens affectés aux cultes antérieurement reconnus, qui appartiennent à l’Etat, aux départements ou aux communes, seront concédés, à titre onéreux, aux associations qui se formeront pour l’exercice d’un culte, dans les anciennes circonscriptions ecclésiastiques où se trouvent ces biens.
Ces concessions, qui n’auront d’effet que deux ans à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront faites dans les limites des besoins de ces associations, par décret en Conseil d’Etat ou par arrêté préfectoral, suivant que les biens appartiendront soit à l’Etat, soit aux départements ou aux communes, pour une période de dix années et à charge d’en rendre compte à l’expiration de cette période et de supporter les frais d’entretien et de grosses réparations.
Elles pourront être renouvelées, sous les mêmes conditions, pour des périodes de même longueur ou des périodes moindres.
Le prix de la concession ne pourra dépasser le dixième des recettes annuelles de l’association constatées d’après les dispositions de l’article 9 de la présente loi.
Des subventions pour grosses réparations pourront être accordées aux départements et aux communes dans les limites du crédit inscrit annuellement au budget du Ministère de l’intérieur.
Les biens non reconnus utiles pour les besoins des associations d’un culte ou dont la concession n’aura pas été redemandée pourront, dans les mêmes formes, être concédés à un autre culte ou affectés à un service public.
Les Conseils municipaux et les Conseils généraux seront appelés à donner leur avis pour la concession des biens communaux ou départementaux.
246
TITRE II
Associations pour l’exercice d’un culte.
Art. 6.
Les associations formées pour subvenir aux frais et à l’entretien d’un culte devront être constituées conformément aux articles 5 et suivants de la loi du 1er juillet 1901; elles seront soumises aux autres prescriptions de cette loi sous la réserve des dispositions ci-après:
Elles devront avoir exclusivement pour objet l’exercice d’un culte.
Elles ne pourront employer aucun étranger dans les fonctions de ministre du culte.
Leurs administrateurs ou directeurs devront être Français, jouir de leurs droits civils, et avoir leur domicile dans le canton où se trouvent les immeubles consacrés à l’exercice du culte.
Art. 7.
Outre les cotisations prévues par l’article 6 de la loi du 1er juillet 1901, elles pourront recevoir le produit des quêtes et collectes faites pour les frais et l’entretien d’un culte, dans les édifices consacrés à l’exercice public de ce culte, percevoir des taxes ou rétributions, même par fondations, pour les cérémonies et services religieux, pour la location des bancs et sièges, pour la fourniture des objets destinés au service des funérailles dans les édifices religieux et à la décoration de ces édifices.
Art. 8.
Ces associations pourront, dans les formes déterminées par l’article 7 du décret du 16 août 1901, constituer des unions.
Ces unions ne pourront dépasser les limites d’un département.
Art. 9.
Les associations tiennent un état de leurs recettes et de leurs dépenses; elles dressent chaque année le compte financier de l’année écoulée et l’état inventorié de leurs biens meubles et immeubles.
Elles peuvent constituer un fonds de réserve dont le montant ne devra pas être supérieur au tiers de l’ensemble de leurs recettes annuelles.
Ce fonds de réserve sera placé soit à la Caisse des dépôts et consignations, soit en titres nominatifs de rentes françaises ou de valeurs garanties par l’Etat.
A défaut par une association de remplir les charges de 247 réparations qui lui sont imposées par l’article 5 pour les immeubles concédés, le fonds de réserve pourra être employé par arrêté préfectoral pris après mise en demeure restée sans effet, à réparer lesdits immeubles.
Outre ce fonds de réserve, elles pourront verser à la Caisse des dépôts et consignations d’autres sommes, mais seulement en vue de l’achat ou de la construction d’immeubles nécessaires à l’exercice du culte.
Elles seront tenues de représenter sans déplacement, sur toute réquisition du préfet, à lui-même ou à son délégué, les comptes et états ci-dessus prévus.
Art. 10.
Sont passibles d’une amende de seize à mille francs (16 à 1.000 fr.) et d’un emprisonnement de six jours à un an, ou de l’une de ces deux peines seulement, les directeurs et administrateurs d’une association ou d’une union qui auront contrevenu aux dispositions des articles 6, 7, 8 et 9.
TITRE III
Police des cultes et garantie de leur libre exercice.
Art. 11.
Les cérémonies d’un culte, les processions et autres manifestations religieuses ne peuvent avoir lieu sur la voie publique, ni dans aucun lieu public, à l’exception des cérémonies funèbres, ni dans aucun édifice public autre que ceux qui sont concédés à un culte dans les conditions déterminées par la présente loi.
Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices concédés pour l’exercice d’un culte, des terrains de sépulture privée dans les cimetières, ainsi que des musées ou expositions publics.
Art. 12.
Les réunions pour la célébration d’un culte ne peuvent avoir lieu qu’après déclaration faite dans les conditions et les formes prescrites pour les réunions publiques, par l’article 2 de la loi du 30 juin 1881. Outre les noms, qualités et domiciles des déclarants, la déclaration indiquera ceux des ministres du culte appelés à exercer leur ministère.
Une seule déclaration suffit pour un ensemble de cérémonies ou assemblées cultuelles permanentes ou périodiques. Elle cesse de produire effet à l’expiration d’une année.
Toute réunion non comprise dans la déclaration, toute modification 248 dans le choix du local ou des ministres du culte doivent être précédées d’une déclaration nouvelle.
Les représentants ou délégués de l’autorité publique ont toujours accès dans les lieux de réunion pour l’exercice d’un culte.
Art. 13.
Il est interdit de se servir de l’édifice consacré à un culte pour y tenir des réunions politiques.
Art. 14.
Les contraventions aux trois articles précédents sont punies d’une amende de cinquante à mille francs (50 à 1.000 fr.) et les infractions à l’article 13 peuvent être, en outre, punies d’un emprisonnement de quinze jours à trois mois.
Sont passibles de ces peines, dans le cas des articles 12 et 13, ceux qui ont organisé la réunion, ceux qui y ont participé en qualité de ministres du culte et ceux qui ont fourni le local.
Art. 15.
Sont punis d’une amende de cent à mille francs (100 à 1.000 fr.) et d’un emprisonnement de six jours à trois mois, ou de l’une de ces deux peines seulement, ceux qui, soit par menaces ou abus d’autorité, soit en faisant craindre à autrui de perdre son emploi ou d’exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, auront tenté de contraindre ou d’empêcher une ou plusieurs personnes d’exercer un culte, de contribuer aux frais de ce culte, de célébrer certaines fêtes, d’observer tel ou tel jour de repos et, en conséquence, d’ouvrir ou de fermer leurs ateliers, boutiques ou magasins, et de faire ou quitter certains travaux.
Art. 16.
Seront punis des mêmes peines ceux qui auront empêché, retardé ou interrompu les exercices d’un culte par des troubles ou désordres dans un édifice consacré à ce culte conformément à la loi.
Art. 17.
Sera puni des mêmes peines tout ministre d’un culte qui, dans l’exercice de ce culte, se rendra coupable d’actes pouvant compromettre l’honneur des citoyens et dégénérer contre eux en oppression, en injure ou en scandale public, notamment par des inculpations dirigées contre les personnes.
Art. 18.
Tout ministre d’un culte qui, dans les lieux où s’exerce ce culte, aura par des discours prononcés, des lectures faites, des écrits distribués ou des affiches apposées en public, soit outragé ou diffamé un membre du Gouvernement ou des Chambres, ou une 249 autorité publique, soit cherché à influencer le vote des électeurs ou à les déterminer à s’abstenir de voter, sera puni d’une amende de cinq cents à trois mille francs (500 à 3.000 fr.) et d’un emprisonnement de un mois à un an, ou de l’une de ces deux peines seulement.
Art. 19.
Si un discours prononcé ou un écrit affiché, lu ou distribué publiquement dans les lieux où s’exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ou s’il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s’en sera rendu coupable sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité dans le cas où la provocation aurait été suivie d’une sédition, révolte ou guerre civile.
Art. 20.
Dans les cas de poursuites exercées par application des articles 12, 13, 17, 18 et 19, l’association propriétaire, concessionnaire ou locataire de l’immeuble dans lequel le délit a été commis, et ses directeurs et administrateurs sont civilement et solidairement responsables.
Si l’immeuble a été concédé en vertu de la présente loi, la concession en peut être retirée dans les formes où elle a été faite.
La fermeture du local peut être immédiatement ordonnée par l’autorité judiciaire, qui prononce une condamnation pour infraction aux articles 13, 17, 18 et 19.
TITRE IV
Dispositions générales et transitoires.
Art. 21.
Un règlement d’administration publique déterminera les mesures propres à assurer l’application de la présente loi. Il réglementera en outre les sonneries de cloches.
Art. 22.
L’article 463 du Code pénal est applicable à tous les cas dans lesquels la présente loi édicte des pénalités.
Art. 23.
Les congrégations religieuses demeurent soumises aux lois du 1er juillet 1901, du 4 décembre 1902 et du 7 juillet 1904.
Art. 24.
La direction des cultes continuera à fonctionner pour assurer l’exécution de la présente loi.
250
Art. 25.
Sont abrogées toutes dispositions législatives ou réglementaires contraires à la présente loi et notamment:
1o La loi du 18 germinal an X, qui a déclaré que la convention du 26 messidor an IX, entre le gouvernement français et le Pape, ensemble les articles organiques de ladite convention, seraient promulgués et exécutés comme loi de la République;
2o Le décret du 26 mars 1852 et la loi du 1er août 1879 sur les cultes protestants;
3o Le décret du 17 mars 1808 et la loi du 8 février 1831 sur le culte israélite;
4o Les articles 201 à 208, 260 à 264, 294 du Code pénal;
5o Les articles 100 et 101, les paragraphes 11 et 12 de l’article 136 de la loi du 5 avril 1884.
Il suffisait de lire ce projet pour constater que son économie générale était sensiblement différente du projet provisoirement adopté par la Commission. En ce qui concerne, par exemple, le régime de la propriété et de la location des édifices du culte, celui des associations cultuelles, le système des pensions, les solutions proposées par le Gouvernement étaient en désaccord flagrant avec celles de la Commission.
Pour l’attribution de la propriété des biens immobiliers des Eglises, constitués à leur profit depuis le Concordat par dons et libéralités provenant en tout ou partie des fidèles, la Commission proposait une solution qui n’était peut-être pas très juridique, mais avait, du moins, le mérite de trancher la question une fois pour toutes, d’une façon nette et définitive. Elle avait fait deux parts des édifices: ceux qui ont été construits sur des terrains de l’Etat ou des communes ou achetés au moyen de leurs subventions; ceux, au contraire, qui ont été bâtis sur des terrains donnés par les fidèles ou achetés avec le produit de leurs dons et libéralités. Les premiers étaient déclarés propriété de l’Etat ou des communes; les seconds propriété des Eglises.
Le système proposé par le Gouvernement ne tranchait 251 pas la question de propriété. Des biens ecclésiastiques, mobiliers ou immobiliers, qui sont postérieurs au Concordat, il faisait un lot que l’Etat, après prélèvement des biens donnés par lui ou ayant une destination charitable, répartirait par voie de concessions décennales renouvelables, entre les associations cultuelles dans la limite de leurs besoins. L’avantage de ce système serait de permettre la constitution, au profit des paroisses pauvres, d’un patrimoine pour assurer l’exercice du culte. Grâce à cette manière de procéder, l’Etat étant juge et maître de la répartition aurait sur l’emploi de ces biens un droit de contrôle qui n’est certes pas négligeable. Mais ce système devait avoir pour conséquence de perpétuer l’immixtion de l’Etat dans l’administration des choses ecclésiastiques. D’où la nécessité, dans le projet du Gouvernement, de conserver la direction des cultes que la Commission se plaçant à un autre point de vue, avait cru pouvoir supprimer.
En tout cas, si, sur ce point, le projet du Gouvernement pouvait paraître acceptable, il n’en était pas de même quant au silence gardé par lui sur la question de propriété relative aux biens mobiliers et immobiliers antérieurs au Concordat. Il était imprudent et dangereux de ne pas affirmer avec force et netteté, comme l’avait fait la Commission, la propriété de l’Etat ou des communes.
M. Combes n’avait pas cru nécessaire d’affirmer le droit de propriété de l’Etat et des communes, parce qu’il lui avait paru suffisamment établi par une jurisprudence constante. Mais la jurisprudence, c’est pure affaire d’interprétation, et celle-ci peut varier selon les cas, les temps et les juges. Jusqu’à ce jour, il est bien vrai que les décisions de la justice ont été conformes au droit de l’Etat et des communes; qui pourrait assurer que demain il n’en serait pas autrement?
252
Puis, un jugement, un arrêt, valent seulement pour les cas qu’ils ont appréciés; leur portée n’est pas générale; leur force exécutoire est strictement limitée à l’espèce jugée. Il en résulte que le projet du Gouvernement, une fois transformé en loi, rencontrerait des difficultés d’application presque insurmontables. Partout, dans toutes les paroisses, l’Eglise revendiquerait la propriété des édifices antérieurs au Concordat. Avant que l’Etat pût en disposer, il faudrait que cette question préjudicielle fût tranchée. Ce seraient des procès innombrables et interminables.
Puisqu’une occasion s’offrait de consacrer l’œuvre de la Révolution en affirmant, une fois pour toutes, et sans contestation possible, le droit de l’Etat et des communes, pourquoi ne pas la saisir?
Mais c’est aussi quant à la disposition des biens mobiliers et immobiliers antérieurs au Concordat, que les solutions de la Commission et du Gouvernement apparaissaient divergentes. Alors que la première rendait à l’Etat et aux communes, après une période de location de dix ans obligatoire, la libre disposition de leur propriété, celle du Gouvernement édictait, aux profits des associations cultuelles, un système de concessions décennales indéfiniment renouvelables, même pour les immeubles des départements ou des communes qui se seraient montrés hostiles au renouvellement. Il en résultait une grave atteinte au principe de la séparation. Cette obligation indéfinie, imposée aux communes et aux départements, de laisser leurs biens entre les mains des représentants des Eglises, prenait, en effet, le caractère d’une véritable subvention en faveur des cultes. C’était en outre là aussi, l’immixtion de l’Etat qui se perpétuait dans les affaires ecclésiastiques.
Sur le chapitre des pensions aux ministres des cultes la dissemblance était tout entière dans une 253 question de mesure. Le projet de la Commission ne pensionnait que les ministres des cultes qui réalisaient certaines conditions d’âge et de durée des services concordataires. Celui du Gouvernement, beaucoup moins exigeant, tant pour l’âge que pour la durée des services, allait jusqu’à accorder, pendant une période de quatre années, à tous les curés et desservants concordataires sans exception, une subvention de quatre cents francs.
D’après une application de ce système de pensions, faite par les soins de la Direction des Cultes, il devait entraîner pour l’Etat une dépense annuelle de 22.444.500 francs, qui irait, naturellement, en décroissant chaque année.
Quant au régime des associations actuelles, la différence la plus importante entre les deux textes était relative aux unions. Alors que la Commission les avait autorisées, même nationales, le projet du Gouvernement, par son article 8, les enfermait dans les limites du département. C’était imposer aux Eglises une formation arbitraire qui, en les contraignant à modifier leur organisation intérieure, pouvait entraîner pour elles les difficultés les plus graves. Les Eglises protestantes dont les fidèles, peu nombreux relativement sont disséminés sur tous les points de la France, n’auraient pas pu s’accommoder de ce régime. Il en eût été de même pour la religion israélite.
Enfin, au chapitre de la police des cultes, pour ne noter que l’innovation la plus grave apportée par le projet Combes, nous signalerons l’article 17 dont les termes imprécis et vagues étaient de nature à inquiéter les consciences par l’interprétation arbitraire auquel ils pouvaient donner lieu.
Le premier examen du projet du Gouvernement provoqua, au sein de la Commission, les résistances les plus vives. Finalement les membres de la majorité 254 consentirent à délibérer sur les articles, mais après de fortes réserves, et seulement parce que les circonstances commandaient d’éviter un conflit qui, en ajournant à plusieurs mois la discussion devant la Chambre, eût irrémédiablement compromis, au moins dans cette législature, le succès de la réforme. Mais s’ils consentaient à adopter le projet soumis à leurs délibérations c’était à la condition expresse que des modifications importantes fussent consenties par le Gouvernement sur les points de divergences les plus graves.
Le rapporteur fut chargé de s’entremettre auprès du Président du Conseil à fin de transaction. Dès la première entrevue, il devint évident que M. Combes, animé du plus vif désir de conciliation, accepterait d’entrer dans les vues de la Commission pour le règlement de la plupart des difficultés qui lui étaient signalées. Il consentit successivement: 1o à insérer en tête de son projet une déclaration de principes conforme à celle du texte de la Commission; 2o à affirmer le droit de propriété de l’Etat et des communes sur tous les biens mobiliers et immobiliers antérieurs au Concordat; 3o à remettre à l’Etat et aux communes la libre disposition de ces biens dès l’expiration de la période de dix ans obligatoire pour la location aux associations cultuelles; 4o à n’imposer aux unions d’autres limites que celles des circonscriptions ecclésiastiques existantes; 5o à supprimer les délits spéciaux créés par l’article 17.
Il ne restait plus à régler que la question des pensions et quelques points de détails relatifs à l’ingérence de l’Administration préfectorale dans les affaires ecclésiastiques pour aboutir à l’accord complet et définitif. Le rapporteur ne désespérait pas d’y réussir, et déjà il se proposait de tenter une dernière démarche 255 dans ce but, quand le ministère Combes prit la résolution de quitter le pouvoir.
L’un des premiers actes de son successeur fut de saisir la Chambre d’un nouveau projet sur la séparation des Eglises et de l’Etat. Déposé le 9 février 1905, il fut renvoyé à l’étude de votre Commission. En voici le texte:
——
TITRE PREMIER
Principes.
Article premier.
L’Etat ne reconnaît ni ne salarie aucun culte.
Les établissements publics des cultes actuellement reconnus sont supprimés, sous réserve des dispositions énoncées à l’article 3.
Seront également supprimées des budgets de l’Etat, des départements et des communes, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes.
Art. 2.
L’exercice des cultes est libre sous les seules restrictions édictées dans l’intérêt de l’ordre public.
TITRE II
Dévolutions des biens appartenant aux établissements publics des cultes.—Pensions.
Art. 3.
Les établissements dont la suppression est ordonnée par l’article premier continueront provisoirement de fonctionner, conformément aux dispositions qui les régissent actuellement, jusqu’à la dévolution de leurs biens aux associations prévues par le titre IV et au plus tard jusqu’à l’expiration du délai ci-après.
Art. 4.
Dans un délai d’un an, à partir de la promulgation de la présente 256 loi, les biens mobiliers et immobiliers appartenant aux menses, fabriques, conseils presbytéraux, consistoires et autres établissements ecclésiastiques seront attribués par les représentants légaux de ces établissements aux associations qui se seront légalement formées pour l’exercice du culte dans les anciennes circonscriptions desdits établissements.
Toutefois, les biens mobiliers ou immobiliers provenant de dotations de l’Etat feront retour à l’Etat.
Les biens mobiliers ou immobiliers grevés d’une affectation charitable ou de toute autre affectation étrangère à l’exercice du culte seront attribués par les représentants légaux des établissements ecclésiastiques, dans les limites de leurs circonscriptions respectives, aux services ou établissements publics dont la destination est conforme à celle desdits biens. Cette attribution devra être approuvée par le Préfet du département où siège l’établissement ecclésiastique. En cas de non approbation, il sera statué par décret en Conseil d’Etat.
Art. 5.
Faute par un établissement ecclésiastique d’avoir, dans le délai fixé par l’article précédent, procédé aux attributions ci-dessus prescrites, il y est pourvu par le Préfet.
Art. 6.
En cas de dissolution d’une association, les biens qui lui ont été dévolus en exécution des articles 4 et 5 sont attribués par elle à une association analogue existant soit dans la même circonscription, soit dans les circonscriptions limitrophes.
A défaut d’accord, cette attribution est faite, à la requête de la partie la plus diligente, par le tribunal de l’arrondissement où l’association a son siège.
Art. 7.
Les attributions prévues par les articles précédents ne donnent lieu à aucune perception au profit du Trésor.
Art. 8.
Les ministres des cultes, actuellement salariés par l’Etat, recevront à partir de la cessation de leur traitement une pension viagère annuelle qui sera égale à la moitié ou aux deux tiers de leur traitement, suivant qu’ils compteront au moins vingt ou trente ans de services rétribués par l’Etat, sans toutefois que cette pension puisse être inférieure à 400 francs ni supérieure à 1.200 francs.
Les ministres des cultes, qui compteront moins de vingt années de services rétribués par l’Etat, recevront une allocation annuelle 257 de 400 francs pendant un temps égal à la moitié de la durée de leurs services.
Ces pensions et allocations seront incessibles et insaisissables dans les mêmes conditions que les pensions civiles. Elles cesseront de plein droit en cas de condamnation à une peine afflictive ou infamante. Elles seront suspendues pendant un délai de deux ans en cas de condamnation pour un des délits prévus aux articles 26 et 27 de la présente loi.
TITRE III
Des édifices des cultes.
Art. 9.
Les édifices antérieurs au Concordat, qui ont été affectés à l’exercice des cultes ou au logement de leurs ministres, cathédrales, églises, chapelles, temples, synagogues, archevêchés, évêchés, presbytères, séminaires, ainsi que leurs dépendances immobilières et les objets mobiliers qui les garnissaient au moment où lesdits édifices ont été mis à la disposition des cultes, sont et demeurent propriétés de l’Etat ou des communes, qui devront en laisser la jouissance gratuite, pendant deux années à partir de la promulgation de la présente loi, aux établissements ecclésiastiques ou aux associations formées pour l’exercice du culte dans les anciennes circonscriptions des établissements ecclésiastiques supprimés.
L’Etat et les communes seront soumis à la même obligation en ce qui concerne les édifices postérieurs au Concordat, dont ils seraient propriétaires.
A l’expiration du délai ci-dessus fixé, l’Etat et les communes devront consentir aux associations, pour une durée n’excédant pas dix ans, la location de ces édifices.
Le loyer ne pourra être supérieur à dix pour cent du revenu annuel moyen des établissements supprimés, ledit revenu calculé d’après les résultats des cinq dernières années antérieures à la promulgation de la présente loi.
La location pourra être renouvelée au profit des associations par périodes successives de dix ans au maximum. Chaque renouvellement ne pourra avoir lieu que dans les deux dernières années du bail en cours.
Les réparations locatives, et d’entretien seront à la charge des établissements ou des associations qui seront tenus, en outre, de contracter une assurance contre les risques de l’incendie et de la foudre.
258
En cas d’inexécution de ces prescriptions, la location sera résiliée de plein droit.
Les associations locataires ne pourront se prévaloir contre l’Etat et les communes des dispositions de l’article 1720 du Code civil.
Art. 10.
Les édifices du culte, dont les établissements ecclésiastiques seraient propriétaires, seront, avec les objets mobiliers les garnissant, attribués aux associations dans les conditions déterminées par le titre II.
Art. 11.
Les objets mobiliers mentionnés au paragraphe premier de l’article 9, qui n’auraient pas encore été inscrits sur la liste de classement dressée en vertu de la loi du 30 mars 1887, sont, par l’effet de la présente loi, ajoutés à ladite liste. Toutefois, il sera procédé par le ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, dans le délai de trois ans, au déclassement de ceux de ces objets, dont la conservation ne présenterait pas au point de vue de l’histoire ou de l’art un intérêt suffisant.
En outre, les immeubles et les objets mobiliers, attribués en vertu de la présente loi aux associations, pourront être classés dans les mêmes conditions que s’ils appartenaient à des établissements publics.
Il n’est pas dérogé pour le surplus aux dispositions de la loi du 30 mars 1897.
TITRE IV
Des associations pour l’exercice des cultes.
Art. 12.
Les associations formées pour l’exercice d’un culte devront être constituées conformément aux articles 5 et suivants de la loi du 1er juillet 1901; elles seront soumises aux autres prescriptions de cette loi sous réserve des dispositions ci-après.
Art. 13.
Elles devront avoir exclusivement pour objet l’exercice d’un culte.
Elles pourront recevoir, outre les cotisations prévues par l’article 6 de la loi du 1er juillet 1901, le produit des quêtes et collectes pour les frais du culte, percevoir des rétributions même par fondation pour les cérémonies du service religieux, pour la location des bancs et sièges, pour la fourniture des objets destinés 259 au service des funérailles dans les édifices religieux et à la décoration de ces édifices.
Elles ne pourront, sous quelque forme que ce soit, recevoir des subventions de l’Etat, des départements ou des communes. Ne seront pas considérées comme subvention les sommes que l’Etat, les départements ou les communes jugeront convenables d’employer aux grosses réparations des édifices du culte loués aux associations.
Art. 14.
Ces associations peuvent, dans les formes déterminées par l’article 7 du décret du 16 août 1901, constituer des unions ayant une administration ou une direction centrale; ces unions seront réglées par les articles 12 et 13 de la présente loi; toutefois, les unions qui s’étendent sur plus de dix départements sont dépourvues de toute capacité juridique.
Art. 15.
Les valeurs mobilières disponibles des associations et unions seront placées en titres nominatifs. Leur revenu total ne pourra dépasser la moyenne annuelle des sommes dépensées pendant les cinq derniers exercices pour les frais et l’entretien du culte.
Toutefois, ce capital pourra être augmenté de sommes qui, placées en titres nominatifs déposés à la Caisse des Dépôts et Consignations, seront exclusivement affectées, y compris les intérêts, à l’achat, à la construction ou à la réparation d’immeubles ou meubles destinés aux besoins de l’association ou de l’union.
Art. 16.
Seront passibles d’une amende de 16 à 100 francs et d’un emprisonnement de six jours à trois mois, ou de l’une de ces deux peines seulement, les directeurs ou administrateurs d’une association ou d’une union qui auront contrevenu aux articles 12, 13, 14 et 15.
Les tribunaux pourront, en outre, à la requête de tout intéressé ou du ministère public, prononcer la dissolution de l’association ou de l’union.
Art. 17.
Les immeubles appartenant aux associations et unions seront soumis à la taxe de mainmorte.
TITRE V
Police des cultes.
Art. 18.
Les réunions pour la célébration d’un culte ne peuvent avoir lieu 260 qu’après une déclaration faite dans les formes de l’article 2 de la loi du 30 juin 1881 et indiquant le local dans lequel elles seront tenues.
Une seule déclaration suffit pour l’ensemble des réunions permanentes, périodiques ou accidentelles qui auront lieu dans l’année.
Art. 19.
Il est interdit de tenir des réunions publiques dans les locaux servant habituellement à l’exercice d’un culte.
Art. 20.
Les processions et autres manifestations extérieures d’un culte ne peuvent avoir lieu qu’en vertu d’une autorisation du maire de la commune.
Les sonneries de cloches sont réglées par arrêté municipal.
Art. 21.
Il est interdit à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture privée, ainsi que des musées ou expositions.
Art. 22.
Les contraventions aux articles précédents sont punies des peines de simple police.
Sont passibles de ces peines, dans le cas des articles 18, 19 et 20, ceux qui ont organisé la réunion ou manifestation, ceux qui y ont participé en qualité de ministres du culte et, dans le cas des articles 18 et 19, ceux qui ont fourni le local.
Art. 23.
Sont punis d’une amende de 16 francs à 200 francs et d’un emprisonnement de 6 jours à 2 mois ou de l’une de ces deux peines seulement ceux qui, soit par voies de fait, violences ou menaces contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d’exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, l’auront déterminé à exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte, à contribuer ou à s’abstenir de contribuer aux frais d’un culte, à célébrer certaines fêtes, à observer certains jours de repos et, en conséquence, à ouvrir ou à fermer ses ateliers, boutiques ou magasins, et à faire ou quitter certains travaux.
Art. 24.
Seront punis des mêmes peines ceux qui auront empêché, retardé ou interrompu les exercices d’un culte par des troubles ou désordres causés dans le local servant à ces exercices.
261
Art. 25.
Les dispositions des deux articles précédents ne s’appliquent qu’aux troubles, outrages ou voies de fait, dont la nature ou les circonstances ne donneront pas lieu à de plus fortes peines d’après les dispositions du Code pénal.
Art. 26.
Tout ministre d’un culte qui, dans les lieux où s’exerce ce culte, aura par des discours prononcés, des lectures faites, des écrits distribués ou des affiches apposées en public, soit outragé ou diffamé un citoyen chargé d’un service public, soit cherché à influencer le vote des électeurs ou à les déterminer de s’abstenir de voter, sera puni d’une amende de 500 à 3.000 francs et d’un emprisonnement de un mois à un an, ou de l’une de ces deux peines seulement.
Art. 27.
Si un discours prononcé ou un écrit affiché, ou distribué publiquement dans les lieux où s’exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ou s’il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s’en sera rendu coupable sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d’une sédition, révolte ou guerre civile.
Art. 28.
Dans le cas de poursuites intentées devant les tribunaux de simple police ou de simple police correctionnelle par application des articles 18 et 19, 26 et 27, l’association constituée pour l’exercice du culte dans l’immeuble où l’infraction a été commise et ses directeurs et administrateurs sont civilement responsables.
Si l’immeuble a été loué à l’association par l’Etat ou les communes en vertu de la présente loi, la résiliation du bail pourra être demandée.
TITRE VI
Dispositions générales.
Art. 29.
L’article 463 du Code pénal est applicable à tous les cas dans lesquels la présente loi édicte des pénalités.
262
Art. 30.
Les congrégations religieuses demeurent soumises aux lois des 1er juillet 1901, 4 décembre 1902 et 7 juillet 1904.
Art. 31.
Un règlement d’administration publique rendu dans les trois mois qui suivront la promulgation de la présente loi déterminera les mesures propres à assurer son application.
Art. 32.
Sont et demeurent abrogées toutes les dispositions relatives à l’organisation publique des cultes antérieurement reconnus par l’Etat ainsi que toutes dispositions contraires à la présente loi et notamment:
1o La loi du 18 germinal an X, portant que la convention passée le 26 messidor an IX, entre le pape et le Gouvernement français, ensemble les articles organiques de ladite convention et des cultes protestants, seront exécutés comme des lois de la République;
2o Le décret du 26 mars 1852 et la loi du 1er août 1879 sur les cultes protestants;
3o Le décret du 18 mars 1808, la loi du 8 février 1831 et l’ordonnance du 25 mai 1844 sur le culte israélite;
4o Les décrets des 22 décembre 1812 et 19 mars 1859:
5o Les articles 201 à 208, 260 à 264, 294 du Code pénal;
6o Les articles 100 et 101, les §§ 11 et 17 de l’article 137 et l’article 166 de la loi du 5 avril 1884.
Il pouvait être procédé d’autant plus vite et plus facilement à l’examen de ce projet que la plupart de ses dispositions essentielles reproduisaient celles qu’avait elle-même adoptées la Commission antérieurement au dépôt du projet Combes. Quelques différences existaient bien entre les deux textes, notamment pour les pensions, pour la disposition des archevêchés, évêchés, presbytères, séminaires; mais ces différences, d’ordre secondaire, n’apparaissaient pas irréductibles. En effet, dès sa première entrevue avec la Commission, l’honorable M. Bienvenu Martin, Ministre de l’Instruction publique et des Cultes, 263 avait fait connaître que le désir du Gouvernement était de collaborer étroitement avec elle à la rédaction d’un texte commun.
Dans ces conditions, l’entente devenait facile. Elle fut réalisée dans la séance du 4 mars dernier, au cours de laquelle fut adopté le projet de loi ci-dessous, que nous avons l’honneur de vous présenter au nom de la Commission. Toutefois nous devons faire remarquer, qu’au moment du vote, les membres de la minorité et plusieurs membres de la majorité réservèrent expressément leur droit de soutenir devant la Chambre par le moyen d’amendements ou de contre-projets, leur opinion personnelle sur la question.
265
TITRE PREMIER
Principes.
Article premier.
La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.
Au moment où il pénètre dans le domaine sacré de la conscience, où il pose et résout un problème aussi complexe que celui de l’organisation des cultes et se prépare à régler les manifestations collectives de sentiments aussi intimes que les croyances religieuses, le législateur a pour premier devoir d’indiquer les principes qui l’ont inspiré et qu’il a voulu appliquer.
Le régime nouveau des cultes, qui vous est proposé, touche à des intérêts si délicats et si divers, il opère de si grands changements dans des coutumes séculaires, qu’il est sage, avant tout, de rassurer la susceptibilité éveillée des «fidèles», en proclamant solennellement que, non seulement la République ne saurait opprimer les consciences ou gêner dans ses formes multiples l’expression extérieure des sentiments religieux, mais encore qu’elle entend respecter 266 et faire respecter la liberté de conscience et la liberté des cultes.
Ainsi la Révolution et la première République procédaient noblement, sur le seuil de chaque grave réforme, par l’affirmation de principes généraux.
Mais il n’y a pas seulement ici un retour à une tradition républicaine. Si minutieusement rédigée que soit une loi aussi considérable, dont tous les effets doivent être prévus par des dispositions de droit civil, de droit pénal et de droit administratif, elle contient inévitablement des lacunes et soulève des difficultés nombreuses d’interprétation. Le juge saura, grâce à l’article placé en vedette de la réforme, dans quel esprit tous les autres ont été conçus et adoptés. Toutes les fois que l’intérêt de l’ordre public ne pourra être légitimement invoqué, dans le silence des textes ou le doute sur leur exacte application, c’est la solution libérale qui sera la plus conforme à la pensée du législateur.
Le libre exercice des cultes tel qu’il est prévu et garanti par le projet réalise un progrès notable dans la voie du libéralisme.
L’article 1er du Concordat porte que «la religion catholique apostolique et romaine sera librement exercée en France» et que «son culte sera public en se conformant aux règlements de police que le Gouvernement jugera nécessaire pour la tranquillité publique».
La liberté ainsi octroyée au culte catholique, étendue à certains cultes protestants et au culte israélite, comportait des restrictions considérables que le projet de loi supprime en proclamant la liberté d’association religieuse (titre IV, art. 16 et suiv.), la liberté de réunion (titre V, art. 23 et suiv.) et la liberté des lieux de culte (titre VI, art. 37, portant abrogation 267 des décrets des 22 décembre 1812, 19 mars 1859 et de l’art. 294 du Code pénal).
Il n’y aura plus d’autres limites au libre exercice des cultes que celles qui sont expressément édictées dans l’intérêt de l’ordre public par le projet de loi lui-même.
Art. 2.
La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l’Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes.
Les établissements publics du culte sont supprimés, sous réserve des dispositions énoncées à l’article 3.
Cet article, dont tout le projet de loi dépend et découle, réalise la séparation absolue des Eglises et de l’Etat. Et encore cette formule est-elle insuffisante, car l’Etat, au sens strict du mot, n’est pas seul en cause. Il s’agit bien de la séparation des Eglises et de la République elle-même ainsi que le dit le texte rédigé par votre Commission. Le principe établi est poussé jusqu’à ses extrêmes conséquences; il s’applique à tous les services publics de l’Etat, des départements ou des communes.
Ce n’est pas le lieu ici de discuter la théorie de l’acte de séparation lui-même et de le légitimer.
L’article 2 l’accomplit radicalement et pose un double principe:
Désormais aucun culte ne sera plus reconnu,—c’est la neutralité et la laïcité absolue de l’Etat,—et, conséquence immédiate et nécessaire, aucun culte ne sera plus officiellement salarié.
268
Il faut examiner successivement chacun de ces principes.
La République ne reconnaissant plus aucun culte, l’organisation officielle de l’Eglise catholique, de l’Eglise réformée de France, de l’Eglise de la confession d’Augsbourg et des Communautés israélites, telle qu’elle est établie par les lois, décrets et ordonnances en vigueur, est abolie.
Cela résulte d’ailleurs également de l’article 37, aux termes duquel «sont et demeurent abrogées toutes les dispositions relatives à l’organisation publique des cultes antérieurement reconnus par l’Etat, ainsi que toutes les dispositions contraires à la présente loi».
Les immeubles officiellement affectés aux cultes ou au logement des ministres du culte sont désaffectés et ne restent à leur disposition aux termes des articles 10 et suivants que dans un intérêt privé.
La loi ne connaîtra les cultes et les cérémonies cultuelles qu’en tant qu’elles n’intéresseront pas l’ordre public. Mais, par a contrario, toutes les dispositions civiles ou pénales ayant un caractère d’ordre public, restent en vigueur. Ainsi, pour ne citer que cet exemple, celles qui ont pour objet d’assurer la célébration du mariage civil avant le sacrement religieux.
Par une conséquence nécessaire, les ministres des cultes seront, pour tout ce qui concerne leur ministère ou en dérive, légalement ignorés. Toute la législation d’exception qui leur est actuellement applicable est abrogée implicitement, sous la réserve, toujours, de l’intérêt de l’ordre public. Les incompatibilités et privilèges dont ils sont l’objet disparaissent. Ils pourront être jurés, deviendront éligibles aux Conseils municipaux et généraux, au Sénat. Ils ne seront plus dispensés des fonctions de tuteur; l’article 259 269 du Code pénal ne sera plus applicable au port du costume ecclésiastique.
Il est presque inutile d’ajouter que tous les règlements sur les honneurs de préséance et visites de corps cesseront de viser les ministres des cultes; ceux-ci n’auront plus de rang officiel.
Toutes les exceptions de procédure (attribution aux Cours d’appel de la connaissance des délits commis par les archevêques, évêques et présidents de consistoire), comme en matière d’impôt, de réquisition militaire, etc., deviendront lettre morte.
Le principe posé par cet article est si extensif qu’il est impossible d’en prévoir à l’avance toutes les applications pratiques.
Cependant l’article 906 du Code civil, qui édicte pour les ministres du culte l’incapacité de recevoir des dons et legs des malades auxquels ils ont apporté, dans la dernière maladie, les secours de leur ministère reste indubitablement en vigueur. Cette disposition s’inspire de raisons pratiques qui subsistent et s’applique d’ailleurs aujourd’hui même aux ministres des cultes non reconnus, ainsi qu’aux médecins et aux pharmaciens dont la profession n’a pas un caractère officiel.
Tous les établissements ecclésiastiques chargés de la gestion des intérêts des cultes actuellement reconnus sont supprimés. Cette disposition se combine cependant avec celle de l’article 3, qui prévoit pour eux un prolongement d’existence légale pour assurer la liquidation de leurs biens. Nonobstant cette survivance temporaire, ces établissements doivent disparaître purement et simplement. Ils ne sauraient être maintenus même à titre officieux; seules les associations prévues par le titre IV peuvent à l’avenir gérer les intérêts des cultes, quelle qu’en soit la nature.
La République ne salariant, ne subventionnant 270 plus aucun culte, toutes dépenses inscrites à un titre quelconque au budget de l’Etat, des départements ou des communes doivent être supprimées. Les pensions accordées, par mesure transitoire, ne font pas échec à ces stipulations, elles n’ont qu’un caractère absolument précaire.
Il ne faut pas considérer comme une exception à ce principe la disposition finale de l’article 17 qui prévoit certaines subventions que l’Etat, les départements ou les communes jugeraient utile d’employer aux grosses réparations des édifices religieux leur appartenant. Ces subventions ne seront pas accordées dans l’intérêt des associations cultuelles, mais dans celui des propriétaires, pour la conservation des biens dont ils recouvreront la libre disposition.
Le Parlement a le droit et le devoir d’interdire ainsi aux départements et aux communes l’inscription de certaines dépenses à leur budget.
Il importe de ne pas laisser se perpétuer dans certaines régions les rapports officiels entre l’Eglise, les communes et les départements. La séparation doit être simultanément un fait accompli sur le territoire français. Les services départementaux et communaux ne jouissent nullement en pareille matière, d’une autonomie absolue. Certaines dépenses sont obligatoirement inscrites à leur budget, d’autres leur sont actuellement interdites.
Mais, tout ce que nous avons dit ne s’applique qu’aux budgets ordinaires. Il faut aller plus loin et admettre qu’aucune dépense relative à l’exercice du culte ne pourra être comprise dans les budgets spéciaux rattachés pour ordre ou non aux budgets généraux de l’Etat, des départements ou des communes. Ainsi, les aumôneries des asiles publics, des lycées, collèges, etc., ne peuvent faire l’objet de crédits permanents et réguliers dans les budgets précités. Lorsqu’un 271 de ces établissements fera appel, dans l’intérêt privé d’un pensionnaire ou d’un membre du personnel aux offices d’un ministre du culte, celui-ci pourra être légitimement rémunéré, mais comme le serait un fournisseur ordinaire, par exemple un médecin occasionnel.
Tous les crédits budgétaires doivent être supprimés à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la loi. Jusqu’au 1er janvier ils seront régulièrement maintenus, et les sommes qu’ils indiquent devront être intégralement payées. Après cette date, ils disparaîtront, et les établissements publics des cultes dont la survivance est prévue par l’article 3 ne pourront pas en réclamer à leur profit le maintien pendant la dernière période de leur fonctionnement.
Cette date du 1er janvier était la seule normale, l’exercice annuel étant clos au 31 décembre.
Telle est rapidement analysée l’économie et la portée de l’article 2.
Mais une question se pose ici pour le législateur soucieux de l’équité. Ne lèse-t-il pas des droits acquis?
En ce qui concerne les ministres des cultes protestant et israélite, il n’est pas douteux que les traitements et allocations qu’ils reçoivent n’ont d’autre raison d’être que la volonté du législateur. Consentis d’année en année, ils peuvent être supprimés à la fin de l’exercice.
Pour le clergé catholique on a prétendu et soutenu, que le traitement qui est alloué à ses membres n’est que l’acquittement annuel des arrérages d’une dette perpétuelle. Certains n’ont même pas hésité à déclarer que refuser de payer cette dette serait, à cet égard pour l’Etat faire banqueroute à ses engagements.
Nous ne pouvons ici discuter cette théorie dans tous 272 ses détails[18]. Il est cependant impossible de la passer absolument sous silence. Il n’est pas douteux qu’en droit public les gouvernements successifs assument chacun les charges dont leurs prédécesseurs ont grevé les finances publiques. Il faut donc rechercher si l’article 2 peut se légitimer en droit et en équité.
On a vu dans la partie historique du rapport que le 2 novembre 1789 (la veille de la Déclaration des droits de l’homme), l’Assemblée Constituante avait voté une motion proposée par Mirabeau et ainsi conçue:
«Les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la nation à la charge de pourvoir d’une manière convenable aux frais du culte, à l’entretien de ses ministres et au soulagement des pauvres.»
Il est difficile de saisir exactement ce qu’entendait le grand orateur, en proposant un texte rédigé en termes aussi peu juridiques.
Il faut constater tout d’abord qu’il n’y a pas eu de contrat. C’est une simple déclaration par laquelle l’Assemblée décide de remettre entre les mains de la nation les biens ecclésiastiques, et ajoute libéralement qu’elle prend à sa charge les frais du culte, l’entretien des ministres et le soulagement des pauvres.
Il résulte des documents de l’époque et des travaux préparatoires, que l’Assemblée constituante ne pensait ni ne voulait dépouiller l’Eglise de biens qu’elle possédait; elle entendait seulement restituer à la nation propriétaire l’administration et l’usufruit des biens ecclésiastiques dont l’Eglise jouissait.
Comme le dit la motion elle-même, les biens ecclésiastiques, appartenant à l’Etat et mis à la disposition 273 de l’Eglise catholique, sont simplement remis à la disposition de la Nation.
D’accord avec ses principes et dans l’intérêt de la paix publique la Constituante prenait aussi les résolutions de pourvoir aux frais du culte, à l’entretien des ministres et au soulagement des pauvres.
Elle estimait, en effet, que l’exercice de la religion et de la charité constituaient des nécessités sociales qui devaient faire l’objet de services publics. Reprenant à ceux qui étaient chargés de ce service les biens qui leur permettaient de vivre, elle inscrivait au budget général des crédits pour rémunérer leurs fonctions jugées indispensables.
Il y avait là, en outre, une préoccupation de sage politique, afin que le culte fût exercé partout sans aucune suspension possible, et afin que les œuvres charitables entreprises par l’Eglise à l’aide de ces ressources fussent continuées. Il y avait aussi une pensée bienfaisante en faveur des membres du clergé, qui avaient cru pouvoir compter toujours pour eux-mêmes sur les biens mis à leur disposition.
Mais il ne pouvait y avoir, dans l’allocation prévue, aucun caractère d’indemnité.
L’indemnité ne se conçoit et ne peut se concevoir que lorsqu’il y a faute ou quasi-délit. L’allocation eût été l’aveu d’une spoliation. Rien, ni dans la discussion qui a précédé la motion, ni dans l’analyse de la motion elle-même, ne permet de prétendre que la Constituante a cru léser quelque droit acquis en remettant entre les mains de la Nation ce qui n’avait cessé de lui appartenir. Elle n’a voulu, et n’a fait, qu’exercer un droit certain et imprescriptible.
Il est si vrai que la théorie de la charge perpétuelle est d’origine récente et n’avait cours ni sous la Révolution ni au début du dernier siècle, qu’en 1816 la Chambre Introuvable elle-même repoussait la proposition 274 d’une création de dotation permanente en faveur du clergé!
La résolution de la Constituante pour les cultes et leurs ministres était un acte gracieux de l’autorité législative, et à ce titre essentiellement précaire.
Il est probable qu’à l’origine le budget des cultes avait pour les Eglises un caractère transitoire, et pour leurs ministres un caractère viager. On voulait en reprenant les biens ecclésiastiques donner viagèrement au clergé en exercice un traitement suffisant.
Aussi, la Constitution de 1791 porte-t-elle cette disposition: «Sous aucun prétexte les fonds nécessaires à l’acquittement de la dette nationale ne pourront être refusés ou suspendus. Le traitement des ministres du culte catholique pensionnés, conservés, élus ou nommés en vertu du décret de l’Assemblée constituante fait partie de la dette nationale.» Ce texte aussi précis prouve, à l’évidence, qu’il ne s’agissait que des ministres régulièrement admis à ce moment par la Constituante. La loi stipulait pour le passé et non pour ceux qui seraient nommés à l’avenir.
C’était une disposition semblable à celle du projet actuel pour les pensions allouées aux ministres des cultes en fonctions.
Ces traitements et pensions auraient pris fin, mais l’article XIV du Concordat créa un régime nouveau. Il porte: «Le Gouvernement assurera un traitement convenable aux évêques et curés.» Il n’est pas douteux que si le budget des cultes avait eu le caractère d’une charge perpétuelle assumée en raison de la reprise des biens ecclésiastiques, le Concordat eût pris soin de rappeler et de confirmer un droit aussi important.
Il décide, au contraire, comme s’agissant d’un droit nouveau et purement contractuel, il ne dit rien du 275 passé et ne stipule que pour l’avenir. Le silence du Concordat sur la dette de l’Etat vis-à-vis de l’Eglise catholique est décisif. Le sort de l’article 14 est lié à celui du pacte lui-même; il tombe avec lui.
Et d’ailleurs, pourquoi discuter en théorie? En admettant même cette erreur certaine que le budget des cultes a eu le caractère d’indemnité, il y aurait lieu d’apprécier si le total des indemnités payées à ce jour n’a pas suffi à compenser le préjudice subi.
Remarquons tout d’abord que si indemnité il y a, elle doit être payée tout à la fois aux Eglises, aux ministres des cultes et aux pauvres. Elle continue à être payée aux pauvres qui sont les créanciers indivis et solidaires du clergé. Il y a même lieu de croire que la République lui a donné à cet égard des proportions que les contractants de la dette n’avaient pas prévues.
Mais pour l’Eglise elle-même, le budget des cultes, de 4 millions en 1803, a atteint sous le second Empire le chiffre de 50 millions. Il est aujourd’hui de plus de 40 millions.
Que l’on calcule ce qui a été payé par la nation à l’Eglise catholique depuis la Constituante: qu’on y ajoute la libre et gratuite disposition de tous les édifices religieux appartenant à l’Etat ou aux communes, les traitements alloués aux innombrables membres du clergé non concordataire, les indemnités de logement et toutes les allocations inscrites au budget des communes et l’on ne sera pas éloigné de conclure que, loin d’être spoliée, l’Eglise se trouverait, dans un pareil règlement de compte, débitrice de la République. Celle-ci lui a assuré depuis assez longtemps une assez riche dotation pour pouvoir supprimer le budget des cultes en toute sérénité.
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TITRE II
Dévolution des biens.—Pensions.
Art. 3.
Les établissements dont la suppression est ordonnée par l’article 2 continueront provisoirement de fonctionner, conformément aux dispositions qui les régissent actuellement, jusqu’à la dévolution de leurs biens aux associations prévues par le titre IV et au plus tard jusqu’à l’expiration du délai ci-après.
Les établissements ecclésiastiques dont la suppression est prononcée par l’article 2 sont provisoirement maintenus en exercice pour procéder à l’attribution de leurs biens dans les conditions déterminées par l’article 4.
Aussi longtemps que durera ce fonctionnement temporaire ils demeureront régis par les lois et règlements actuels. Le maintien provisoire des établissements ecclésiastiques ne peut durer plus d’une année.
Trois cas peuvent se présenter dans la pratique:
1o Les établissements publics du culte, par l’organe de leurs représentants légaux, opèrent la dévolution de leurs biens aux associations cultuelles, sans que se produise aucune contestation. Ils cessent immédiatement d’exister.
2o Les établissements publics du culte opèrent cette dévolution, mais des contestations et réclamations sont soulevées: le tribunal civil est saisi et ces établissements sont supprimés avant même que le délai d’un an soit expiré.
3o Les établissements publics du culte restent dans l’inaction absolue. A l’expiration du délai d’un an à partir de la promulgation de la loi le tribunal est 277 saisi, il place les biens sous séquestre et les établissements n’ont plus d’existence légale.
En toute hypothèse donc, l’organisation actuelle des cultes ne peut subsister après ce délai d’un an; elle se désagrégera peu à peu, en fait, à chaque dévolution des biens ecclésiastiques.
Art. 4.
Dans le délai d’un an à partir de la promulgation de la présente loi, les biens mobiliers et immobiliers appartenant aux menses, fabriques, conseils presbytéraux, consistoires et autres établissements publics du culte, seront, avec toutes les charges et obligations qui les grèvent, attribués par les représentants légaux de ces établissements aux associations qui se seront légalement formées pour l’exercice du culte dans les anciennes circonscriptions desdits établissements.
Toutefois, ceux de ces biens qui proviennent de l’Etat et qui ne sont pas grevés d’une fondation pieuse, feront retour à l’Etat.
A défaut d’une association apte à recueillir les biens d’un établissement ecclésiastique, ceux de ces biens qui ne sont pas grevés d’une fondation pieuse, pourront être réclamés par la commune où l’établissement a son siège, à charge par elle de les affecter à des œuvres d’assistance ou de prévoyance.
Les attributions de biens ne pourront être faites par les établissements ecclésiastiques qu’un mois après la promulgation du règlement d’administration publique prévu à l’article 36. Faute de quoi la nullité pourra en être demandée devant le tribunal civil par toute partie intéressée ou par le ministère public.
Art. 5.
Les biens mobiliers ou immobiliers grevés d’une affectation charitable ou de toute autre affectation étrangère à l’exercice du culte seront attribués, par 278 les représentants légaux des établissements ecclésiastiques, aux services ou établissements publics ou d’utilité publique, dont la destination est conforme à celle desdits biens. Cette attribution devra être approuvée par le Préfet du département où siège l’établissement ecclésiastique. En cas de non approbation, il sera statué par décret en Conseil d’Etat.
Toute action en reprise ou en revendication devra être exercée dans un délai de six mois à partir du jour de la dévolution prévue au paragraphe précédent. Elle ne pourra être intentée qu’en raison de donations ou de legs et seulement par les auteurs et leurs héritiers en ligne directe.
Art. 6.
Faute par un établissement ecclésiastique d’avoir, dans le délai fixé par le premier paragraphe de l’article 4, procédé aux attributions ci-dessus prescrites, il y sera pourvu par le tribunal civil du siège de l’établissement.
A l’expiration dudit délai et à la requête des intéressés ou du ministère public, les biens à attribuer seront, jusqu’à leur dévolution, placés provisoirement sous séquestre par décision du président du tribunal.
Dans le cas où les biens d’un établissement seront, soit dès l’origine, soit dans la suite, réclamés par plusieurs associations légalement formées pour l’exercice du même culte, l’attribution que l’établissement en aura faite pourra être contestée devant le tribunal civil qui statuera comme dans le cas du premier paragraphe du présent article.
Pour la commodité du texte, il a fallu répartir en plusieurs articles les dispositions insérées dans les articles 4, 5 et 6, mais pour la clarté du commentaire et de l’analyse, il y a tout intérêt à les grouper dans une commune explication.
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Il s’agit ici de la dévolution des biens appartenant aux établissements publics des cultes.
Ces établissements disparaissant, à qui devaient être attribués leurs meubles et immeubles?
On aurait pu, à la suppression de leurs propriétaires actuels, considérer les biens ecclésiastiques comme des biens vacants. D’après le droit commun, l’Etat les aurait recueillis et en aurait disposé suivant des règles à déterminer.
Votre Commission n’a pas cru que ce principe et cette méthode fussent équitables.
Une partie des biens qui sont en la possession des établissements publics du culte ont été constitués par les fidèles pour le culte; la Commission a estimé qu’en droit naturel, leur propriétaire réel était la collectivité des fidèles. Cette collectivité est personnalisée aujourd’hui par les Eglises; elle le sera demain par les associations cultuelles; elle ne disparaît pas à la suppression des établissements ecclésiastiques.
Il n’y a pas, dans la réalité des faits équitablement appréciés, disparition pure et simple de personnes morales sans héritiers légitimes; il n’y a qu’une transformation, imposée par le législateur lui-même, dans la forme juridique de ces personnes morales.
Tel est le principe posé et respecté par votre Commission.
Tous les biens constitués par les fidèles pour le culte doivent rester à la disposition des fidèles.
Les autres suivent une destination normale que nous indiquerons dans la suite.
Il fallait ici envisager et résoudre trois questions principales:
1o Qui doit opérer la dévolution des biens actuellement possédés par les établissements publics du culte?
2o Dans quel délai?
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3o Comment et à qui cette dévolution doit-elle être faite?
I.—Qui doit opérer la dévolution des biens actuellement possédés par les établissements du culte?
Votre Commission, avons-nous dit, a estimé que les établissements publics du culte détenaient actuellement ces biens en quelque sorte au nom et pour le compte des fidèles.
Représentants légaux de ces fidèles, ils ont paru tout naturellement désignés pour transmettre les biens aux associations appelées à leur succéder. Cette solution offrait, en pratique, les avantages les plus appréciables. Si l’Etat avait fait, par l’organe de ses préfets ou autres, la dévolution nécessaire, on aurait pu prétendre que certaines attributions, cependant consciencieusement faites, avaient été inspirées par une arrière-pensée politique.
Comme vraisemblablement, dans de nombreux cas les mêmes personnes qui administrent l’établissement public du culte composeront l’association nouvelle, c’était simplifier considérablement la procédure que de laisser aux intéressés eux-mêmes le soin d’effectuer légalement la transmission.
Il était aussi plus logique, à l’heure où l’on proclamait la séparation de l’Eglise et de l’Etat, de ne pas laisser à l’Etat la responsabilité de liquider la fortune de l’Eglise.
Ce seront donc les membres de l’administration de l’établissement public du culte qui feront librement la dévolution, et cela dans tous les cas. Ils joueront en quelque sorte le rôle d’un liquidateur à l’heure de la distribution des deniers aux créanciers vérifiés.
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Les biens grevés d’une affectation charitable ou étrangère à l’exercice du culte seront attribués aux services publics ou d’utilité publique. Ici, cependant, l’attribution ne sera pas libre absolument. Il s’agit, en effet, de biens appartenant, en droit naturel, non à la collectivité religieuse mais aux pauvres ou, pour les biens scolaires, aux écoliers. Il était juridique, il était prudent, de soumettre à l’approbation du préfet, tuteur légal des établissements publics ou d’utilité publique, appelés à recevoir ces nouvelles ressources, l’affectation qui en était faite.
A défaut d’une telle disposition, l’établissement public du culte aurait pu détourner tout ou partie de ces biens de leur destination normale.
Mais pour qu’en sens contraire, le préfet n’exerce pas abusivement les pouvoirs qui lui sont ainsi conférés, l’article 5 stipule qu’en cas de non approbation il sera statué par décret en Conseil d’Etat.
Quant aux biens qui ont une destination strictement religieuse, l’établissement public du culte les transmet toujours, et librement, à l’association cultuelle de son choix. Si une contestation s’élève au sujet de la dévolution ainsi faite, le tribunal civil décide, saisi par le ministère public ou tout intéressé.
Le tribunal civil n’est pas dans ce cas seulement arbitre, il est juge au sens complet du mot. C’est-à-dire qu’il statue suivant la procédure du droit commun. C’est une nouvelle compétence qui lui est attribuée par le projet de loi. Les parties intéressées pourront faire appel du jugement d’après les règles du Code de procédure et se pourvoir en cassation. Mais ici une observation est nécessaire.
Le tribunal civil s’inspirera pour sa décision de trois motifs principaux. Deux de droit: Les associations sont-elles légalement formées dans les termes de la loi de 1901 et de la loi de séparation de l’Eglise et de 282 l’Etat? La dévolution des biens a-t-elle été faite régulièrement et dans les délais prescrits?
L’autre de fait: Ces associations sont-elles sérieuses? Quelle est celle, ou quelles sont celles qui continuent à représenter les fidèles et peuvent légitimement revendiquer au nom de leur collectivité? Il n’est pas douteux que, pour ce troisième point, le nombre des membres qui composent l’association et leur personnalité elle-même fourniront des présomptions précieuses.
Devant la Cour de cassation la preuve du fait n’étant point admise, les pourvois ne pourront se former que pour composition illégale des associations auxquelles les tribunaux civils auraient donné gain de cause: pour défaut de motif ou pour violation des règles essentielles à la validité des décisions judiciaires.
C’est dans ces conditions que les tribunaux sont appelés à statuer sur la dévolution des biens lorsque celle-ci est sujette à contestation.
Il est facile de légitimer l’attribution de compétence qui leur est faite.
La loi pouvait désigner, pour trancher la difficulté, soit par acte gouvernemental, le préfet, soit par décision contentieuse, le Conseil d’Etat ou le Conseil de préfecture.
Il y avait en théorie et en pratique les plus grands inconvénients à laisser les juridictions administratives décider en matière aussi délicate. En principe, la séparation étant accomplie, il faut rompre le plus tôt possible et le plus radicalement possible tous les rapports entre l’Etat et les Eglises; en pratique on aurait toujours suspecté l’équité gouvernementale dans ces dévolutions et la moindre erreur aurait servi de prétexte pour une agitation antirépublicaine.
Le Conseil d’Etat, éloigné de chaque paroisse et n’ayant d’autres moyens d’information que les rapports 283 officiels et l’expertise, aurait difficilement réglé la tâche qui lui eût été assignée.
Les Conseils de préfecture, composés de membres amovibles, eussent été l’objet d’inévitables suspicions.
Le tribunal civil avait, dans cette circonstance, le triple avantage: d’être situé sur les lieux mêmes du litige, d’être composé de juges inamovibles et de rendre des décisions, après débats contradictoires, emportant force de chose jugée. D’ailleurs, il s’agira en définitive de question de propriété et les tribunaux judiciaires sont juges de droit commun en ces matières.
II.—Délai dans lequel la dévolution doit s’opérer.
Il fallait ici éviter un double inconvénient. Le plus grave était la possibilité pour les établissements publics du culte de perpétuer leur existence en ne procédant pas à la mission qui leur est confiée. Le projet, pour éviter pareille attitude, fixe à un an, à partir de la promulgation de la loi, le délai dans lequel la dévolution doit être faite. Si, à l’expiration de l’année, l’établissement public n’a pas rempli sa tâche, il cesse, par le fait même de la loi, d’exister, et le tribunal civil est saisi par le ministère public ou tout intéressé.
Mais ce délai d’un an est un délai maximum. L’article 4 a voulu ainsi poser un terme avant lequel normalement la transmission des biens devra être effectuée.
L’autre inconvénient pouvait résulter de l’envoi en possession précipité, octroyé par l’établissement public du culte à une association hâtive.
Parmi les fidèles, quelques personnes avisées pourraient préparer avant le vote de la loi et fonder immédiatement après, une petite association, réduite au minimum de membres et rigoureusement fermée à toute adhésion. De connivence avec les administrateurs 284 de l’établissement public du culte, ils recevraient, sans délais, les biens ecclésiastiques et toute autre association, moins diligente et cependant, plus nombreuse, plus sérieuse, représentant plus véritablement dans la paroisse la masse des coreligionnaires, se trouverait par ce moyen dépouillée de ressources sur lesquelles elle avait pu légitimement compter.
Pour permettre à toutes les associations éventuelles le moyen et leur donner le temps de se constituer, votre Commission a, dans le texte élaboré (art. 6), prescrit, à peine de nullité absolue, que les attributions de biens ne pourront être faites par les établissements qu’un mois après la promulgation du règlement d’administration publique prévu à l’article 36.
Ce règlement doit être rendu dans les trois mois. Le délai maximum de l’article 6 sera donc de quatre mois. Le règlement d’administration publique exigera sans doute une étude assez prolongée pour que le danger d’une dévolution hâtive soit écarté.
III.—Comment et à qui cette dévolution doit-elle être faite?
Le règlement d’administration publique à intervenir déterminera la forme juridique dans laquelle les biens seront transmis, les formalités qui devront être observées, en particulier pour l’inventaire qu’il faudra dresser. L’établissement public du culte procédera à ces formalités et cessera immédiatement après d’exister; l’association ou les associations cultuelles qui recueilleront les biens pourvoiront sans interruption à l’exercice du culte. L’établissement public du culte désignera, ainsi qu’il a été dit plus haut, même en cas de compétition entre plusieurs associations cultuelles, celle qui recueillera les biens. Si des procès s’ensuivent, l’association à laquelle aura été 285 faite la dévolution restera en possession et jouissance jusqu’au règlement du litige. C’est seulement dans le cas où la dévolution n’aurait pas été faite, dans le délai prescrit que les biens seront, conformément au paragraphe 2 de l’article 6, placés sous séquestre par décision du président du tribunal.
Pour déterminer à qui les biens seront dévolus dans ces conditions, il faut les distinguer suivant leur nature et leur convenance.
Le projet de loi (art. 4 et 5) distingue entre les biens servant directement ou indirectement à l’exercice du culte, les biens grevés d’une fondation pieuse et les biens grevés d’une affectation charitable ou de toute autre affectation étrangère à l’exercice du culte.
Le patrimoine entier des établissements publics du culte, à l’exception des biens provenant de l’Etat, ou grevés d’une affectation étrangère à l’exercice du culte, est transmis par l’établissement public à une ou à des associations cultuelles de son choix. Nous avons dit de quel principe la Commission s’est inspirée pour établir une semblable règle. Il lui a paru que, d’une part, le possesseur naturel de ce patrimoine, les communautés religieuses, ne disparaissait pas à la suppression de l’établissement public du culte et que dès lors la théorie des biens vacants et sans maître avait contre elle, ici, le droit et l’équité; elle a pensé aussi que le besoin social pour la satisfaction duquel ce patrimoine a été constitué existait indéniablement encore, avec des exigences impérieuses et qu’une sage politique devait la respecter et lui laisser toute liberté et toute satisfaction légitime.
Ce patrimoine constitué depuis le Concordat est considérable. (En 1902 la statistique officielle appréciait à 50.290 hectares l’étendue des immeubles appartenant aux établissements publics du culte). Pour la 286 partie mobilière les documents ne sont pas précis, mais elle est certainement de plus de cent millions.
L’Eglise, dans le nouveau régime des cultes, ne sera pas dès lors, du jour au lendemain, absolument sans ressources. Il y a lieu d’ailleurs, dans un esprit libéral, de s’en réjouir pour le maintien de la paix publique.
Ces biens dévolus aux associations cultuelles seront transmis avec toutes les charges et obligations qui les grèvent actuellement. Les fondations pieuses devront continuer à être respectées dans toutes les conditions suivant lesquelles elles ont été consenties. Le passif des établissements publics du culte sera supporté par les associations nouvelles dans la même mesure que l’actif.
Rien ne sera donc changé ni dans la destination des biens ecclésiastiques ni dans leurs modalités juridiques; le principe est simple et facilement applicable.
Toutefois, les biens qui proviennent de l’Etat et qui ne seront pas grevés d’une fondation pieuse, feront retour à l’Etat.
Ce sont tous les biens, sans distinction, pour lesquels il est ainsi disposé. Pour les meubles «meublant», l’article 2279 du Code civil sera naturellement observé; pour les autres dotations mobilières ou immobilières (tout particulièrement les biens domaniaux concédés aux fabriques et menses curiales sous le premier Empire), elles reviennent à l’Etat.
L’énumération de ces biens est inutile, le principe posé a une étendue d’application sans limite. Par exemple, dans le cas où partie de ces biens aurait été aliénée, les sommes correspondant au produit de la vente devront être restituées à l’Etat.
On comprend à merveille les raisons qui ont motivé cette disposition. Si l’on met à part les fondations pieuses, ces biens ont été non pas aliénés, mais concédés 287 par l’Etat pour un service public. Ce service public disparaissant, l’Etat n’a plus les mêmes obligations; il a le droit de considérer ses concessions comme sans objet; il reprend ses dotations pour leur donner une autre destination publique. On conçoit qu’au lendemain de la séparation, chacun des contractants reprenne son apport.
Quant aux biens grevés d’une affectation charitable ou étrangère au culte (scolaire, par exemple), il n’était pas conforme au droit public de les transmettre aux associations cultuelles.
Les communautés religieuses les avaient recueillis en violation du principe de la spécialité des établissements publics ou d’utilité publique. Les avis du Conseil d’Etat en date des 13 avril, 13 juillet et 4 mai 1881 ont remis en vigueur ce principe, à l’application duquel échappaient jusque-là, les établissements publics des cultes. Il exige que chaque personne morale se consacre et consacre toutes ses ressources au seul but pour lequel elle est constituée. Les nouvelles associations cultuelles ne devront avoir pour objet que l’exercice du culte. Leur patrimoine devra être entièrement affecté à ce but. Elles n’avaient aucune qualité pour recevoir les biens constitués par les établissements publics du culte antérieurement à 1881.
Cependant, par une mesure toute d’équité, le projet de loi laisse aux représentants légaux des établissements publics des cultes le soin de transmettre eux-mêmes les biens charitables ou autres à des services, des établissements publics ou d’utilité publique.
Les Préfets tuteurs de ces établissements devront approuver ces attributions ainsi que nous l’avons indiqué. Leur rôle se bornera à examiner si la présente loi a été observée et si le principe de la spécialité est respecté. Il convient de faire deux remarques sur le texte même adopté par votre Commission. Elle 288 a cru devoir admettre les établissements d’utilité publique à bénéficier des attributions faites en vertu de l’article 5. Les biens charitables ou autres ont été, en effet, confiés aux établissements ecclésiastiques par des donateurs ou légataires qui ont évidemment désiré, par une telle mesure, les affecter au profit de leurs coreligionnaires. Les adeptes de chaque culte ayant fondé un assez grand nombre d’œuvres reconnues d’utilité publique, il sera possible dans presque tous les cas, de respecter la pensée et la volonté des donateurs des biens dévolus.
Il faut observer aussi que l’article 3 ne limite pas aux établissements publics ou d’utilité publique, situés dans la circonscription ou les circonscriptions voisines de celles des établissements des cultes, le bénéfice de ses dispositions. C’est une facilité de plus donnée aux établissements publics des cultes de conserver aux biens qu’ils ne peuvent transmettre aux associations cultuelles leur destination intégrale.
Tous ces biens seront recueillis aussi, grevés de toutes les charges et obligations dont ils étaient affectés antérieurement à leur transmission.
Tel est le mode de dévolution des biens composant aujourd’hui le patrimoine des établissements ecclésiastiques. Il sera effectué dans les conditions que nous venons de préciser.
Il restait cependant à prévoir deux cas. Fallait-il admettre les actions en reprise ou revendication des biens donnés ou légués? Votre Commission a adopté la solution libérale; elle a reconnu la légitimité de ces actions. La loi de 1901 sur les associations avait pris une disposition semblable à propos des biens possédés par les congrégations. Le projet pose cependant une condition et une restriction au droit de revendication: en ce qui concerne les biens grevés d’une affectation charitable, ou de tout autre affectation 289 étrangère à l’exercice du culte, l’action doit être exercée dans les six mois à dater du jour de la dévolution. Il eût été fâcheux de laisser trop longtemps les établissements qui recevront ces biens sous la menace d’une dépossession éventuelle au profit des donateurs ou de leurs héritiers.
L’action en revendication ne peut être intentée que par les auteurs mêmes de la donation ou par leurs héritiers en ligne directe.
Pour les auteurs, c’était le droit commun; pour leurs héritiers on a admis qu’ils continuaient en quelque sorte leurs personnes. Mais les simples légataires ou héritiers en ligne collatérale n’ont pas le même caractère. C’eût été ouvertement violer la volonté expresse du donateur ou du testateur que d’attribuer à ces collatéraux des biens dont leurs auteurs les avaient délibérément privés pour leur donner une destination bienfaisante.
En dehors de ces conditions, le projet de loi ne soumet à aucune disposition spéciale la revendication éventuelle des dons et legs à la suite de la transmission des biens des établissements ecclésiastiques. Le droit commun s’appliquera, et il appartiendra aux tribunaux, suivant les circonstances de chaque espèce, de décider si, alors que les charges et conditions continuent à être exécutées et qu’il s’est produit seulement un changement dans la personne morale chargée d’y pourvoir, il y a cependant matière à révocation.
Nous savons déjà que si plusieurs associations cultuelles sérieuses se forment, elles pourront réclamer devant le tribunal civil tout ou partie des biens attribués par l’établissement public du culte à l’une d’elles. Le tribunal appréciera, en fait, quelle est celle, ou quelles sont celles, qui représentent véritablement la collectivité des fidèles pratiquant le même culte.
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Mais cette hypothèse ne doit pas être seulement prévue pour le lendemain de la promulgation de la loi. Il peut arriver aussi que, dans la suite, une scission se produise dans une association cultuelle et donne naissance à un conflit pour la possession et la jouissance des biens. La loi serait incomplète si elle ne prévoyait pas une aussi grave difficulté et n’indiquait pas un juge pour la trancher. Ce sera encore le tribunal civil qui statuera en pareil cas sur les éléments d’appréciation que nous avons indiqués plus haut.
Une dernière difficulté devait être prévue et solutionnée. Il se peut que dans la circonscription d’un établissement public du culte aucune association cultuelle ne se forme. Il n’est pas absurde de concevoir qu’en certaines régions les habitants soient si complètement détachés des habitudes religieuses que les sept personnes majeures et domiciliées, suffisantes pour constituer une association, ne se rencontrent pas. Il est encore plus vraisemblable d’admettre que dans d’autres régions où l’esprit clérical et combatif dominera, on pourrait chercher à faire échec à la loi en faisant en quelque sorte la grève des fidèles et en refusant de constituer les associations cultuelles prévues par le projet. Il fallait bien, en pareil cas, déterminer le mode de dévolution des biens ecclésiastiques. A qui seraient-ils attribués? Pour ne pas dépouiller de leur bénéfice les régions mêmes où ils sont actuellement possédés, l’article 4 décide, qu’à l’exception de ceux qui ne sont pas grevés d’une fondation pieuse, ils pourront être réclamés par la commune, à charge par elle de les affecter à des œuvres d’assistance ou de prévoyance. Ainsi, à défaut d’un usage religieux pour le maintien duquel les anciens paroissiens de l’église n’auront manifesté aucune volonté expresse, le patrimoine qui servait aux besoins 291 du culte pourra en quelque manière augmenter le bien-être des pauvres et des travailleurs. Libres-penseurs et croyants seront unanimes à approuver une telle disposition.
Art. 7.
En cas de dissolution d’une association, les biens qui lui ont été dévolus en exécution des articles 4 et 5 seront attribués par elle à une association analogue existant soit dans la même circonscription, soit dans les circonscriptions les plus voisines.
Faute d’attribution régulière et dans le cas où plusieurs associations formées légalement pour l’exercice du même culte revendiqueraient les biens, l’attribution sera faite à la requête de la partie la plus diligente par le tribunal de l’arrondissement où l’association dissoute avait son siège.
A défaut de toute association pour recueillir les biens de l’association dissoute, ceux de ces biens qui ne sont pas grevés d’une fondation pieuse pourront être réclamés par la commune dans les conditions indiquées au paragraphe 3 de l’article 4.
Il fallait prévoir la dévolution des biens des associations qui seraient dissoutes. Les personnes morales, même religieuses, ne jouissent pas, en fait, d’une existence infinie et les associations cultuelles peuvent disparaître à la suite de mort naturelle ou de mort violente. La mort naturelle sera l’effet du nombre insuffisant de membres de l’association (art. 17); la mort violente sera le résultat de la dissolution prononcée par les membres eux-mêmes ou par décision de la justice, en vertu de l’article 7 de la loi du 1er juillet 1901, ou par application des dispositions contenues dans le projet de loi (art. 21).
Si l’on s’en était référé purement et simplement au 292 droit commun tel qu’il résulte de la loi du 1er juillet 1901 (art. 9) et du décret du 16 août 1901 (art. 14), l’association cultuelle, en cas de dissolution volontaire ou forcée, aurait été libre d’attribuer, comme elle l’aurait entendu et à qui elle aurait voulu, les biens provenant de l’établissement ecclésiastique auquel elle avait succédé. Il y aurait eu des déplacements anormaux de capitaux dans un but ou avec des effets parfois regrettables.
Aussi a-t-il paru prudent à votre Commission de spécifier que les biens, en pareil cas, seraient dévolus à une association analogue à celle qui se dissoudrait, située soit dans la même circonscription, soit dans les circonscriptions les plus voisines. Si les associés ne s’entendent pas sur cette attribution, elle sera opérée en justice conformément aux règles fixées par l’article 5.
Il en sera de même si quelque association formée pour l’exercice du culte, et située dans les circonscriptions précitées, revendique ces biens. La Commission a estimé ici encore que ceux-ci appartenaient plutôt à l’ensemble des fidèles d’un culte qu’aux établissements publics et aux associations qui les remplaceront. Ces associations représentent en quelque sorte et personnalisent les corps des coreligionnaires. Si elles ne remplissent pas exactement le mandat tacite qui leur est comme dévolu il faut laisser aux groupements religieux intéressés le droit de faire valoir leurs revendications. La sauvegarde de la justice qui prononce paraît indispensable.
Mais il fallait aussi prévoir le cas où aucune association cultuelle n’existerait, capable de recueillir les biens possédés par l’association dissoute, par suite de l’indifférence de la population ou par une sorte de résistance concertée à la loi.
Ceux de ces biens qui seront grevés d’une fondation pieuse suivront leur destination normale pour 293 laquelle ils ont été constitués, les autres pourront être réclamés par la commune qui devra les affecter, sous le contrôle de l’autorité administrative, à des œuvres d’assistance et de prévoyance (article 5).
Art. 8.
Les attributions prévues par les articles précédents ne donnent lieu à aucune perception au profit du Trésor.
La dévolution des biens appartenant soit aux établissements ecclésiastiques supprimés, soit aux associations cultuelles, a un caractère forcé. Elle a pour but de laisser à l’ensemble des fidèles d’un culte la disposition des meubles et immeubles constitués par ceux dont ils sont les continuateurs. Il n’y a pas véritablement transmission de propriété de la part d’un ancien et au profit d’un nouveau propriétaire; il n’y a qu’un changement juridique, exigé par la loi, dans la forme et selon les modalités de la propriété.
L’article 8 ne fait d’ailleurs qu’étendre aux attributions opérées en vertu des articles 4, 5, 6 et 7 du projet de loi, les immunités fiscales dont les acquisitions réalisées par voie d’expropriation pour cause d’utilité publique bénéficient par application de l’article 58 de la loi du 3 mai 1841.
Les actes de toute nature se rapportant aux attributions des biens d’établissements ecclésiastiques ou d’associations cultuelles seront donc dressés sur papier libre et dispensés de tous droits d’enregistrement. Leur transcription sera gratuite. La procédure devant les tribunaux sera suivie sans frais de justice. Il n’y aura d’inscription que pour les honoraires d’avoués.
Il faut distinguer cependant entre la dévolution régulière, normale, des biens faite à des associations cultuelles, et la revendication de ces biens exercée par les héritiers en ligne directe des donateurs.
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Dans ce dernier cas il y a véritablement changement de propriété au profit d’une personne qui recueille des biens étrangers, malgré la volonté expresse d’un donateur ou testateur; il y a aussi changement d’affectation de ces biens qui ne suivent plus la destination déterminée par leurs légitimes propriétaires, aucune raison de droit ni de fait n’oblige le Trésor à faire bénéficier ces actions en revendication des dispositions de l’article 8.
Art. 9.
Les ministres des cultes, qui compteront vingt-cinq années de fonctions rémunérées par l’Etat, les départements ou les communes, dont vingt années au moins au service de l’Etat, recevront une pension annuelle viagère égale à la moitié de leur traitement; cette pension ne pourra pas être inférieure à 400 francs, ni supérieure à 1.200 francs.
Les ministres des cultes actuellement salariés par l’Etat qui ne seront pas dans les conditions exigées pour la pension recevront pendant quatre ans, à partir de la suppression du budget des cultes, une allocation annuelle égale à la totalité de leur traitement pour la première année, aux deux tiers pour la deuxième, à la moitié pour la troisième, au tiers pour la quatrième.
Les départements et les communes pourront, sous les mêmes conditions que l’Etat, accorder aux ministres des cultes actuellement salariés par eux, des pensions ou des allocations établies sur les mêmes bases et pour une égale durée.
Réserve est faite des droits acquis en matière de pensions par application de la législation antérieure. Les pensions ne pourront se cumuler avec toute autre pension ou tout autre traitement alloués à titre quelconque par l’Etat, les départements ou les communes.
Ces pensions et allocations seront incessibles et insaisissables 295 dans les mêmes conditions que les pensions civiles. Elles cesseront de plein droit en cas de condamnation à une peine afflictive ou infamante et elles pourront être suspendues pendant un délai de deux à cinq ans en cas de condamnation pour l’un des délits prévus aux articles 31 et 32 de la présente loi.
Le système que votre Commission a adopté pour les pensions accordées par mesure transitoire aux ministres du culte se différencie de celui que le Gouvernement avait formulé dans l’article 8 de son premier projet. Il y a eu sur ce point transaction et accord pour la rédaction d’un texte commun.
Le Gouvernement divisait les ministres des cultes salariés par l’Etat en trois classes. Ceux qui ont trente ans d’exercice, ceux qui ont vingt ans d’exercice, ceux qui ont moins de vingt ans d’exercice. Les premiers recevaient à dater de la cessation de leur traitement une pension viagère annuelle égale aux deux tiers de ce traitement. Elle ne pouvait cependant être supérieure à 1.200 francs, ni inférieure à 400 francs.
Les seconds auraient une pension viagère annuelle égale à la moitié de leur traitement, mais de 400 francs au moins et de 1.200 francs au plus. Enfin les derniers auraient droit pendant un temps égal à la moitié de la durée de leurs services rétribués par l’Etat à une allocation annuelle de 400 francs.
Ce système a paru présenter certains inconvénients dont le plus gros serait de maintenir pendant longtemps un véritable budget des cultes nécessitant des crédits très importants. On pouvait lui reprocher aussi de ne donner aux ministres des cultes qui ont moins de vingt années de service rémunéré par l’Etat, et qui sont les plus nombreux, qu’une allocation insuffisante dès le lendemain de la séparation des Eglises et de l’Etat.
296
Sur le principe même des pensions ou allocations à accorder aux ministres du culte il ne peut y avoir de contestation sérieuse. Sans discuter la question de savoir s’ils sont ou non des fonctionnaires, sans rechercher davantage s’il leur est dû une indemnité au lendemain de la suppression de leurs services publics, on s’accordera à admettre qu’il est juste de prévenir les infortunes de ceux qui espéraient recevoir toujours un traitement officiel.
Mais d’autre part, la séparation des Eglises et de l’Etat ne serait qu’un vain mot pendant longtemps, et la suppression du budget des cultes qu’une illusion, si l’on était contraint durant de longues années de maintenir des crédits considérables pour le service des pensions. Il fallait pourtant assurer, sans contre-coup trop pénible pour les ministres des cultes, le passage de l’ancien au nouveau régime.
La Commission accorde tout d’abord des pensions aux ministres des cultes âgés. Tous ceux qui sont actuellement pensionnés continuent à jouir de leurs droits acquis; ils gardent leurs pensions sans les cumuler avec celles du nouveau régime.
Ceux qui ne sont pas pensionnés et qui ont vingt-cinq ans de services (dont vingt seulement rémunérés par l’Etat) auront droit à une pension annuelle viagère égale à la moitié de leur traitement. On a fait abstraction de l’âge des ecclésiastiques pour n’envisager que la durée de leurs services.
Il peut être intéressant toutefois d’observer pour le culte catholique que, l’ordination n’ayant lieu en principe qu’à partir de vingt-cinq ans (Décret du 28 février 1810, art. 3 et 4), les vingt ou vingt-cinq ans de services rétribués par l’Etat correspondent à un minimum de quarante ou quarante-cinq ans d’âge, inférieur à celui qui est exigé pour les retraites civiles.
Cette pension ne pourra être inférieure à 400 francs ni supérieure à 1.200 francs.
297
Si l’on tient compte de ce que les ministres des cultes, contrairement aux autres fonctionnaires, ne subissent sur leur traitement aucun prélèvement pour la retraite; si l’on calcule dans les retraites civiles, la part incombant à l’Etat, en dehors de l’intérêt des sommes accumulées à capital perdu, par chaque fonctionnaire et par prélèvement sur son salaire, on constatera que la pension ainsi proposée pour les ministres des cultes est proportionnellement supérieure à celle dont bénéficient les fonctionnaires civils.
Tous les autres ministres des cultes actuellement salariés par l’Etat recevront dès la suppression du budget des cultes, pendant une année leur traitement intégral, la seconde année les deux tiers, la troisième année la moitié, la quatrième année le tiers.
Les sommes ainsi réparties en quatre ans sont à peu près égales à celles qui étaient prévues par le projet du Gouvernement.
Mais le système que votre Commission vous propose à l’unanimité de ses membres, et avec l’approbation du Gouvernement qui s’y est rallié, a un double avantage. Le budget important des pensions (celui relatif aux ministres des cultes ayant au moins 25 ans d’exercice excepté), ne sera obligatoire que pendant quatre ans. Ainsi quatre années après le vote de la loi, le budget de l’Etat sera libéré de la plus lourde charge des crédits pour les cultes et leurs ministres.
Au point de vue fiscal, comme au point de vue politique, il y a un intérêt de premier ordre à ne pas perpétuer les liens qui unissent l’Etat aux Eglises. Plus la séparation sera nette et rapide et moins elle sera difficile et douloureuse. Les mesures les plus radicales sont parfois aussi les mesures les plus habiles.
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D’ailleurs elles se concilient ici très heureusement avec l’intérêt véritable des ministres des cultes eux-mêmes. Le projet du Gouvernement accordait au plus grand nombre pendant assez longtemps une allocation de 400 francs. Celle-ci était absolument insuffisante pour les faire vivre. Au lendemain de la séparation si une crise financière s’était produite dans l’Eglise, les ministres en auraient souffert et l’allocation de 400 francs aurait été pour eux un pauvre secours.
Quant aux ministres qui désireraient quitter le sacerdoce et trouver une situation laïque, ils n’auraient pu avec leur trop modeste subvention aller à la recherche d’une position convenant mieux à leurs aptitudes. Ils eussent été liés à l’Eglise.
Avec l’article 9 du projet, ils recevront la première année la totalité de leur traitement. Pour eux, il ne peut y avoir durant ce temps de crise financière. La seconde année, les deux tiers, représentent encore une somme appréciable. Le budget des pensions et indemnités diminuera insensiblement chaque année, et ainsi les ministres des cultes passeront sans secousse de l’ancien au nouveau régime. Peu à peu le budget officiel sera remplacé par les dons des croyants.
Les départements ou communes pourront, pour les ministres des cultes, salariés par eux, établir ou accorder des pensions sur les mêmes bases que celles de l’Etat.
Toutes ces pensions et allocations sont insaisissables et incessibles. Cependant elles cesseront de plein droit en cas de condamnation à une peine afflictive ou infamante. L’Etat ne peut s’imposer des sacrifices pour les indignes. Elles pourront être suspendues pendant un délai de deux à cinq ans en cas de condamnation pour un des délits prévus aux articles 31 et 32 du projet de loi.
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Les tribunaux auront à apprécier, suivant la faute et les circonstances du délit, si la suspension doit être prononcée.
TITRE III
Des édifices des cultes.
Art. 10.
Les édifices antérieurs au Concordat, servant à l’exercice des cultes ou au logement de leurs ministres, cathédrales, églises, chapelles de secours, temples, synagogues, archevêchés, évêchés, presbytères, séminaires, ainsi que leurs dépendances immobilières et les objets mobiliers qui les garnissaient au moment où lesdits édifices ont été mis à la disposition des cultes, sont et demeurent propriétés de l’Etat, des départements, ou des communes, qui devront en laisser la jouissance gratuite, pendant deux années à partir de la promulgation de la présente loi, aux établissements ecclésiastiques ou aux associations formées pour l’exercice du culte dans les anciennes circonscriptions des établissements ecclésiastiques supprimés.
L’Etat, les départements et les communes seront soumis à la même obligation en ce qui concerne les édifices postérieurs au Concordat dont ils seraient propriétaires, y compris les facultés de théologie protestante.
Il ne peut être sérieusement contesté que les églises métropolitaines et cathédrales soient la propriété de l’Etat ainsi que les palais épiscopaux, archiépiscopaux, les presbytères et les bâtiments des séminaires.
La Constituante avait fait de tous les biens ecclésiastiques—qui étaient distingués des biens du clergé, plus exactement des bénéfices,—la propriété 300 de l’Etat. Avant elle, les églises paroissiales et les presbytères avaient un caractère mixte, communal et ecclésiastique. La Législative remit ces dernières aux municipalités. (Décrets des 4 et 14 septembre 1792).
Les décrets des 3 ventôse et 11 prairial an III, en rétablissant le libre exercice des cultes déclarèrent à nouveau le droit de possession des églises par les communes.
Les 3 nivôse et 2 pluviôse an XIII, des avis du Conseil d’Etat, approuvés par l’Empereur et exécutés comme ayant force de loi furent solennellement émis en ces termes:
«Le Conseil d’Etat... sur la question de savoir si les communes sont devenues propriétaires des églises et des presbytères qui leur ont été abandonnés en exécution de la loi du 18 germinal an X, est d’avis que lesdits églises et presbytères doivent être considérés comme propriétés communales.»
D’autres textes ont rappelé ou proclamé les mêmes principes.
Depuis lors le Conseil d’Etat et la Cour de cassation ont consacré dans une jurisprudence constante ce principe «que les églises métropolitaines et cathédrales sont propriété de l’Etat, les églises paroissiales et les presbytères sont la propriété des communes.»
Les édifices d’origine ancienne rendus aux cultes protestants lors du rétablissement de ces cultes par application de la loi du 18 germinal an X, ou attribués au culte israélite lors de son organisation par décret du 17 mars 1808, appartiennent également aux communes.
L’article 10 fait donc une appréciation juridique et conforme aux règles séculaires, en distinguant, pour le régime auquel seront soumis les édifices des cultes, les immeubles religieux antérieurs au Concordat et ceux qui sont possédés par les établissements publics 301 depuis le Concordat. Le droit de propriété de l’Etat ou des communes n’est pas créé, il est simplement confirmé.
Cette confirmation, cette nouvelle consécration législative, n’étaient pas inutiles. On n’aurait pas manqué de tirer argument du silence de la loi pour contester un droit même aussi indéniable.
L’Etat ne pouvait d’ailleurs abandonner aux associations cultuelles cette propriété. Aucune raison ne permettait de diminuer ainsi le patrimoine de la Société tout entière au profit de certains groupements religieux, et surtout n’autorisait le Parlement à faire de pareilles largesses aux dépens des communes.
Pour les édifices postérieurs au Concordat, votre Commission a finalement décidé de ne tracer aucune règle pour résoudre les questions de propriété qui pourront se poser entre l’Etat, les départements et les communes d’une part et les établissements ecclésiastiques de l’autre.
On décidera, d’après le droit commun de propriété et spécialement d’après l’article 552 du Code civil. Les dispositions qu’on eût pu inscrire dans la loi, n’auraient aucunement facilité la solution de ces difficultés. Le recours à la justice ne pouvant être évité, il n’y avait aucun intérêt à ajouter aux règles du Code civil de nouvelles stipulations.
Les tribunaux décideront d’après les titres ou, à défaut, par tous les modes de preuve admis en pareille matière. Les droits des établissements des cultes, comme ceux de l’Etat ou des communes, ont été ainsi mieux réservés. Les juges trouveront dans les délibérations des Conseils municipaux et dans celles des conseils de fabrique de précieux éléments d’appréciation.
Les édifices servant à l’exercice des cultes ou au logement de leurs ministres, quels qu’ils soient, qui 302 appartiennent à l’Etat, aux départements ou aux communes, antérieurs ou postérieurs au Concordat, les facultés de théologie protestante, seront laissés pendant deux ans gratuitement à la disposition des établissements publics des cultes ou aux associations cultuelles qui continueront l’exercice du culte dans les circonscriptions ecclésiastiques des établissements publics supprimés. Les deux ans courront à partir de la promulgation de la loi.
On a voulu ainsi, pendant deux ans, donner aux associations cultuelles toute facilité pour se constituer, se développer et réunir, à l’abri de toute dépense immédiate, une certaine réserve. Si l’on tient compte de ce que, pendant un an, les ministres du culte recevront leur traitement intégral et pendant la deuxième année les deux tiers de ce traitement, on constatera dans quel esprit de véritable libéralisme et de prudente politique cette disposition a été conçue. Le lendemain de la promulgation, rien ne sera changé en fait. L’exercice du culte sera continué sans aucune interruption. La transformation sera juridique et de principe, avant d’être réalisée en pratique. Aucune application brutale et inattendue ne sera de nature à susciter une agitation ou une inquiétude chez les croyants. Si quelques troubles se produisent, on aura le droit de les considérer comme factices, et la responsabilité ne pourra en incomber au législateur.
Art. 11.
A l’expiration du délai ci-dessus fixé, l’Etat, les départements et les communes, devront consentir aux associations, pour une durée n’excédant pas cinq ans, la location des presbytères et, pour une durée n’excédant pas dix ans, la location des cathédrales, églises, chapelles de secours, temples et synagogues, ainsi que des objets mobiliers qui les garnissent.
303
Le loyer ne sera pas supérieur à dix pour cent du revenu annuel moyen des établissements supprimés, ledit revenu calculé d’après les résultats des cinq dernières années antérieures à la promulgation de la présente loi, déduction faite des recettes supprimées par la loi du 28 décembre 1904.
Les réparations locatives et d’entretien ainsi que les frais d’assurance seront à la charge des établissements ou des associations.
En cas d’inexécution de ces prescriptions, la location sera résiliable.
Les associations locataires ne pourront se prévaloir contre l’Etat et les communes des dispositions des articles 1720 et 1721 du Code civil. Elles pourront demander la résiliation du bail dans le cas où le bailleur se refuserait à exécuter les grosses réparations indispensables pour assurer la jouissance de l’immeuble.
Les édifices actuellement à la disposition d’établissements publics pour l’exercice du culte et qui sont la propriété de l’Etat, des départements ou des communes devront, à l’expiration de la jouissance gratuite concédée pendant deux ans, être loués, sur leur demande aux associations cultuelles.
Observons tout d’abord qu’on s’est abstenu de prescrire pour ces édifices aucune règle d’inaliénabilité. Les monuments historiques demeureront soumis à leur régime particulier à ce point de vue comme à tous les autres. Mais pour ceux qui ne sont point classés à ce titre, ils font par le fait de l’article 2, partie du domaine privé, et les déclarer inaliénables eût été créer sans raison sérieuse une législation spéciale à leur égard. Il y aurait intérêt, au contraire, à les maintenir dans les limites du droit commun car l’Etat, les départements et les communes pourront 304 ainsi, selon leur libre volonté, les céder aux associations cultuelles.
Pendant dix ans, ces édifices seront loués ainsi que leur mobilier moyennant un prix extrêmement modéré qui peut être abaissé jusqu’à un chiffre de pur principe, et qui ne peut dépasser dix pour cent du revenu annuel moyen des établissements supprimés, ce revenu calculé d’après le résultat des cinq dernières années. On déduit même, et c’est justice, les recettes supprimées par la loi du 28 décembre 1904. Ainsi, pour une fabrique dont le revenu moyen aurait été de 3.000 francs, le loyer ne pourra pas être supérieur à 300 francs; il pourra être abaissé au gré des parties jusqu’à 1 franc.
Les cas de loyers fictifs ainsi consentis à des établissements publics ou des œuvres d’utilité publique ou d’intérêts collectifs, sont nombreux. Il ne fallait pas le jour même de la fondation d’une association cultuelle lui imposer des dépenses trop fortes qui eussent risqué souvent d’en faire une institution mort-née. Il ne fallait pas surtout, dès l’instant où l’on reprenait les édifices servant à l’exercice du culte depuis de longs siècles, sans rémunération aucune, donner à cet acte de reprise un caractère vexatoire. Cette période de dix ans, pendant laquelle on pourra réclamer aux associations un loyer modeste pour les édifices mis à leur disposition, suffira dans la plupart des cas pour permettre à ces associations de se développer et de faire face à toutes les charges qui, dans la suite, pourraient légitimement leur être imposées.
Elle est prévue pour tous les édifices sans exception, affectés au culte: cathédrales, églises, chapelles de secours, temples et synagogues.
Les archevêchés, évêchés, séminaires, facultés de théologie protestantes ne bénéficieront pas de ces dispositions.
305
Il a paru à votre Commission qu’aucune raison de principe ni de politique ne permettait, après les deux ans de jouissance gratuite, de les comprendre dans un régime d’exception et de faveur. Toutefois, par un sentiment de bienveillance à l’égard des paroisses et de leurs desservants, les presbytères seront loués pendant cinq ans aux associations cultuelles d’après les règles déterminées pour les édifices du culte. En raison du faible traitement accordé aux curés, pasteurs et rabbins, on ne pouvait leur imposer du jour au lendemain la charge d’un loyer élevé.
Durant la jouissance gratuite de la période de location de tous ces immeubles, les réparations locatives et d’entretien, ainsi que les frais d’assurance, seront à la charge des établissements et des associations. Il faut éviter que, par l’insouciance et l’incurie des directeurs des associations, les propriétaires des immeubles assistent impuissants à la dépréciation de leur propriété. C’est pourquoi, si l’association locataire laisse dépérir volontairement les immeubles qu’on lui a cédés à bail pour un loyer aussi modeste, la location sera résiliable. Les tribunaux apprécieront en fait s’il y a eu faute lourde commise.
Les grosses réparations restent à la charge de l’Etat ou des communes. Mises à la charge des associations cultuelles elles auraient entraîné pour elles des dépenses considérables auxquelles, dans bien des cas, ces associations récentes n’auraient pu suffire et qui ont finalement paru à votre Commission inconciliables avec la jouissance de courte durée prévue dans le projet de loi. Il eût été aussi excessif de cumuler cette charge avec le loyer exigé des établissements et associations. Mais votre Commission a jugé qu’étant donné la modicité de ce loyer, il ne serait que raisonnable de laisser à la charge des associations, en outre des réparations locatives, celles d’entretien. C’est une 306 exception au droit commun. Mais le droit commun si on l’invoque, laisse au propriétaire le libre choix du locataire avec le plein droit de fixer le prix de ses loyers. Il les calcule d’après ses charges et les réparations d’entretien ne sont pas la moindre. En enlevant à l’Etat et aux communes tous les droits, tous les avantages de la propriété, eût-il été juste de ne leur en laisser que les inconvénients?
Votre Commission n’a pas cru devoir imposer les grosses réparations à l’Etat et aux communes. Ils n’y procéderont que s’ils considèrent que tel est leur intérêt. On a dans ce but apporté une dérogation aux articles 1720 et 1721 du Code civil. Mais l’équité exigeait que les associations locataires ne fussent pas contraintes de respecter leur bail si l’on négligeait d’effectuer les grosses réparations nécessaires pour assurer la jouissance de l’immeuble.
Dans ce cas, le bailleur serait considéré comme violant à l’égard du locataire les bases mêmes du contrat et ce dernier pourrait réclamer la résiliation du bail.
Nous verrons à l’article 17 que des crédits sont prévus au budget de l’Etat et des communes pour ces grosses réparations.
Art. 12.
A l’expiration des périodes de sept et de douze ans ci-dessus prévues, l’Etat, les départements et les communes auront la libre disposition, soit pour la location, soit pour la vente, des biens mobiliers et immobiliers leur appartenant. Il en sera de même, après la période de jouissance gratuite, pour tous les biens dont la location aux associations formées pour l’exercice d’un culte n’est pas obligatoire ou n’aura pas été réalisée dans un délai d’un an à partir de la promulgation de la présente loi.
307
Toutefois aucun acte de location ou d’aliénation desdits biens ne pourra être consenti avant les trois dernières années du bail en cours.
Cet article précise les droits de l’Etat ou des communes relatifs à la reprise par eux du libre usage des immeubles ecclésiastiques qui leur appartiennent.
A l’expiration du délai de deux ans pour les archevêchés, évêchés, séminaires, facultés de théologie protestantes; à l’expiration du délai de 12 ans pour les cathédrales, églises, chapelles de secours, temples et synagogues, et du délai de 7 ans pour les presbytères, l’Etat, les départements ou les communes auront la libre disposition de tous ces biens mobiliers et immobiliers.
Ils pourront les céder ou les louer à leur gré dans les conditions du droit commun. Les associations cultuelles devront rendre ce qu’elles ont reçu et tout ce qu’elles ont reçu conformément à l’inventaire qui aura été préalablement dressé. Le règlement d’administration publique indiquera le détail de ces opérations.
Dans l’intérêt des associations religieuses, comme pour maintenir, à leur égard, la liberté d’action des gouvernements, conseils municipaux et conseils généraux à venir, le projet dispose qu’aucun acte d’aliénation ou de location ne pourra être consenti avant les trois dernières années du bail en cours. Ainsi, bailleurs et locataires pourront prendre toutes les dispositions utiles pour la relocation ou la cession des immeubles, consentie ou à consentir aux associations cultuelles. Il n’était pas inutile de préserver les uns et les autres des déterminations trop hâtives et par suite insuffisamment réfléchies.
Art. 13.
Les édifices du culte, dont les établissements ecclésiastiques seraient propriétaires, seront, avec les 308 objets mobiliers les garnissant, attribués aux associations dans les conditions déterminées par le Titre II.
Art. 14.
Quand plusieurs associations légalement formées pour l’exercice du même culte réclameront la jouissance ou la location des mêmes édifices et objets mobiliers, il sera pourvu au règlement du litige par le tribunal civil du ressort.
Ces articles se bornent à assimiler les édifices du culte et les objets mobiliers qui les garnissent, appartenant aux établissements ecclésiastiques, aux autres biens de ces établissements dont la dévolution est réglée par le Titre II.
Pour la clarté de la loi, il était indispensable de distinguer entre les biens ordinaires dont les établissements ecclésiastiques publics ont aujourd’hui la possession ou la disposition, et les édifices du culte. Il était nécessaire, pour ceux de ces derniers qui appartiennent à ces établissements, de les soumettre expressément au même mode de dévolution que les biens ordinaires. Le silence du texte sur ce point aurait suscité des interprétations diverses.
Art. 15.
Les objets mobiliers ou les immeubles par destination mentionnés aux articles 10 et 13, qui n’auraient pas encore été inscrits sur la liste de classement dressée en vertu de la loi du 30 mars 1887, sont, par l’effet de la présente loi, ajoutés à ladite liste. Il sera procédé par le Ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, dans le délai de trois ans, au classement définitif de ceux de ces objets dont la conservation présenterait, au point de vue de l’histoire ou de 309 l’art, un intérêt suffisant. A l’expiration de ce délai, les autres objets seront déclassés de plein droit.
En outre, les immeubles et les objets mobiliers, attribués en vertu de la présente loi aux associations, pourront être classés dans les mêmes conditions que s’ils appartenaient à des établissements publics.
Il n’est pas dérogé pour le surplus aux dispositions de la loi du 30 mars 1887.
C’est par souci de l’intérêt historique et artistique qui s’attache aux édifices et aux objets servant au culte que cette disposition a été insérée dans le projet de loi.
Les chefs-d’œuvre que nous ont légués les siècles passés font partie du patrimoine artistique de la nation et le devoir du législateur est d’en assurer l’intégrale conservation.
Les monuments par lesquels l’art religieux a caractérisé à chaque époque lointaine une forme spéciale de la beauté; les statues, les tableaux, les meubles, «trésors» de toute sorte qui ornent encore nos églises, où ils ont été accumulés par des milliers d’artistes disparus, doivent être protégés contre toute atteinte et toute dilapidation.
Il était utile, pour réaliser ce but, de compléter ici la loi du 30 mars 1887.
Les édifices du culte qui appartiennent à l’Etat ou aux communes ne courent aucun risque. Tous ceux qui présentent un intérêt historique ou artistique ont été classés.
Il n’en est pas de même des objets qui les garnissent. Un grand nombre de ces objets n’ont pas été classés et l’on ne saurait songer à leur appliquer, au lendemain de la séparation, la procédure ordinaire de classement qui est assez longue et assez compliquée. Par une mesure générale, il a paru à votre Commission 310 qu’il était prudent de classer provisoirement, en bloc, par l’effet même de la loi, en vue d’en empêcher l’aliénation, la détérioration ou la perte, les objets mobiliers et les immeubles par destination loués aux associations cultuelles. Dans le délai de trois ans on en fera la révision et le classement régulier, et tout ce qui n’aura pas alors été classé définitivement se trouvera déclassé de plein droit.
Dans la législation actuelle, les biens appartenant à des particuliers ou même à des établissements d’utilité publique, ne peuvent être classés sans le consentement du propriétaire (loi du 30 mars 1887, art. 3). La loi sur ce point aurait donc été mise en échec; on se serait trouvé en tout cas en présence de dispositions inconciliables.
Aussi la Commission a-t-elle ajouté que les immeubles et les objets mobiliers attribués aux associés pourraient être classés dans les conditions déterminées au paragraphe premier de ce même article, comme s’ils appartenaient à des établissements publics.
En dehors de ces dispositions spéciales, la loi du 30 mars 1887 s’applique avec toute sa force.
TITRE IV
Des associations pour l’exercice des cultes.
Art. 16.
Les associations formées pour subvenir aux frais et à l’entretien d’un culte devront être constituées conformément aux articles 5 et suivants de la loi du 1er juillet 1901; elles seront soumises aux autres prescriptions de cette loi sous réserve des dispositions ci-après.
311
L’article 2 du projet abolit le régime actuel des cultes et fait pour ainsi dire table rase de l’organisation légale des Eglises. Sous quelles formes celles-ci allaient-elles renaître; fallait-il créer pour elles une législation spéciale?
Votre Commission n’a pas cru devoir entrer dans cette voie; elle n’a pas hésité à adopter la solution la plus libérale et, dès le premier article du titre IV, elle soumet les associations religieuses au droit commun.
Suivant quelle règle celui-ci sera-t-il adapté aux formes particulières de chaque culte? Quelles exceptions doit-on apporter aux règles générales en tenant compte à la fois de l’intérêt de l’ordre public et de celui des cultes? C’est ce que nous verrons à propos des divers articles de ce titre IV.
Mais, s’il y a des exceptions inévitables, il n’y a pas de régime exceptionnel. La loi des associations qui aura été la préface de la séparation des Eglises et de l’Etat en sera aussi la charte. Dans tous les cas, où la loi présente n’aura pas statué, c’est la loi de 1901 qui devra servir de règle pour tout ce qui concerne l’organisation des associations religieuses.
La loi doit laisser les Eglises, et c’est pour elles une liberté aussi essentielle que la liberté du culte, s’organiser selon leurs tendances, leurs traditions et leur gré. La constitution de chacune d’entre elles est adéquate à ses principes et comme la conséquence de ses dogmes. Intervenir dans cet organisme serait dans bien des cas—nous le montrerons plus particulièrement à propos de l’article 18—s’immiscer dans l’expression ecclésiastique des croyances religieuses. Il faut prendre garde aussi que toutes les dispositions transitoires de la loi seront dans quelques années lettre morte et n’appartiendront qu’à l’histoire; il ne restera en vigueur que l’application de ces deux principes: 312 liberté de conscience et liberté d’association. Le second est le corollaire du premier.
Le projet a eu pour but de laisser ainsi les communautés cultuelles, s’organiser librement pour l’accomplissement intégral de leur but strictement religieux. Aucune des exceptions admises ne peut apporter à leur œuvre, ainsi définie et limitée, aucune entrave; il n’en est pas qui puisse les gêner en aucune manière dans leur indépendance.
Les associations cultuelles doivent être, en effet, des associations déclarées, en conformité avec les articles 5 et suivants de la loi du 1er juillet 1901. Cette obligation est inévitable puisqu’en vertu de l’article 17, elles jouissent de la personnalité civile et de la capacité juridique.
Art. 17.
Elles devront être composées au moins de sept personnes majeures et domiciliées ou résidant dans la circonscription religieuse et avoir exclusivement pour objet l’exercice d’un culte.
Elles pourront recevoir, outre les cotisations prévues par l’article 6 de la loi du 1er juillet 1901, le produit des quêtes et collectes pour les frais du culte, percevoir des rétributions: pour les cérémonies et services religieux, même par fondation; pour la location des bancs et sièges; pour la fourniture des objets destinés au service des funérailles dans les édifices religieux et à la décoration de ces édifices.
Elles pourront verser, sans donner lieu à perception de droits, le surplus de leurs recettes à d’autres associations constituées pour le même objet.
Elles ne pourront, sous quelque forme que ce soit, recevoir des subventions de l’Etat, des départements ou des communes. Ne seront pas considérées comme subventions les sommes que l’Etat, les départements 313 ou les communes jugeront convenable d’employer aux grosses réparations des édifices du culte loués par eux aux associations.
L’article 17 détermine certaines règles spéciales aux associations cultuelles et dont les unes sont extensives, les autres restrictives du droit commun. Elles procèdent toutes d’un juste souci de la liberté des Eglises et de l’ordre public.
La première règle est relative à la composition des associations. Elles ne seront légalement formées que si elles comptent sept membres au moins, majeurs, domiciliés ou résidant dans la circonscription religieuse.
Il faut, en d’autres termes, que l’association soit sérieuse. Comment aurait-on pu attribuer les biens appartenant aux établissements publics du culte, comment aurait-on pu conférer les droits qui découlent du projet de loi, à une association fantôme de moins de sept membres? La condition de domicile ou de résidence n’est pas moins indispensable.
Quelques étrangers à la circonscription auraient pu fonder une association dans le but secret, en acquérant les biens ecclésiastiques, d’exercer une influence prépondérante sur toute une région. Il y aurait eu lieu de craindre que cette influence ne fût pas exclusivement religieuse. L’intrusion de ces associés aurait été de nature parfois à spolier de tout ou partie de leurs droits les associations locales. Quelques personnes aussi auraient pu trouver dans la loi le moyen, par leur inscription à un grand nombre d’associations, d’exercer une action illégitime.
L’association doit être sérieuse par son caractère et sa composition. On ne saurait considérer comme telle une association qui n’aurait pas, en fait, pour but certain l’exercice du culte dont elle se réclame. Donc, 314 pour être conforme à la loi, il faut qu’elle puisse réaliser ce but. C’est ainsi qu’on ne peut concevoir une association catholique qui n’aurait pas à sa disposition un prêtre, ou une association israélite sans rabbin.
Mais il ne suffisait pas de dire que par leurs membres et leur objet les associations doivent être sérieuses et sincères et non pas la caricature ou la contrefaçon d’un groupement religieux, il fallait aussi les limiter dans leur action. Sous le couvert de la religion, elles auraient pu cacher des intentions suspectes. Aussi l’article 17 dispose-t-il qu’elles doivent avoir pour but exclusif l’exercice d’un culte. Elles sont appelées à bénéficier des biens des établissements ecclésiastiques et à jouir des édifices du culte appartenant à l’Etat ou aux communes; il est naturel qu’elles soient limitées à l’objet qui leur vaut ces avantages et qu’elles ne puissent utiliser ces biens et ces édifices pour une autre destination.
Elles ont aussi une capacité plus étendue que les associations ordinaires déclarées. Cette extension sans laquelle les églises ne pourraient ni vivre ni se développer, ne leur est accordée qu’en raison de leur caractère cultuel. Elle ne doit pas servir à d’autres fins que celle en vue de laquelle elle est instituée.
Le second paragraphe de cet article énumère les diverses sources du revenu des associations. Celles qui sont prévues explicitement par la loi de 1901 n’auraient pas suffi pour assurer la continuation de l’exercice des cultes; d’autres pouvaient paraître excessives, et qu’il fallait cependant conserver par respect pour les pratiques religieuses.
Aussi votre Commission vous convie-t-elle à décider que les associations cultuelles pourront recevoir d’autres fonds que les cotisations de leurs membres. Ces dernières ne leur fourniraient pas des moyens suffisants d’existence.
315
Ces ressources nouvelles seront les quêtes et collectes, limitées à leur objet: les frais du culte. Il s’agit d’ailleurs ici de dons manuels qui, d’après la jurisprudence, sont distingués des dons et legs pour lesquels une autorisation est nécessaire.
Ces quêtes et collectes ne sont pas limitées quant aux endroits où elles peuvent être faites. On n’a pas cru devoir les prohiber, comme il avait été proposé, en dehors des édifices consacrés à l’exercice des cultes, car, au lendemain de la séparation, tout local pourra, moyennant une déclaration préalable, servir à cet exercice. N’y aurait-il pas dès lors quelque illogisme, alors que le culte peut être célébré partout, à localiser en certains endroits les quêtes et les collectes? Du reste, pareille prohibition fût restée vaine. On ne peut saisir ni surprendre nulle part les dons manuels; et, en définitive, pourquoi empêcher ceux qui, malades, infirmes ou même non pratiquants personnellement, ne fréquentent pas les églises de participer cependant, s’ils le veulent, à des collectes pour l’entretien du culte?
Les associations pourront aussi percevoir des rétributions pour les cérémonies et services religieux. Il y a là rémunération d’un service demandé et reçu. Les fondations pour les mêmes objets sont également autorisées. Il s’agit ici de fondations pour cérémonies religieuses et messes.
C’eût été blesser gravement les sentiments intimes de ceux qui, de leur vivant ou après eux veulent assurer la célébration de certaines cérémonies (comme messes pour les morts, etc.) que d’interdire ces fondations. Elles n’ont rien de contraire à l’ordre public et leur objet est nettement délimité. Les associations cultuelles n’ayant pas la capacité générale de recevoir des dons et legs, cette exception en faveur des fondations était indispensable. La question de 316 savoir si ces fondations représentent simplement le prix des services et des cérémonies, sera une question d’espèce, car, après la séparation, il n’y aura plus, comme aujourd’hui, des tarifs d’oblations approuvés par le Gouvernement (loi du 18 germinal an X, art. 69). La rémunération des services et cérémonies sera libre sous la seule condition de ne pas dissimuler une libéralité.
Le droit de puiser d’autres ressources dans la location des bancs et des sièges, la fourniture des objets destinée au service des funérailles dans les édifices religieux et à la décoration de ces édifices est simplement le maintien du droit actuel qui passe des fabriques et consistoires aux associations cultuelles. Il faut noter cependant que la séparation entraînera nécessairement la suppression de la tarification officielle existant actuellement pour le service intérieur des pompes funèbres.
La Commission n’a pas cru devoir accorder aux associations cultuelles la faculté de recevoir des donations et des legs. Elle a redouté la création de puissances financières excessives.
En possession de capitaux trop considérables et de ressources trop abondantes, les associations religieuses auraient pu multiplier les lieux de culte et augmenter hors de proportion le nombre des membres du clergé. Il eût été à craindre que l’influence acquise ainsi à prix d’argent ne restât pas strictement religieuse. Il n’était pas inutile non plus, dans l’intérêt même des familles, de faire obstacle aux tentatives de captation.
Les besoins religieux dont la manifestation demeure libre amèneront des ressources correspondantes. La religion ne doit pas se maintenir par les héritages des morts, mais par les libéralités volontaires des vivants. C’est le zèle des fidèles qui fera 317 vivre l’Eglise et qui réglera l’étiage de sa fortune.
Il faut aussi observer que la loi du 1er juillet 1901 a entendu faire de la capacité de recevoir des dons et legs un privilège exclusivement attaché à la reconnaissance d’utilité publique. Or, sous le régime de la séparation, sous peine de contradiction flagrante, il faut conserver aux associations cultuelles un caractère purement privé.
Nulle autre source de revenus que celles que nous venons d’énumérer ne pourra être utilisée par les associations cultuelles. Elles ne pourront recevoir aucune subvention de l’Etat, des départements ou des communes.
Les crédits inscrits aux budgets affectés aux grosses réparations des édifices religieux n’ont pas ce caractère de subvention. Nous savons qu’ils ne sont alloués que pour assurer la conservation de ces édifices dans l’intérêt des propriétaires.
Les fonds recueillis par chaque association cultuelle, peuvent, dans certains cas dépasser les besoins de cette association et dans d’autres être insuffisants.
Il n’est pas douteux en fait, qu’une solidarité étroite unit les diverses paroisses. La loi qui eût empêché les plus riches de secourir les plus pauvres, et l’opulence des uns de venir en aide à la pénurie des autres, eût été véritablement injuste. Pour les minorités religieuses cette raison est plus sensible encore. Les Israélites, par exemple, sont très groupés et très riches en certaines villes, dans d’autres, ils sont très peu nombreux et de condition modeste. Pourquoi interdire à la communauté riche de venir en aide, pour l’exercice du culte, aux communautés moins favorisées? Aussi l’article 17 décide-t-il, que, sans donner lieu à perception de droit, le surplus des recettes d’une association pourra être versé à une autre association ayant le même objet.
318
Il y a même un intérêt d’ordre public à permettre ainsi aux associations cultuelles de dépenser au jour le jour leurs ressources au lieu de les thésauriser.
Cette dernière disposition de l’article 17 ne présente donc que des avantages.
Art. 18.
Ces associations peuvent, dans les formes déterminées par l’article 7 du décret du 16 août 1901, constituer des unions ayant une administration ou une direction centrale; ces unions seront réglées par les articles 16 et 17 de la présente loi.
Cette importante disposition se différencie du projet primitivement déposé par le Gouvernement.
Celui-ci autorisait aussi des unions ayant une direction ou administration centrale, mais déclarait que les unions étendues sur plus de dix départements seraient dépourvues de toute capacité juridique.
L’article 18, que votre Commission a cru devoir, à diverses reprises, maintenir dans son projet, décide, au contraire, que les unions d’associations cultuelles auront la même capacité juridique que les associations elles-mêmes, capacité définie et délimitée par les articles 16 et 17.
Le motif qui pourrait inspirer une limitation de capacité pour les unions d’associations est simple: on redoute, non pas tant pour les minorités religieuses trop peu nombreuses, que pour les grandes unions ou l’union générale des associations catholiques, une accumulation de ressources considérables en même temps qu’une puissance sociale incompatible avec le souci de l’ordre public.
Votre Commission n’a pas cru pouvoir sacrifier à cette inquiétude les considérations d’équité élémentaire qui militent en faveur du droit pour les associations de se fédérer.
319
S’il est, en effet, une liberté que la loi doive accorder aux églises, c’est la liberté d’organisation. Dans toutes les dispositions légales relatives au droit des associations cultuelles, le principal souci du législateur doit être de respecter les principes ecclésiastiques de toutes les communautés religieuses existant actuellement.
Il n’eût été ni juste ni loyal de refuser aux associations cultuelles la faculté de s’organiser selon des formations qui tiennent aux règles essentielles de l’Eglise et à sa constitution même. C’eût été faire obstacle à l’exercice de la religion et, par là, porter la plus grave atteinte à la liberté de conscience. L’Eglise catholique, en effet, n’est pas seulement divisée en paroisses; elle l’est aussi en diocèses. Cette dernière formation, pour subsister, implique forcément, au profit des associations paroissiales, le droit de se fédérer par région diocésaine. Or, tous les diocèses sont reliés hors de France par une direction unique bien autrement redoutable que celle qui pourrait leur venir de l’association nationale. Alors, à quoi servirait-il d’interdire celle-ci, et comment le pourrait-on? Ne serait-il pas, au contraire, plus dangereux encore de ne permettre aux associations de prendre contact qu’à Rome pour toute l’administration des affaires ecclésiastiques de France?
Raisonnablement, il n’était pas possible de refuser à l’Eglise ce large droit d’association. Mais le lui accordant, il devenait indispensable de prendre des précautions sérieuses contre l’abus qu’elle serait tentée d’en faire. Ces précautions, elles sont d’abord dans l’impossibilité pour l’Eglise de constituer une caisse noire par l’accumulation illimitée de capitaux. Le projet fait obstacle à la mainmorte par l’interdiction aux associations des cultes de posséder au delà d’un capital déterminé, calculé d’après les besoins annuels 320 normaux de la circonscription religieuse. Comme garantie de sécurité, c’est beaucoup. Mais il y a, en outre, au titre de la police des cultes, des dispositions visant les abus que pourrait faire l’Eglise des libertés qui lui sont octroyées. Si les temps héroïques sont passés, le temps des martyrs l’est aussi. Malgré les excitations des meneurs, les membres du clergé français, avant de violer la loi, hésiteront devant les pénalités à encourir.
Observons, en outre, que pour les églises protestantes, le droit d’union s’imposait. En fait, elles sont dispersées et disséminées dans la France entière. De nombreux départements ne comptent que quelques centaines de fidèles. Agglomérés dans certaines grandes villes comme Paris, Nîmes, Lyon, ils sont répandus dans toutes les autres régions en nombre extrêmement faible.
L’Eglise protestante de beaucoup la plus nombreuse, l’Eglise réformée de France, ne compte au total que la moitié environ d’adeptes du diocèse catholique le moins peuplé. Le protestantisme aussi, par son principe du libre examen, a provoqué la création de nombreuses petites communautés religieuses indépendantes de 1.000, 2.000, et la plus nombreuse 20.000 membres, dispersés par groupes parfois de 10 ou de 100 fidèles. A défaut d’union générale et de caisse centrale, constituée pour donner un centre commun à cette poussière de paroisses, la plupart seraient condamnées à disparaître et se déclareraient légitimement en butte à de véritables mesures d’oppression religieuse.
Le budget des cultes constitue actuellement pour toutes les églises protestantes reconnues ce centre commun indispensable. Le jour de son abrogation il leur faudra le remplacer.
Mais en droit, plus encore qu’en fait, les protestants 321 réclament avec raison l’union générale pour la conservation de leur constitution séculaire.
Elles l’ont toutes établie sur des bases semblables. La plus importante, l’Eglise réformée, a, ainsi que nous l’avons expliqué, une organisation parlementaire et démocratique. La paroisse nomme au suffrage universel son ou ses pasteurs et représentants (conseil presbytéral). Les conseils presbytéraux nomment les délégués au consistoire. Au-dessus du consistoire se trouve le synode régional, et, enfin, l’Eglise entière est gérée par un synode national, dont la légalité a été reconnue par avis solennel du Conseil d’Etat. Ce synode national où les laïques sont en majorité, a tous les pouvoirs d’un véritable parlement ecclésiastique et financier. L’anéantir serait priver l’Eglise réformée de ce qui forme sa caractéristique particulière. Louis XIV, seul, par la révocation de l’Edit de Nantes a cru devoir le faire. L’union générale avec capacité juridique peut seule respecter la constitution protestante en ce qu’elle a d’essentiel et de caractéristique.
Les israélites, tout aussi dispersés et possédant aujourd’hui légalement un consistoire central, réclament à juste titre les mêmes dispositions, non pas bienveillantes, mais simplement équitables.
Et si l’on songe que demain des dissidents catholiques, protestants ou israélites, des adeptes de religions nouvelles, peuvent fonder des associations cultuelles, si l’on prévoit que leurs adhérents seront au début recrutés, un peu parmi tous les fidèles de France sur tout le territoire, et vraisemblablement peu nombreux dans les premiers temps, on devra conclure que pour permettre la naissance et le développement de ces nouvelles associations cultuelles il faut leur donner le droit de fonder, alors qu’elles sont faibles encore, leur foyer commun et leur budget commun.
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Tout le monde reconnaît que ce qui est accordé aux uns doit l’être à tous; c’est pourquoi, sans distinction de confession religieuse, votre Commission a cru devoir admettre les unions générales d’associations cultuelles avec capacité juridique.
Pour en revenir à l’Eglise catholique, si les militants parmi les fidèles voulaient exercer un rôle politique et social, ils ne le feraient pas par le moyen d’associations cultuelles, mais sous forme d’associations ordinaires qui, elles, ont bien sans limitation le droit de se fédérer.
Le projet tel qu’il est conçu ne leur permettrait pas sans danger d’agir avec succès sous le couvert de communautés religieuses. Nous le répétons, trop de précautions sont prises à cet effet.
Au point de vue financier, les ressources des associations cultuelles ne proviennent que de certains revenus spécialisés.
Ceux-ci doivent être affectés uniquement à l’exercice du culte. Les associations ne peuvent recevoir ni dons ni legs. Leurs comptes sont soumis à un contrôle financier précis, éclairé et sévère.
La violation des règles financières peut entraîner la dissolution de l’association.
Au point de vue politique et social, les associations ne peuvent servir à d’autres fins que l’exercice du culte. Leurs actes collectifs sont soumis à des règles très strictes: ni elles-mêmes, ni leurs directeurs ou ministres ne peuvent poursuivre un but différent de celui qui est déterminé par leurs statuts. Les paroles mêmes de ces ministres encourent dès qu’elles sont subversives des pénalités sévères. Toute contravention peut entraîner la dissolution de l’association ou de l’Union.
En présence de telles mesures et de précautions aussi minutieuses on est en droit de dire que le danger 323 qui pourrait résulter de l’union générale d’associations trop nombreuses ou trop riches est, sinon illusoire, au moins très atténué.
Il n’est pas tel que l’on doive limiter les fédérations des associations catholiques et briser l’organisation traditionnelle des minorités religieuses; le maintien de l’union des associations avec la capacité juridique prévue par le projet de loi s’impose donc au législateur. Le Gouvernement s’est rallié, sur ce point encore, aux vues de la Commission.
Art. 19.
Les associations et les unions tiennent un état de leurs recettes et de leurs dépenses; elles dressent chaque année le compte financier de l’année écoulée et l’état inventorié de leurs biens, meubles et immeubles.
Le contrôle financier est exercé sur les associations par l’Administration de l’enregistrement et sur les unions par la Cour des comptes.
Dans le but de maintenir suivant les règles édictées par le projet de loi, le mode de perception et l’affectation des ressources des associations cultuelles, la Commission a pris des dispositions pour que leurs comptes soient dressés et contrôlés avec soin.
Les associations et les unions noteront toutes recettes et dépenses, feront annuellement l’inventaire complet de leurs biens meubles et immeubles et le compte financier de l’année écoulée.
L’Administration de l’enregistrement, pour les associations, vérifiera et contrôlera toute cette gestion financière. Elle dressera des procès-verbaux pour les infractions à la loi. Le contrôle des unions d’associations sera exercé par la Cour des comptes. Les associations cultuelles trouveront dans l’Administration de 324 l’enregistrement et à la Cour des comptes tous les éléments d’une vérification éclairée et juste.
Art. 20.
Les associations et unions peuvent employer leurs ressources disponibles à la constitution d’un fonds de réserve dont le montant global ne pourra dépasser la moyenne annuelle des sommes dépensées pendant les cinq derniers exercices pour les frais et l’entretien du culte.
Indépendamment de cette réserve qui devra être placée en valeurs nominatives, elles pourront constituer une réserve spéciale dont les fonds devront être déposés à la Caisse des dépôts et consignations pour être exclusivement affectés, y compris les intérêts, à l’achat, à la construction, à la décoration ou à la réparation d’immeubles ou meubles destinés aux besoins de l’association ou de l’union.
La loi du 1er juillet 1901, en permettant par son article 6, aux associations d’administrer les sommes qu’elles sont admises à recevoir, leur a concédé la faculté de se constituer des fonds de réserve, et, comme ces fonds ne sont alimentés qu’au moyen de ressources étroitement limitées, ils n’ont pas été limités eux-mêmes.
La capacité de recevoir des associations cultuelles étant plus étendue, il devenait nécessaire de prévoir un maximum pour ce fonds de réserve. Tel est l’objet de l’article 20. Le fonds de réserve est tel qu’il puisse permettre à une association cultuelle de vivre, au besoin, une année entière sans rien recevoir des fidèles. Il peut atteindre la moyenne annuelle des sommes dépensées pendant les cinq derniers exercices pour les frais et l’entretien du culte.
325
Il faut remarquer que cette réserve éventuelle, constituée par les excédents de recettes annuels est indépendante du capital provenant des biens qui auront été dévolus à l’origine par les établissements publics des cultes.
Les fonds de la réserve seront placés en valeurs nominatives afin que le montant global en puisse être facilement contrôlé.
Mais ces ressources n’auraient pas suffi. En dehors de l’exercice du culte les associations pourront se trouver parfois en présence de dépenses considérables pour l’acquisition, la réparation ou la décoration des immeubles nécessaires au but de l’association.
A cet effet, la loi autorise la constitution d’une réserve spéciale, à la Caisse des dépôts et consignations.
Il n’est peut-être pas inutile de remarquer que le patrimoine légal des associations actuelles pourra être beaucoup plus considérable que celui des associations de droit commun et des syndicats professionnels (Loi du 21 mars 1884).
Art. 21.
Seront passibles d’une amende de 16 à 100 francs et d’un emprisonnement de six jours à trois mois ou de l’une de ces deux peines seulement, les directeurs ou administrateurs d’une association ou d’une union, qui auront contrevenu aux articles 16, 17, 18, 19 et 20.
Les tribunaux pourront, dans le cas d’infraction au paragraphe premier de l’article 20, condamner l’association ou l’union à verser à l’Etat l’excédent constaté par le contrôle financier.
Ils pourront, en outre, dans tous les cas prévus au paragraphe premier du présent article, prononcer la dissolution de l’association ou de l’union.
326
Les associations cultuelles fonctionnent librement; elles sont soustraites, dans l’accomplissement de leurs actes, à tout contrôle préventif.
Dès lors, la seule manière d’assurer le respect des dispositions des articles 16, 17, 18, 19 et 20 était d’organiser un système répressif. C’est d’ailleurs le système le plus libéral qui ne présume pas la fraude à la loi et qui laisse le maximum de liberté aux associations qu’il régit.
Ce sont les directeurs et administrateurs qui seront rendus responsables des infractions commises.
Lorsque la réserve dépassera le chiffre légal, les tribunaux pourront condamner l’association ou l’union à verser à l’Etat l’excédent constaté. Mais ce n’est qu’une faculté. On pourra obliger l’association à le dépenser immédiatement pour l’exercice du culte ou le transmettre à une association similaire.
Dans les cas les plus graves, lorsque les infractions seront telles que l’existence de l’association ou de l’union paraîtra constituer un danger pour l’ordre public, les tribunaux pourront en prononcer la dissolution.
Art. 22.
Les biens meubles et immeubles, propriété des associations et unions, sont soumis aux mêmes impôts que ceux des particuliers.
Ils ne sont pas assujettis à la taxe d’abonnement ni à celle imposée aux cercles par l’article 33 de la loi du 8 août 1890. Toutefois, les immeubles appartenant aux associations et unions sont soumis à la taxe de mainmorte.
L’impôt de 4 0/0 sur le revenu établi par les lois du 28 décembre 1880 et du 2 décembre 1884 ne frappe pas les biens des associations déclarées pour l’exercice et l’entretien du culte. Il est transformé en une 327 taxe de statistique de 1 centime 0/0 perçue sur le revenu des titres et valeurs mobilières desdites associations.
La Commission a entendu par l’article 22 soumettre les immeubles appartenant aux associations cultuelles ou aux unions d’associations aux mêmes impôts que les immeubles appartenant aux particuliers et à un impôt spécial: la taxe de mainmorte.
Il n’y avait aucune raison pour leur imposer la taxe d’accroissement prévue par les lois du 28 décembre 1880, du 29 décembre 1884 et du 16 août 1895. En effet, le but des associations n’est pas lucratif. Elles ne peuvent accumuler de capitaux. Il n’y a point de bénéfices répartis fictivement ou réellement entre leurs membres ni aucune clause de réversibilité dans l’intérêt des membres restants. On ne pourrait les assimiler à des congrégations religieuses.
Il a paru sage, la loi l’a fait pour beaucoup de sociétés, de les exonérer de la taxe spéciale sur les cercles, qui porte sur des lieux de réunion permanente d’un caractère tout différent.
Cependant elles supporteront une taxe dite de statistique de 1 centime % sur le revenu de leurs titres et valeurs mobilières.
Cet impôt permettra la vérification constante du montant de ces titres.
TITRE V
Police des cultes.
Art. 23.
Les réunions pour la célébration d’un culte tenues dans les locaux appartenant à une association cultuelle ou mis à sa disposition sont publiques. Elles 328 sont dispensées des formalités de l’article 8 de la loi du 30 juin 1881, mais restent placées sous la surveillance des autorités dans l’intérêt de l’ordre public. Elles ne peuvent avoir lieu qu’après une déclaration faite dans les formes de l’article 2 de la même loi et indiquant le local dans lequel elles seront tenues.
Une seule déclaration suffit pour l’ensemble des réunions permanentes, périodiques ou accidentelles qui auront lieu dans l’année.
Cet article inaugure le titre V relatif à la police des cultes.
Ce titre n’indique nullement que les dispositions qu’il contient sont toutes destinées à réprimer les infractions commises par les associations cultuelles ou leurs directeurs et ministres.
Certaines ont au contraire pour objet de garantir leur liberté et de les protéger.
Lorsqu’une personne morale se constitue, elle exerce une action spéciale à son but et qui dépend de son fonctionnement. Lorsque la personne morale devient très puissante, elle crée pour elle comme un droit particulier. Au point de vue pénal elle peut commettre des délits qui résultent de son caractère distinctif, on peut aussi commettre à son préjudice des actes d’une nature spéciale.
Il devient dès lors nécessaire de régler dans le droit écrit ces manifestations diverses et de prévoir ces délits nouveaux.
Mais il ne s’agit pas seulement ici du droit pénal. Il fallait légiférer sur une matière administrative très délicate: la tenue des réunions pour l’exercice du culte.
D’après le projet ces réunions devront être publiques.
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Inutile de dire que toute manifestation cultuelle ne sera pas soumise à cette condition: Le chrétien qui prie dans sa chambre et à l’église, le prêtre qui dit sa messe sur un autel privé, les réunions familiales ou intimes pour la célébration d’un culte à domicile ou dans une chapelle privée, ne seront pas passibles des pénalités légales. C’est la réunion des fidèles pour l’exercice d’un culte qui devra être publique.
Les communautés religieuses ne pourront s’en plaindre, car elles atteindront ainsi même les profanes et réaliseront un de leurs buts qui est la propagande religieuse.
La publicité des réunions cultuelles devenait indispensable pour assurer l’application du principe inscrit dans la loi, qu’elles resteront placées sous la surveillance des autorités dans l’intérêt de l’ordre public. En l’absence de cette prescription, toutes les fois qu’une association aurait voulu échapper à la loi de police des cultes même par des actes contraires à l’ordre public, elle n’aurait eu qu’à organiser une réunion privée à l’abri des témoins redoutés.
La publicité de la réunion résultera simplement du maintien des portes ouvertes qui permettra la surveillance et le contrôle et mettra les fidèles à l’abri du chantage politique qu’à l’aide de la religion on pourrait être tenté d’exercer sur eux.
Il pourrait sembler au premier abord que pour tous les exercices publics du culte on aurait dû conserver l’application du droit commun de réunions publiques, tel qu’il résulte de la loi du 30 juin 1881.
Cette solution simpliste n’a pas paru possible. La loi de 1881 contient certaines exigences qui auraient constitué de véritables entraves à l’exercice des cultes. Il aurait fallu une déclaration spécifiant non seulement le lieu mais aussi le jour et l’heure des 330 réunions. On voit mal une déclaration ainsi nécessaire pour chaque messe ou chaque vêpres. Les réunions n’auraient pu avoir lieu que vingt-quatre heures après la déclaration. Elles n’auraient pas dû se prolonger au delà de onze heures du soir (Art. 6). Un bureau composé d’au moins trois personnes aurait été nécessaire (Art. 8).
On n’a retenu de la loi de juin 1881 que la nécessité d’une déclaration limitée au local où s’exercera le culte. Aucune autorisation ne reste nécessaire, et ceci est une réforme très considérable et très libérale de nos principes traditionnels et de notre législation. Une seule déclaration pour toutes les réunions d’une année suffira sans qu’il y ait lieu d’énoncer les jours et les heures. Les cérémonies accidentelles, comme les mariages, baptêmes, enterrements, n’auraient pu être tenues d’après ces règles. On ne pourrait les limiter par avance à certains jours et certaines heures.
Votre Commission n’a pas cru pouvoir prolonger ce délai d’un an pendant lequel aucune autre déclaration n’est indispensable. Certains administrateurs ou directeurs de l’association peuvent changer de domicile, mourir ou démissionner, perdre leurs droits civils et politiques; il est nécessaire, à raison de la responsabilité qui leur incombe, qu’ils soient remplacés à bref délai.
Si l’on rapproche l’article 23 du projet de l’article 37, on constate que ces dispositions, comme l’abrogation des décrets des 22 décembre 1812, 19 mars 1859 et de l’article 294 du Code pénal établissent dans notre législation une liberté nouvelle: la liberté des lieux des cultes. Désormais les cultes pourront s’exercer dans tous les locaux sous condition unique de déclaration préalable.
Cette réforme, réclamée depuis longtemps par les 331 esprits libéraux et dont l’importance et la portée seraient difficilement exagérées, libère les Eglises d’une sujétion sévère et réalise la neutralité de l’Etat à l’égard de toutes les manifestations religieuses.
Art. 24.
Il est interdit de tenir des réunions politiques dans les locaux servant habituellement à l’exercice d’un culte.
Les raisons qui ont motivé la rédaction de cet article se conçoivent et s’imposent sans difficulté.
Les associations cultuelles doivent conformer leur action à leur but spécial et précis. Les réunions de leurs membres ne sauraient avoir d’autre objet que l’exercice du culte ou le fonctionnement et l’administration de l’association.
Les réunions cultuelles jouissant d’un régime de faveur, les locaux qui leur sont destinés ne doivent pas servir à un autre usage que le culte et ne sauraient tout particulièrement donner asile à des réunions d’un caractère politique. Si l’Etat demeure neutre à l’égard des Eglises, celles-ci doivent observer une neutralité absolue à l’égard de l’Etat.
L’article 24 n’interdit pas seulement aux associations cultuelles de tenir des réunions politiques, il interdit d’une façon rigoureuse toutes réunions publiques dans les locaux servant à l’exercice d’un culte.
Ainsi l’association ne peut consentir à ce que ces réunions soient organisées même par des tiers; elle doit veiller sous sa responsabilité à ce que nul n’emprunte ses locaux dans un but interdit par la loi.
Art. 25.
Les cérémonies, processions et autres manifestations 332 extérieures d’un culte ne peuvent avoir lieu sur la voie publique.
Les cérémonies funèbres sont réglées dans toutes les communes par arrêté municipal dans les conditions de la loi du 15 novembre 1887.
Les sonneries de cloches sont réglées par arrêté municipal.
L’article 25, dont la sévérité n’est qu’apparente en présence du libéralisme de l’article 23, est la conséquence nécessaire et immédiate du principe fondamental du projet.
Les Eglises sont séparées de l’Etat; leurs manifestations de toute nature, conformes à leur objet, sont libres; elles n’ont plus aucun caractère officiel ni public; leur patrimoine, leur fonctionnement sont du domaine privé.
Elles peuvent tenir partout leurs réunions cultuelles sous la seule obligation d’une déclaration annuelle, elles peuvent construire des édifices aussi nombreux, aussi vastes qu’elles désirent, elles peuvent, pour les cérémonies en plein air, acquérir des jardins ou des espaces extrêmement étendus, mais elles n’ont pas le droit d’emprunter la voie publique pour les manifestations de leur culte et d’imposer ainsi aux indifférents, aux adeptes des autres confessions religieuses le spectacle inévitable de leurs rites particuliers. L’article 25 apparaît ainsi comme la consécration du principe de liberté et de neutralité.
La séparation entre le monde religieux et le monde laïque, comme entre les divers groupements religieux, doit être absolue et décisive.
Les processions et cérémonies ne pourront avoir lieu ni dans les rues, boulevards, squares, ni dans aucune dépendance de la voie publique.
Il est sage d’enlever aux Conseils municipaux la 333 responsabilité d’autoriser ou d’interdire les manifestations religieuses sur la voie publique. Elles ne sont pas indispensables à l’exercice du culte et sont susceptibles de troubler l’ordre et la paix pour le plus grand préjudice même des associations cultuelles. La loi, par cette disposition générale, sera pacificatrice.
Une exception est faite en faveur des cérémonies funèbres, elles seront réglées par arrêté municipal, mais conformément à la loi du 15 novembre 1887.
La question de l’usage des cloches des édifices religieux doit être envisagée à un double point de vue. Les cloches ne sont pas seulement destinées à annoncer les cérémonies du culte, elles sont utiles dans d’autres circonstances, par exemple pour donner l’alarme en cas de sinistre et dans certains événements graves ou exceptionnels.
Les sonneries religieuses et civiles font actuellement, en vertu de l’article 100 de la loi du 5 avril 1884, l’objet de règlements concertés entre l’évêque ou les consistoires et le préfet en vue de concilier les intérêts civils et les intérêts religieux. Ce système est incompatible avec le régime de la séparation. L’autorité gouvernementale ne peut intervenir spontanément. Le maire, selon les principes administratifs, a la police de la commune pour faire respecter les intérêts publics ou privés. Ce sera lui qui aura tout pouvoir pour la réglementation des sonneries, sauf au préfet, par application de l’article 9 de la même loi, à annuler les arrêtés municipaux pris en cette matière ou à en suspendre l’exécution, si les arrêtés n’étaient pas de nature à ménager les divers intérêts en présence.
Art. 26.
Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer 334 aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture privée ainsi que des musées ou expositions.
L’interdiction formulée par cet article s’inspire toujours des mêmes principes que les précédentes dispositions: réaliser la neutralité stricte de la part ou à l’égard des associations cultuelles. Elle est indispensable pour prévenir les troubles et les désordres qui peuvent être occasionnés par la présence publique d’emblèmes ou de signes religieux. Mais l’interdiction n’est prononcée que sous des réserves qui respectent les coutumes et les sentiments intimes des populations.
Les emblèmes religieux déjà élevés ou apposés demeurent et sont régis par la législation actuelle. L’article ne dispose que pour l’avenir. Ils pourront être placés dans et sur les édifices servant au culte, sur les terrains de sépulture privée, ainsi que dans les musées ou expositions.
Il fallait que les édifices religieux pussent être reconnus extérieurement grâce à des signes ou des emblèmes spéciaux. La liberté des cultes exige que les adeptes des différentes religions aient le droit d’affirmer leurs croyances sur leurs sépultures particulières. Ce qui doit être prohibé seulement au nom de la neutralité, ce sont les emblèmes et les signes qui tendraient à consacrer l’ensemble d’un cimetière à un culte déterminé et porteraient ainsi atteinte à la liberté de conscience de ceux qui ne professent pas ce culte.
C’est dans l’intérêt de l’art et de la science historique que les musées et expositions ont fait aussi l’objet d’une exception formelle.
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Art. 27.
Les contraventions aux articles précédents sont punies des peines de simple police.
Sont passibles de ces peines, dans le cas des articles 23, 24 et 25, ceux qui ont organisé la réunion ou manifestation, ceux qui y ont participé en qualité de ministre du culte et dans le cas des articles 23 et 24, ceux qui ont fourni le local.
Les peines de simple police, les plus modérées dans l’échelle pénale, ont paru suffisantes pour réprimer les infractions qui seraient commises aux articles 23, 24, 25 et 26.
Mais encore fallait-il que ces pénalités légères fussent efficaces.
C’est pourquoi le second paragraphe du présent article spécifie que certaines personnes, en cas de contraventions relatives aux réunions du culte, aux réunions tenues dans les édifices religieux, aux cérémonies, processions et sonneries de cloches, seront de plein droit punissables en vertu d’une présomption légale de culpabilité. Ces personnes sont ainsi rendues légalement responsables; elles devront faire elles-mêmes la preuve de leur innocence. Il va de soi d’ailleurs que d’autres pourront aussi, selon les circonstances, être poursuivies si leur participation aux faits constitutifs de la contravention vient à être établie par les moyens ordinaires de la preuve.
Art. 28.
Sont punis d’une amende de 16 francs à 200 francs et d’un emprisonnement de 6 jours à 2 mois ou de l’une de ces deux peines seulement ceux qui, soit par voies de fait, violences ou menaces contre un 336 individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d’exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, l’auront déterminé à exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte, à contribuer ou à s’abstenir de contribuer aux frais d’un culte.
Art. 29.
Seront punis des mêmes peines ceux qui auront empêché, retardé ou interrompu les exercices d’un culte par des troubles ou désordres causés dans le local servant à ces exercices.
Art. 30.
Les dispositions des deux articles précédents ne s’appliquent qu’aux troubles, outrages ou voies de fait dont la nature ou les circonstances ne donneront pas lieu à de plus fortes peines d’après les dispositions du Code pénal.
Ces articles tendent à garantir tout à la fois la liberté des cultes et la liberté de conscience. Ils remplaceront pour les cas qu’ils prévoient, les articles 260, 261 et 264 du Code pénal qui sont abrogés par l’article 37 du projet. La rédaction de l’article 260 du Code pénal a été transportée dans l’article 28 du projet qui l’a complété en s’inspirant de l’article 39 du décret organique du 2 février 1852.
Les articles 262 et 263 du Code pénal qui avaient pour objet de réprimer, au moyen de peines spéciales, les outrages adressés soit aux objets d’un culte, soit aux ministres de ce culte ainsi que les coups portés aux ministres des cultes dans l’exercice de leurs fonctions, sont abrogés purement et simplement par l’article 37 du projet de loi, sans qu’on ait fait revivre en tout ou partie leurs dispositions qui ne 337 cadraient pas avec le régime de séparation des Eglises et de l’Etat, où les objets et ministres du culte ne sauraient avoir droit à une protection particulière et où il suffit que le libre exercice des cultes soit garanti.
Les pénalités de droit commun suffiront, à défaut de pénalités exceptionnelles, pour réprimer les voies de fait auxquelles s’appliquaient les articles 262 et 263 du Code pénal.
Il est d’ailleurs expressément spécifié dans l’article 30 du projet que pour les troubles, outrages ou voies de fait punis par le Code pénal de peines plus fortes que celles prévues par le projet de loi, ils continueront à être réprimés par la législation antérieure.
Il résulte des nouvelles dispositions que toute personne pourra exercer le culte qu’elle aura librement choisi; le fait de l’avoir déterminée ou d’avoir voulu la déterminer à s’abstenir d’exercer un culte constituera un délit.
L’empêchement, le retard ou l’interruption volontairement provoqué par des troubles ou des désordres causés dans un édifice religieux constituera aussi un délit.
Mais en sens contraire, le fait de peser sur la détermination d’une personne pour l’amener à exercer un culte ou contribuer à son exercice sera de même considéré comme délictueux. Ces différents actes procédant d’une égale intolérance, sont à bon droit punis des mêmes peines.
Art. 31.
Tout ministre d’un culte qui, dans les lieux où s’exerce ce culte, aura publiquement, par des discours prononcés, des lectures faites, des écrits distribués ou des affiches apposées, outragé ou diffamé un citoyen chargé d’un service public sera puni d’une amende de 338 500 francs à 3.000 francs et d’un emprisonnement de un mois à un an, ou de l’une de ces deux peines seulement.
Art. 32.
Si un discours prononcé ou un écrit affiché, ou distribué publiquement dans les lieux où s’exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ou s’il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s’en sera rendu coupable sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d’une sédition, révolte ou guerre civile.
Ces articles sont destinés à remplacer les articles 201, 202, 203, 204, 205 et 206 du Code pénal, abrogés par l’article 37 du projet de loi.
Ces articles du Code pénal avaient trait aux critiques, censures, ou provocations dirigées par les ministres des cultes contre l’autorité publique dans des discours ou écrits pastoraux.
Les articles 107 et 108 du même Code qui tendaient à réprimer la correspondance des ministres des cultes avec des puissances étrangères ont été supprimés purement et simplement par l’article 37 du projet sans qu’il ait paru utile de les remplacer. Les dispositions des articles 75 et suivants du Code pénal relatives aux crimes et délits contre la sûreté intérieure ou extérieure de l’Etat sont suffisantes en effet pour réprimer à ce point de vue les agissements des ministres des cultes.
La Commission a cherché par des textes précis à interdire aux ministres des cultes et à leurs complices d’user de leur influence dans un but politique contre 339 des personnalités publiques; de transformer la chaire en tribune et l’Eglise en asile séditieux.
Dans le cas où les paroles ou les actes punis et réprimés par ces articles auraient été suivis d’effet, les complices des ministres des cultes pourront être poursuivis et condamnés selon les règles visant la complicité.
De telles dispositions n’ont rien d’antilibéral, elles ne peuvent atteindre les ministres du culte exclusivement soucieux de leur œuvre religieuse. Elles étaient indispensables, car ici le droit commun restait insuffisant. Il était impossible de traiter sur le pied de l’égalité, quand il s’agit de l’exercice du droit de la parole, le prêtre dans sa chaire et le simple citoyen dans une tribune de réunion publique. Le délit commis par celui-ci, qu’il s’agisse d’outrages, de diffamation envers les personnes ou d’excitation à la violence, à la sédition, n’est en rien comparable, comme gravité, au délit commis par un ministre des cultes en pareil cas. Le lieu, les circonstances du délit, l’autorité morale de celui qui le commet sont des éléments dont il est impossible de ne pas tenir compte. Aucune assimilation n’est à faire entre la portée, les conséquences d’un discours de réunion publique devant un auditoire averti, où toutes les opinions sont le plus souvent en présence, où l’on est habitué à faire la part des exagérations, où la contradiction, toujours possible, offre toutes garanties de mise au point et celles d’un sermon prononcé par un ministre du culte devant des auditeurs livrés inertes et sans défense par la croyance ou la superstition aux suggestions d’une parole qui tient sa force des siècles et n’a jamais été affaiblie par la controverse.
Du reste, en quoi cette restriction au droit commun pourrait-elle faire obstacle au libre exercice des cultes? Un prêtre, un pasteur, un rabbin sont-ils donc 340 exposés fatalement, de par leurs fonctions mêmes, à tomber sans cesse sous le coup de ces pénalités pour des délits de cette nature? Si non, ils n’auront rien à redouter de la loi, ne seront en rien gênés par elle; dans le cas contraire, c’est qu’alors l’Eglise n’est pas seulement, comme le prétendent ses défenseurs, l’expression vivante de la religion, mais aussi et surtout une force organisée au service d’intérêts politiques. Dans ce dernier cas, toutes les précautions prises par l’Etat dans l’intérêt de sa défense ne peuvent qu’être justifiées.
Art. 33.
Dans le cas de condamnation par les tribunaux de simple police ou de police correctionnelle en application des articles 23 et 24, 31 et 32, l’association constituée pour l’exercice du culte dans l’immeuble où l’infraction a été commise et ses directeurs et administrateurs sont civilement et solidairement responsables.
Si l’immeuble a été loué à l’association par l’Etat, les départements ou les communes en vertu de la présente loi, la résiliation du bail pourra être demandée par le bailleur.
Pour que les condamnations fussent effectives, il fallait rendre responsables les directeurs et administrateurs de l’association. On sera ainsi assuré qu’ils veilleront à l’observation de la loi et rempliront leur mandat avec scrupule. Ils pourront, bien entendu, être astreints à d’autres responsabilités civiles.
En cas d’infraction à la police des cultes, la résiliation des baux consentis par l’Etat, le département ou la commune, peut devenir une mesure nécessaire, parfois même urgente. Mais cette résiliation sera prononcée en justice. C’est une sanction accessoire qui 341 n’a pas lieu de plein droit comme dans le cas prévu par l’article 11 où elle est prescrite à titre impératif. L’Etat, le département ou la commune demanderont, s’ils le jugent à propos, la résiliation pour laquelle une décision judiciaire doit intervenir.
TITRE VI
Dispositions générales.
Art. 34.
L’article 463 du Code pénal est applicable à tous les cas dans lesquels la présente loi édicte des pénalités.
Il est en quelque sorte de style dans toute réglementation ayant un caractère pénal. Le droit et l’équité exigeaient son insertion dans la législation relative à la police des cultes.
Art. 35.
Les congrégations religieuses demeurent soumises aux lois des 1er juillet 1901, 4 décembre 1902 et 7 juillet 1904.
Il était utile d’interdire ainsi à ceux qui seraient chargés d’interpréter ou d’appliquer la loi, toute confusion entre les associations cultuelles et les congrégations religieuses. Ces dernières ne sauraient être admises à bénéficier du régime institué pour celles-là. Lorsqu’une association cultuelle se formera et réclamera le droit de participer aux avantages de la loi, on devra rechercher si elle n’a pas en fait le caractère d’une congrégation.
342
Art. 36.
Un règlement d’administration publique rendu dans les trois mois qui suivront la promulgation de la présente loi déterminera les mesures propres à assurer son application.
Cette disposition est encore de style dans toute œuvre législative établissant en quelque matière un régime nouveau.
La loi ne peut pas prévoir et édicter tous les détails de procédure qu’entraîne son application; il appartiendra au Gouvernement, par la voie d’un règlement d’administration publique, d’en préciser tous les détails. Ce règlement, pour ne pas laisser trop longtemps la volonté du législateur en suspens, devra être rendu dans les trois mois, à dater de la promulgation de la loi.
Art. 37.
Sont et demeurent abrogées toutes les dispositions relatives à l’organisation publique des cultes antérieurement reconnus par l’Etat ainsi que toutes dispositions contraires à la présente loi et notamment:
1o La loi du 18 germinal an X, portant que la convention passée le 26 messidor an IX entre le pape et le Gouvernement français, ensemble les articles organiques de ladite convention et des cultes protestants, seront exécutés comme des lois de la République;
2o Le décret du 26 mars 1852 et la loi du 1er août 1879 sur les cultes protestants;
3o Les décrets du 17 mars 1808, la loi du 8 février 1831 et l’ordonnance du 25 mai 1844 sur le culte israélite;
4o Les décrets des 22 décembre 1812 et 19 mars 1859;
343
5o Les articles 201 à 208, 260 à 264, 294 du Code pénal;
6o Les articles 100 et 101, les §§ 11 et 12 de l’article 136 et l’article 167 de la loi du 5 avril 1884;
7o Le décret du 30 décembre 1809 et l’article 78 de la loi du 26 janvier 1892[19].
Le dernier article du projet reproduit la formule traditionnelle par laquelle se trouvent annulées toutes les dispositions légales ou réglementaires antérieures qui seraient contraires à la présente loi.
Mais il a paru nécessaire d’abroger expressément, par une disposition spéciale, certains textes relatifs au régime ou à la police des cultes. Nous les avons signalés un à un au cours de notre commentaire toutes les fois qu’une disposition nouvelle était destinée à les remplacer. Il serait oiseux d’y revenir.
Constatons seulement que désormais il n’y aura plus aucune organisation officielle des cultes, que ceux-ci seront libres dans les limites de l’ordre public déterminées par le projet.
Mais il est une disposition de l’article 37 au sujet de laquelle un commentaire s’impose.
Il s’agit de l’abrogation de la loi du 18 germinal an X, portant que la convention passée à Paris le 26 messidor an IX entre le pape et le Gouvernement français sera exécutée comme loi de la République.
L’abrogation du Concordat pouvait-elle être valablement prononcée par acte unilatéral, et sous quelle forme?
Il faut distinguer entre la loi qui a rendu exécutoire en France le Concordat, et la Convention elle-même conclue avec le Saint-Siège. La loi peut être abrogée par une autre loi et ne peut l’être autrement.
344
L’acte législatif est libre et le Parlement a toujours le droit de l’accomplir.
Le Concordat, convention sui generis, est indéniablement un contrat synallagmatique, dont la durée n’a pas été déterminée conventionnellement, qui s’exécute par des actes continus et successifs, et pour les difficultés d’interprétation ou d’application duquel aucun tribunal ne peut être compétent.
Est-il perpétuel? Qu’on le considère comme un traité diplomatique, ou comme de droit privé, s’il portait clause de perpétuité, celle-ci en vertu de notre droit moderne devrait être considérée comme non écrite. Les Etats ne peuvent, pas plus que les individus, obliger indéfiniment leurs successeurs et les lier par des liens indissolubles.
Mais pareille clause n’existe pas dans le Concordat; il garde simplement le silence sur la rupture des accords qu’il consacre, et prévoit seulement le cas où le chef de l’Etat français ne serait pas catholique et où il y aurait lieu de procéder à une nouvelle convention (article XVIII).
Comment pourrait-il prendre fin?
Par la volonté exprimée de l’une des parties de ne pas remplir ses engagements; par la volonté présumée de l’une des parties de ne plus se conformer à ses obligations (article 1184 du Code civil); par une entente entre les deux parties.
Il n’y a pas eu entre le Gouvernement français d’entente proprement dite avec le Pape. Il n’y a pas eu de volonté expressément notifiée par une des parties de ne plus exécuter la convention. Mais il y a eu certains actes de la papauté qui ont été interprétés par le Gouvernement français en ce sens, qu’elle se refusait, sur les matières à propos desquelles ces actes avaient été accomplis, à observer les obligations du Concordat.
345
Il est vrai qu’un tribunal n’a pas été appelé à juger ce différend. Mais aucun tribunal n’avait pareille compétence et ce défaut de juge ne pouvait donner au Concordat une pérennité contraire au droit privé, public et international.
Nous n’avons pas ici à rechercher si le Gouvernement français a eu raison d’apprécier l’attitude du pape, en certaines circonstances, comme un refus de se conformer au Concordat. Il y a un acte gouvernemental interprétant ainsi les agissements de la papauté. C’est là un fait accompli. Le Concordat est considéré et doit être considéré comme rompu par la volonté présumée et unilatérale du pape qui a agi de telle sorte que le Gouvernement de la République a considéré ses actes comme une inexécution délibérée du contrat.
Dès lors, le Gouvernement peut et doit convier le Parlement à abroger la loi déclarant le Concordat exécutoire comme une loi française.
L’article 37 a cet objet.
S’il est vrai qu’une dénonciation diplomatique de la convention eût été conforme au droit international, elle est aujourd’hui impossible, les relations diplomatiques étant rompues entre la République française et le Pape.
Du reste avant la rupture de ces relations une note du Ministre des Affaires étrangères officiellement notifiée au cardinal secrétaire d’Etat, en date du 29 juillet 1904, avertissait solennellement le Vatican que le Gouvernement de la République française «a prévenu le Saint-Siège de la conclusion qu’il serait amené à tirer de la méconnaissance persistante de ses droits» (concordataires) et que «obligé de constater... que le Saint-Siège maintient les actes accomplis à l’insu du pouvoir avec lequel il a signé le concordat, le Gouvernement de la République a décidé de mettre 346 fin à des relations officielles qui, par la volonté du Saint-Siège se trouvent être sans objet».
C’était dire, en termes diplomatiques, que le Gouvernement considérait que par la volonté du Saint-Siège, le Concordat n’était plus observé et que, par suite, les relations existant entre la République et le Pape devenaient sans objet.
Dès lors la dénonciation du Concordat devient inutile, les agissements du Saint-Siège ayant été tels que le Gouvernement français a pu en déduire l’intention du Pape de ne plus exécuter intégralement la convention signée par Bonaparte et Pie VII.
347
Ce n’est plus l’heure d’insister sur les considérations théoriques qui militent en faveur de la séparation des Eglises et de l’Etat. Elles ont été abondamment, et de tout temps, produites par des écrivains et des orateurs dont on essaierait vainement de dépasser ou même d’égaler l’éloquence. Aujourd’hui, il n’est plus personne pour contester sérieusement que la neutralité de l’Etat en matière confessionnelle ne soit l’idéal de toutes les sociétés modernes. Dans une démocratie surtout, dont toutes les institutions ont pour base le suffrage universel, c’est-à-dire le principe de la souveraineté du peuple, le maintien d’un culte officiel est un tel défi à la logique et au bon sens qu’on a le droit de se demander comment la République française a pu pendant trente-quatre ans s’accommoder de ce régime équivoque.
C’est que, plus fortes et plus décisives que toutes les raisons de principe, les considérations de fait ou d’opportunité ont toujours prévalu jusqu’ici.
Depuis l’avènement de la troisième République les hommes d’Etat qui se sont succédé au pouvoir ont persisté dans la poursuite de cette chimère: asservir à leurs desseins la puissance politique de l’Eglise. Et la plupart se sont bercés de cette illusion que le Concordat 348 pouvait leur en procurer les moyens. La faculté de suspendre ou de supprimer les traitements, l’appel comme d’abus, surtout le droit de faire des évêques leur paraissaient des prérogatives énormes au service de la République. On a vu, par l’histoire de ces trente dernières années, combien sont restées inefficaces, aux mains des gouvernements républicains, ces prétendues armes concordataires. Elles n’ont jamais pu faire obstacle aux heures décisives, c’est-à-dire chaque fois que la République a été en danger ou qu’elle a entrepris la réalisation d’un progrès laïque, aux tentatives d’insubordination du clergé français et de ses chefs. Le «préfet violet» a rarement pardonné à ce régime les brigues humiliantes du curé d’antan, et toute occasion lui a été bonne pour essayer de faire oublier à Rome les excès de zèle concordataire du candidat à la mitre. Si la République a vécu, si elle a progressé, c’est malgré l’Eglise, contre ses efforts et grâce à l’indifférence religieuse qui, croissant de jour en jour, a fini par rendre ce pays impénétrable aux excitations du clergé.
Cependant, malgré toutes les leçons du passé, peut-être les rapports officiels entre les Eglises et l’Etat eussent-ils duré encore au delà de toute prévision, si des événements n’avaient surgi dont la force brutale a changé brusquement le cours des choses. Ce que n’aurait osé la timidité gouvernementale ou parlementaire, en quelques mois la foi ardente et combative d’un pape audacieux l’a réalisé. Le Concordat, ce pacte sacro-saint, devant lequel pendant trente-quatre ans avaient capitulé tous les principes républicains, il a suffi à Pie X de deux ou trois accès d’absolutisme pour le déchirer et le réduire en miettes.
Devant le fait accompli, il fallait bien s’incliner. Le régime concordataire, étant aboli, il ne restait plus qu’une issue à une situation devenue intenable: la 349 séparation. Les républicains les plus modérés ont dû avouer que le problème se posait désormais d’une façon si pressante qu’il devenait impossible d’en ajourner la solution.
Votre Commission ne croit pas que vous puissiez prendre en considération l’idée de remettre à un an, c’est-à-dire jusqu’après les élections générales, toute détermination sur la situation présente. Lier, pour un si long temps, dans les circonstances actuelles, les mains au Gouvernement, ce serait, on en conviendra, faire au Saint-Siège la partie belle et facile; ce serait vouloir mettre la République dans une posture singulièrement humiliante et dangereuse. Faire dépendre du résultat des prochaines élections législatives l’issue du conflit, autant vaudrait offrir une prime à l’agitation cléricale. Un an d’impuissance imposée au Gouvernement de la République, d’émancipation électorale accordée au clergé: quel est le républicain soucieux des intérêts de ce régime qui oserait envisager sans inquiétude une telle perspective?
Puis, sur quoi le corps électoral serait-il consulté? Sur le principe même de la réforme? Mais tous les électeurs républicains sont, théoriquement, favorables à la séparation. Une réponse par oui ou par non à une question de cette nature ne vous apporterait pas les éléments d’appréciation désirables pour l’étude d’un régime qui vaudra surtout par les modalités selon lesquelles il aura été réalisé. Est-ce donc sur ces modalités mêmes que la consultation devrait avoir lieu? Mais chacun reconnaît que le problème est si délicat, si complexe, que ce ne sera pas trop de toute la bonne volonté, de tout l’effort soutenu du Parlement pour le résoudre. Peut-on raisonnablement penser qu’en pleine effervescence électorale, le suffrage universel serait à même de prononcer sur cette matière, et jusque dans la minutie des détails, le jugement 350 réfléchi que quelques-uns semblent attendre de lui?
Tout le monde s’accorde à proclamer que la question doit être posée, discutée et tranchée dans le calme, avec sang-froid. Au sortir d’une période électorale, qui n’aurait pu être qu’effroyablement agitée, la Chambre se trouverait-elle dans les conditions désirables pour aborder l’examen du problème?
Il serait puéril et peu digne de vous, dans une aussi grave occurrence, de recourir à des moyens dilatoires pour esquiver les responsabilités de l’heure. Vous êtes des hommes politiques aux prises avec les difficultés d’un problème politique posé par des événements qu’il n’a pas été en votre pouvoir d’éviter. Ce problème, vous avez le devoir de lui donner la prompte solution que comportent à la fois les principes et les intérêts de la République.
Le projet que vous présente la majorité des membres de votre Commission est de nature à vous faciliter la tâche. Conçu, discuté, voté dans un large esprit de tolérance et d’équité, il sauvegarde tout ensemble les légitimes et respectables préoccupations des consciences, les intérêts des personnes et les droits supérieurs de l’Etat. Ce n’est pas une œuvre de passion, de représailles, de haine, mais de raison, de justice et de prudence combinées, à laquelle votre Commission vous demande de vous associer.
On y chercherait vainement la moindre trace d’une arrière-pensée de persécution contre la religion catholique. Les trois cultes reconnus en France y reçoivent un traitement égal. Toutes les dispositions concernant le régime des édifices, celui des associations, les précautions d’ordre public, la situation des ministres, leur sont communes.
Le projet adopté par votre Commission ne s’écarte du droit commun que dans l’intérêt de l’ordre public.
351
Il est bien vrai qu’il édicte des pénalités, plus ou moins sévères selon les cas, contre les ministres des cultes qui, dans l’intérieur des édifices religieux, au cours des cérémonies, se laisseraient entraîner à prêcher la révolte contre l’exécution des lois, contre les institutions publiques, ou bien à outrager, à diffamer les agents de l’autorité. Mais, par contre, il réprime aussi tous les actes,—cris, manifestations, violences,—qui pourraient troubler les cérémonies religieuses et faire entrave au libre exercice du culte.
En faisant cesser, par la suppression du budget spécial, toute contrainte pour les citoyens de participer de leurs deniers, sous la forme de l’impôt à l’entretien du culte, il consacre la liberté de conscience dans la réalisation d’un de ses principes essentiels. Mais, soucieux en même temps de ne porter aucune atteinte aux droits acquis, il assure aux intéressés des indemnités et des pensions généreusement proportionnées à l’importance et à la durée des services rendus.
Enfin, par tout un ensemble de dispositions libérales et prévoyantes, appliquées à l’usage des édifices religieux, il rend possible, sans tâtonnements ni heurts, le passage de l’état de choses actuel au régime nouveau.
En le votant, vous ramènerez l’Etat à une plus juste appréciation de son rôle et de sa fonction; vous rendrez la République à la véritable tradition révolutionnaire et vous aurez accordé à l’Eglise ce qu’elle a seulement le droit d’exiger à savoir la pleine liberté de s’organiser, de vivre, de se développer selon ses règles et par ses propres moyens, sans autre restriction que le respect des lois et de l’ordre public.
353
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TITRE PREMIER
Principes.
Article Premier.
La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.
Art. 2.
La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l’Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes.
Les établissements publics du culte sont supprimés, sous réserve des dispositions énoncées à l’article 3.
TITRE II
Dévolution des biens.—Pensions.
Art. 3.
Les établissements dont la suppression est ordonnée par l’article 2 continueront provisoirement de fonctionner, conformément aux dispositions qui les régissent actuellement, jusqu’à la dévolution de leurs biens aux associations prévues par le titre IV et au plus tard jusqu’à l’expiration du délai ci-après.
Art. 4.
Dans le délai d’un an à partir de la promulgation de la présente loi, les biens mobiliers et immobiliers appartenant aux menses, fabriques, conseils presbytéraux, consistoires et autres établissements publics du culte, seront, avec toutes les charges 354 et obligations qui les grèvent, attribués par les représentants légaux de ces établissements aux associations qui se seront légalement formées pour l’exercice du culte dans les anciennes circonscriptions desdits établissements.
Toutefois, ceux de ces biens qui proviennent de l’Etat et qui ne sont pas grevés d’une fondation pieuse, feront retour à l’Etat.
A défaut d’une association apte à recueillir les biens d’un établissement ecclésiastique, ceux de ces biens qui ne sont pas grevés d’une fondation pieuse, pourront être réclamés par la commune où l’établissement a son siège, à charge par elle de les affecter à des œuvres d’assistance ou de prévoyance.
Les attributions de biens ne pourront être faites par les établissements ecclésiastiques qu’un mois après la promulgation du règlement d’administration publique prévu à l’article 36. Faute de quoi la nullité pourra en être demandée devant le Tribunal civil par toute partie intéressée ou par le ministère public.
Art. 5.
Les biens mobiliers ou immobiliers grevés d’une affectation charitable ou de toute autre affectation étrangère à l’exercice du culte seront attribués, par les représentants légaux des établissements ecclésiastiques, aux services ou établissements publics ou d’utilité publique, dont la destination est conforme à celle desdits biens. Cette attribution devra être approuvée par le Préfet du département où siège l’établissement ecclésiastique. En cas de non-approbation, il sera statué par décret en Conseil d’Etat.
Toute action en reprise ou en revendication devra être exercée dans un délai de six mois à partir du jour de la dévolution prévue au paragraphe précédent. Elle ne pourra être intentée qu’en raison de donations ou de legs et seulement par les auteurs et leurs héritiers en ligne directe.
Art. 6.
Faute par un établissement ecclésiastique d’avoir, dans le délai fixé par le premier paragraphe de l’article 4, procédé aux attributions ci-dessus prescrites il y sera pourvu par le Tribunal civil du siège de l’établissement.
A l’expiration dudit délai et à la requête des intéressés ou du ministère public, les biens à attribuer seront, jusqu’à leur dévolution, placés provisoirement sous séquestre par décision du président de ce tribunal.
Dans le cas où les biens d’un établissement seront, soit dès l’origine, soit dans la suite, réclamés par plusieurs associations légalement formées pour l’exercice du même culte, l’attribution 355 que l’établissement en aura fait pourra être contestée devant le Tribunal civil qui statuera comme dans le cas du premier paragraphe du présent article.
Art. 7.
En cas de dissolution d’une association, les biens qui lui ont été dévolus en exécution des articles 4 et 6 seront attribués par elle à une association analogue existant soit dans la même circonscription, soit dans les circonscriptions les plus voisines.
Faute d’attribution régulière et dans le cas où plusieurs associations formées légalement pour l’exercice du même culte revendiqueraient les biens, l’attribution sera faite, à la requête de la partie la plus diligente, par le tribunal de l’arrondissement où l’association dissoute avait son siège.
A défaut de toute association apte à recueillir les biens de l’association dissoute, ceux de ces biens qui ne sont pas grevés d’une fondation pieuse pourront être réclamés par la commune dans les conditions fixées au paragraphe 3 de l’article 4.
Art. 8.
Les attributions prévues par les articles précédents ne donnent lieu à aucune perception au profit du Trésor.
Art. 9.
Les ministres des cultes, qui compteront vingt-cinq années de fonctions rémunérées par l’Etat, les départements ou les communes, dont vingt années au moins au service de l’Etat, recevront une pension annuelle viagère égale à la moitié de leur traitement; cette pension ne pourra pas être inférieure à 400, ni supérieure à 1.200 francs.
Les ministres des cultes actuellement salariés par l’Etat qui ne seront pas dans les conditions exigées pour la pension recevront pendant quatre ans, à partir de la suppression du budget des Cultes, une allocation annuelle égale à la totalité de leur traitement pour la première année, aux deux tiers pour la deuxième, à la moitié pour la troisième, au tiers pour la quatrième.
Les départements et les communes pourront, sous les mêmes conditions que l’Etat, accorder aux ministres des cultes actuellement salariés par eux, des pensions ou des allocations établies sur les mêmes bases et pour une égale durée.
Réserve est faite des droits acquis en matière de pensions par application de la législation antérieure. Les pensions ne pourront se cumuler avec toute autre pension ou tout autre traitement alloués à titre quelconque par l’Etat, les départements ou les communes.
356
Ces pensions et allocations seront incessibles et insaisissables dans les mêmes conditions que les pensions civiles. Elles cesseront de plein droit en cas de condamnation à une peine afflictive ou infamante et elles pourront être suspendues pendant un délai de deux à cinq ans en cas de condamnation pour l’un des délits prévus aux articles 31 et 32 de la présente loi.
TITRE III
Des édifices des cultes.
Art. 10.
Les édifices antérieurs au Concordat, servant à l’exercice des cultes ou au logement de leurs ministres, cathédrales, églises, chapelles de secours, temples, synagogues, archevêchés, évêchés, presbytères, séminaires, ainsi que leurs dépendances immobilières et les objets mobiliers qui les garnissaient au moment où lesdits édifices ont été mis à la disposition des cultes, sont et demeurent propriétés de l’Etat, des départements, ou des communes, qui devront en laisser la jouissance gratuite, pendant deux années à partir de la promulgation de la présente loi, aux établissements ecclésiastiques puis aux associations formées pour l’exercice du culte dans les anciennes circonscriptions des établissements ecclésiastiques supprimés.
L’Etat, les départements et les communes seront soumis à la même obligation en ce qui concerne les édifices postérieurs au Concordat dont ils seraient propriétaires, y compris les facultés de théologie protestante.
Art. 11.
A l’expiration du délai ci-dessus fixé, l’Etat, les départements et les communes devront consentir aux associations, pour une durée n’excédant pas cinq ans, la location des presbytères et, pour une durée n’excédant pas dix ans, la location des cathédrales, églises, chapelles de secours, temples et synagogues, ainsi que des objets mobiliers qui les garnissent.
Le loyer ne sera pas supérieur à dix pour cent du revenu annuel moyen des établissements supprimés, ledit revenu calculé d’après les résultats des cinq dernières années antérieures à la promulgation de la présente loi, déduction faite des recettes supprimées par la loi du 28 décembre 1904.
Les réparations locatives et d’entretien ainsi que les frais d’assurance seront à la charge des établissements ou des associations.
357
En cas d’inexécution de ces prescriptions, la location sera résiliable.
Les associations locataires ne pourront se prévaloir contre l’Etat et les communes des dispositions des articles 1720 et 1721 du Code civil. Elles pourront demander la résiliation du bail dans le cas où le bailleur se refuserait à exécuter les grosses réparations indispensables pour assurer la jouissance de l’immeuble.
Art. 12.
A l’expiration des périodes de sept et de douze ans ci-dessus prévues, l’Etat, les départements et les communes auront la libre disposition, soit pour la location, soit pour la vente, des biens mobiliers et immobiliers leur appartenant. Il en sera de même, après la période de jouissance gratuite, pour tous les biens dont la location aux associations formées pour l’exercice d’un culte n’est pas obligatoire ou n’aura pas été réalisée dans un délai d’un an à partir de la promulgation de la présente loi.
Toutefois aucun cas de location ou d’aliénation desdits biens ne pourra être consenti avant les trois dernières années du bail en cours.
Art. 13.
Les édifices du culte, dont les établissements ecclésiastiques seraient propriétaires, seront, avec les objets mobiliers les garnissant, attribués aux associations dans les conditions déterminées par le Titre II.
Art. 14.
Quand plusieurs associations légalement formées pour l’exercice du même culte réclameront la jouissance ou la location des mêmes édifices et objets mobiliers, il sera pourvu au règlement du litige par le tribunal civil du ressort.
Art. 15.
Les objets mobiliers ou les immeubles par destination mentionnés aux articles 10 et 13, qui n’auraient pas encore été inscrits sur la liste de classement dressée en vertu de la loi du 30 mars 1887, sont, par l’effet de la présente loi, ajoutés à ladite liste. Il sera procédé par le Ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, dans le délai de trois ans, au classement définitif de ceux de ces objets dont la conservation présenterait, au point de vue de l’histoire ou de l’art, un intérêt suffisant. A l’expiration de ce délai, les autres objets seront déclassés de plein droit.
En outre, les immeubles et les objets mobiliers, attribués en vertu de la présente loi aux associations, pourront être classés 358 dans les mêmes conditions que s’ils appartenaient à des établissements publics.
Il n’est pas dérogé pour le surplus aux dispositions de la loi du 30 mars 1887.
TITRE IV
Des associations pour l’exercice des cultes.
Art. 16.
Les associations formées pour subvenir aux frais et à l’entretien d’un culte devront être constituées conformément aux articles 5 et suivants de la loi du 1er juillet 1901; elles seront soumises aux autres prescriptions de cette loi, sous réserve des dispositions ci-après.
Art. 17.
Elles devront être composées au moins de sept personnes majeures et domiciliées ou résidant dans la circonscription religieuse et avoir exclusivement pour objet l’exercice d’un culte.
Elles pourront recevoir, outre les cotisations prévues par l’article 6 de la loi du 1er juillet 1901, le produit des quêtes et collectes pour les frais du culte, percevoir des rétributions: pour les cérémonies et services religieux, même par fondation; pour la location des bancs et sièges; pour la fourniture des objets destinés au service des funérailles dans les édifices religieux et à la décoration de ces édifices.
Elles pourront verser, sans donner lieu à perception de droits, le surplus de leurs recettes à d’autres associations constituées pour le même objet.
Elle ne pourront, sous quelque forme que ce soit, recevoir des subventions de l’Etat, des départements ou des communes. Ne seront pas considérées comme subventions les sommes que l’Etat, les départements ou les communes jugeront convenable d’employer aux grosses réparations des édifices du culte loués par eux aux associations.
Art. 18.
Ces associations peuvent, dans les formes déterminées par l’article 7 du décret du 16 août 1901, constituer des unions ayant une administration ou une direction centrale; ces unions seront réglées par les articles 16 et 17 de la présente loi.
Art. 19.
Les associations et les unions tiennent un état de leurs recettes et de leurs dépenses; elles dressent chaque année le compte financier de l’année écoulée et l’état inventorié de leurs biens, meubles et immeubles.
359
Le contrôle financier est exercé sur les associations par l’Administration de l’enregistrement et sur les unions par la Cour des comptes.
Art. 20.
Les associations et unions peuvent employer leurs ressources disponibles à la constitution d’un fonds de réserve dont le montant global ne pourra dépasser la moyenne annuelle des sommes dépensées pendant les cinq derniers exercices pour les frais et l’entretien du culte.
Indépendamment de cette réserve, qui devra être placée en valeurs nominatives, elles pourront constituer une réserve spéciale dont les fonds devront être déposés à la Caisse des Dépôts et Consignations pour être exclusivement affectés, y compris les intérêts, à l’achat, à la construction, à la décoration ou à la réparation d’immeubles ou meubles destinés aux besoins de l’association ou de l’union.
Art. 21.
Seront passibles d’une amende de 16 à 100 francs et d’un emprisonnement de six jours à trois mois, ou de l’une de ces deux peines seulement, les directeurs ou administrateurs d’une association ou d’une union, qui auront contrevenu aux articles 16, 17, 18, 19 et 20.
Les tribunaux pourront, dans le cas d’infraction au paragraphe premier de l’article 20, condamner l’association ou l’union à verser à l’Etat l’excédent constaté par le contrôle financier.
Ils pourront, en outre, dans tous les cas prévus au paragraphe premier du présent article, prononcer la dissolution de l’association ou de l’union.
Art. 22.
Les biens meubles et immeubles, propriété des associations et unions, sont soumis aux mêmes impôts que ceux des particuliers.
Ils ne sont pas assujettis à la taxe d’abonnement ni à celle imposée aux cercles par l’article 33 de la loi du 8 août 1890.
Les immeubles appartenant aux associations et unions sont soumis à la taxe de mainmorte.
L’impôt de 4 0/0 sur le revenu établi par les lois du 28 décembre 1880 et du 29 décembre 1884 ne frappe pas les biens des associations déclarées pour l’exercice et l’entretien du culte. Il est transformé en une taxe de statistique de 1 centime 0/0 perçue sur le revenu des titres et valeurs mobilières desdites associations.
360
TITRE V
Police des cultes.
Art. 23.
Les réunions pour la célébration d’un culte tenues dans les locaux appartenant à une association cultuelle ou mis à sa disposition sont publiques. Elles sont dispensées des formalités de l’article 8 de la loi du 30 juin 1881, mais restent placées sous la surveillance des autorités dans l’intérêt de l’ordre public. Elles ne peuvent avoir lieu qu’après une déclaration faite dans les formes de l’article 2 de la même loi et indiquant le local dans lequel elles seront tenues.
Une seule déclaration suffit pour l’ensemble des réunions permanentes, périodiques ou accidentelles qui auront lieu dans l’année.
Art. 24.
Il est interdit de tenir des réunions publiques dans les locaux servant habituellement à l’exercice d’un culte.
Art. 25.
Les cérémonies, processions et autres manifestations extérieures d’un culte ne peuvent avoir lieu sur la voie publique.
Les cérémonies funèbres seront réglées dans toutes les communes par arrêté municipal dans les conditions de la loi du 15 novembre 1887.
Les sonneries de cloches seront réglées par arrêté municipal.
Art. 26.
Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture privée ainsi que des musées ou expositions.
Art. 27.
Les contraventions aux articles précédents sont punies des peines de simple police.
Sont passibles de ces peines, dans le cas des articles 23, 24 et 25, ceux qui ont organisé la réunion ou manifestation, ceux qui y ont participé en qualité de ministres du culte et, dans le cas des articles 23 et 24, ceux qui ont fourni le local.
Art. 28.
Sont punis d’une amende de 16 francs à 200 francs et d’un emprisonnement de 6 jours à 2 mois ou de l’une de ces deux 361 peines seulement ceux qui, soit par voies de fait, violences ou menaces contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d’exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, l’auront déterminé à exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte, à contribuer ou à s’abstenir de contribuer aux frais d’un culte.
Art. 29.
Seront punis des mêmes peines ceux qui auront empêché, retardé ou interrompu les exercices d’un culte par des troubles ou désordres causés dans le local servant à ces exercices.
Art. 30.
Les dispositions des deux articles précédents ne s’appliquent qu’aux troubles, outrages ou voies de fait, dont la nature ou les circonstances ne donneront pas lieu à de plus fortes peines d’après les dispositions du Code pénal.
Art. 31.
Tout ministre d’un culte qui, dans les lieux où s’exerce ce culte, aura publiquement par des discours prononcés, des lectures faites, des écrits distribués ou des affiches apposées, outragé ou diffamé un citoyen chargé d’un service public sera puni d’une amende de 500 francs à 3.000 francs et d’un emprisonnement de un mois à un an, ou de l’une de ces deux peines seulement.
Art. 32.
Si un discours prononcé ou un écrit affiché, ou distribué publiquement dans les lieux où s’exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ou s’il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s’en sera rendu coupable sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d’une sédition, révolte ou guerre civile.
Art. 33.
Dans le cas de condamnation par les tribunaux de simple police ou de police correctionnelle en application des articles 23 et 24, 31 et 32, l’association constituée pour l’exercice du culte dans l’immeuble où l’infraction a été commise et ses directeurs et administrateurs sont civilement et solidairement responsables.
Si l’immeuble a été loué à l’association par l’Etat, les départements ou les communes en vertu de la présente loi, la résiliation du bail pourra être demandée par le bailleur.
362
TITRE VI
Dispositions générales.
Art. 34.
L’article 463 du Code pénal est applicable à tous les cas dans lesquels la présente loi édicte des pénalités.
Art. 35.
Les congrégations religieuses demeurent soumises aux lois des 1er juillet 1901, 4 décembre 1902 et 7 juillet 1904.
Art. 36.
Un règlement d’administration publique rendu dans les trois mois qui suivront la promulgation de la présente loi déterminera les mesures propres à assurer son application.
Art. 37.
Sont et demeurent abrogées toutes les dispositions relatives à l’organisation publique des cultes antérieurement reconnus par l’Etat ainsi que toutes dispositions contraires à la présente loi et notamment:
1o La loi du 18 germinal an X, portant que la convention passée le 26 messidor an IX, entre le Pape et le Gouvernement français, ensemble les articles organiques de ladite convention et des cultes protestants, seront exécutés comme des lois de la République;
2o Le décret du 26 mars 1852 et la loi du 1er août 1879 sur les cultes protestants;
3o Les décrets du 17 mars 1808, la loi du 8 février 1831 et l’ordonnance du 25 mai 1844 sur le culte israélite;
4o Les décrets des 22 décembre 1812 et 19 mars 1859;
5o Les articles 201 à 208, 260 à 264, 294 du Code pénal;
6o Les articles 100 et 101, les §§ 11 et 12 de l’article 136 et l’article 167 de la loi du 5 avril 1884;
7o Le décret du 30 décembre 1809 et l’article 78 de la loi du 26 janvier 1892.
363
La convention passée à Paris, le 26 messidor an IX, entre le Pape et le Gouvernement français, et dont les ratifications ont été échangées à Paris le 23 fructidor an IX, ensemble les articles organiques de ladite convention, les articles organiques des cultes protestants, dont la teneur suit, seront promulgués et exécutés comme des lois de la République.
CONVENTION
ENTRE LE GOUVERNEMENT FRANÇAIS ET SA SAINTETÉ PIE VII
Le Gouvernement de la République française reconnaît que la religion catholique, apostolique et romaine est la religion de la grande majorité des citoyens français.
Sa Sainteté reconnaît également que cette même religion a retiré et attend encore, en ce moment, le plus grand bien et le plus grand éclat de l’établissement du culte catholique en France, et de la profession particulière qu’en font les Consuls de la République.
En conséquence, d’après cette reconnaissance mutuelle, tant pour le bien de la religion que pour le maintien de la tranquillité intérieure, ils sont convenus de ce qui suit:
Article premier
La religion catholique, apostolique et romaine sera librement exercée en France; son culte sera public, en se conformant aux règlements de police que le Gouvernement jugera nécessaires pour la tranquillité publique.
Art. 2.
Il sera fait par le Saint-Siège, de concert avec le Gouvernement, une nouvelle circonscription des diocèses français.
Art. 3.
Sa Sainteté déclarera aux titulaires des évêchés français qu’elle attend d’eux, avec une ferme confiance, pour le bien de la paix 364 et de l’unité, toute espèce de sacrifices, même celui de leurs sièges. D’après cette exhortation, s’ils se refusaient à ce sacrifice commandé par le bien de l’Eglise (refus, néanmoins, auquel Sa Sainteté ne s’attend pas), il sera pourvu, par de nouveaux titulaires, au gouvernement des évêchés de la circonscription nouvelle, de la manière suivante.
Art. 4.
Le premier Consul de la République nommera, dans les trois mois qui suivront la publication de la bulle de Sa Sainteté, aux archevêchés et évêchés de la circonscription nouvelle. Sa Sainteté conférera l’institution canonique, suivant les formes établies par rapport à la France avant le changement de gouvernement.
Art. 5.
Les nominations aux évêchés qui vaqueront dans la suite seront également faites par le premier Consul, et l’institution canonique sera donnée par le Saint-Siège, en conformité de l’article précédent.
Art. 6.
Les évêques, avant d’entrer en fonctions, prêteront directement, entre les mains du premier Consul, le serment de fidélité qui était en usage avant le changement de gouvernement, exprimé dans les termes suivants:
«Je jure et promets à Dieu, sur les Saints Evangiles, de garder obéissance et fidélité au Gouvernement établi par la constitution de la République française. Je promets aussi de n’avoir aucune intelligence, de n’assister à aucun conseil, de n’entretenir aucune ligue, soit au dedans, soit au dehors, qui soit contraire à la tranquillité publique; et si, dans mon diocèse ou ailleurs, j’apprends qu’il se trame quelque chose au préjudice de l’Etat, je le ferai savoir au Gouvernement.»
Art. 7.
Les ecclésiastiques de second ordre prêteront le même serment entre les mains des autorités civiles désignées par le Gouvernement.
Art. 8.
La formule de prière suivante sera récitée, à la fin de l’office divin, dans toutes les églises catholiques de France: Domine, salvam fac Rempublicam; Domine, salvos fac Consules.
Art. 9.
Les évêques feront une nouvelle circonscription des paroisses de leurs diocèses, qui n’aura d’effet que d’après le consentement du Gouvernement.
365
Art. 10.
Les évêques nommeront aux cures. Leur choix ne pourra tomber que sur des personnes agréées par le Gouvernement.
Art. 11.
Les évêques pourront avoir un chapitre dans leur cathédrale, et un séminaire dans leur diocèse, sans que le Gouvernement s’oblige à les doter.
Art. 12.
Toutes les églises métropolitaines, cathédrales, paroissiales et autres, non aliénées, nécessaires au culte, seront remises à la disposition des évêques.
Art. 13.
Sa Sainteté, pour le bien de la paix et l’heureux rétablissement de la religion catholique, déclare que ni elle, ni ses successeurs, ne troubleront en aucune manière les acquéreurs des biens ecclésiastiques aliénés, et qu’en conséquence, la propriété de ces mêmes biens, les droits et revenus y attachés, demeureront incommutables entre leurs mains, ou celles de leurs ayants cause.
Art. 14.
Le Gouvernement assurera un traitement convenable aux évêques et aux curés dont les diocèses et les paroisses seront compris dans la circonscription nouvelle.
Art. 15.
Le Gouvernement prendra également des mesures pour que les catholiques français puissent, s’ils le veulent, faire en faveur des Eglises, des fondations.
Art. 16.
Sa Sainteté reconnaît dans le premier Consul de la République française les mêmes droits et prérogatives dont jouissait près d’elle l’ancien gouvernement.
Art. 17.
Il est convenu, entre les parties contractantes, que, dans le cas où quelqu’un des successeurs du premier Consul actuel ne serait pas catholique, les droits et prérogatives mentionnés dans l’article ci-dessus, et la nomination aux évêchés, seront réglés, par rapport à lui, par une nouvelle convention.
366
TITRE PREMIER
Du régime de l’Eglise catholique dans ses rapports généraux avec les droits et la police de l’Etat.
Article Premier
Aucune bulle, bref, rescrit, décret, mandat, provision, signature servant de provision, ni autres expéditions de la cour de Rome, même ne concernant que les particuliers, ne pourront être reçus, publiés, imprimés, ni autrement mis à exécution, sans l’autorisation du Gouvernement[20].
Art. 2.
Aucun individu se disant nonce, légat, vicaire ou commissaire apostolique, ou se prévalant de toute autre dénomination, ne pourra, sans la même autorisation, exercer sur le sol français, ni ailleurs, aucune fonction relative aux affaires de l’Eglise gallicane.
Art. 3.
Les décrets des synodes étrangers, même ceux des conciles généraux, ne pourront être publiés en France avant que le Gouvernement en ait examiné la forme, leur conformité avec les lois, droits et franchises de la République française, et tout ce qui, dans leur publication, pourrait altérer ou intéresser la tranquillité publique.
Art. 4.
Aucun concile national ou métropolitain, aucun synode diocésain, aucune assemblée délibérante n’aura lieu sans la permission expresse du Gouvernement.
Art. 5.
Toutes les fonctions ecclésiastiques seront gratuites, sauf les oblations qui seraient autorisées et fixées par les règlements.
Art. 6.
Il y aura recours au Conseil d’Etat dans tous les cas d’abus de la part des supérieurs et autres personnes ecclésiastiques. Les cas d’abus sont: l’usurpation ou l’excès de pouvoir, la contravention 367 aux lois et règlements de la République, l’infraction des règles consacrées par les canons reçus en France, l’attentat aux libertés, franchises et coutumes de l’Eglise gallicane, et toute entreprise ou tout procédé qui, dans l’exercice du culte, peut compromettre l’honneur des citoyens, troubler arbitrairement leur conscience, dégénérer contre eux en oppression, ou en injure, ou en scandale public.
Art. 7.
Il y aura pareillement recours au Conseil d’Etat s’il est porté atteinte à l’exercice public du culte et à la liberté que les lois et les règlements garantissent à ses ministres.
Art. 8.
Le recours compétera à toute personne intéressée. A défaut de plainte particulière, il sera exercé d’office par les préfets. Le fonctionnaire public, l’ecclésiastique ou la personne qui voudra exercer ce recours, adressera un mémoire détaillé et signé au conseiller d’Etat chargé de toutes les affaires concernant les cultes, lequel sera tenu de prendre, dans le plus court délai, tous les renseignements convenables; et, sur son rapport, l’affaire sera suivie et définitivement terminée dans la forme administrative, ou renvoyée, selon l’exigence des cas, aux autorités compétentes.
TITRE II
Des ministres.
Section première.
Dispositions générales.
Art. 9.
Le culte catholique sera exercé sous la direction des archevêques et évêques dans leurs diocèses, et sous celle des curés dans leurs paroisses.
Art. 10.
Tout privilège portant exemption ou attribution de la juridiction épiscopale est aboli.
Art. 11.
Les archevêques et évêques pourront, avec l’autorisation du Gouvernement, établir dans leurs diocèses des chapitres cathédraux et des séminaires. Tous autres établissements ecclésiastiques sont supprimés.
Art. 12.
Il sera libre aux archevêques et évêques d’ajouter à leur nom 368 le titre de citoyen ou celui de monsieur. Toutes autres qualifications sont interdites.
Section II.
Des archevêques ou métropolitains.
Art. 13.
Les archevêques consacreront et installeront leurs suffragants. En cas d’empêchement ou de refus de leur part, ils seront suppléés par le plus ancien évêque de l’arrondissement métropolitain.
Art. 14.
Ils veilleront au maintien de la foi et de la discipline dans les diocèses dépendant de leur métropole.
Art. 15.
Ils connaîtront des réclamations et des plaintes portées contre la conduite et les décisions des évêques suffragants.
Section III.
Des évêques, des vicaires généraux et des séminaires.
Art. 16.
On ne pourra être nommé évêque avant l’âge de trente ans et si l’on n’est originaire français[21].
Art. 17.
Avant l’expédition de l’arrêté de nomination, celui ou ceux qui seront proposés seront tenus de rapporter une attestation de bonnes vie et mœurs, expédiée par l’évêque dans le diocèse duquel ils auront exercé les fonctions du ministère ecclésiastique, et ils seront examinés sur les doctrines par un évêque et deux prêtres qui seront commis par le premier Consul, lesquels adresseront le résultat de leur examen au conseiller d’Etat chargé de toutes les affaires concernant les cultes.
Art. 18.
L’évêque nommé par le premier Consul fera les diligences pour rapporter l’institution du pape. Il ne pourra exercer aucune fonction avant que la bulle portant son institution ait reçu l’attache du Gouvernement et qu’il ait prêté en personne le serment prescrit par la convention passée entre le Gouvernement français et le Saint-Siège. Ce serment sera prêté au premier Consul; il en sera dressé procès-verbal par le secrétaire d’Etat.
369
Art. 19.
Des évêques nommeront et institueront les curés; néanmoins, ils ne manifesteront leur nomination et ils ne donneront l’institution canonique qu’après que cette nomination aura été agréée par le premier Consul.
Art. 20.
Ils seront tenus de résider dans leurs diocèses; ils ne pourront en sortir qu’avec la permission du premier Consul.
Art. 21.
Chaque évêque pourra nommer deux vicaires généraux et chaque archevêque pourra en nommer trois; ils les choisiront parmi les prêtres ayant les qualités requises pour être évêques.
Art. 22.
Ils visiteront annuellement et en personne une partie de leur diocèse, et, dans l’espace de cinq ans, le diocèse entier. En cas d’empêchement légitime, la visite sera faite par un vicaire général.
Art. 23.
Les évêques seront chargés de l’organisation de leurs séminaires et les règlements de cette organisation seront soumis à l’approbation du premier Consul.
Art. 24.
Ceux qui seront choisis pour l’enseignement dans les séminaires souscriront la déclaration faite par le clergé de France en 1682 et publiée par un édit de la même année; ils se soumettront à y enseigner la doctrine qui y est contenue, et les évêques adresseront une expédition en forme de cette soumission au conseiller d’Etat chargé de toutes les affaires concernant les cultes.
Art. 25.
Les évêques enverront toutes les années à ce conseiller d’Etat le nom des personnes qui étudieront dans les séminaires et qui se destineront à l’état ecclésiastique.
Art. 26.
Ils ne pourront ordonner aucun ecclésiastique s’il ne justifie d’une propriété produisant au moins un revenu annuel de trois cents francs, s’il n’a atteint l’âge de vingt-cinq ans[22] et s’il ne réunit les qualités requises par les canons reçus en France. Les évêques ne feront aucune ordination avant que le nombre 370 des personnes à ordonner ait été soumis au Gouvernement et par lui agréé.
Section IV
Des curés.
Art. 27.
Les curés ne pourront entrer en fonctions qu’après avoir prêté entre les mains du préfet le serment prescrit par la convention passée entre le Gouvernement et le Saint-Siège. Il sera dressé procès-verbal de cette prestation par le secrétaire général de la préfecture, et copie collationnée leur en sera délivrée.
Art. 28.
Ils seront mis en possession par le curé ou le prêtre que l’évêque désignera.
Art. 29.
Ils seront tenus de résider dans leurs paroisses.
Art. 30.
Les curés seront immédiatement soumis aux évêques dans l’exercice de leurs fonctions.
Art. 31.
Les vicaires et desservants exerceront leur ministère sous la surveillance et direction des curés. Ils seront approuvés par l’évêque et révocables par lui.
Art. 32.
Aucun étranger ne pourra être employé dans les fonctions du ministère ecclésiastique sans la permission du Gouvernement.
Art. 33.
Toute fonction est interdite à tout ecclésiastique, même français, qui n’appartient à aucun diocèse.
Art. 34.
Un prêtre ne pourra quitter son diocèse pour aller desservir dans un autre sans la permission de son évêque.
Section V.
Des chapitres cathédraux et du gouvernement des diocèses pendant la vacance du siège.
Art. 35.
Les archevêques et évêques qui voudront user de la faculté qui leur est donnée d’établir des chapitres ne pourront le faire sans 371 avoir rapporté l’autorisation du Gouvernement, tant pour l’établissement lui-même que pour le nombre et le choix des ecclésiastiques destinés à les former.
Art. 36.
Pendant la vacance des sièges, il sera pourvu par le métropolitain, et, à son défaut, par le plus ancien des évêques suffragants, au gouvernement des diocèses. Les vicaires généraux de ces diocèses continueront leurs fonctions même après la mort de l’évêque jusqu’à son remplacement[23].
Art. 37.
Les métropolitains, les chapitres cathédraux seront tenus, sans délai, de donner avis au Gouvernement de la vacance des sièges et des mesures qui auront été prises pour le gouvernement des diocèses vacants.
Art. 38.
Les vicaires généraux qui gouverneront pendant la vacance, ainsi que les métropolitains ou capitulaires, ne se permettront aucune innovation dans les usages et coutumes des diocèses.
TITRE III
Du culte.
Art. 39.
Il n’y aura qu’une liturgie et un catéchisme pour toutes les églises catholiques de France.
Art. 40.
Aucun curé ne pourra ordonner des prières publiques extraordinaires dans sa paroisse, sans la permission spéciale de l’évêque.
Art. 41.
Aucune fête, à l’exception du dimanche, ne pourra être établie sans la permission du Gouvernement.
Art. 42.
Les ecclésiastiques useront, dans les cérémonies religieuses, des habits et ornements convenables à leur titre; ils ne pourront dans aucun cas ni sous aucun prétexte, prendre la couleur et les marques distinctives réservées aux évêques.
Art. 43.
Tous les ecclésiastiques seront habillés à la française, et en noir. Les évêques pourront joindre à ce costume la croix pastorale et les bas violets.
Art. 44.
Les chapelles domestiques, les oratoires particuliers, ne pourront 372 être établis sans la permission expresse du Gouvernement, accordée sur la demande de l’évêque.
Art. 45.
Aucune cérémonie religieuse n’aura lieu hors des édifices consacrés au culte catholique, dans les villes où il y a des temples destinés à différents cultes.
Art. 46.
Le même temple ne pourra être consacré qu’à un même culte.
Art. 47.
Il y aura, dans les cathédrales et paroisses, une place distinguée pour les individus catholiques qui remplissent les autorités civiles et militaires.
Art. 48.
L’évêque se concertera avec le préfet pour régler la manière d’appeler les fidèles au service divin par le son des cloches: on ne pourra les sonner pour toute autre cause sans la permission de la police locale.
Art. 49.
Lorsque le Gouvernement ordonnera des prières publiques, les évêques se concerteront avec le préfet et le commandant militaire du lieu, pour le jour, l’heure et le mode d’exécution de ces ordonnances.
Art. 50.
Les prédications solennelles appelées sermons, et celles connues sous le nom de stations de l’Avent et du Carême, ne seront faites que par des prêtres qui en auront obtenu une autorisation spéciale de l’évêque.
Art. 51.
Les curés, aux prônes des messes paroissiales, prieront et feront prier pour la prospérité de la République française et pour les Consuls.
Art. 52.
Ils ne se permettront, dans leurs instructions, aucune inculpation directe ou indirecte, soit contre les personnes, soit contre les autres cultes autorisés dans l’Etat.
Art. 53.
Ils ne feront au prône aucune publication étrangère à l’exercice du culte, si ce n’est celles qui seront ordonnées par le Gouvernement.
Art. 54.
Ils ne donneront la bénédiction nuptiale qu’à ceux qui justifieront, en bonne et due forme, avoir contracté mariage devant l’officier civil.
Art. 55.
Les registres tenus par les ministres du culte, n’étant et ne 373 pouvant être relatifs qu’à l’administration des sacrements, ne pourront, dans aucun cas, suppléer les registres ordonnés par la loi pour constater l’état civil des Français.
Art. 56.
Dans tous les actes ecclésiastiques et religieux, on sera obligé de se servir du calendrier d’équinoxe établi par les lois de la République. On désignera les jours par les noms qu’ils avaient dans le calendrier des solstices.
Art. 57.
Le repos des fonctionnaires publics est fixé au dimanche.
TITRE IV
De la circonscription des archevêchés, des évêchés et des paroisses; des édifices destinés au culte, et du traitement des ministres.
Section première.
De la circonscription des archevêchés et des évêchés.
Art. 58.
Il y aura en France dix archevêchés ou métropoles et cinquante évêchés.
Art. 59.
La circonscription des métropoles et des diocèses sera faite conformément au tableau ci-joint.
Section II.
De la circonscription des paroisses
Art. 60.
Il y aura au moins une paroisse dans chaque justice de paix. Il sera, en outre, établi autant de succursales que le besoin pourra l’exiger.
Art. 61.
Chaque évêque, de concert avec le préfet, réglera le nombre et l’étendue de ces succursales. Les plans arrêtés seront soumis au Gouvernement et ne pourront être mis à exécution sans son autorisation.
Art. 62.
Aucune partie du territoire français ne pourra être érigée en cure ou en succursale sans l’autorisation expresse du Gouvernement.
Art. 63.
Les prêtres desservant les succursales sont nommés par les évêques.
374
Section III.
Du traitement des ministres.
Art. 64.
Le traitement des archevêques sera de quinze mille francs.
Art. 65.
Le traitement des évêques sera de dix mille francs.
Art. 66.
Les curés seront distribués en deux classes. Le traitement des curés de la 1re classe sera porté à quinze cents francs; celui des curés de la 2e classe, à mille francs.
Art. 67.
Les pensions dont ils jouissent en exécution des lois de l’Assemblée constituante seront précomptées sur leur traitement. Les conseils généraux des grandes communes pourront, sur leurs biens ruraux ou sur leurs octrois, leur accorder une augmentation de traitement, si les circonstances l’exigent.
Art. 68.
Les vicaires et desservants seront choisis parmi les ecclésiastiques pensionnés en exécution des lois de l’Assemblée constituante.
Le montant de ces pensions et le produit des oblations formeront leur traitement.
Art. 69.
Les évêques rédigeront les projets de règlements relatifs aux oblations que les ministres du culte sont autorisés à recevoir pour l’administration des sacrements. Les projets de règlements, rédigés par les évêques, ne pourront être publiés, ni autrement mis à exécution, qu’après avoir été approuvés par le Gouvernement.
Art. 70.
Tout ecclésiastique, pensionnaire de l’Etat, sera privé de sa pension, s’il refuse, sans cause légitime, les fonctions qui pourront lui être confiées.
Art. 71.
Les conseils généraux de départements sont autorisés à procurer aux archevêques et évêques un logement convenable.
Art. 72.
Les presbytères et les jardins attenants, non aliénés, seront rendus aux curés et aux desservants des succursales. A défaut de ces presbytères, les conseils généraux des communes sont autorisés à leur procurer un logement et un jardin.
Art. 73.
Les fondations qui ont pour objet l’entretien des ministres et l’exercice du culte ne pourront consister qu’en rentes constituées 375 sur l’Etat; elles seront acceptées par l’évêque diocésain, et ne pourront être exécutées qu’avec l’autorisation du Gouvernement.
Art. 74.
Les immeubles, autres que les édifices destinés au logement, et les jardins attenants, ne pourront être affectés à des titres ecclésiastiques, ni possédés par les ministres du culte à raison de leurs fonctions.
Section IV
Des édifices destinés au culte
Art. 75.
Les édifices anciennement destinés au culte catholique, actuellement dans les mains de la nation, à raison d’un édifice par cure et par succursale, seront mis à la disposition des évêques, par arrêté du préfet du département. Une expédition de ces arrêtés sera adressée au conseiller d’Etat, chargé de toutes les affaires concernant les cultes.
Art. 76.
Il sera établi des fabriques pour veiller à l’entretien et à la conservation des temples, à l’administration des aumônes.
Art. 77.
Dans les paroisses où il n’y aura point d’édifice disponible pour le culte, l’évêque se concertera avec le préfet pour la désignation d’un édifice convenable.
Suit le tableau de la circonscription des archevêchés et évêchés de France, conformément à l’article 59 ci-dessus.
TITRE PREMIER
Dispositions générales pour toutes les communions protestantes.
Article premier
Nul ne pourra exercer les fonctions du culte, s’il n’est Français.
Art. 2.
Les églises protestantes, ni leurs ministres, ne pourront avoir des relations avec aucune puissance ni autorité étrangère.
Art. 3.
Les pasteurs et ministres des diverses communions protestantes prieront et feront prier dans la récitation de leurs offices, pour la prospérité de la République française et pour les Consuls.
Art. 4.
Aucune décision doctrinale ou dogmatique, aucun formulaire, 376 sous le titre de Confession ou sous tout autre titre, ne pourront être publiés ou devenir la matière de l’enseignement, avant que le Gouvernement en ait autorisé la publication ou promulgation.
Art. 5.
Aucun changement dans la discipline n’aura lieu sans la même autorisation.
Art. 6.
Le Conseil d’Etat connaîtra de toutes les entreprises des ministres du culte, et de toutes dissensions qui pourront s’élever entre ces ministres.
Art. 7.
Il sera pourvu au traitement des pasteurs des églises consistoriales: bien entendu qu’on imputera sur ce traitement les biens que ces églises possèdent, et le produit des oblations établies par l’usage ou par des règlements.
Art. 8.
Les dispositions portées par les articles organiques du culte catholique, sur la liberté des fondations et sur la nature des biens qui peuvent en être l’objet, seront communes aux églises protestantes.
Art. 9.
Il y aura deux académies ou séminaires dans l’est de la France, pour l’instruction des ministres de la Confession d’Augsbourg.
Art. 10.
Il y aura un séminaire à Genève, pour l’instruction des ministres des églises réformées.
Art. 11.
Les professeurs de toutes les académies ou séminaires seront nommés par le premier Consul.
Art. 12.
Nul ne pourra être élu ministre ou pasteur d’une église de la Confession d’Augsbourg, s’il n’a étudié, pendant un temps déterminé dans un des séminaires français destinés à l’instruction des ministres de cette Confession, et s’il ne rapporte un certificat en bonne forme, constatant son temps d’étude, sa capacité et ses bonnes mœurs.
Art. 13.
On ne pourra être élu ministre ou pasteur d’une église réformée sans avoir étudié dans le séminaire de Genève, et si on ne rapporte un certificat dans la forme énoncée dans l’article précédent.
Art. 14.
Les règlements sur l’administration et la police intérieure des séminaires, sur le nombre et la qualité des professeurs, sur la manière d’enseigner et sur les objets d’enseignement, ainsi que 377 sur la forme des certificats ou attestations d’études, de bonne conduite et de capacité, seront approuvés par le Gouvernement.
TITRE II
Des églises réformées.
Section première
De l’organisation générale de ces églises.
Art. 15.
Les églises réformées de France auront des pasteurs, des consistoires locaux et des synodes.
Art. 16.
Il y aura une église consistoriale par six mille âmes de la même communion.
Art. 17.
Cinq églises consistoriales formeront l’arrondissement d’un synode.
Section II.
Des pasteurs et des consistoires locaux.
Art. 18.
Le consistoire de chaque église sera composé du pasteur ou des pasteurs desservant cette église, et d’anciens ou notables laïques, choisis parmi les citoyens les plus imposés au rôle des contributions directes; le nombre de ces notables ne pourra être au-dessous de six ni au-dessus de douze.
Art. 19.
Le nombre des ministres ou pasteurs dans une même église consistoriale ne pourra être augmenté sans l’autorisation du Gouvernement.
Art. 20.
Les consistoires veilleront au maintien de la discipline, à l’administration des biens de l’église, et à celle des deniers provenant des aumônes.
Art. 21.
Les assemblées des consistoires seront présidées par le pasteur ou par le plus ancien des pasteurs. Un des anciens ou notables remplira les fonctions de secrétaire.
Art. 22.
Les assemblées ordinaires des consistoires continueront de se tenir aux jours marqués par l’usage. Les assemblées extraordinaires ne pourront avoir lieu sans la permission du sous-préfet, ou du maire en l’absence du sous-préfet.
378
Art. 23.
Tous les deux ans, les anciens du consistoire seront renouvelés par moitié: à cette époque, les anciens en exercice s’adjoindront un nombre égal de citoyens protestants, chefs de famille, et choisis parmi les plus imposés au rôle des contributions directes de la commune où l’église consistoriale sera située, pour procéder au renouvellement. Les anciens sortants pourront être réélus.
Art. 24.
Dans les églises où il n’y a point de consistoire, il en sera formé un. Tous les membres seront élus par la réunion des vingt-cinq chefs de famille protestants les plus imposés au rôle des contributions directes; cette réunion n’aura lieu qu’avec l’autorisation et en la présence du préfet ou du sous-préfet.
Art. 25.
Les pasteurs ne pourront être destitués qu’à la charge de présenter les motifs de la destitution au Gouvernement, qui les approuvera ou les rejettera.
Art. 26.
En cas de décès ou de démission volontaire, ou de destitution confirmée d’un pasteur, le consistoire, formé de la manière prescrite par l’article 18, choisira, à la pluralité des voix, pour le remplacer. Le titre d’élection sera présenté au premier Consul par le Conseiller d’Etat chargé de toutes les affaires concernant les cultes, pour avoir son approbation. L’approbation donnée, il ne pourra exercer qu’après avoir prêté, entre les mains du préfet, le serment exigé des ministres du culte catholique.
Art. 27.
Tous les pasteurs actuellement en exercice sont provisoirement confirmés.
Art. 28.
Aucune église ne pourra s’étendre d’un département dans un autre.
Section III.
Art. 29.
Chaque synode sera formé du pasteur ou d’un des pasteurs, d’un ancien ou notable de chaque église.
Art. 30.
Les synodes veilleront sur tout ce qui concerne la célébration du culte, l’enseignement de la doctrine et la conduite des affaires ecclésiastiques. Toutes les décisions qui émaneront d’eux, de quelque nature qu’elles soient, seront soumises à l’approbation du Gouvernement.
Art. 31.
Les synodes ne pourront s’assembler que lorsqu’on en aura rapporté la permission du Gouvernement. On donnera connaissance 379 préalable au conseiller d’Etat chargé de toutes les affaires concernant les cultes, des matières qui devront y être traitées. L’assemblée sera tenue en présence du préfet ou du sous-préfet; et une expédition du procès-verbal des délibérations sera adressée, par le préfet, au Conseiller d’Etat chargé de toutes les affaires concernant les cultes, qui, dans le plus court délai, en fera son rapport au Gouvernement.
Art. 32.
L’assemblée d’un synode ne pourra durer que six jours.
TITRE III
De l’organisation des églises de la Confession d’Augsbourg.
Section première.
Dispositions générales.
Art. 33.
Les églises de la Confession d’Augsbourg auront des pasteurs, des consistoires locaux, des inspecteurs et des consistoires généraux.
Section II.
Des ministres ou pasteurs, et des consistoires locaux de chaque église.
Art. 34.
On suivra, relativement aux pasteurs, à la circonscription et au régime des églises consistoriales, ce qui a été prescrit par la section II du titre précédent, pour les pasteurs et pour les églises réformées.
Section III.
Des inspections.
Art. 35.
Les églises de la Confession d’Augsbourg seront subordonnées à des inspections.
Art. 36.
Cinq églises consistoriales formeront l’arrondissement d’une inspection.
Art. 37.
Chaque inspection sera composée du ministre et d’un ancien ou notable de chaque église de l’arrondissement; elle ne pourra s’assembler que lorsqu’on en aura rapporté la permission du Gouvernement; la première fois qu’il écherra de la convoquer, elle le sera par le plus ancien des ministres desservant les églises de l’arrondissement. Chaque inspection choisira dans son sein deux laïques, et un ecclésiastique qui prendra le titre d’inspecteur, et 380 qui sera chargé de veiller sur les ministres et le maintien du bon ordre dans les églises particulières. Le choix de l’inspecteur et des deux laïques sera confirmé par le premier Consul.
Art. 38.
L’inspection ne pourra s’assembler qu’avec l’autorisation du Gouvernement, en présence du préfet ou du sous-préfet, et après avoir donné connaissance préalable au conseiller d’Etat chargé de toutes les affaires concernant les cultes, des matières que l’on se proposera d’y traiter.
Art. 39.
L’inspecteur pourra visiter les églises de son arrondissement; il s’adjoindra les deux laïques nommés par lui, toutes les fois que les circonstances l’exigeront; il sera chargé de la convocation de l’assemblée générale de l’inspection. Aucune décision émanée de l’assemblée générale de l’inspection ne pourra être exécutée sans avoir été soumise à l’approbation du Gouvernement.
Section IV.
Des consistoires généraux.
Art. 40.
Il y aura trois consistoires généraux: l’un à Strasbourg, pour les protestants de la Confession d’Augsbourg des départements du Haut et Bas-Rhin; l’autre à Mayence, pour ceux des départements de la Sarre et du Mont-Tonnerre; et le troisième à Cologne, pour ceux des départements de Rhin-et-Moselle et de la Roër.
Art. 41.
Chaque consistoire sera composé d’un président laïque protestant, de deux ecclésiastiques inspecteurs, et d’un député de chaque inspection. Le président et les deux ecclésiastiques inspecteurs, seront nommés par le premier Consul. Le président sera tenu de prêter entre les mains du premier Consul ou du fonctionnaire public qu’il plaira au premier Consul de déléguer à cet effet, le serment exigé des ministres du culte catholique. Les deux ecclésiastiques et les membres laïques prêteront le même serment entre les mains du président.
Art. 42.
Le consistoire général ne pourra s’assembler que lorsqu’on en aura rapporté la permission du Gouvernement, et qu’en présence du préfet ou du sous-préfet; on donnera préalablement connaissance au conseiller d’Etat chargé de toutes les affaires concernant les cultes, des matières qui devront y être traitées. L’assemblée ne pourra durer plus de six jours.
Art. 43.
Dans les temps intermédiaires d’une assemblée à l’autre, il y 381 aura un directoire composé du président, du plus âgé des deux ecclésiastiques inspecteurs, et de trois laïques, dont un sera nommé par le premier Consul; les deux autres seront choisis par le consistoire général.
Art. 44.
Les attributions du consistoire général et du directoire continueront d’être régies par les règlements et coutumes des églises de la Confession d’Augsbourg, dans toutes les choses auxquelles il n’a point été formellement dérogé par les lois de la République et par les présents articles.
DÉCRET
portant réorganisation des cultes protestants
(26 mars 1852).
Louis-Napoléon, etc., sur le rapport du Ministre de l’instruction publique et des cultes; vu la loi du 18 germinal an X, ensemble les décrets des 30 floréal an XI, 10 brumaire an XIV, 5 mai et 15 août 1806, 25 mars 1807; vu la discipline ecclésiastique des Eglises réformées et les règlements et coutumes des Eglises de la Confession d’Augsbourg, mentionnés aux articles 5 et 44 de la loi précitée du 18 germinal an X; vu les documents qui ont servi à l’organisation des cultes protestants et les observations et travaux qui ont suivi; considérant que la législation qui régit ces cultes a toujours été reconnue insuffisante et qu’il importe de la compléter dans l’intérêt de l’ordre à la fois religieux, administratif et politique; considérant que le Gouvernement est en mesure de statuer, avec ensemble et en connaissance de cause, sur les propositions des parties intéressées,
Décrète:
CHAPITRE PREMIER
Dispositions communes aux deux cultes protestants.
Article premier.
Chaque paroisse ou section d’Eglise consistoriale a un conseil presbytéral composé de quatre membres laïques au moins, de sept au plus, et présidé par le pasteur ou par l’un des pasteurs. Il y a une paroisse partout où l’Etat rétribue un ou plusieurs pasteurs.
Les conseils presbytéraux administrent les paroisses sous l’autorité des consistoires. Ils sont élus par le suffrage paroissial et renouvelés par moitié tous les trois ans. Sont électeurs les membres de l’Eglise portés sur le registre paroissial.
Art. 2.
Les conseils presbytéraux de ces chefs-lieux de circonscriptions 382 consistoriales recevront du Gouvernement le titre de consistoires et les pouvoirs qui y sont attachés.
Dans ce cas, le nombre des membres du conseil presbytéral sera doublé. Tous les pasteurs du ressort consistorial seront membres du consistoire, et chaque conseil presbytéral y nommera un délégué laïque.
Art. 3.
Le consistoire est renouvelé, tous les trois ans, comme le conseil presbytéral. Après chaque renouvellement, il élit son président parmi les pasteurs qui en sont membres, et l’élection est soumise à l’agrément du Gouvernement. Le président devra, autant que possible, résider au chef-lieu du ressort. Lorsqu’il aura atteint l’âge de soixante et dix ans ou qu’il se trouvera empêché par des infirmités, le Gouvernement pourra, après avis du consistoire, lui donner le titre de président honoraire, et le consistoire fera un nouveau choix.
Art. 4.
Les protestants des localités où le Gouvernement n’a pas encore institué de pasteur seront rattachés administrativement au consistoire le plus voisin.
CHAPITRE II
Dispositions spéciales à l’Eglise réformée.
Art. 5.
Les pasteurs de l’Eglise réformée sont nommés par le consistoire; le conseil presbytéral de la paroisse intéressée pourra présenter une liste de trois candidats classés par ordre alphabétique.
Art. 6.
Il est établi, à Paris, un conseil central des Eglises réformées de France. Ce conseil représente les Eglises auprès du Gouvernement et du chef d’Etat. Il est appelé à s’occuper des questions d’intérêt général dont il est chargé par l’Administration ou par les Eglises, et notamment à concourir à l’exécution des mesures prescrites par le présent décret. Il est composé, pour la première fois, de notables commerçants, nommés par le Gouvernement, et des deux plus anciens pasteurs de Paris.
Art. 7.
Lorsqu’une chaire de professeur de la communion réformée vient à vaquer dans les facultés de théologie, le conseil central recueille les votes des consistoires et les transmet, avec son avis, au Ministre.
383
CHAPITRE III
Dispositions spéciales à l’Eglise de la Confession d’Augsbourg.
Art. 8.
Les églises et les consistoires de la Confession d’Augsbourg sont placés sous l’autorité du consistoire supérieur ou général et du directoire.
Art. 9.
Le consistoire supérieur est composé: 1o de deux députés laïques par inspection, qui peuvent être choisis en dehors de la circonscription inspectorale; 2o de tous les inspecteurs ecclésiastiques; 3o d’un professeur du séminaire, délégué par ce corps; 4o du président du directoire, qui est de droit président du consistoire supérieur, et du membre laïque du directoire nommé par le Gouvernement.
Art. 10.
Le consistoire supérieur est convoqué par le Gouvernement, soit sur la demande du directoire, soit d’office. Il se réunit au moins une fois par an. A l’ouverture de la session, le directoire présente le rapport de sa gestion. Le consistoire supérieur veille au maintien de la constitution et de la discipline de l’Eglise. Il fait ou approuve les règlements concernant le régime intérieur et juge en dernier ressort les difficultés auxquelles leur application peut donner lieu. Il approuve les livres et formulaires liturgiques qui doivent servir au culte ou à l’enseignement religieux. Il a le droit de surveillance et d’investigation sur les comptes des administrations consistoriales.
Art. 11.
Le directoire est composé du président, d’un membre laïque et d’un inspecteur ecclésiastique, nommés par le Gouvernement; de deux députés nommés par le consistoire supérieur. Le directoire exerce le pouvoir administratif. Il nomme les pasteurs et soumet leur nomination au Gouvernement. Il nomme les suffragants ou vicaires et propose aux fonctions d’aumônier pour les établissements civils qui en sont pourvus. Il autorise ou ordonne, avec l’agrément du Gouvernement, le passage d’un pasteur d’une cure à une autre. Il exerce la haute surveillance sur l’enseignement et la discipline du séminaire et du collège protestant dit Gymnase. Il nomme les professeurs du Gymnase, sous l’approbation du Gouvernement, et ceux du séminaire, sur la proposition de ce dernier corps. Il donne son avis motivé sur les candidats aux chaires de la faculté de théologie.
Art. 12.
Les inspecteurs ecclésiastiques sont nommés par le Gouvernement, sur la présentation du directoire. Ils reçoivent une indemnité 384 pour frais d’administration et de déplacement et pour se faire assister dans leurs fonctions pastorales.
Art. 13.
Le consistoire supérieur de Strasbourg sera représenté dans la capitale, auprès du Gouvernement et du chef d’Etat, dans les circonstances officielles par le consistoire de Paris. Le directoire pourra désigner spécialement un notable laïque, résidant à Paris, pour les représenter conjointement avec le consistoire.
CHAPITRE IV
Dispositions générales.
Art. 14.
Une instruction du Ministre des Cultes et des règlements approuvés par lui détermineront les mesures et les détails d’exécution du présent décret.
Art. 15.
Les articles organiques du 18 germinal an X sont confirmés en tout ce qu’ils n’ont pas de contraire aux articles ci-dessus.
Art. 16.
Le Ministre secrétaire d’Etat au département de l’instruction publique et des cultes (M. H. Fortoul) est chargé, etc.
(Promulguée au Journal officiel du 2 août 1879.)
Le Sénat et la Chambre des Députés ont adopté,
Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit:
DISPOSITIONS GENERALES
Article premier.
L’Eglise évangélique de la Confession d’Augsbourg a des pasteurs, des inspecteurs ecclésiastiques, des conseils presbytéraux, des consistoires, des synodes particuliers et un synode général. Elle a aussi une faculté de théologie.
TITRE PREMIER
Des pasteurs et inspecteurs ecclésiastiques.
Art. 2.
Chaque circonscription paroissiale a un ou plusieurs pasteurs.
Art. 3.
Pour être nommé pasteur, il faut remplir les conditions suivantes:
1o Etre Français ou d’origine française;
385
2o Etre âgé de vingt-cinq ans;
3o Etre pourvu du diplôme de bachelier en théologie, délivré par une faculté française, et d’un acte de consécration.
Art. 4.
Les pasteurs sont nommés par le consistoire, sur la présentation du conseil presbytéral.
La nomination est soumise à l’agrément du Gouvernement.
Dans le cas où le choix du consistoire donne lieu à une réclamation, il est procédé comme il est dit à l’article 21.
Art. 5.
Les pasteurs peuvent être suspendus ou destitués par le synode particulier, conformément à la discipline ecclésiastique. Les motifs de la suspension ou de la destitution seront présentés au Gouvernement, qui les approuve ou les rejette.
Art. 6.
Les inspecteurs ecclésiastiques sont chargés de la consécration des candidats au saint ministère, de l’installation des pasteurs, de la consécration des églises.
Ils ont la surveillance des pasteurs et des églises de leur ressort, ils veillent à l’exercice régulier du culte et au maintien du bon ordre dans les paroisses.
Ils sont tenus de visiter périodiquement les églises. Ils font chaque année au synode particulier un rapport général sur leur circonscription.
Ils siègent, en leur qualité, au synode général et sont membres de droit de la commission synodale prévue à l’article 20 ci-dessous, mais ils ne la président pas.
Ils sont nommés pour neuf ans par le synode particulier et rééligibles. Ils ne peuvent être révoqués que par le synode général.
TITRE II
Des conseils presbytéraux.
Art. 7.
Chaque église qui ne forme pas à elle seule un consistoire a un conseil presbytéral composé du pasteur ou des pasteurs de la paroisse et d’un nombre d’anciens déterminé par le synode particulier, mais qui ne pourra être moindre de huit.
Art. 8.
Le conseil presbytéral est élu par les fidèles selon les règles actuellement en vigueur. Il est renouvelé par moitié tous les trois ans.
Art. 9.
Le pasteur ou le plus ancien des pasteurs est président du conseil presbytéral.
386
Art. 10.
Le conseil presbytéral est chargé de veiller à l’ordre, à la discipline et au développement religieux de la paroisse, à l’entretien et à la conservation des édifices religieux et des biens curiaux. Il administre les aumônes et ceux des biens et revenus de la communauté qui sont affectés à l’entretien du culte et des édifices religieux, le tout sous la surveillance du consistoire.
Il délibère sur l’acceptation des legs et donations qui peuvent lui avoir été faits. Il propose au choix des consistoires trois candidats pour les fonctions de receveur paroissial.
Il pourra y avoir un receveur collectif pour la totalité des paroisses d’une même consistoriale ou pour plusieurs d’entre elles.
TITRE III
Des consistoires.
Art. 11.
Le consistoire est composé de tous les pasteurs de la circonscription et d’un nombre double d’anciens délégués par les conseils presbytéraux.
Dans le cas où il existerait dans une paroisse un titre de pasteur auxiliaire, le synode particulier pourra exceptionnellement attribuer au titulaire droit de présence et voix délibérative au consistoire.
Art. 12.
Le consistoire est renouvelé par moitié tous les trois ans. Les membres sortants sont rééligibles.
Art. 13.
A chaque renouvellement il élit un président ecclésiastique et un secrétaire laïque.
Art. 14.
Le consistoire veille au maintien de la discipline; il contrôle l’administration des conseils presbytéraux, dont il règle les budgets et arrête les comptes. Il nomme les receveurs des communautés de son ressort, il délibère sur l’acceptation des donations et legs faits au consistoire ou confiés à son administration. Il donne son avis sur les délibérations des conseils presbytéraux qui ont pour objet les donations ou legs faits aux communautés de la circonscription.
TITRE IV
Des synodes particuliers.
Art. 15.
Les circonscriptions réunies de plusieurs consistoires forment le ressort d’un synode particulier.
387
Art. 16.
Le synode particulier se compose de tous les membres des consistoires du ressort.
Art. 17.
Il se réunit une fois chaque année et nomme son bureau.
Les églises de l’Algérie peuvent s’y faire représenter par des délégués choisis dans la mère patrie.
Art. 18.
En cas d’urgence, la commission synodale peut le convoquer en session extraordinaire.
Art. 19.
Le synode délibère sur toutes les questions qui intéressent l’administration, le bon ordre ou la vie religieuse, sur les œuvres de charité, d’éducation et d’évangélisation établies par lui ou placées sous son patronage. Il statue sur l’acceptation des donations ou legs qui lui sont faits.
Il veille au maintien de la constitution de l’Eglise, à celui de la discipline et à la célébration du culte.
Il prononce sur toutes les contestations survenues dans l’étendue de sa juridiction, sauf appel au synode général.
Art. 20.
Dans l’intervalle de ses sessions, le synode est représenté par une commission synodale prise dans son sein et nommée par lui. Elle se compose de l’inspecteur ecclésiastique, d’un pasteur et de trois laïques. Ces quatre derniers sont nommés pour six ans.
La commission synodale se renouvelle par moitié tous les trois ans. Les membres sortants sont rééligibles.
La commission synodale nomme son président.
Art. 21.
La commission est chargée de la suite à donner aux affaires et aux questions qui ont fait l’objet des délibérations du synode.
Elle transmet au Gouvernement les nominations de pasteurs faites par les consistoires, lorsque, dans les dix jours de la nomination, il n’est survenu aucune réclamation.
En cas de réclamation, la commission synodale en apprécie le bien ou mal fondé et la soumet, s’il y a lieu, au synode particulier, qui décide.
TITRE V
Du synode général.
Art. 22.
Le synode général est l’autorité supérieure de l’Eglise de la Confession d’Augsbourg. Il se compose:
1o De pasteurs et d’un nombre de laïques double de celui des 388 pasteurs, élus par les synodes particuliers;
2o D’un délégué de la faculté de théologie.
Les membres laïques peuvent être choisis en dehors de la circonscription du synode particulier.
Art. 23.
Les députés au synode général se renouvellent par moitié tous les trois ans dans chaque circonscription de synode particulier. Les membres sortants sont rééligibles.
Art. 24.
Les synodes particuliers sont représentés au synode général, en raison de la population de leur ressort. Toutefois un synode ne pourra être représenté par moins de quinze membres.
Art. 25.
Le synode général veille au maintien de la constitution de l’Eglise; il approuve les livres ou formulaires liturgiques qui doivent servir au culte et à l’enseignement religieux.
Il nomme une commission exécutive qui communique avec le Gouvernement; cette commission présente, de concert avec les professeurs de théologie de la Confession d’Augsbourg, les candidats aux chaires vacantes et aux places de maîtres des conférences.
Il juge en dernier ressort les difficultés auxquelles peut donner lieu l’application des règlements concernant le régime intérieur de l’Eglise.
Art. 26.
Le synode général se réunit au moins tous les trois ans, alternativement à Paris et à Montbéliard, ou dans telle autre ville désignée par lui. Il peut, pour un motif grave et sur la demande de l’un des synodes ou du Gouvernement, être convoqué extraordinairement.
Art. 27.
Le synode général peut, si les intérêts de l’Eglise lui paraissent l’exiger, convoquer un synode constituant. La majorité des deux tiers au moins du nombre des membres du synode est nécessaire pour cette convocation.
Le synode constituant sera composé d’un nombre double de celui des membres du synode général.
Art. 28.
La loi du 18 germinal an X (articles organiques des cultes protestants) et le décret-loi du 26 mars 1852, portant réorganisation des cultes protestants, sont abrogés en ce qu’ils ont de contraire aux modifications ci-dessus arrêtées.
389
La présente loi, délibérée et adoptée, par le Sénat et par la Chambre des Députés, sera exécutée comme loi de l’Etat.
Fait à Paris, le 1er août 1879.
JULES GREVY.
Le Ministre de l’Intérieur et des Cultes,
Ch. LEPERE.
Le règlement délibéré dans l’assemblée générale des Juifs tenue à Paris le 10 décembre 1806 sera exécuté et annexé au présent décret.
Les députés composant l’assemblée des Israélites, convoqués par décret du 30 mai 1806, après avoir entendu le rapport de la commission des Neuf, nommée pour préparer les travaux de l’assemblée, délibérant sur l’organisation qu’il conviendrait de donner à leurs coreligionnaires de l’empire français et du royaume d’Italie, relativement à l’exercice de leur culte et à sa police intérieure, ont adopté unanimement le projet suivant:
Article premier.
Il sera établi une synagogue et un consistoire israélite dans chaque département renfermant deux mille individus professant la religion de Moïse.
Art. 2.
Dans le cas où il ne se trouvera pas deux mille Israélites dans un seul département, la circonscription de la synagogue consistoriale embrassera autant de départements, de proche en proche, qu’il en faudra pour les réunir. Le siège de la synagogue sera toujours dans la ville dont la population israélite sera la plus nombreuse.
Art. 3.
Dans aucun cas, il ne pourra y avoir plus d’une synagogue consistoriale par département.
Art. 4.
Aucune synagogue particulière ne sera établie, si la proposition n’en est faite par la synagogue consistoriale à l’autorité compétente. Chaque synagogue particulière sera administrée par deux notables et un rabbin, lesquels seront désignés par l’autorité compétente.
390
Art. 5.
Il y aura un grand rabbin par synagogue consistoriale.
Art. 6.
Les consistoires seront composés d’un grand rabbin, d’un autre rabbin, autant que faire se pourra, et de trois autres Israélites, dont deux seront choisis parmi les habitants de la ville où siégera le consistoire.
Art. 7.
Le consistoire sera présidé par le plus âgé de ses membres, qui prendra le nom d’ancien du consistoire.
Art. 8.
Il sera désigné par l’autorité compétente, dans chaque circonscription consistoriale, des notables, au nombre de vingt-cinq, choisis parmi les plus imposés et les plus recommandables des Israélites.
Art. 9.
Les notables procéderont à l’élection des membres du consistoire, qui devront être agréés par l’autorité compétente.
Art. 10.
Nul ne pourra être membre du consistoire: 1o s’il n’a trente ans; 2o s’il a fait faillite, à moins qu’il ne soit honorablement réhabilité; 3o s’il est connu pour avoir fait l’usure.
Art. 11.
Tout Israélite qui voudra s’établir en France ou dans le royaume d’Italie devra en donner connaissance, dans le délai de trois mois, au consistoire le plus voisin du lieu où il fixera son domicile.
Art. 12.
Les fonctions du consistoire seront: 1o de veiller à ce que les rabbins ne puissent donner, soit en public, soit en particulier, aucune instruction ou explication de la loi, qui ne soit conforme aux réponses de l’assemblée, converties en décisions doctrinales par le grand sanhédrin; 2o de maintenir l’ordre dans l’intérieur des synagogues, surveiller l’administration des synagogues particulières, régler la perception et l’emploi des sommes destinées aux frais du culte mosaïque, et veiller à ce que, pour cause ou sous prétexte de religion, il ne se forme, sans une autorisation expresse, aucune assemblée de prières; 3o d’encourager, par tous les moyens possibles, les Israélites de la circonscription consistoriale à l’exercice des professions utiles, et de faire connaître à l’autorité ceux qui n’ont pas des moyens d’existence avoués; 4o de donner chaque année, à l’autorité, connaissance du nombre de conscrits israélites de la circonscription.
391
Art. 13.
Il y aura à Paris un consistoire central, composé de trois rabbins et de deux autres israélites.
Art. 14.
Les rabbins du consistoire central seront pris parmi les grands rabbins, et les autres membres seront assujettis aux conditions de l’éligibilité portées en l’article 10.
Art. 15.
Chaque année il sortira un membre du consistoire central, lequel sera toujours rééligible.
Art. 16.
Il sera pourvu à son remplacement par les membres restants. Le nouvel élu ne sera installé qu’après avoir obtenu l’agrément de l’autorité compétente.
Art. 17.
Les fonctions du consistoire central seront: 1o de correspondre avec les consistoires; 2o de veiller, dans toutes ses parties, à l’exécution du présent règlement; 3o de déférer à l’autorité compétente toutes les atteintes portées à l’exécution dudit règlement, soit par infraction, soit par inobservation; 4o de confirmer la nomination des rabbins, et de proposer, quand il y aura lieu, à l’autorité compétente, la destitution des rabbins et des membres des consistoires.
Art. 18.
L’élection du grand rabbin se fait par les vingt-cinq notables désignés en l’article 8.
Art. 19.
Le nouvel élu ne pourra entrer en fonctions qu’après avoir été confirmé par le consistoire central.
Art. 20.
Aucun rabbin ne pourra être élu: 1o s’il n’est natif ou naturalisé Français ou Italien du royaume d’Italie; 2o s’il ne rapporte une attestation de capacité souscrite par trois grands rabbins italiens, s’il est Italien, et français s’il est Français; à dater de 1820, s’il ne sait la langue française en France, et l’italienne dans le royaume d’Italie. Celui qui joindra à la connaissance de la langue hébraïque quelque connaissance des langues grecque et latine sera préféré, toutes choses égales d’ailleurs.
Art. 21.
Les fonctions des rabbins sont: 1o d’enseigner la religion; 2o la doctrine renfermée dans les décisions du grand sanhédrin; 3o de rappeler, en toute circonstance, l’obéissance aux lois, notamment et en particulier à celles relatives à la défense de la patrie, mais d’y exhorter plus spécialement tous les ans, à l’époque de la conscription, depuis le premier appel de l’autorité jusqu’à la complète 392 exécution de la loi; 4o de faire considérer aux Israélites le service militaire comme un devoir sacré, et de leur déclarer que, pendant le temps où ils se consacreront à ce service, la loi les dispense des observances qui ne pourraient point se concilier avec lui; 5o de prêcher dans les synagogues, et réciter les prières qui s’y font en commun pour l’empereur et la famille impériale; 6o de célébrer les mariages et de déclarer les divorces, sans qu’ils puissent, dans aucun cas, y procéder que les parties requérantes ne leur aient bien et dûment justifié de l’acte civil de mariage ou de divorce.
Art. 22.
Le traitement des rabbins, membres du consistoire central est fixé à six mille francs; celui des grands rabbins des synagogues consistoriales, à trois mille francs; celui des rabbins des synagogues particulières sera fixé par la réunion des Israélites qui auront demandé l’établissement de la synagogue; il ne pourra être moindre de mille francs. Les Israélites des circonscriptions respectives pourront voter l’augmentation de ce traitement.
Art. 23.
Chaque consistoire proposera à l’autorité compétente un projet de répartition entre les Israélites de la circonscription, pour l’acquittement du salaire des rabbins; les autres frais du culte seront déterminés et répartis, sur la demande des consistoires, par l’autorité compétente. Le payement des rabbins membres du consistoire central sera prélevé proportionnellement sur les sommes perçues dans les différentes circonscriptions.
Art. 24.
Chaque consistoire désignera hors de son sein un Israélite non rabbin pour recevoir les sommes qui devront être perçues dans la circonscription.
Art. 25.
Ce receveur payera par quartier les rabbins, ainsi que les autres frais du culte, sur une ordonnance signée au moins par trois membres du consistoire. Il rendra ses comptes chaque année, à jour fixe, au consistoire assemblé.
Art. 26.
Tout rabbin qui, après la mise en activité du présent règlement, ne se retrouvera pas employé, et qui voudra cependant conserver son domicile en France ou dans le royaume d’Italie, sera tenu d’adhérer, par une déclaration formelle et qu’il signera, aux décisions du grand sanhédrin. Copie de cette déclaration sera envoyée par le consistoire qui l’aura reçue au consistoire central.
Art. 27.
Les rabbins membres du grand sanhédrin seront préférés, autant 393 que faire se pourra, à tous autres pour les places de grands rabbins.
DÉCRET
qui prescrit des mesures pour l’exécution du règlement
du 10 décembre
1806
(17 mars 1808.)
Article premier.
Pour l’exécution de l’article 1er du règlement délibéré par l’assemblée générale des Juifs, exécution qui a été ordonnée par notre décret de ce jour, notre Ministre des Cultes nous présentera le tableau des synagogues consistoriales à établir, leur circonscription, et le lieu de leur établissement. Il prendra préalablement l’avis du consistoire central. Les départements de l’empire qui n’ont pas actuellement de population israélite seront classés, par un tableau supplémentaire, dans les arrondissements des synagogues consistoriales, pour les cas où, des Israélites venant à s’y établir, ils auraient besoin de recourir à un consistoire.
Art. 2.
Il ne pourra être établi de synagogue particulière, suivant l’article 4 dudit règlement, que sur l’autorisation donnée par nous en Conseil d’Etat, sur le rapport de notre Ministre des Cultes, et sur le vu: 1o de l’avis de la synagogue consistoriale; 2o de l’avis du consistoire central; 3o de l’avis du préfet du département; 4o de l’état de la population israélite que comprendra la synagogue nouvelle. La nomination des administrateurs de synagogues particulières sera faite par le consistoire départemental et approuvée par le consistoire central. Le décret d’établissement de chaque synagogue particulière en fixera la circonscription.
Art. 3.
La nomination des notables dont il est parlé en l’article 8 dudit règlement sera faite par notre Ministre de l’Intérieur, sur la présentation du consistoire central, et l’avis des préfets.
Art. 4.
La nomination des membres des consistoires départementaux sera présentée à notre approbation par notre Ministre des Cultes, sur l’avis des préfets des départements compris dans l’arrondissement de la synagogue.
Art. 5.
Les membres du consistoire central dont il est parlé à l’article 13 dudit règlement seront nommés, pour la première fois, par 394 nous, sur la présentation de notre Ministre des cultes, et parmi les membres de l’assemblée générale des Juifs ou du grand sanhédrin.
Art. 6.
Le même Ministre présentera à notre approbation le choix du nouveau membre du consistoire central, qui sera désigné chaque année, selon les articles 15 et 16 dudit règlement.
Art. 7.
Le rôle de répartition dont il est parlé à l’article 23 dudit règlement sera dressé par chaque consistoire départemental, divisé en autant de parties qu’il y aura de départements dans l’arrondissement de la synagogue, soumis à l’examen du consistoire central, et rendu exécutoire par les préfets de chaque département.
Article unique.
A compter du 1er janvier 1831, les ministres du culte israélite recevront des traitements du Trésor public.
Louis-Philippe, roi des Français,
A tous présents et à venir, salut.
Sur le rapport de notre Garde des Sceaux, Ministre secrétaire d’Etat au Département de la Justice et des Cultes;
Vu les décrets des 17 mars et 11 décembre 1808, et le règlement du 10 décembre 1806, y annexé;
Vu les ordonnances royales des 29 juin 1819, 20 août 1823, 6 août 1831, 19 juillet et 31 décembre 1841;
Vu le règlement du 15 octobre 1832;
Vu la loi du 8 février 1831;
Vu la lettre du Consistoire central des israélites à notre Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et des Cultes, en date du 10 mars 1842, et le projet du nouveau règlement y annexé;
395
Vu la lettre du 27 mars 1844, par laquelle notre Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et des Cultes, a communiqué, tant au consistoire central qu’aux consistoires départementaux, une nouvelle rédaction dudit projet de règlement;
Vu les observations présentées sur ce dernier projet par le consistoire central et par les consistoires départementaux de Paris, Metz, Nancy, Colmar, Marseille, Bordeaux et Strasbourg;
Notre Conseil d’Etat entendu,
Nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit:
ORGANISATION GENERALE DU CULTE ISRAELITE
Article premier.
Le culte israélite a un consistoire central, des consistoires départementaux, des grands rabbins, des rabbins communaux et des ministres officiants.
TITRE PREMIER
Des consistoires.
Art. 2.
Le consistoire central siège à Paris.
Art. 3.
Il est établi un consistoire dans chaque département renfermant 2.000 âmes de population israélite.
S’il ne se trouve pas 2.000 israélites dans le même département, la circonscription du consistoire s’étend de proche en proche sur autant de départements qu’il en faut pour que ce nombre soit atteint.
Dans aucun cas, il ne peut y avoir plus d’un consistoire par département.
Art. 4.
Les consistoires actuellement existants, leur siège et leur circonscription, tels qu’ils sont fixés par le décret du 11 décembre 1808, sont maintenus.
Dans le cas où il y aura lieu de former un ou plusieurs consistoires nouveaux, l’ordonnance royale qui en prononcera la création désignera en même temps la ville où ils seront établis.
§ 1er.—Du consistoire central.
Art. 5.
Le consistoire central se compose d’un grand rabbin et d’autant de membres laïques qu’il y a de consistoires départementaux.
Art. 6.
Les membres laïques du consistoire central sont élus par les notables des circonscriptions consistoriales.
Ils sont choisis parmi les notables résidant à Paris.
396
Art. 7.
Le grand rabbin du consistoire central est nommé suivant les formes prescrites par les articles 40 et suivants.
Sa nomination est soumise à notre approbation.
Art. 8.
La durée des fonctions des membres laïques est de huit ans. Ils sont divisés en deux séries se renouvelant alternativement de quatre en quatre années. Les membres sortants sont rééligibles.
Art. 9.
Le consistoire central nomme son président et son vice-président pour quatre ans.
Art. 10.
Le consistoire central est l’intermédiaire entre le Ministre des cultes et les consistoires départementaux. Il est chargé de la haute surveillance des intérêts du culte israélite.
Il approuve les règlements relatifs à l’exercice du culte dans les temples.
Aucun ouvrage d’instruction religieuse ne peut être employé dans les écoles israélites, s’il n’a été approuvé par le consistoire central, sur l’avis conforme de son grand rabbin.
Art. 11.
Le consistoire central a le droit de censure à l’égard des membres laïques des consistoires départementaux.
Il peut provoquer, pour des causes graves, auprès de notre Ministre des cultes, la révocation de ces membres, et même la dissolution d’un consistoire départemental.
Art. 12.
Le consistoire central délivre seul les diplômes de second degré pour l’exercice des fonctions rabbiniques, sur le vu des certificats d’aptitude obtenus conformément au règlement du 15 octobre 1832.
Il donne son avis sur la nomination des rabbins départementaux et communaux.
Il peut, sur la proposition du consistoire départemental, et avec l’approbation de notre ministre des cultes, ordonner le changement de résidence des rabbins communaux dans le ressort du consistoire.
Le consistoire central a le droit de censure à l’égard des grands rabbins consistoriaux, mais seulement sur la plainte de leurs consistoires respectifs. Il peut provoquer auprès de notre Ministre des cultes leur suspension ou leur révocation, suivant les cas.
Il a directement, après avoir pris l’avis du consistoire et du grand rabbin, le droit de censure à l’égard des rabbins communaux.
Il peut prononcer leur suspension pour un an au plus.
397
Il prononce leur révocation, sauf la confirmation de notre Ministre des cultes.
Il statue sur la révocation des ministres officiants, proposée par les consistoires départementaux.
Art. 13.
Le consistoire central peut être dissous par ordonnance royale.
Dans ce cas, l’administration du culte israélite est déléguée jusqu’à l’installation d’un nouveau consistoire, à une commission composée du grand rabbin et de quatre notables désignés par notre Ministre des cultes.
§ 2.—Des consistoires départementaux.
Art. 14.
Chaque consistoire départemental se compose du grand rabbin de la circonscription et de quatre membres laïques, dont deux au moins sont choisis parmi les habitants de la ville où siège le consistoire.
Art. 15.
Le grand rabbin et les membres laïques sont élus par l’assemblée des notables de la circonscription.
Art. 16.
Les membres laïques sont choisis parmi les notables de la circonscription.
Art. 17.
La durée des fonctions des membres laïques est de quatre ans.
Leur renouvellement a lieu par moitié tous les deux ans.
Les membres sortants peuvent être réélus.
Art. 18.
Le consistoire nomme son président et son vice-président pour deux années.
Art. 19.
Le consistoire a l’administration et la police des temples de sa circonscription et des établissements et associations pieuses qui s’y rattachent.
Il délivre les diplômes de premier degré pour l’exercice des fonctions rabbiniques, sur le vu des certificats énoncés en l’article 12.
Il représente en justice les synagogues de son ressort, et exerce en leur nom les droits qui leur appartiennent, sous la réserve portée en l’article 64.
Il nomme les commissions destinées à procéder à l’élection des rabbins communaux et des ministres officiants, ainsi qu’il est réglé par les articles 48 et 51.
Il donne au consistoire central son avis sur ces élections.
Il nomme le mohel et le schohet pour le chef-lieu consistorial, sur l’avis du grand rabbin et, pour les autres communes, sur le certificat du rabbin du ressort, confirmé par le grand rabbin.
398
Ces nominations sont révocables par le consistoire, sur l’avis du grand rabbin.
Art. 20.
Le consistoire a le droit de suspension à l’égard des ministres officiants, après avoir pris l’avis du commissaire administrateur ou de la commission administrative ci-après institués.
Il propose, quand il y a lieu, leur révocation au consistoire central.
Il adresse au consistoire central les plaintes qu’il peut avoir à former, tant contre le grand rabbin que contre les rabbins de sa circonscription.
Il fait, sous l’approbation du consistoire central, les règlements concernant les cérémonies religieuses relatives aux inhumations et à l’exercice du culte dans tous les temples de son ressort.
Il est chargé de veiller: 1o à ce qu’il ne soit donné aucune instruction ou explication de la loi qui ne soit conforme aux réponses de l’assemblée générale des israélites, converties en décisions doctrinales par le grand sanhédrin; 2o à ce qu’il ne se forme, sans autorisation, aucune assemblée de prières.
Art. 21.
Le consistoire institue, par délégation, auprès de chaque temple, et selon les besoins, soit un commissaire administrateur, soit une commission administrative, agissant sous sa direction et sous son autorité.
Le commissaire ou la commission rend compte annuellement de sa gestion au consistoire départemental.
Art. 22.
Chaque année le consistoire adresse au préfet un rapport sur la situation morale des établissements de charité, de bienfaisance ou de religion spécialement destinés aux israélites.
Art. 23.
Les consistoires départementaux peuvent être dissous par arrêté de notre Ministre des cultes.
Dans ce cas, l’administration des affaires de la circonscription est déléguée, jusqu’à l’installation d’un nouveau consistoire, à une commission composée du grand rabbin consistorial et de quatre notables désignés par le consistoire central.
§ 3.—Dispositions communes au consistoire central et aux consistoires départementaux.
Art. 24.
La nomination des membres laïques des consistoires est soumise à notre agrément.
L’époque de leur entrée en fonctions est fixée au 1er janvier.
Le père, le fils ou les petits-fils, le beau-père, les gendres et les 399 frères ou beaux-frères, ne peuvent être ensemble membres d’un consistoire.
Pour le premier renouvellement, la série des membres sortants est désignée par la voie du sort.
Les présidents et vice-présidents sont rééligibles.
En cas de dissolution d’un consistoire, il est procédé à de nouvelles élections dans les trois mois.
§ 4.—Des notables.
Art. 25.
Il y a, pour chaque circonscription consistoriale, un corps de notables chargé d’élire: 1o le grand rabbin consistorial; 2o les membres laïques du consistoire départemental; 3o un membre laïque du consistoire central; 4o deux délégués pour l’élection du grand rabbin du consistoire central, ainsi qu’il est dit en l’article 42.
Art. 26.
Font partie du corps des notables les israélites âgés de vingt-cinq ans accomplis, et qui appartiennent à l’une des catégories suivantes:
1o Les fonctionnaires publics de l’ordre administratif;
2o Les fonctionnaires de l’ordre judiciaire;
3o Les membres des conseils généraux, des conseils d’arrondissement et des conseils municipaux;
4o Les citoyens inscrits sur la liste électorale et du jury;
5o Les officiers de terre et de mer, en activité et en retraite;
6o Les membres des Chambres de commerce et ceux qui font partie de la liste des notables commerçants;
7o Les grands rabbins et les rabbins communaux;
8o Les professeurs dans les facultés et dans les collèges royaux et communaux;
9o Le directeur et les professeurs de l’école centrale rabbinique.
Art. 27.
A cette liste pourront être adjoints, par notre Ministre des cultes, sur la proposition du consistoire central et les avis du consistoire départemental et du préfet, et ce, jusqu’à concurrence du sixième de la liste totale, les israélites qui ne seraient pas compris dans ces catégories, et qui, par leurs services, se seraient rendus dignes de cette distinction.
Art. 28.
Nul ne fera partie de la liste des notables s’il n’a la qualité de Français, s’il a subi une condamnation criminelle ou une des condamnations correctionnelles portées aux articles 401, 405 et 408 du Code pénal, s’il est failli non réhabilité, et s’il n’est depuis deux ans au moins domicilié dans la circonscription consistoriale.
400
Art. 29.
Les listes seront dressées par les consistoires; elles demeureront exposées, à partir du 1er mars de chaque année et pendant deux mois, au parvis du temple du chef-lieu consistorial.
Pendant ce délai, toutes réclamations seront admises; il y sera statué par le préfet, sur l’avis du consistoire, sauf recours à notre ministre des cultes par la voie administrative. Le ministre prononcera définitivement, sur l’avis du consistoire central.
Les listes arrêtées par le préfet serviront pour un an.
Art. 30.
Chaque année, les consistoires feront les additions et radiations nécessaires, conformément aux dispositions de l’article précédent, de façon que la liste définitive soit publiée dans le temple du chef-lieu consistorial au 1er juillet de chaque année.
§ 5.—Des assemblées de notables et de l’élection des membres du consistoire.
Art. 31.
L’assemblée des notables est convoquée par le consistoire départemental, sur l’autorisation du préfet du département, pour procéder aux élections mentionnées en l’article 25.
Art. 32.
Les élections ont lieu à la majorité absolue des membres présents.
Le nombre des membres présents au vote doit être de la moitié au moins de la liste totale.
Si ce nombre n’est pas atteint, une seconde réunion est convoquée, et l’élection est valable, quel que soit alors le nombre de votants.
Art. 33.
Le bureau se compose des membres du consistoire départemental.
Art. 34.
Le bureau prononce sur les difficultés qui s’élèvent touchant les opérations. En cas de partage, la voix du président est prépondérante.
Les réclamations contre la décision du bureau ne sont pas suspensives. Elles sont portées, par la voie administrative, devant notre Ministre des Cultes, qui prononce définitivement.
Art. 35.
Le procès-verbal, signé des membres du bureau, fait mention de toutes les opérations et des incidents survenus. Il est dressé en double expédition, dont l’une est transmise au préfet, et l’autre au consistoire central.
401
Art. 36.
L’installation des membres laïques du consistoire central et des consistoires départementaux est faite par le préfet, qui reçoit, de la part de chaque membre, le serment prescrit par la loi du 31 août 1830.
Le serment est prononcé en levant la main, sans autre formalité.
Art. 37.
Si le consistoire se refusait à l’accomplissement des obligations qui lui sont imposées par la présente section, il y serait pourvu par le préfet.
TITRE II
DES MINISTRES DU CULTE
§ 1er.—Du grand rabbin du consistoire central.
Art. 38.
Le grand rabbin a droit de surveillance et d’admonition à l’égard de tous les ministres du culte israélite.
Il a droit d’officier et de prêcher dans toutes synagogues de France.
Aucune délibération ne peut être prise par le consistoire central, concernant les objets religieux ou du culte, sans l’approbation du grand rabbin.
Néanmoins, en cas de dissentiment entre le consistoire central et son grand rabbin, le grand rabbin du consistoire de Paris est consulté.
Si les deux rabbins diffèrent d’avis, le plus ancien de nomination des grands rabbins consistoriaux est appelé à les départager.
Art. 39.
Le grand rabbin est nommé à vie.
Nul ne peut être grand rabbin s’il n’est âgé de quarante ans accomplis, muni d’un diplôme de second degré rabbinique, délivré conformément au règlement du 15 octobre 1832, et s’il n’a rempli pendant dix ans au moins les fonctions de rabbin communal, ou pendant cinq ans celles de grand rabbin consistorial ou de professeur à l’école centrale rabbinique. Néanmoins ces deux dernières conditions ne seront exigibles qu’à partir de 1850.
Art. 40.
En cas de décès ou de démission du grand rabbin, les assemblées de notables de toutes les circonscriptions nomment, à l’époque fixée par le consistoire central, chacune deux délégués pour procéder, conjointement avec les membres du consistoire central, à l’élection du grand rabbin.
Art. 41.
Les délégués sont choisis parmi les notables de la circonscription ou parmi ceux du collège de Paris.
402
Si plusieurs collèges choisissent à Paris le même délégué, le consistoire central tire au sort la circonscription dont le membre élu sera le représentant. Les autres ont à nommer un nouveau délégué.
Art. 42.
La présidence de l’assemblée des délégués et des membres du consistoire central, réunis pour procéder à l’élection, appartient au président du consistoire central.
Le plus jeune des membres remplit les fonctions de secrétaire.
L’élection a lieu à la majorité absolue des voix et au scrutin secret. Elle n’est valable qu’autant que quinze membres au moins y ont concouru.
Le procès-verbal de l’élection est transmis à notre Ministre des cultes par le consistoire central.
§ 2.—Des grands rabbins des consistoires départementaux.
Art. 43.
Les grands rabbins des consistoires départementaux ont droit de surveillance sur les rabbins et sur les ministres officiants de leur circonscription.
Ils ont droit d’officier et de prêcher dans tous les temples de leur circonscription.
Art. 44.
Nul ne peut être grand rabbin consistorial s’il n’est âgé de trente ans, et s’il n’est porteur d’un diplôme de second degré rabbinique.
Art. 45.
Les grands rabbins des consistoires départementaux sont élus: 1o parmi ceux des grands rabbins des autres circonscriptions qui se font inscrire au siège du consistoire; 2o parmi les rabbins en fonctions sortis de l’école centrale rabbinique; 3o parmi les rabbins ayant cinq ans d’exercice, quand ils ne sont pas élèves de cette école, et parmi les professeurs de la même école. Leur nomination est soumise à notre approbation.
§ 3.—Des rabbins communaux.
Art. 46.
Les rabbins officient et prêchent dans les temples de leur ressort.
Art. 47.
Nul ne peut être rabbin s’il n’est âgé de vingt-cinq ans accomplis, et porteur d’un diplôme du premier degré rabbinique.
Art. 48.
Les rabbins sont élus par une assemblée de notables désignés par le consistoire départemental et choisis de préférence parmi les notables du ressort.
403
Le commissaire administrateur ou le président de la commission administrative préside cette assemblée.
Le consistoire règle, suivant l’importance du ressort à desservir, le nombre des membres qui la composent, lequel, en aucun cas, ne peut être au-dessous de cinq.
Le consistoire départemental transmet le procès-verbal de l’élection, avec les pièces à l’appui, au consistoire central. La nomination est soumise à l’approbation de notre Ministre des Cultes.
Art. 49.
Les rabbins sont choisis parmi les élèves de l’école centrale rabbinique pourvus du diplôme exigé.
Si l’école ne fournit pas un nombre de candidats suffisant, tout israélite remplissant les conditions prescrites par l’article 47 ci-dessus peut être admis comme candidat.
§ 4.—Des ministres officiants.
Art. 50.
Nul ne peut être ministre officiant s’il n’est âgé de vingt-cinq ans, et s’il ne produit un certificat du grand rabbin de la circonscription, attestant qu’il possède les connaissances religieuses suffisantes.
Le consistoire central déterminera la forme de ces certificats.
Art. 51.
Les ministres officiants sont élus dans la forme déterminée par l’article 48.
Leur élection est confirmée par le consistoire central.
Le consistoire départemental nomme directement le ministre officiant du chef-lieu consistorial.
Le consistoire central envoie à notre Ministre des Cultes l’avis des nominations faites et approuvées; il indique les justifications produites par les nouveaux titulaires.
§ 5.—Du mohel et du schohet.
Art. 52.
Nul ne peut exercer les fonctions de mohel et de schohet s’il n’est pourvu d’une autorisation spéciale du consistoire de la circonscription.
Le mohel et le schohet sont soumis, dans l’exercice de leurs fonctions, aux règlements émanés du consistoire départemental et approuvés par le consistoire central.
§ 6.—Dispositions communes aux divers ministres du culte israélite.
Art. 53.
Le grand rabbin consistorial et les rabbins ne peuvent célébrer les mariages que dans l’étendue de leur ressort.
404
Ils ne peuvent donner la bénédiction nuptiale qu’à ceux qui justifient avoir contracté mariage devant l’officier de l’état civil.
La bénédiction nuptiale n’est donnée que dans l’intérieur du temple, sauf le cas d’autorisation spéciale accordée par le consistoire départemental.
Les ministres du culte assisteront aux inhumations, suivant ce qui aura été réglé par le consistoire départemental, en vertu du paragraphe 4 de l’article 20 ci-dessus.
Art. 54.
Aucune assemblée délibérante ne pourra être formée, aucune décision doctrinale ou dogmatique ne pourra être publiée ou devenir la matière de l’enseignement sans une autorisation expresse du Gouvernement.
Art. 55.
Toutes entreprises des ministres du culte israélite, toutes discussions qui pourront s’élever entre ces ministres, toute atteinte à l’exercice du culte et à la liberté garantie à ces ministres, nous seront déférées en notre Conseil d’Etat, sur le rapport de notre Ministre des Cultes, pour être par nous statué ce qu’il appartiendra.
Art. 56.
Nul ministre du culte israélite ne peut donner aucune instruction ou explication de la loi qui ne soit conforme aux décisions du grand sanhédrin ou aux décisions des assemblées synodales qui seraient par nous ultérieurement autorisées.
Les rabbins ont, sous l’autorité des consistoires, la surveillance et la direction de l’instruction religieuse dans les écoles israélites.
Art. 57.
Nul ne peut être nommé grand rabbin, rabbin communal, ministre officiant, s’il n’est Français.
Des dispenses d’âge peuvent être accordées aux grands rabbins, aux rabbins communaux et aux ministres officiants, par notre Ministre des Cultes, sur la proposition du consistoire central.
Les fonctions de rabbin sont incompatibles avec toute profession industrielle ou commerciale.
Art. 58.
Avant leur installation, les grands rabbins et les rabbins prêtent, entre les mains du préfet ou de son délégué, le serment prescrit par la loi du 31 août 1830. Le serment du grand rabbin du consistoire central est prêté entre les mains de notre Ministre des Cultes.
Art. 59.
Il est procédé, selon les instructions du consistoire de chaque circonscription, à l’installation des rabbins et des ministres officiants.
405
Procès-verbal de cette installation est transmis, en double expédition, par le consistoire départemental, au consistoire central et au préfet du département où réside le nouveau titulaire.
TITRE III
DES CIRCONSCRIPTIONS RABBINIQUES ET DES TEMPLES
Art. 60.
Il ne peut être établi aucune nouvelle circonscription rabbinique, ni être fait aucune modification aux circonscriptions rabbiniques actuellement existantes, qu’en vertu de notre autorisation, donnée sur le rapport de notre Ministre des Cultes, et sur l’avis du consistoire central, des communes intéressées et du préfet du département.
Art. 61.
Dans la ville chef-lieu du consistoire départemental, il peut être adjoint au grand rabbin un ou plusieurs rabbins communaux, selon les besoins de la population.
Il est statué à cet égard par ordonnance royale.
Art. 62.
Il ne peut être créé de titre de ministre officiant à la charge de l’Etat que par un arrêté de notre Ministre des Cultes, sur la demande du consistoire départemental et l’avis du consistoire central et du préfet.
Art. 63.
Tout chef de famille peut, en rapportant l’avis favorable du consistoire départemental, obtenir l’autorisation d’ouvrir un oratoire chez lui et à ses frais.
Cette autorisation sera donnée par nous, sur le rapport de notre Ministre des Cultes.
TITRE IV
DISPOSITIONS DIVERSES
Art. 64.
Les consistoires israélites ne peuvent, sans autorisation préalable, intenter une action en justice ou y défendre, accepter des donations et legs, en faire l’emploi, vendre ou acheter.
Art. 65.
Aussitôt après la formation et la clôture de la liste générale des notables dans chaque circonscription consistoriale, il sera procédé au renouvellement intégral des membres laïques du consistoire central et des consistoires départementaux.
Les membres nouvellement élus entreront en fonctions immédiatement après que leur élection aura été confirmée par nous.
Néanmoins, pour le renouvellement périodique, leur entrée en 406 fonctions ne comptera que du 1er janvier qui suivra leur installation.
Art. 66.
Continueront à être observés, dans toutes les dispositions qui ne sont pas contraires à la présente ordonnance, les décrets des 17 mars et 11 décembre 1808, les ordonnances royales des 29 juin 1819, 20 août 1823, 6 août 1831, 19 juillet et 31 décembre 1841.
Art. 67.
Notre Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et des Cultes, est chargé de l’exécution de la présente ordonnance, qui sera insérée au Bulletin des lois.
Au palais de Neuilly, le 25 mai 1844.
Signé: LOUIS-PHILIPPE.
Par le Roi:
Le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice
et des Cultes,
N. Martin (du Nord).
Article premier.
Les chapelles domestiques et oratoires particuliers, dont il est mention en l’article 44 de la loi du 18 germinal an X, et qui n’ont pas encore été autorisés par un décret, aux termes dudit article, ne seront autorisés que conformément aux dispositions suivantes.
Art. 2.
Les demandes d’oratoires particuliers pour les hospices, les prisons, les maisons de détention et de travail, les écoles secondaires ecclésiastiques, les congrégations religieuses, les lycées et les collèges, et des chapelles et oratoires domestiques, à la ville ou à la campagne, pour les individus ou les grands établissements de fabriques et manufactures, seront accordées par nous en notre Conseil, sur la demande des évêques. A ces demandes seront jointes les délibérations prises à cet effet par les administrateurs des établissements publics, et l’avis des maires et des préfets.
Art. 3.
Les pensionnats pour les jeunes filles et pour les jeunes garçons 407 pourront également, et dans les mêmes formes, obtenir un oratoire particulier, lorsqu’il s’y trouvera un nombre suffisant d’élèves et qu’il y aura d’autres motifs déterminants.
Art. 4.
Les évêques ne consacreront les chapelles ou oratoires que sur la représentation de notre décret.
Art. 5.
Aucune chapelle ou oratoire ne pourra subsister dans les villes que pour causes graves, et pour la durée de la vie de la personne qui aura obtenu la permission.
Art. 6.
Les particuliers qui auront des chapelles à la campagne ne pourront y faire célébrer l’office que par des prêtres autorisés par l’évêque, qui n’accordera la permission qu’autant qu’il jugerait pouvoir le faire sans nuire au service curial de son diocèse.
Art. 7.
Les chapelains des chapelles rurales ne pourront administrer les sacrements qu’autant qu’ils auront les pouvoirs spéciaux de l’évêque, et sous l’autorité et la surveillance du curé.
Art. 8.
Tous les oratoires ou chapelles où le propriétaire voudrait faire exercer le culte, et pour lesquels il ne présenterait pas, dans le délai de six mois, l’autorisation énoncée dans l’article premier, seront fermés, à la diligence de nos procureurs près nos cours et tribunaux, et des préfets, maires et autres officiers de police.
Napoléon, par la grâce de Dieu et la volonté nationale, empereur des Français.
A tous présents et à venir, salut.
Sur le rapport de nos Ministres, secrétaire d’Etat aux départements de l’Intérieur et de l’Instruction publique et des Cultes,
Notre Conseil d’Etat entendu,
Avons décrété et décrétons ce qui suit:
Article premier.
L’autorisation pour l’ouverture de nouveaux temples, chapelles ou oratoires, destinés à l’exercice public des cultes protestants organisés par la loi du 18 germinal an X, sera sur la demande des consistoires, donnée par Nous, en notre Conseil d’Etat, sur le rapport de notre Ministre des Cultes.
408
Art. 2.
Nos préfets continueront de donner les autorisations pour l’exercice public temporaire des mêmes cultes. En cas de difficulté, il sera statué par Nous en notre Conseil d’Etat.
Art. 3.
Si une autorisation est demandée pour l’exercice public d’un culte non reconnu par l’Etat, cette autorisation sera donnée par Nous, en Conseil d’Etat, sur le rapport de notre Ministre de l’Intérieur, après avis de notre Ministre des Cultes.
Les réunions ainsi autorisées pour l’exercice public d’un culte non reconnu par l’Etat, sont soumises aux règles générales consacrées par les articles 4, 32 et 52 de la loi du 18 germinal an X (articles organiques du culte catholique) et 2 de la même loi (articles organiques des cultes protestants).
Nos préfets continueront de donner dans le même cas, les autorisations qui seront demandées pour des réunions accidentelles de ces cultes.
Art. 4.
Lorsqu’il y aura lieu de révoquer les autorisations données dans les cas prévus par l’article 3, paragraphe premier, du présent décret, cette révocation sera prononcée par Nous, en notre Conseil d’Etat.
Toutefois, les Ministres compétents pourront, en cas d’urgence, et pour cause d’inexécution des conditions ou de sûreté publique, suspendre provisoirement l’effet desdites autorisations.
La suspension cessera de plein droit à l’expiration du délai de trois mois, si dans ce délai, la révocation n’a été définitivement prononcée comme il est dit au paragraphe premier du présent article.
Art. 5.
Notre ministre de l’Intérieur et notre Ministre de l’Instruction publique et des Cultes sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent décret qui sera inséré au Bulletin des Lois.
Fait au Palais des Tuileries, le 19 mars 1859.
Signé: NAPOLEON.
Par l’Empereur:
Le Ministre Secrétaire d’Etat
au Département de l’Instruction publique
et des Cultes,
Signé: ROULAND.
Le Ministre Secrétaire d’Etat
au Département de l’Intérieur,
Signé: DELANGLE.
409
LIVRE III
TITRE PREMIER
SECTION III
Les troubles apportés à l’ordre public par les ministres
des cultes
dans l’exercice de leur ministère
§ II.—Des critiques, censures ou provocations dirigées contre l’autorité publique dans un discours pastoral prononcé publiquement.
Art. 201.
Les ministres des cultes qui prononceront dans l’exercice de leur ministère et en assemblée publique un discours contenant la critique ou censure du Gouvernement, d’une loi, d’un décret du Président de la République ou de tout autre acte de l’autorité publique seront punis d’un emprisonnement de trois mois à deux ans.
Art. 202.
Si le discours contient une provocation directe à la désobéissance aux lois ou autres actes de l’autorité publique, ou s’il tend à soulever ou armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui l’aura prononcé sera puni d’un emprisonnement de deux à cinq ans si la provocation n’a été suivie d’aucun effet, et du bannissement si elle a donné lieu à la désobéissance, autre toutefois que celle qui aurait dégénéré en sédition ou révolte.
Art. 203.
Lorsque la provocation aura été suivie d’une sédition ou révolte dont la nature donnera lieu contre l’un ou plusieurs des coupables à une peine plus forte que celle du bannissement, cette peine, quelle qu’elle soit, sera appliquée au ministre coupable de la provocation.
§ III.—Des critiques, censures ou provocations dirigées contre l’autorité publique dans un écrit pastoral.
Art. 204.
Tout écrit contenant des instructions pastorales en quelque forme que ce soit et dans lequel un ministre du culte se sera ingéré de critiquer ou censurer le Gouvernement, soit tout acte d’autorité publique, comportera la peine du bannissement contre le ministre qui l’aura publié.
410
Art. 205.
Si l’écrit mentionné en l’article précédent contient une provocation directe à la désobéissance aux lois ou autres actes de l’autorité publique, ou s’il tend à soulever ou armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre qui l’aura publié sera puni de la détention.
Art. 206.
Lorsque la provocation contenue dans l’écrit pastoral aura été suivie d’une sédition ou révolte dont la nature donnera lieu contre l’un ou plusieurs des coupables à une peine plus forte que la déportation, cette peine, quelle qu’elle soit, sera appliquée au ministre coupable de la provocation.
§ IV.—De la correspondance des ministres des cultes avec des cours ou puissances étrangères sur des matières de religion.
Art. 207.
Tout ministre d’un culte qui aura, sur des questions ou matières religieuses, entretenu une correspondance avec une cour ou puissance étrangère sans en avoir préalablement informé le Ministre de la République chargé de la surveillance des cultes et sans avoir obtenu son autorisation sera, pour ce seul fait, puni d’une amende de cent francs à cinq cents francs, et d’un emprisonnement d’un mois à deux ans.
Art. 208.
Si la correspondance mentionnée à l’article précédent a été accompagnée ou suivie d’autres faits contraires aux dispositions formelles d’une loi ou d’un décret du Président de la République, le coupable sera puni du bannissement, à moins que la peine résultant de la nature de ces faits ne soit plus forte, auquel cas cette peine plus forte sera seule appliquée.
SECTION IV
Résistance, désobéissance et autres manquements envers l’autorité publique
§ VIII.—Entraves au libre exercice des cultes.
Art. 260.
Tout particulier qui, par des voies de fait ou des menaces, aura contraint ou empêché une ou plusieurs personnes d’exercer l’un des cultes autorisés, d’assister à l’exercice de ce culte, de célébrer certaines fêtes, d’observer certains jours de repos et, en conséquence, d’ouvrir ou de fermer leurs ateliers, boutiques ou magasins, et de faire ou quitter certains travaux, sera puni, pour ce 411 seul fait, d’une amende de seize francs à deux cents francs, et d’un emprisonnement de six jours à deux mois.
Art. 261.
Ceux qui auront empêché, retardé ou interrompu les exercices d’un culte par des troubles ou désordres causés dans le temple ou autre lieu destiné ou servant actuellement à ces exercices, seront punis d’une amende de seize francs à trois cents francs et d’un emprisonnement de six jours à trois mois.
Art. 262.
Toute personne qui aura, par paroles ou gestes, outragé les objets d’un culte dans les lieux destinés ou servant actuellement à son exercice ou les ministres de ce culte dans leurs fonctions, sera punie d’une amende de seize francs à cinq cents francs, et d’un emprisonnement de quinze jours à six mois.
Art. 263.
Quiconque aura frappé le ministre d’un culte dans ses fonctions sera puni de la dégradation civique. (Pén. 8, 34-36, 228, 246.)
Art. 264.
Les dispositions du présent paragraphe ne s’appliquent qu’aux troubles, outrages ou voies de fait dont la nature ou les circonstances ne donneront pas lieu à de plus fortes peines, d’après les autres dispositions du présent code.
Section VII
Des associations ou réunions illicites
Art. 294.
Tout individu qui, sans la permission de l’autorité municipale, aura accordé ou consenti l’usage de sa maison ou de son appartement, en tout ou en partie, pour la réunion des membres d’une association même autorisée, ou pour l’exercice d’un culte sera puni d’une amende de seize francs à deux cents francs.
Art. 100.
Les cloches des églises sont spécialement affectées aux cérémonies du culte.
Néanmoins, elles peuvent être employées dans les cas de péril commun qui exigent un prompt secours et dans les circonstances 412 où cet emploi est prescrit par des dispositions de lois ou règlements, ou autorisé par les usages locaux.
Les sonneries religieuses comme les cérémonies civiles feront l’objet d’un règlement concerté entre l’évêque et le préfet, ou entre le préfet et les consistoires, et arrêté, en cas de désaccord, par le Ministre des Cultes.
Art. 101.
Une clef du clocher sera déposée entre les mains des titulaires ecclésiastiques, une autre entre les mains du maire qui ne pourra en faire usage que dans les circonstances prévues par les lois ou règlements.
Si l’entrée du clocher n’est pas indépendante de celle de l’église, une clef de la porte de l’église sera déposée entre les mains du maire.
Art. 136.
Sont obligatoires pour les communes les dépenses suivantes:
11o L’indemnité de logement aux curés et desservants et ministres des autres cultes salariés par l’Etat, lorsqu’il n’existe pas de bâtiment affecté à leur logement, et lorsque les fabriques ou autres administrations préposées aux cultes ne pourront pourvoir elles-mêmes au paiement de cette indemnité;
12o Les grosses réparations aux édifices communaux, sauf, lorsqu’ils sont consacrés aux cultes, l’application préalable des revenus et ressources disponibles des fabriques à ces réparations, et sauf l’exécution des lois spéciales concernant les bâtiments affectés à un service militaire.
S’il y a désaccord entre la fabrique et la commune, quand le concours financier de cette dernière est réclamé par la fabrique dans les cas prévus aux paragraphes 11o et 12o, il est statué par décret, sur les propositions des Ministres de l’Intérieur et des Cultes.
Art. 167.
Les Conseils municipaux pourront prononcer la désaffectation totale ou partielle d’immeubles consacrés, en dehors des prescriptions de la loi organique des cultes du 18 germinal an X et des dispositions relatives au culte israélite, soit aux cultes, soit à des services religieux ou à des établissements quelconques ecclésiastiques et civils.
Ces désaffectations seront prononcées dans la même forme que les affectations.
413
CHAPITRE PREMIER
De l’administration des fabriques.
Article Premier.
Les fabriques, dont l’article 76 de la loi du 18 germinal an X a ordonné l’établissement, sont chargées de veiller à l’entretien et à la conservation des temples, d’administrer les aumônes et les biens, rentes et perceptions autorisées par les lois et règlements, les sommes supplémentaires fournies par les communes, et généralement tous les fonds qui sont affectés à l’exercice du culte, enfin d’assurer cet exercice et le maintien de sa dignité dans les églises auxquelles elles sont attachées, soit en réglant les dépenses qui sont nécessaires, soit en assurant le moyen d’y pourvoir.
Art. 2.
Chaque fabrique sera composée d’un conseil et d’un bureau de marguilliers.
Section Première
Du conseil.
§ 1er.—De la composition du conseil.
Art. 3.
Dans les paroisses où la population sera de 5.000 âmes ou au-dessus, le conseil sera composé de neuf conseillers de fabrique; dans toutes les autres paroisses, il devra l’être de cinq: ils seront pris parmi les notables; ils devront être catholiques et domiciliés dans la paroisse.
Art. 4.
De plus, seront de droit membres du conseil:
1o Le curé ou desservant, qui y aura la première place, et pourra s’y faire remplacer par un de ses vicaires;
2o Le maire de la commune du chef-lieu de la cure ou succursale; il pourra s’y faire remplacer par l’un de ses adjoints: si le maire n’est pas catholique, il devra se substituer un adjoint qui le soit, ou, à défaut, un membre du conseil municipal, catholique. Le maire sera placé à la gauche, et le curé ou le desservant à la droite du président.
Art. 5.
Dans les villes où il y aura plusieurs paroisses ou succursales, 414 le maire sera de droit membre du conseil de chaque fabrique; il pourra s’y faire remplacer, comme il est dit dans l’article précédent.
Art. 6.
Dans les paroisses ou succursales dans lesquelles le conseil de fabrique sera composé de neuf membres, non compris les membres de droit, cinq des conseillers seront, pour la première fois, à la nomination de l’évêque, et quatre à celle du préfet: dans celles où il ne sera composé que de cinq membres, l’évêque en nommera trois, et le préfet deux. Ils entreront en fonctions le premier dimanche du mois d’avril prochain.
Art. 7.
Le conseil de la fabrique se renouvellera partiellement tous les trois ans, savoir: à l’expiration des trois premières années, dans les paroisses où il est composé de neuf membres, sans y comprendre les membres de droit, par la sortie de cinq membres, qui, pour la première fois, seront désignés par le sort, et des quatre plus anciens après les six ans révolus; pour les fabriques dont le conseil est composé de cinq membres, non compris les membres de droit, par la sortie de trois membres désignés par la voie du sort, après les trois premières années, et des deux autres, après les six ans révolus. Dans la suite, ce seront toujours les plus anciens en exercice qui devront sortir.
Art. 8.
Les conseillers qui devront remplacer les membres sortants seront élus par les membres restants. Lorsque le remplacement ne sera pas fait à l’époque fixée, l’évêque ordonnera qu’il y soit procédé dans le délai d’un mois, passé lequel délai il y nommera lui-même, et pour cette fois seulement. Les membres sortants pourront être réélus[24].
Art. 9.
Le conseil nommera, au scrutin, son secrétaire et son président; ils seront renouvelés, le premier dimanche d’avril de chaque année, et pourront être réélus. Le président aura, en cas de partage, voix prépondérante. Le conseil ne pourra délibérer que lorsqu’il y aura plus de la moitié des membres présents à l’assemblée, et tous les membres présents signeront la délibération, qui sera arrêtée à la pluralité des voix.
415
§ II.—Des séances du conseil.
Art. 10.
Le conseil s’assemblera le premier dimanche des mois d’avril[25], de juillet, d’octobre et de janvier, à l’issue de la grand’messe ou des vêpres, dans l’église, dans un lieu attenant à l’église ou dans le presbytère. L’avertissement de chacune de ses séances sera publié, le dimanche précédent, au prône de la grand’messe. Le conseil pourra de plus s’assembler extraordinairement, sur l’autorisation de l’évêque ou du préfet, lorsque l’urgence des affaires ou de quelques dépenses imprévues l’exigera[26].
§ III.—Des fonctions du conseil.
Art. 11.
Aussitôt que le conseil aura été formé, il choisira au scrutin, parmi ses membres, ceux qui, comme marguilliers, entreront dans la composition du bureau; et, à l’avenir, dans celle de ses sessions qui répondra à l’expiration du temps fixé par le présent règlement pour l’exercice des fonctions de marguilliers, il fera également, au scrutin, élection de celui de ses membres qui remplacera le marguillier sortant.
Art. 12.
Seront soumis à la délibération du conseil: 1o le budget de la fabrique;—2o le compte annuel de son trésorier;—3o l’emploi des fonds excédant les dépenses, du montant des legs et donations, et le remploi des capitaux remboursés;—4o toutes les dépenses extraordinaires au delà de 50 francs, dans les paroisses au-dessous de mille âmes, et de 100 francs, dans les paroisses d’une plus grande population;—5o les procès à entreprendre ou à soutenir, les baux emphytéotiques ou à longues années, les aliénations ou échanges, et généralement tous les objets excédant les bornes de l’administration ordinaire des biens des mineurs.
Section II.
Du bureau des marguilliers.
§ 1er.—De la composition du bureau des marguilliers.
Art. 13.
Le bureau des marguilliers se composera: 1o du curé ou desservant de la paroisse ou succursale, qui en sera membre perpétuel et de droit; 2o de trois membres du conseil de fabrique. Le curé ou desservant aura la première place, et pourra se faire remplacer par un de ses vicaires.
416
Art. 14.
Ne pourront être, en même temps, membres du bureau, les parents ou alliés, jusques et compris le degré d’oncle et de neveu.
Art. 15.
Au premier dimanche d’avril de chaque année[27], l’un des marguilliers cessera d’être membre du bureau, et sera remplacé.
Art. 16.
Des trois marguilliers qui seront, pour la première fois, nommés par le conseil, deux sortiront successivement par la voie du sort, à la fin de la première et de la seconde année, et le troisième sortira de droit la troisième année révolue.
Art. 17.
Dans la suite, ce seront toujours les marguilliers les plus anciens en exercice qui devront sortir.
Art. 18.
Lorsque l’élection ne sera pas faite à l’époque fixée, il y sera pourvu par l’évêque.
Art. 19.
Ils nommeront entre eux un président, un secrétaire et un trésorier.
Art. 20.
Les membres du bureau ne pourront délibérer s’ils ne sont au moins au nombre de trois. En cas de partage, le président aura voix prépondérante. Toutes les délibérations seront signées par les membres présents.
Art. 21.
Dans les paroisses où il y avait ordinairement des marguilliers d’honneur, il pourra en être choisi deux par le conseil, parmi les principaux fonctionnaires publics domiciliés dans la paroisse. Ces marguilliers, et tous les membres du conseil, auront une place distinguée dans l’église: ce sera le banc de l’œuvre; il sera placé devant la chaire, autant que faire se pourra. Le curé ou desservant aura, dans ce banc, la première place, toutes les fois qu’il s’y trouvera pendant la prédication.
§ II.—Des séances du bureau des marguilliers.
Art. 22.
Le bureau s’assemblera tous les mois, à l’issue de la messe paroissiale, au lieu indiqué pour la tenue des séances du conseil.
Art. 23.
Dans les cas extraordinaires, le bureau sera convoqué, soit d’office par le président, soit sur la demande du curé ou desservant.
417
§ III.—Fonctions du bureau.
Art. 24.
Le bureau des marguilliers dressera le budget de la fabrique, et préparera les affaires qui doivent être portées au conseil; il sera chargé de l’exécution des délibérations du conseil et de l’administration journalière du temporel de la paroisse.
Art. 25.
Le trésorier est chargé de procurer la rentrée de toutes les sommes dues à la fabrique, soit comme faisant partie de son revenu annuel, soit à tout autre titre.
Art. 26.
Les marguilliers sont chargés de veiller à ce que toutes les fondations soient fidèlement acquittées et exécutées, suivant l’intention des fondateurs, sans que les sommes puissent être employées à d’autres charges. Un extrait du sommier des titres, contenant les fondations qui doivent être desservies pendant le cours d’un trimestre, sera affiché dans la sacristie, au commencement de chaque trimestre, avec les noms du fondateur et de l’ecclésiastique qui acquittera chaque fondation. Il sera rendu compte, à la fin de chaque trimestre, par le curé ou le desservant, au bureau des marguilliers, des fondations acquittées pendant le cours du trimestre.
Art. 27.
Les marguilliers fourniront l’huile, le pain, le vin, l’encens, la cire, et généralement tous les objets de consommation nécessaires à l’exercice du culte; ils pourvoiront également aux réparations et achats des ornements, meubles et ustensiles de l’église et de la sacristie.
Art. 28.
Tous les marchés seront arrêtés par le bureau des marguilliers, et signés par le président, ainsi que les mandats.
Art. 29.
Le curé ou desservant se conformera au règlement de l’évêque pour tout ce qui concerne le service divin, les prières et les instructions et l’acquittement des charges pieuses imposées par les bienfaiteurs, sauf les réductions qui seraient faites par l’évêque, conformément aux règles canoniques, lorsque le défaut de proportion des libéralités et des charges qui en sont la condition l’exigera.
Art. 30.
Le curé ou desservant agréera les prêtres habitués, et leur assignera leurs fonctions. Dans les paroisses où il en sera établi, il désignera le sacristain-prêtre, le chantre-prêtre et les enfants de 418 chœur (voir note [28]). Le placement des bancs ou chaises dans l’église ne pourra être fait que du consentement du curé ou desservant, sauf le recours à l’évêque.
Art. 31.
Les annuels auxquels les fondateurs ont attaché des honoraires, et généralement tous les annuels emportant une rétribution quelconque, seront donnés de préférence aux vicaires, et ne pourront être acquittés qu’à leur défaut par les prêtres habitués ou autres ecclésiastiques, à moins qu’il n’en ait été autrement ordonné par les fondateurs.
Art. 32.
Les prédicateurs seront nommés par les marguilliers, à la pluralité des suffrages, sur la présentation faite par le curé ou desservant, et à la charge, par lesdits prédicateurs, d’obtenir l’autorisation de l’ordinaire.
Art. 33.
La nomination et la révocation de l’organiste, des sonneurs, des bedeaux, suisses ou autres serviteurs de l’église, appartiennent aux marguilliers, sur la proposition du curé ou desservant[28].
Art. 34.
Sera tenu le trésorier de présenter, tous les trois mois, au bureau des marguilliers un bordereau signé de lui, et certifié véritable, de la situation active et passive de la fabrique pendant les trois mois précédents: ces bordereaux seront signés de ceux qui auront assisté à l’assemblée, et déposés dans la caisse ou armoire de la fabrique, pour être présentés lors de la reddition du compte annuel. Le bureau déterminera, dans la même séance, la somme nécessaire pour les dépenses du trimestre suivant.
Art. 35.
Toute la dépense de l’église et les frais de sacristie seront faits par le trésorier; en conséquence, il ne sera rien fourni par aucun marchand ou artisan sans un mandat du trésorier, au pied duquel le sacristain, ou toute autre personne apte à recevoir la livraison, certifiera que le contenu audit mandat a été rempli.
CHAPITRE II
Des revenus, des charges, du budget de la fabrique.
Section Première
Des revenus de la fabrique.
Art. 36.
Les revenus de chaque fabrique se forment:
419
1o Du produit des biens et rentes restitués aux fabriques, des biens des confréries, et généralement de ceux qui auraient été affectés aux fabriques par nos divers décrets;
2o Du produit des biens, rentes et fondations qu’elles ont été ou pourront être par nous autorisées à accepter;
3o Du produit des biens et rentes célés au domaine, dont nous les avons autorisées ou dont nous les autoriserions à se mettre en possession;
4o Du produit spontané des terrains servant de cimetières[29];
5o Du prix de la location des chaises;
6o De la concession des bancs placés dans l’église;
7o Des quêtes faites pour les frais du culte;
8o De ce qui sera trouvé dans les troncs placés pour le même objet;
9o Des oblations faites à la fabrique;
10o Des droits que, suivant les règlements épiscopaux, approuvés par nous, les fabriques perçoivent, et de celui qui leur revient sur le produit des frais d’inhumation;
11o Du supplément donné par la commune, le cas échéant.
Section II
Des charges de la fabrique.
§ 1er.—Des charges en général.
Art. 37.
Les charges de la fabrique sont:
1o De fournir aux frais nécessaires du culte, savoir: les ornements, les vases sacrés, le linge, le luminaire, le pain, le vin, l’encens, le payement des vicaires, des sacristains, chantres, organistes, sonneurs, suisses, bedeaux et autres employés au service de l’église, selon la convenance et les besoins des lieux;
2o De payer l’honoraire des prédicateurs de l’Avent, du Carême et autres solennités;
3o De pourvoir à la décoration et aux dépenses relatives à l’embellissement intérieur de l’église;
4o De veiller à l’entretien des églises, presbytères et cimetières, et, en cas d’insuffisance des revenus de la fabrique, de faire toutes diligences nécessaires pour qu’il soit pourvu aux réparations et reconstructions, ainsi que le tout est réglé au § III.
§ II.—De l’établissement et du payement des vicaires.
Art. 38.
Le nombre de prêtres et de vicaires habitués à chaque église sera fixé par l’évêque, après que les marguilliers en auront délibéré, et que le Conseil municipal de la commune aura donné son avis.
420
Art. 39.
Si, dans le cas de nécessité d’un vicaire, reconnue par l’évêque, la fabrique n’est pas en état de payer le traitement, la décision épiscopale devra être adressée au préfet, et il sera procédé ainsi qu’il est expliqué à l’article 49, concernant les autres dépenses de la célébration du culte, pour lesquelles les communes suppléent à l’insuffisance des revenus des fabriques[30].
Art. 40.
Le traitement des vicaires sera de 500 francs au plus et de 300 francs au moins.
§ III.—Des réparations.
Art. 41.
Les marguilliers, et spécialement le trésorier, seront tenus de veiller à ce que toutes les réparations soient bien et promptement faites, ils auront soin de visiter les bâtiments avec des gens de l’art, au commencement du printemps et de l’automne. Ils pourvoiront sur-le-champ, et par économie, aux réparations locatives ou autres qui n’excéderont pas la proportion indiquée en l’article 12, et sans préjudice toutefois des dépenses réglées pour le culte.
Art. 42.
Lorsque les réparations excéderont la somme ci-dessus indiquée, le bureau sera tenu d’en faire rapport au conseil, qui pourra ordonner toutes les réparations qui ne s’élèveraient pas à plus de 100 francs dans les communes au-dessous de mille âmes, et de 200 francs dans celles d’une plus grande population. Néanmoins ledit conseil ne pourra, même sur le revenu libre de la fabrique, ordonner les réparations qui excéderaient la quotité ci-dessus énoncée, qu’en chargeant le bureau de faire dresser un devis estimatif, et de procéder à l’adjudication au rabais ou par soumission, après trois affiches, renouvelées de huitaine en huitaine.
Art. 43.
Si la dépense ordinaire arrêtée par le budget ne laisse pas de fonds disponibles, ou n’en laisse pas de suffisants pour les réparations, le bureau en fera son rapport au conseil, et celui-ci prendra une délibération tendant à ce qu’il y soit pourvu dans les formes prescrites au chapitre IV du présent règlement: cette délibération sera envoyée par le président au préfet.
Art. 44.
Lors de la prise de possession de chaque curé ou desservant il sera dressé, aux frais de la commune, et à la diligence du maire, un état de situation du presbytère et de ses dépendances. Le curé ou desservant ne sera tenu que des simples réparations locatives 421 et des dégradations survenues par sa faute. Le curé ou desservant sortant, ou ses héritiers ou ayants cause, seront tenus desdites réparations locatives ou dégradations.
Section III
Du budget de la fabrique.
Art. 45.
Il sera présenté chaque année au bureau, par le curé ou desservant, un état, par aperçu, des dépenses nécessaires à l’exercice du culte, soit pour les objets de consommation, soit pour réparations et entretien d’ornements, meubles et ustensiles d’église. Cet état, après avoir été, article par article, approuvé par le bureau, sera porté en bloc, sous la désignation de dépenses intérieures, dans le projet du budget général: le détail de ces dépenses sera annexé audit projet.
Art. 46.
Ce budget établira la recette et la dépense de l’église. Les articles de dépense seront classés dans l’ordre suivant:
1o Les frais ordinaires de la célébration du culte;
2o Les frais de réparation des ornements, meubles et ustensiles d’église;
3o Les gages des officiers et serviteurs de l’église;
4o Les frais de réparations locatives.
La portion de revenus qui restera après cette dépense acquittée servira au traitement des vicaires légitimement établis; et l’excédant, s’il y en a, sera affecté aux grosses réparations des édifices affectés à l’exercice du culte.
Art. 47.
Le budget sera soumis au conseil de la fabrique dans la séance du mois d’avril de chaque année; il sera envoyé, avec l’état des dépenses de la célébration du culte, à l’évêque diocésain, pour avoir sur le tout son approbation.
Art. 48.
Dans le cas où les revenus de la fabrique couvriraient les dépenses portées au budget, le budget pourra, sans autres formalités, recevoir sa pleine et entière exécution.
Art. 49.
Si les revenus sont insuffisants pour acquitter, soit les frais indispensables du culte, soit les dépenses nécessaires pour le maintien de sa dignité, soit les gages des officiers et des serviteurs de l’église, soit les réparations des bâtiments, ou pour fournir à la subsistance de ceux des ministres que l’Etat ne salarie pas, le budget contiendra l’aperçu des fonds qui devront être demandés aux paroissiens pour y pourvoir, ainsi qu’il est réglé dans le chapitre 422 IV[31].
CHAPITRE III
Section Première.
De la régie des biens de la fabrique.
Art. 50.
Chaque fabrique aura une caisse ou armoire fermant à trois clefs, dont une restera dans les mains du trésorier, l’autre dans celles du curé ou desservant, et la troisième dans celles du président du bureau.
Art. 51.
Seront déposés dans cette caisse tous les deniers appartenant à la fabrique, ainsi que les clefs des troncs des églises.
Art. 52.
Nulle somme ne pourra être extraite de la caisse sans autorisation du bureau, et sans un récépissé qui y restera déposé.
Art. 53.
Si le trésorier n’a pas dans les mains la somme fixée à chaque trimestre par le bureau pour la dépense courante, ce qui manquera sera extrait de la caisse; comme aussi ce qu’il se trouverait avoir d’excédant sera versé dans cette caisse.
Art. 54.
Seront aussi déposés dans une caisse ou armoire, les papiers, titres et documents concernant les revenus et affaires de la fabrique, et notamment les comptes avec les pièces justificatives, les registres de délibérations autres que le registre courant, le sommier des titres et inventaires ou récolements dont il est mention aux deux articles qui suivent.
Art. 55.
Il sera fait incessamment, et sans frais, deux inventaires, l’un des ornements, linges, vases sacrés, argenterie, ustensiles, et, en général, de tout le mobilier de l’église; l’autre, des titres, papiers et renseignements, avec mention des biens contenus dans chaque titre, du revenu qu’ils produisent, de la fondation à la charge de laquelle les biens ont été donnés à la fabrique. Un double inventaire du mobilier sera remis au curé ou desservant. Il sera fait, tous les ans, un récolement desdits inventaires, afin d’y porter les additions, réformes ou autres changements; ces inventaires ou récolements seront signés par le curé ou desservant, et par le président du bureau.
Art. 56.
Le secrétaire du bureau transcrira, par suite de numéros et par ordre de dates, sur un registre sommier: 1o les actes de fondations, et généralement tous les titres de propriété; 2o les baux 423 à ferme ou loyer. La transcription sera entre deux marges, qui serviront pour y porter, dans l’une les revenus et dans l’autre les charges. Chaque pièce sera signée et certifiée conforme à l’original par le curé ou desservant, et par le président du bureau.
Art. 57.
Nul titre ni pièce ne pourra être extrait de la caisse sans un récépissé qui fera mention de la pièce retirée, de la délibération du bureau par laquelle cette extraction aura été autorisée, de la qualité de celui qui s’en chargera et signera le récépissé, de la raison pour laquelle elle aura été tirée de la caisse ou armoire; et si c’est pour un procès, le tribunal et le nom de l’avoué seront désignés.
Art. 58.
Tout notaire devant lequel il aura été passé un acte contenant donation entre vifs ou disposition testamentaire au profit d’une fabrique, sera tenu d’en donner avis au curé ou desservant.
Art. 59.
Tout acte contenant des dons ou legs à une fabrique sera remis au trésorier, qui en fera son rapport à la prochaine séance du bureau. Cet acte sera ensuite adressé, par le trésorier, avec les observations du bureau, à l’archevêque ou évêque diocésain, pour que celui-ci donne sa délibération, s’il convient ou non d’accepter. Le tout sera envoyé au Ministre des Cultes, sur le rapport duquel la fabrique sera, s’il y a lieu, autorisée à accepter: l’acte d’acceptation, dans lequel il sera fait mention de l’autorisation, sera signé par le trésorier, au nom de la fabrique.
Art. 60.
Les maisons et biens ruraux appartenant à la fabrique seront affermés, régis et administrés par le bureau des marguilliers, dans la forme déterminée pour les biens communaux.
Art. 61.
Aucun des membres du bureau des marguilliers ne peut se porter, soit pour adjudicataire, soit même pour associé de l’adjudicataire, des ventes, marchés de réparations, constructions, reconstructions ou baux des biens de la fabrique.
Art. 62.
Ne pourront les biens immeubles de l’église être vendus, aliénés, échangés, ni même loués, pour un terme plus long que neuf ans, sans une délibération du conseil, l’avis de l’évêque diocésain, et notre autorisation.
Art. 63.
Les deniers provenant de donations ou legs, dont l’emploi ne serait pas déterminé par la fondation, les remboursements de rentes, les prix de ventes ou soultes d’échanges, les revenus excédant l’acquit des charges ordinaires, seront employés dans les formes 424 déterminées par l’avis du Conseil d’Etat, approuvé par nous le 21 décembre 1808. Dans le cas où la somme serait insuffisante, elle restera en caisse, si on prévoit que, dans les six mois suivants, il rentrera des fonds disponibles, afin de compléter la somme nécessaire pour cette espèce d’emploi; sinon, le conseil délibérera sur l’emploi à faire, et le préfet ordonnera celui qui paraîtra le plus avantageux.
Art. 64.
Le prix des chaises sera réglé, pour les différents offices, par délibération du bureau, approuvée par le conseil; cette délibération sera affichée dans l’église.
Art. 65.
Il est expressément défendu de rien percevoir pour l’entrée de l’église, ni de percevoir dans l’église plus que les prix des chaises, sous quelque prétexte que ce soit. Il sera même réservé, dans toutes les églises, une place où les fidèles qui ne loueront pas de chaises ni de bancs, puissent commodément assister au service divin, et entendre les instructions.
Art. 66.
Le bureau des marguilliers pourra être autorisé par le conseil, soit à régir la location des bancs et chaises, soit à la mettre en ferme.
Art. 67.
Quand la location des chaises sera mise en ferme, l’adjudication aura lieu après trois affiches de huitaine en huitaine: les enchères seront reçues au bureau de la fabrique par soumission, et l’adjudication sera faite au plus offrant, en présence des marguilliers; de tout quoi il sera fait mention dans le bail, auquel sera annexée la délibération qui aura fixé le prix des chaises.
Art. 68.
Aucune concession de bancs ou de places dans l’église ne pourra être faite, soit par bail pour une prestation annuelle, soit au prix d’un capital ou d’un immeuble, soit pour un temps plus long que la vie de ceux qui l’auront obtenue, sauf l’exception ci-après.
Art. 69.
La demande de concession sera présentée au bureau qui, préalablement, la fera publier par trois dimanches, et afficher à la porte de l’église pendant un mois, afin que chacun puisse obtenir la préférence par une offre plus avantageuse. S’il s’agit d’une concession pour un immeuble, le bureau le fera évaluer en capital et en revenu, pour être cette évaluation comprise dans les affiches et publications.
Art. 70.
Après ces formalités remplies, le bureau fera son rapport au conseil. S’il s’agit d’une concession par bail pour une prestation 425 annuelle, et que le conseil soit d’avis de faire cette concession, sa délibération sera un titre suffisant.
Art. 71.
S’il s’agit d’une concession pour un immeuble, il faudra, sur la délibération du conseil, obtenir notre autorisation dans la même forme que pour les dons et legs. Dans le cas où il s’agirait d’une valeur mobilière, notre autorisation sera nécessaire lorsqu’elle s’élèvera à la même quotité pour laquelle les communes et les hospices sont obligés de l’obtenir.
Art. 72.
Celui qui aurait entièrement bâti une église pourra retenir la propriété d’un banc ou d’une chapelle pour lui et sa famille, tant qu’elle existera. Tout donateur ou bienfaiteur d’une église pourra obtenir la même concession, sur l’avis du conseil de fabrique, approuvé par l’évêque et par le ministre des cultes.
Art. 73.
Nul cénotaphe, nulles inscriptions, nuls monuments funèbres ou autres, de quelque genre que ce soit, ne pourront être placés dans les églises que sur la proposition de l’évêque diocésain et la permission de notre Ministre des cultes.
Art. 74.
Le montant des fonds perçus pour le compte de la fabrique, à quelque titre que ce soit, sera, au fur et à mesure de la rentrée, inscrit, avec la date du jour et du mois, sur un registre coté et paraphé, qui demeurera entre les mains du trésorier.
Art. 75.
Tout ce qui concerne les quêtes dans les églises sera réglé par l’évêque, sur le rapport des marguilliers, sans préjudice des quêtes pour les pauvres, lesquelles devront toujours avoir lieu dans les églises, toutes les fois que les bureaux de bienfaisance le jugeront convenable.
Art. 76.
Le trésorier portera parmi les recettes en nature les cierges offerts sur les pains bénits, ou délivrés pour les annuels, et ceux qui, dans les enterrements et services funèbres, appartiennent à la fabrique.
Art. 77.
Ne pourront les marguilliers entreprendre aucun procès, ni y défendre, sans une autorisation du conseil de préfecture, auquel sera adressée la délibération qui devra être prise à ce sujet par le conseil et le bureau réunis.
Art. 78.
Toutefois, le trésorier sera tenu de faire tous actes conservatoires pour le maintien des droits de la fabrique, et toutes diligences nécessaires pour le recouvrement de ses revenus.
426
Art. 79.
Les procès seront soutenus au nom de la fabrique, et les diligences faites à la requête du trésorier, qui donnera connaissance de ces procédures au bureau.
Art. 80.
Toutes contestations relatives à la propriété des biens, et toutes poursuites à fin de recouvrement des revenus, seront portées devant les juges ordinaires.
Art. 81.
Les registres des fabriques seront sur papier non timbré. Les dons et legs qui leur seraient faits ne supporteront que le droit fixe d’un franc[32].
Section II.
Des comptes.
Art. 82.
Le compte à rendre chaque année par le trésorier sera divisé en deux chapitres, l’un de recette et l’autre de dépense. Le chapitre de recette sera divisé en trois sections: la première, pour la recette ordinaire; la deuxième, pour la recette extraordinaire, et la troisième, pour la partie des recouvrements ordinaires ou extraordinaires qui n’auraient pas encore été faits. Le reliquat d’un compte formera toujours le premier article du compte suivant. Le chapitre de dépense sera aussi divisé en dépenses ordinaires, dépenses extraordinaires, et dépenses tant ordinaires qu’extraordinaires non encore acquittées.
Art. 83.
A chacun des articles de recette, soit des rentes, soit des loyers ou autres revenus, il sera fait mention des débiteurs, fermiers ou locataires, des noms et situation de la maison et héritage, de la qualité de la rente foncière ou constituée, de la date du dernier titre nouvel ou du dernier bail, et des notaires qui les auront reçus, ensemble de la fondation à laquelle la rente est affectée, si elle est connue.
Art. 84.
Lorsque, soit par le décès du débiteur, soit par le partage de la maison ou de l’héritage qui est grevé d’une rente, cette rente se trouve due par plusieurs débiteurs, il ne sera néanmoins porté qu’un seul article de recette, dans lequel il sera fait mention de tous les débiteurs, et sauf l’exercice de l’action solidaire, s’il y a lieu.
427
Art. 85.
Le trésorier sera tenu de présenter son compte annuel au bureau des marguilliers dans la séance du premier dimanche du mois de mars. Le compte, avec les pièces justificatives, leur sera communiqué sur le récépissé de l’un d’eux. Ils feront au conseil, dans la séance du premier dimanche du mois d’avril[33], le rapport du compte. Il sera examiné, clos et arrêté dans cette séance, qui sera, pour cet effet, prorogée au dimanche suivant, si besoin est.
Art. 86.
S’il arrive quelques débats sur un ou plusieurs articles du compte, le compte n’en sera pas moins clos, sous la réserve des articles contestés.
Art. 87.
L’évêque pourra nommer un commissaire pour assister, en son nom, au compte annuel; mais si ce commissaire est un autre qu’un grand vicaire, il ne pourra rien ordonner sur le compte, mais seulement dresser procès-verbal sur l’état de la fabrique et sur les fournitures et réparations à faire à l’église. Dans tous les cas, les archevêques et évêques en cours de visite, ou leurs vicaires généraux, pourront se faire représenter tous comptes, registres et inventaires, et vérifier l’état de la caisse.
Art. 88.
Lorsque le compte sera arrêté, le reliquat sera remis au trésorier en exercice, qui sera tenu de s’en charger en recette. Il lui sera en même temps remis un état de ce que la fabrique a à recevoir par baux à ferme, une copie du tarif des droits casuels, un tableau par approximation des dépenses, celui des reprises à faire, celui des charges et fournitures non acquittées. Il sera, dans la même séance, dressé, sur le registre des délibérations, acte de ces remises, et copie en sera délivrée en bonne forme au trésorier sortant, pour lui servir de décharge.
Art. 89.
Le compte annuel sera en double copie, dont l’une sera déposée dans la caisse ou armoire à trois clefs, l’autre à la mairie.
Art. 90.
Faute par le trésorier de présenter son compte à l’époque fixée et d’en payer le reliquat, celui qui lui succédera sera tenu de faire, dans le mois au plus tard, les diligences nécessaires pour l’y contraindre; et, à son défaut, le procureur impérial, soit d’office, soit sur l’avis qui lui en sera donné par l’un des membres du bureau ou du conseil, soit sur l’ordonnance rendue par l’évêque en cours de visite, sera tenu de poursuivre le comptable devant le tribunal de première instance, et le fera condamner à payer 428 le reliquat, à faire régler les articles débattus, ou à rendre son compte, s’il ne l’a été; le tout dans un délai qui sera fixé; sinon, et ledit temps passé, à payer provisoirement, au profit de la fabrique la somme égale à la moitié de la recette ordinaire de l’année précédente, sauf les poursuites ultérieures.
Art. 91.
Il sera pourvu, dans chaque paroisse, à ce que les comptes qui n’ont pas été rendus le soient dans la forme prescrite par le présent règlement, et six mois au plus tard après la publication.
CHAPITRE IV
Des charges des communes relativement au culte.
Art. 92.[34]
Les charges des communes, relativement au culte, sont:
1o De suppléer à l’insuffisance des revenus de la fabrique, pour les charges portées en l’article 37;
2o De fournir au curé ou desservant un presbytère, ou, à défaut de presbytère, un logement, ou, à défaut de presbytère ou de logement, une indemnité pécuniaire;
3o De fournir aux grosses réparations des édifices consacrés au culte.
Art. 93.
Dans le cas où les communes sont obligées de suppléer à l’insuffisance des revenus des fabriques pour ces deux premiers chefs, le budget de la fabrique sera porté au conseil municipal, dûment convoqué à cet effet, pour y être délibéré ce qu’il appartiendra. La délibération du conseil municipal devra être adressée au préfet, qui la communiquera à l’évêque diocésain, pour avoir son avis. Dans le cas où l’évêque et le préfet seraient d’avis différents, il pourra en être référé, soit par l’un, soit par l’autre, à notre Ministre des cultes.
Art. 94.
S’il s’agit de réparations des bâtiments, de quelque nature qu’elles soient, et que la dépense ordinaire arrêtée par le budget ne laisse pas de fonds disponibles, ou n’en laisse pas de suffisants pour ces réparations, le bureau en fera son rapport au conseil, et celui-ci prendra une délibération tendant à ce qu’il soit pourvu par la commune. Cette délibération sera envoyée par le trésorier au préfet.
Art. 95.
Le préfet nommera les gens de l’art par lesquels, en présence de l’un des membres du conseil municipal et de l’un des marguilliers, il sera dressé, le plus promptement qu’il sera possible, un 429 devis estimatif des réparations. Le préfet soumettra ce devis au conseil municipal, et, sur son avis, ordonnera, s’il y a lieu, que ces réparations soient faites aux frais de la commune, et en conséquence qu’il soit procédé par le conseil municipal, en la forme accoutumée, à l’adjudication au rabais.
Art. 96.
Si le conseil municipal est d’avis de demander une réduction sur quelques articles de dépense de la célébration du culte, et dans le cas où il ne reconnaîtrait pas la nécessité de l’établissement d’un vicaire, sa délibération en portera les motifs. Toutes les pièces seront adressées à l’évêque, qui prononcera.
Art. 97.
Dans le cas où l’évêque prononcerait contre l’avis du conseil municipal, ce conseil pourra s’adresser au préfet, et celui-ci enverra, s’il y a lieu, toutes les pièces, au Ministre des cultes, pour être par nous, sur son rapport, statué en notre Conseil d’Etat ce qu’il appartiendra.
Art. 98.
S’il s’agit de dépenses pour réparations ou reconstructions qui auront été constatées conformément à l’article 95, le préfet ordonnera que ces réparations soient payées sur les revenus communaux, et, en conséquence, qu’il soit procédé par le conseil municipal, en la forme accoutumée, à l’adjudication au rabais.
Art. 99.
Si les revenus communaux sont insuffisants, le conseil délibérera sur les moyens de subvenir à cette dépense, selon les règles prescrites par la loi.
Art. 100.
Néanmoins, dans le cas où il serait reconnu que les habitants d’une paroisse sont dans l’impuissance de fournir aux réparations, même par levée extraordinaire, on se pourvoira devant nos Ministres de l’Intérieur et des Cultes, sur le rapport desquels il sera fourni à cette paroisse tel secours qui sera par eux déterminé, et qui sera pris sur le fonds commun établi par la loi du 15 septembre 1807, relative au budget de l’Etat.
Art. 101.
Dans tous les cas où il y aura lieu au recours d’une fabrique sur une commune, le préfet fera un nouvel examen du budget de la commune, et décidera si la dépense demandée pour le culte peut être prise sur les revenus de la commune, ou jusqu’à concurrence de quelle somme, sauf notre approbation pour les communes dont les revenus excèdent vingt mille francs.
Art. 102.
Dans le cas où il y a lieu à la convocation du conseil municipal, 430 si le territoire de la paroisse comprend plusieurs communes, le conseil de chaque commune sera convoqué et délibérera séparément.
Art. 103.
Aucune imposition extraordinaire sur les communes ne pourra être levée pour les frais du culte qu’après l’accomplissement préalable des formalités prescrites par la loi.
CHAPITRE V
Des églises cathédrales, des maisons épiscopales et des séminaires.
Art. 104.
Les fabriques des églises métropolitaines et cathédrales continueront d’être composées et administrées conformément aux règlements épiscopaux qui ont été réglés par nous.
Art. 105.
Toutes les dispositions concernant les fabriques paroissiales sont applicables, en tant qu’elles concernent leur administration intérieure, aux fabriques des cathédrales.
Art. 106.
Les départements compris dans un diocèse sont tenus envers la fabrique de la cathédrale aux mêmes obligations que les communes envers leurs fabriques paroissiales.
Art. 107.
Lorsqu’il surviendra de grosses réparations ou des reconstructions à faire aux églises cathédrales, aux palais épiscopaux et aux séminaires diocésains, l’évêque en donnera l’avis officiel au préfet du département dans lequel est le chef-lieu de l’évêché. Il donnera en même temps un état sommaire des revenus et des dépenses de sa fabrique, en faisant sa déclaration des revenus qui restent libres après les dépenses ordinaires de la célébration du culte.
Art. 108.
Le préfet ordonnera que, suivant les formes établies pour les travaux publics, en présence d’une personne à ce commise par l’évêque, il soit dressé un devis estimatif des ouvrages à faire.
Art. 109.
Ce rapport sera communiqué à l’évêque, qui l’enverra au préfet avec ses observations. Ces pièces seront ensuite transmises par le préfet, avec son avis, à notre Ministre de l’Intérieur; il en donnera connaissance à notre Ministre des Cultes.
Art. 110.
Si les réparations sont à la fois nécessaires et urgentes, notre Ministre de l’Intérieur ordonnera qu’elles soient provisoirement faites sur les premiers deniers dont les préfets pourront disposer, sauf le remboursement avec les fonds qui seront faits pour cet 431 objet par le Conseil général du département, auquel il sera donné communication du budget de la fabrique de la cathédrale, et qui pourra user de la faculté accordée aux Conseils municipaux par l’article 96.
Art. 111.
S’il y a dans le même évêché plusieurs départements, la répartition entre eux se fera dans les proportions ordinaires, si ce n’est que le département où sera le chef-lieu du diocèse payera un dixième de plus.
Art. 112.
Dans les départements où les cathédrales ont des fabriques ayant des revenus dont une partie est assignée à les réparer, cette assignation continuera d’avoir lieu, et seront, au surplus, les réparations faites conformément à ce qui est prescrit ci-dessus.
Art. 113.
Les fondations, donations ou legs faits aux églises cathédrales, seront acceptés, ainsi que ceux faits aux séminaires, par l’évêque diocésain, sauf notre autorisation, donnée en Conseil d’Etat, sur le rapport de notre Ministre des Cultes.
Art. 78.
A partir du 1er janvier 1893, les comptes et budgets des fabriques et consistoires seront soumis à toutes les règles de la comptabilité des autres établissements publics.
Un règlement d’administration publique déterminera les conditions d’application de cette mesure.
L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité ecclésiastique, a décrété et décrète ce qui suit, comme articles constitutionnels:
TITRE PREMIER
Des offices ecclésiastiques.
Article Premier.
Chaque département formera un seul diocèse, et chaque diocèse 432 aura la même étendue et les mêmes limites que le département.
Art. 2.
Les sièges des évêchés des 83 départements du royaume seront fixés, savoir:
Celui du département de la Seine-Inférieure, à Rouen; du Calvados, à Bayeux; de la Manche, à Coutances; de l’Orne, à Séez; de l’Eure, à Evreux; de l’Oise, à Beauvais; de la Somme, à Amiens; du Pas-de-Calais, à Saint-Omer; de la Marne, à Reims; de la Meuse, à Verdun; de la Meurthe, à Nancy; de la Moselle, à Metz; des Ardennes, à Sedan; de l’Aisne, à Soissons; du Nord, à Cambrai; du Doubs, à Besançon; du Haut-Rhin, à Colmar; du Bas-Rhin, à Strasbourg; des Vosges, à Saint-Dié; de la Haute-Saône, à Vesoul; de la Haute-Marne, à Langres; de la Côte-d’Or, à Dijon; du Jura, à Saint-Claude; d’Ille-et-Vilaine, à Rennes; des Côtes-du-Nord, à Saint-Brieuc; du Finistère, à Quimper; du Morbihan, à Vannes; de la Loire-Inférieure, à Nantes; de Maine-et-Loire, à Angers; de la Sarthe, au Mans; de la Mayenne, à Laval; de Paris, à Paris; de Seine-et-Oise, à Versailles; d’Eure-et-Loir, à Chartres; du Loiret, à Orléans; de l’Yonne, à Sens; de l’Aube, à Troyes; de Seine-et-Marne, à Meaux; du Cher, à Bourges; de Loir-et-Cher, à Blois; d’Indre-et-Loire, à Tours; de la Vienne, à Poitiers; de l’Indre, à Châteauroux; de la Creuse, à Guéret; de l’Allier, à Moulins; de la Nièvre, à Nevers; de la Gironde, à Bordeaux; de la Vendée, à Luçon; de la Charente-Inférieure, à Saintes; des Landes, à Dax; de Lot-et-Garonne, à Agen; de la Dordogne, à Périgueux; de la Corrèze, à Tulle; de la Haute-Vienne, à Limoges; de la Charente, à Angoulême; des Deux-Sèvres, à Saint-Maixent; de la Haute-Garonne, à Toulouse; du Gers, à Auch; des Basses-Pyrénées, à Oloron; des Hautes-Pyrénées, à Tarbes; de l’Ariège, à Pamiers; des Pyrénées-Orientales, à Perpignan; de l’Aude, à Narbonne; de l’Aveyron, à Rodez; du Lot, à Cahors; du Tarn, à Albi; des Bouches-du-Rhône, à Aix; de Corse, à Bastia; du Var, à Fréjus; des Basses-Alpes, à Digne; des Hautes-Alpes, à Embrun; de la Drôme, à Valence; de la Lozère, à Mende; du Gard, à Nîmes; de l’Hérault, à Béziers; de Rhône-et-Loire, à Lyon; du Puy-de-Dôme, à Clermont; du Cantal, à Saint-Flour; de la Haute-Loire, au Puy; de l’Ardèche, à Viviers; de l’Isère, à Grenoble; de l’Ain, à Belley; de Saône-et-Loire, à Autun.
Tous les autres évêchés existant dans les quatre-vingt-trois départements du royaume, et qui ne sont pas nommément compris dans le présent article, sont et demeurent supprimés.
Le royaume sera divisé en dix arrondissements métropolitains, dont les sièges seront Rouen, Reims, Besançon, Rennes, Paris, 433 Bourges, Bordeaux, Toulouse, Aix et Lyon. Les métropoles auront la dénomination suivante:
Celle de Rouen sera appelée métropole des côtes de la Manche; celle de Reims, métropole du Nord-Est; celle de Besançon, métropole de l’Est; celle de Rennes, métropole du Nord-Ouest; celle de Paris, métropole de Paris; celle de Bourges, métropole du Centre; celle de Bordeaux, métropole du Sud-Ouest; celle de Toulouse, métropole du Sud; celle d’Aix, métropole des côtes de la Méditerranée; celle de Lyon, métropole du Sud-Est.
Art. 3.
L’arrondissement de la métropole de la Manche, comprendra les évêchés des départements de la Seine-Inférieure, du Calvados, de la Manche, de l’Orne, de l’Eure, de l’Oise, de la Somme, du Pas-de-Calais.
L’arrondissement de la métropole du Nord-Est comprendra les évêchés des départements de la Marne, de la Meuse, de la Meurthe, de la Moselle, des Ardennes, de l’Aisne, du Nord.
L’arrondissement de la métropole de l’Est comprendra les évêchés des départements du Doubs, du Haut-Rhin, du Bas-Rhin, des Vosges, de la Haute-Saône, de la Haute-Marne, de la Côte-d’Or, du Jura.
L’arrondissement de la métropole du Nord-Ouest comprendra les évêchés des départements d’Ille-et-Vilaine, des Côtes-du-Nord, du Finistère, du Morbihan, de la Loire-Inférieure, de Maine-et-Loire, de la Sarthe, de la Mayenne.
L’arrondissement de la métropole de Paris comprendra les évêchés des départements de Paris, de Seine-et-Oise, d’Eure-et-Loir, du Loiret, de l’Yonne, de l’Aube, de Seine-et-Marne.
L’arrondissement de la métropole du Centre comprendra les évêchés des départements du Cher, de Loir-et-Cher, d’Indre-et-Loire, de la Vienne, de l’Indre, de la Creuse, de l’Allier, de la Nièvre.
L’arrondissement de la métropole du Sud-Ouest comprendra les évêchés des départements de la Gironde, de la Vendée, de la Charente-Inférieure, des Landes, de Lot-et-Garonne, de la Dordogne, de la Corrèze, de la Haute-Vienne, de la Charente, des Deux-Sèvres.
L’arrondissement de la métropole du Sud comprendra les évêchés des départements de la Haute-Garonne, du Gers, des Basses-Pyrénées, des Hautes-Pyrénées, de l’Ariège, des Pyrénées-Orientales, de l’Aude, de l’Aveyron, du Lot, du Tarn.
L’arrondissement de la métropole des côtes de la Méditerranée comprendra les évêchés des départements des Bouches-du-Rhône, de la Corse, du Var, des Basses-Alpes, des Hautes-Alpes, de la Drôme, de la Lozère, du Gard, de l’Hérault.
434
L’arrondissement de la métropole Sud-Est comprendra les évêchés des départements de Rhône-et-Loire, du Puy-de-Dôme, du Cantal, de la Haute-Loire, de l’Ardèche, de l’Isère, de l’Ain, de Saône-et-Loire.
Art. 4.
Il est défendu à toute église ou paroisse de France, et à tout citoyen français, de reconnaître en aucun cas et sous quelque prétexte que ce soit l’autorité d’un évêque ordinaire ou métropolitain dont le siège serait établi sous la domination d’une puissance étrangère, ni celle de ses délégués, résidant en France ou ailleurs; le tout sans préjudice de l’unité de foi et de la communion qui sera entretenue avec le chef visible de l’Eglise universelle, ainsi qu’il sera dit ci-après.
Art. 5.
Lorsque l’évêque diocésain aura prononcé dans son synode sur des matières de sa compétence, il y aura lieu au recours au métropolitain, lequel prononcera dans le synode métropolitain.
Art. 6.
Il sera procédé incessamment, et sur l’avis de l’évêque diocésain et de l’administration des districts, à une nouvelle formation et circonscription de toutes les paroisses du royaume; le nombre et l’étendue en seront déterminés d’après les règles qui vont être établies.
Art. 7.
L’église cathédrale de chaque diocèse sera ramenée à son état primitif, d’être en même temps église paroissiale et église épiscopale par la suppression des paroisses et par le dénombrement des habitants qu’il sera jugé convenable d’y réunir.
Art. 8.
La paroisse épiscopale n’aura pas d’autre pasteur immédiat que l’évêque. Tous les prêtres qui y seront établis seront ses vicaires et en feront les fonctions.
Art. 9.
Il y aura seize vicaires de l’église cathédrale dans les villes qui comprendront plus de dix mille âmes et douze seulement où la population sera de dix mille âmes.
Art. 10.
Il sera conservé ou établi dans chaque diocèse un seul séminaire, pour la préparation aux ordres, sans entendre rien préjuger, quant à présent, sur les autres maisons d’instruction et d’éducation.
Art. 11.
Le séminaire sera établi, autant que faire se pourra, près de l’église cathédrale, et même dans l’enceinte des bâtiments destinés à l’habitation de l’évêque.
435
Art. 12.
Pour la conduite et l’instruction des jeunes élèves reçus dans le séminaire, il y aura un vicaire supérieur et trois vicaires directeurs subordonnés à l’évêque.
Art. 13.
Les vicaires supérieurs ou vicaires directeurs sont tenus d’assister, avec les jeunes ecclésiastiques du séminaire, à tous les offices de la paroisse cathédrale, et d’y faire toutes les fonctions dont l’évêque ou son premier vicaire jugera à propos de les charger.
Art. 14.
Les vicaires des églises cathédrales, les vicaires supérieurs et vicaires directeurs du séminaire, formeront ensemble le conseil habituel et permanent de l’évêque, qui ne pourra faire aucun acte de juridiction, en ce qui concerne le gouvernement du diocèse et du séminaire, qu’après en avoir délibéré avec eux; pourra néanmoins l’évêque, dans le cours de ses visites, rendre seul telles ordonnances provisoires qu’il appartiendra.
Art. 15.
Dans toutes les villes et bourgs qui ne comprendront pas plus de six mille âmes, il n’y aura qu’une seule paroisse; les autres paroisses seront supprimées et réunies à l’église principale.
Art. 16.
Dans les villes où il y aura plus de six mille âmes, chaque paroisse pourra comprendre un plus grand nombre de paroissiens, et il en sera conservé ou établi autant que les besoins des peuples et les localités le demanderont.
Art. 17.
Les assemblées administratives, de concert avec l’évêque diocésain, désigneront à la prochaine législature les paroisses, annexes ou succursales des villes ou de la campagne qu’il conviendra de réserver ou d’étendre, d’établir ou de supprimer; et ils en indiqueront les arrondissements d’après ce que demanderont les besoins des peuples, la dignité du culte et les différentes localités.
Art. 18.
Les assemblées administratives et l’évêque diocésain pourront même, après avoir arrêté entre eux la suppression et réunion d’une paroisse, convenir que, dans les lieux écartés ou qui, pendant une partie de l’année, ne communiqueraient que difficilement avec l’église paroissiale, il sera conservé ou établi une chapelle où le curé enverra les jours de fêtes ou de dimanches, un vicaire pour y dire la messe et faire au peuple les instructions nécessaires.
Art. 19.
La réunion qui pourra se faire d’une paroisse à une autre, emportera toujours la réunion des biens de la fabrique supprimée à la fabrique de l’église où se fera la réunion.
436
Art. 20.
Tous titres et offices autres que ceux mentionnés dans la présente constitution, les dignités, canonicats, prébendes, demi-prébendes, chapelles, chapellenies, tant des églises cathédrales que des églises collégiales, et tous chapitres réguliers et séculiers de l’un et de l’autre sexe, les abbayes et prieurés en règle ou en commende aussi de l’un ou l’autre sexe, et tous autres bénéfices et prestimonies généralement quelconques, de quelque nature et sous quelque dénomination que ce soit, sont à compter du jour de la publication du présent décret, éteints ou supprimés, sans qu’il puisse jamais en être établi de semblables.
Art. 21.
Tous bénéfices en patronage laïque sont soumis à toutes les dispositions des décrets concernant les bénéfices de pleine collation ou de patronage ecclésiastique.
Art. 22.
Sont pareillement compris auxdites dispositions tous titres et fondations de pleine collation laïcale, excepté les chapelles actuellement desservies dans l’enceinte des maisons particulières, par un chapelain ou desservant à la seule disposition du propriétaire.
Art. 23.
Le contenu dans les articles précédents aura lieu, nonobstant toutes clauses, même de réversion, apposées dans les actes de fondation.
Art. 24.
Les fondations de messes et autres services, acquittées présentement dans les églises paroissiales par les curés et par les prêtres qui y sont attachés sans être pourvus de leur place en titre perpétuel de bénéfice, continueront provisoirement à être acquittées et payées comme par le passé; sans néanmoins que, dans les églises où il est établi des sociétés de prêtres non pourvus en titre perpétuel de bénéfices, et connus sous les divers noms de filleuls agrégés, familiers, communalistes, mépartistes, chapelains ou autres, ceux d’entre eux qui viendront à mourir ou à se retirer puissent être remplacés.
Art. 25.
Les fondations faites pour subvenir à l’éducation des parents des fondateurs continueront d’être exécutées conformément aux dispositions écrites dans les titres de fondation; et à l’égard de toutes autres fondations pieuses, les parties intéressées présenteront leurs mémoires aux assemblées de département, pour, sur leur avis et celui de l’évêque diocésain, être statué par le Corps législatif sur leur conservation ou leur remplacement.
437
TITRE II
Nomination aux bénéfices.
Article premier.
A compter du jour de la publication du présent décret, on ne connaîtra qu’une seule manière de pourvoir aux évêchés et aux cures, c’est à savoir la forme des élections.
Art. 2.
Toutes les élections se feront par la voie du scrutin et à la pluralité absolue des suffrages.
Art. 3.
L’élection des évêques se fera dans la forme prescrite et par le corps électoral indiqué dans le décret du 22 décembre 1789, pour la nomination des membres de l’assemblée du département.
Art. 4.
Sur la première nouvelle que le procureur général syndic du département recevra de la vacance du siège épiscopal, par mort, démission ou autrement, il en donnera avis aux procureurs-syndics des districts, à l’effet par eux de convoquer les électeurs qui auront procédé à la dernière nomination des membres de l’assemblée administrative; et en même temps, il indiquera le jour où devra se faire l’élection de l’évêque, lequel sera au plus tard le troisième dimanche après la lettre d’avis qu’il écrira.
Art. 5.
Si la vacance du siège épiscopal arrivait dans les quatre derniers mois de l’année où doit se faire l’élection des membres de l’administration du département, l’élection de l’évêque serait différée et renvoyée à la prochaine assemblée des électeurs.
Art. 6.
L’élection de l’évêque ne pourra se faire ou être commencée qu’un jour de dimanche, dans l’église principale du chef-lieu du département, à l’issue de la messe paroissiale, à laquelle seront tenus d’assister tous les électeurs.
Art. 7.
Pour être éligible à un évêché, il sera nécessaire d’avoir rempli, au moins pendant quinze ans, les fonctions du ministère ecclésiastique dans le diocèse, en qualité de curé, de desservant ou de vicaire, ou comme vicaire supérieur, ou comme vicaire directeur du séminaire.
Art. 8.
Les évêques dont les sièges sont supprimés par le présent décret pourront être élus aux évêchés actuellement vacants, ainsi qu’à ceux qui vaqueront par la suite, ou qui seront érigés en quelques départements, encore qu’ils n’eussent pas quinze années d’exercice.
438
Art. 9.
Les curés et autres ecclésiastiques qui, par l’effet de la nouvelle circonscription des diocèses, se trouveront dans un diocèse différent de celui où ils exerçaient leurs fonctions, seront réputés les avoir exercées dans le nouveau diocèse, et ils y seront, en conséquence, éligibles, pourvu qu’ils aient d’ailleurs le temps d’exercice ci-devant exigé.
Art. 10.
Pourront aussi être élus les curés actuels qui auront dix années d’exercice dans une cure du diocèse, encore qu’ils n’eussent pas auparavant rempli les fonctions de vicaire.
Art. 11.
Il en sera de même des curés dont les paroisses auraient été supprimées en vertu du présent décret et il leur sera compté comme temps d’exercice celui qui se sera écoulé depuis la suppression de leur cure.
Art. 12.
Les missionnaires, les vicaires généraux des évêques, les ecclésiastiques desservant les hôpitaux, ou chargés de l’éducation publique, seront pareillement éligibles, lorsqu’ils auront rempli leurs fonctions pendant quinze ans, à compter de leur promotion sacerdotale.
Art. 13.
Seront pareillement éligibles tous dignitaires, chanoines, ou en général tous bénéficiers et titulaires qui étaient tenus à résidence, ou exerçaient des fonctions ecclésiastiques, et dont les bénéfices, titres, offices ou emplois se trouvent supprimés par le présent décret lorsqu’ils auront quinze années d’exercice, comptées comme il est dit des cures dans l’article précédent.
Art. 14.
La proclamation de l’élu se fera par le président de l’assemblée électorale, dans l’église où l’élection aura été faite, en présence du peuple et du clergé, et avant de commencer la messe solennelle qui sera célébrée à cet effet.
Art. 15.
Le procès-verbal de l’élection et de la proclamation sera envoyé au Roi par le président de l’assemblée des électeurs pour donner à Sa Majesté connaissance du choix qui aura été fait.
Art. 16.
Au plus tard dans le mois qui suivra son élection, celui qui aura été élu à un évêché se présentera en personne à son évêque métropolitain, et, s’il est élu pour le siège de la métropole, au plus ancien évêque de l’arrondissement, avec le procès-verbal d’élection et de proclamation, et il le suppliera de lui accorder la confirmation canonique.
439
Art. 17.
Le métropolitain ou l’ancien évêque aura la faculté d’examiner l’élu, en présence de son conseil, sur sa doctrine et ses mœurs; s’il le juge capable, il lui donnera l’institution canonique; s’il croit devoir la lui refuser, les causes du refus seront données par écrit, signées du métropolitain et de son conseil, sauf aux parties intéressées à se pourvoir par voie d’appel comme d’abus, ainsi qu’il sera dit ci-après.
Art. 18.
L’évêque à qui la confirmation sera demandée ne pourra exiger de l’élu d’autre serment, sinon qu’il fait profession de la religion catholique, apostolique et romaine.
Art. 19.
Le nouvel évêque ne pourra s’adresser au pape pour en obtenir aucune confirmation; mais il lui écrira comme au chef visible de l’église universelle, en témoignage de l’unité de foi et de la communion qu’il doit entretenir avec lui.
Art. 20.
La consécration de l’évêque ne pourra se faire que dans son église cathédrale par son métropolitain, ou, à son défaut, par le plus ancien évêque de l’arrondissement de la métropole, assisté des évêques des deux diocèses les plus voisins, un jour de dimanche, pendant la messe paroissiale, en présence du peuple et du clergé.
Art. 21.
Avant que la cérémonie de la consécration commence, l’élu prêtera, en présence des officiers municipaux, du peuple et du clergé, le serment solennel de veiller avec soin sur les fidèles du diocèse qui lui est confié, d’être fidèle à la nation, à la loi et au Roi, et de maintenir de tout son pouvoir la constitution décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par le Roi.
Art. 22.
L’évêque aura la liberté de choisir les vicaires de son église cathédrale dans tout le clergé de son diocèse, à la charge par lui de ne pouvoir nommer que des prêtres qui auront exercé des fonctions ecclésiastiques au moins pendant dix ans. Il ne pourra les destituer que de l’avis de son conseil, et par une délibération qui y aura été prise à la pluralité des voix, et en connaissance de cause.
Art. 23.
Les curés actuellement établis en aucunes églises cathédrales, ainsi que ceux des paroisses qui seront supprimées pour être réunies à l’église cathédrale et en former le territoire, seront de plein droit, s’ils le demandent, les premiers vicaires de l’évêque, chacun suivant l’ordre de leur ancienneté dans les fonctions pastorales.
440
Art. 24.
Les vicaires supérieurs et vicaires directeurs du séminaire seront nommés par l’évêque et son conseil et ne pourront être destitués que de la même manière que les vicaires de l’église cathédrale.
Art. 25.
L’élection des curés se fera dans la forme prescrite, et par les électeurs indiqués par le décret du 22 décembre 1789, pour la nomination des membres de l’assemblée administrative du district.
Art. 26.
L’assemblée des électeurs, pour la nomination aux cures, se formera tous les ans à l’époque de la formation des assemblées du district, quand même il n’y aurait qu’une seule cure vacante dans le district; à l’effet de quoi, les municipalités seront tenues de donner avis au procureur-syndic du district de toutes les vacances de cures, qui arriveront dans leur arrondissement par mort, démission ou autrement.
Art. 27.
En convoquant l’assemblée des électeurs, le procureur-syndic enverra à chaque municipalité la liste de toutes les cures auxquelles il faudra nommer.
Art. 28.
L’élection des curés se fera par scrutin séparé pour chaque cure vacante.
Art. 29.
Chaque électeur, avant de mettre son nom dans le vase du scrutin, fera serment de ne nommer que celui qu’il aura choisi en son âme et conscience, comme le plus digne, sans y avoir été déterminé par dons, promesses, sollicitations ou menaces. Ce serment sera prêté pour l’élection des évêques comme pour celle des curés.
Art. 30.
L’élection des curés ne pourra se faire ou être commencée qu’un jour de dimanche dans la principale église du chef-lieu de district, à l’issue de la messe paroissiale, à laquelle tous les électeurs seront tenus d’assister.
Art. 31.
La proclamation des élus sera faite par le président du corps électoral dans l’église principale, avant la messe solennelle qui sera célébrée à cet effet, en présence du peuple et du clergé.
Art. 32.
Pour être éligible à une cure, il sera nécessaire d’avoir rempli les fonctions de vicaire dans une paroisse ou dans un hôpital et autre maison de charité du diocèse, au moins pendant l’espace de cinq ans.
441
Art. 33.
Les curés dont les paroisses ont été supprimées en exécution du présent décret pourront être élus, encore qu’ils n’eussent pas cinq années d’exercice dans le diocèse.
Art. 34.
Seront pareillement éligibles aux cures tous ceux qui ont été ci-dessus déclarés éligibles aux évêchés, pourvu qu’ils aient aussi cinq années d’exercice.
Art. 35.
Celui qui aura été proclamé élu à une cure se présentera en personne à l’évêque, avec le procès-verbal de son élection et proclamation, à l’effet d’obtenir de lui l’institution canonique.
Art. 36.
L’évêque aura la faculté d’examiner l’élu, en présence de son conseil, sur sa doctrine et ses mœurs; s’il le juge capable, il lui donnera l’institution canonique; s’il croit devoir la lui refuser, les causes du refus seront données par écrit, signées de l’évêque et de son conseil, sauf aux parties le recours à la puissance civile, ainsi qu’il sera dit ci-après.
Art. 37.
En examinant l’élu qui lui demandera l’institution canonique, l’évêque ne pourra exiger de lui d’autre serment, sinon qu’il fait profession de la religion catholique, apostolique et romaine.
Art. 38.
Les curés élus et institués prêteront le même serment que les évêques dans leur église, un jour de dimanche avant la messe paroissiale, en présence des officiers municipaux du lieu, du peuple et du clergé. Jusque-là, ils ne pourront faire aucune fonction curiale.
Art. 39.
Il y aura, tant dans l’église cathédrale que dans chaque église paroissiale, un registre particulier sur lequel le secrétaire-greffier de la municipalité du lieu écrira, sans frais, le procès-verbal de la prestation de serment de l’évêque ou du curé, et il n’y aura pas d’autre acte de prise de possession que ce procès-verbal.
Art. 40.
Les évêchés ou les cures seront réputés vacants jusqu’à ce que les élus aient prêté le serment ci-dessus mentionné.
Art. 41.
Pendant la vacance du siège épiscopal, le premier, et à son défaut, le second vicaire de l’église cathédrale remplacera l’évêque, tant pour ses fonctions curiales que pour les actes de juridiction qui n’exigent pas le caractère épiscopal; mais, en tout, il sera tenu de se conduire par les avis du conseil.
442
Art. 42.
Pendant la vacance d’une cure, l’administration de la paroisse sera confiée au premier vicaire, sauf à y établir un vicaire de plus si la municipalité le requiert; et, dans le cas où il n’y aurait pas de vicaire dans la paroisse, il y sera établi un desservant par l’évêque.
Art. 43.
Chaque curé aura le droit de choisir ses vicaires, mais il ne pourra fixer son choix que sur des prêtres ordonnés ou admis dans le diocèse de l’évêque.
Art. 44.
Aucun curé ne pourra révoquer ses vicaires que, pour des causes légitimes, jugées telles par l’évêque et son conseil.
TITRE III
Du traitement des ministres de la religion.
Article premier.
Les ministres de la religion exerçant les premières et les plus importantes fonctions de la société, et obligés de résider continuellement dans le lieu du service auquel la confiance du peuple les a appelés, seront défrayés par la nation.
Art. 2.
Il sera fourni à chaque évêque, à chaque curé et aux desservants des annexes et succursales un logement convenable, à la charge par eux d’y faire toutes les réparations locatives, sans entendre rien innover, quant à présent, à l’égard des paroisses où le logement des curés est fourni en argent, et sauf aux départements à prendre connaissance des demandes qui seront formées par les paroisses et par les curés; il leur sera, en outre, assigné à tous les traitement qui va être réglé.
Art. 3.
Le traitement des évêques sera, savoir: pour l’évêque de Paris, de 50.000 livres; pour les évêques des villes dont la population est de 50.000 âmes et au-dessus, de 20.000 livres; pour les autres évêques, de 12.000 livres.
Art. 4.
Le traitement des vicaires des églises cathédrales sera, savoir: à Paris, pour le premier vicaire, de 6.000 livres; pour le second, de 4.000 livres; pour tous les autres vicaires, de 3.000 livres.
Dans les villes dont la population est de 50.000 âmes et au-dessus: pour le premier vicaire, de 4.000 livres; pour le second, de 3.000 livres; pour tous les autres, de 2.400 livres.
Dans les villes dont la population est de moins de 50.000 âmes: pour le premier vicaire, de 3.000 livres; pour le second, de 2.400 livres; pour tous les autres, de 2.000 livres.
443
Art. 5.
Le traitement des curés sera, savoir: à Paris, de 6.000 livres.
Dans les villes dont la population est de 50.000 âmes et au-dessus, de 4.000 livres.
Dans celles dont la population est de moins de 50.000 âmes et de plus de 10.000 âmes, de 3.000 livres.
Dans les villes et bourgs dont la population est au-dessous de 10.000 âmes et au-dessus de 3.000 âmes, de 2.400 livres.
Dans toutes les autres villes et bourgs et dans les villages, lorsque la paroisse offrira une population de 3.000 âmes et au-dessous, jusqu’à 2.500, de 2.000 livres; lorsqu’elle en offrira une de 2.500 âmes, jusqu’à 2.000, de 1.800 livres; lorsqu’elle en offrira une de moins de 2.000 et de plus de 1.000, de 1.500 livres, et lorsqu’elle en offrira une de 1.000 âmes et au-dessous, de 1.200 livres.
Art. 6.
Le traitement des vicaires sera, savoir: à Paris, pour le premier vicaire, de 2.400 livres; pour le second, de 1.500 livres; pour tous les autres, de 1.000 livres.
Dans les villes dont la population est de 50.000 âmes et au-dessus: pour le premier vicaire, de 1.200 livres; pour le second, de 1.000 livres, et pour tous les autres, de 800 livres.
Dans toutes les autres villes et bourg où la population sera de plus de 3.000 âmes, de 800 livres pour les deux premiers vicaires, et de 700 livres pour tous les autres.
Dans toutes les autres villes et bourgs où la population sera de livres pour chaque vicaire.
Art. 7.
Le traitement en argent des ministres de la religion leur sera payé d’avance, de trois mois en trois mois par le trésorier du district, à peine par lui d’y être contraint par corps sur une simple sommation; et dans le cas où l’évêque, curé ou vicaire viendrait à mourir ou à donner sa démission avant la fin du dernier quartier, il ne pourra être exercé contre lui, ni contre ses héritiers, aucune répétition.
Art. 8.
Pendant la vacance des évêchés, des cures et de tous offices ecclésiastiques payés par la nation, les fruits du traitement qui y est attaché seront versés dans la caisse du district, pour subvenir aux dépenses dont il va être parlé.
Art. 9.
Les curés qui, à cause de leur grand âge ou de leurs infirmités, ne pourraient plus vaquer à leurs fonctions, en donneront avis au directoire du département, qui, sur les instructions de la municipalité ou de l’administration du district laissera à leur choix, s’il y a lieu, ou de prendre un vicaire de plus, lequel sera payé par 444 la nation sur le même pied que les autres vicaires, ou de se retirer avec une pension égale au traitement qui aurait été fourni au vicaire.
Art. 10.
Pourront aussi les vicaires, aumôniers des hôpitaux, supérieurs des séminaires et autres exerçant des fonctions publiques, en faisant constater leur état de la manière qui vient d’être prescrite, se retirer avec une pension de la valeur du traitement dont ils jouissent pourvu qu’il n’excède pas la somme de 800 livres.
Art. 11.
La fixation qui vient d’être faite du traitement des ministres de la religion aura lieu à compter du jour de la publication du présent décret, mais seulement pour ceux qui seront pourvus, par la suite, d’offices ecclésiastiques. A l’égard des titulaires actuels, soit ceux dont les offices ou emplois sont supprimés, soit ceux dont les titres sont conservés, leur traitement sera fixé par un décret particulier.
Art. 12.
Au moyen du traitement qui leur est assuré par la présente constitution, les évêques, les curés et leurs vicaires exerceront gratuitement les fonctions épiscopales et curiales.
TITRE IV
De la loi de la résidence.
Article premier.
La loi de la résidence sera religieusement observée, et tous ceux qui seront revêtus d’un office ou emploi ecclésiastique y seront soumis sans aucune exception ni distinction.
Art. 2.
Aucun évêque ne pourra s’absenter chaque année pendant plus de quinze jours consécutifs hors de son diocèse, que dans le cas d’une véritable nécessité et avec l’agrément du directoire du département dans lequel son siège sera établi.
Art. 3.
Ne pourront pareillement les curés et les vicaires s’absenter du lieu de leurs fonctions au delà du terme qui vient d’être fixé, que pour des raisons graves, et même en ce cas seront tenus les curés d’obtenir l’agrément, tant de leur évêque que du directoire du district: les vicaires, la permission de leurs curés.
Art. 4.
Si un évêque ou un curé s’écartait de la loi de résidence, la municipalité du lieu en donnerait avis au procureur général-syndic du département, qui l’avertirait par écrit de rentrer dans son devoir, et, après la seconde monition, le poursuivrait pour le 445 faire déclarer déchu de son traitement pour tout le temps de son absence.
Art. 5.
Les évêques, les curés et les vicaires ne pourront accepter de charges, d’emplois ou de commissions qui les obligeraient de s’éloigner de leurs diocèses ou de leurs paroisses ou qui les enlèveraient aux fonctions de leur ministère, et ceux qui en sont actuellement pourvus seront tenus de faire leur option dans le délai de trois mois, à compter de la notification qui leur sera faite du présent décret par le procureur général-syndic de leur département; sinon, et après l’expiration de ce délai, leur office sera réputé vacant, et il leur sera donné un successeur en la forme ci-dessus prescrite.
Art. 6.
Les évêques, les curés et vicaires pourront, comme citoyens actifs, assister aux assemblées primaires et électorales, y être nommés électeurs, députés aux assemblées législatives, élus membres du conseil général de la commune et du conseil des administrations des districts et des départements; mais leurs fonctions sont déclarées incompatibles avec celles de maire et autres officiers municipaux et de membres des directoires de district et de département, et s’ils étaient nommés, ils seraient tenus de faire leur option.
Art. 7.
L’incompatibilité mentionnée dans l’article 6 n’aura effet que pour l’avenir; et si aucuns évêques, curés ou vicaires ont été appelés par les vœux de leurs concitoyens aux offices de maire et autres municipaux, ou nommés membres des directoires de district et de département, ils pourront continuer d’en exercer les fonctions.
[1] Cette Commission est composée de MM. Ferdinand Buisson, président; Bepmale, Baudon, vice-présidents; Gabriel Deville, Albert Sarraut, secrétaires; Cazeneuve, Loup, Lefas, baron Amédée Reille, Prache, Rouanet, Catalogne, Trannoy, Rose, Léon Mougeot, Ballande, Henry Boucher, Georges Grosjean, Allard, Vaillant, Krantz, Dèche, Roger-Ballu, Aristide Briand, Trouain, Gervais, Dejeante, Colliard, Bussière, Minier, Georges Berger, Georges Berry, Cachet.
[2] L’Histoire générale de Lavisse et Rambaud.
[3] Histoire des rapports de l’Eglise et de l’Etat en France, de 1789 à 1870.—F. Alcan et Cie, Paris.
[4] Voir le texte aux annexes.
[5] Texte de l’ordre du jour voté par la Chambre, le 10 février 1905, à la majorité de 386 voix contre 111:
«La Chambre, constatant que l’attitude du Vatican a rendu nécessaire la séparation des Eglises et de l’Etat, et comptant sur le Gouvernement pour en faire aboutir le vote immédiatement après le budget et la loi militaire... passe à l’ordre du jour.»
[6] Budget des cultes depuis le Concordat.
[7] Budgets de la France depuis le commencement du XIXe siècle.
[8] En 1660, on comptait en France 631 Eglises desservies par 712 pasteurs, et la population protestante représentait le dixième de la population totale.
[9] L’Union des Eglises libres de France se compose d’Eglises situées dans les départements les plus divers, Ardèche, Tarn, Lot-et-Garonne, Gironde, Rhône, Deux-Sèvres, Charente-Inférieure, Seine, Aveyron. Ces Eglises, au même titre que les Eglises réformées, ont un caractère national.
[10] En dehors des Eglises reconnues par l’Etat, se trouvent de nombreuses communautés se rattachant cependant aux Eglises réformées et qui au lendemain de la séparation en seraient parties intégrantes.
[11] Stato e chiesa (traduit en français par L. Borguet).
[12] L’État et L’Église (traduction Borguet), p. 37.
[13] Ayral, La Séparation des Églises et de l’État en Angleterre (Annales de l’École libre des Sciences politiques, année 1886.)
[14] On n’en compte guère plus de 40.000 dans toute la Suisse: le total de la population catholique est d’environ 1.379.000. Il y a près de 2.000.000 de protestants.
[15] Voir un article de M. P. G. la Chesnais, dans l’Européen du 14 janvier 1905.
[16] Voir The Case for disestablishment, p. 257-261 (publication de la Liberation Society).
[17] Alexandra Myrial. La question religieuse au Japon (Courrier européen du 10 février 1905).
[18] On consultera avec fruit sur ce point comme sur beaucoup d’autres, l’intéressant et suggestif ouvrage de M. Grunebaum-Ballin, la Séparation des Eglises et de l’Etat, Paris 1905.
[19] Voir aux annexes les textes abrogés.
[20] Voir ci-après l’article 1er du décret du 28 février 1810, qui excepte de cette disposition les brefs de la pénitencerie, pour le for intérieur seulement.
[21] Voir les articles 2 et 4 de l’ordonnance du 25 décembre 1830.
[22] Ces dispositions ont été abrogées et remplacées par les articles 2, 3 et 4 du décret du 28 février 1810.
[23] Cet article a été abrogé et remplacé par les articles 5 et 6 du décret du 28 février 1810.
[24] Voir l’ordonnance du 12 janvier 1825. qui modifie et complète les dispositions des articles 7 et 8 du présent décret.
[25] Le jour de cette réunion a été fixé au dimanche de Quasimodo par l’article 2 de l’ordonnance du 12 janvier 1825.
[26] Voir l’article 6 de l’ordonnance du 12 janvier 1825.
[27] Voir l’article 2 de l’ordonnance du 12 janvier 1825.
[28] Voir l’article 7 de l’ordonnance du 12 janvier 1825.
[29] Abrogé par l’article 168, de la loi du 5 avril 1844.
[30] Abrogé par l’article 168 de la loi du 5 avril 1844.
[31] Abrogé par l’article 168 de la loi du 5 avril 1884.
[32] Cette dernière disposition a été abrogée par l’article 17 de la loi de finances du 18 avril 1831, qui a soumis ces dons et legs aux droits d’enregistrement par les lois existantes.
[33] Voir l’article 2 de l’ordonnance du 12 janvier 1825.
[34] Les articles 92 à 103 ont été abrogés par l’article 168 de la loi du 5 avril 1884.
447
Pages | ||
Introduction | 1 | |
Chapitre Ier. | — Culte catholique: | |
De Clovis à Mirabeau | 5 | |
De la Révolution au Concordat | 46 | |
Du Concordat au Syllabus | 79 | |
De 1870 à 1905 | 125 | |
Budget du culte catholique | 144 | |
Chapitre II. | — Culte protestant | 149 |
Chapitre III. | — Culte israélite | 163 |
Chapitre IV. | — Législations étrangères | 175 |
Chapitre V. | — Analyse des propositions et projets de loi | 221 |
Proposition de M. Dejeante | 224 | |
— M. Ernest Roche | 224 | |
— M. de Pressensé | 225 | |
— M. Hubbard | 227 | |
— M. Flourens | 228 | |
— M. Reveillaud | 229 | |
— MM. Grosjean et Berthoulat | 230 | |
— M. Senac | 230 | |
Premier texte présenté par la commission | 234 | |
Projet du gouvernement (Projet Combes) | 243 | |
Projet du gouvernement (Projet Bienvenu-Martin) | 255 | |
Chapitre VI. | — Discussion des articles | 265 |
Chapitre VII. | — Conclusion | 347 |
Projet de loi définitif présenté par la commission | 353 | |
448ANNEXES: | ||
Loi du 18 germinal, an X, relative à l’organisation des cultes | 363 | |
Articles organiques du culte catholique | 366 | |
Articles organiques des cultes protestants | 375 | |
Loi du 1er août 1879, portant modification à l’organisation de l’Eglise de la confession d’Augsbourg | 384 | |
Décrets du 17 mars 1808, relatifs à l’exécution du règlement du 10 décembre 1806, sur les Juifs | 389 | |
Loi du 8 février 1831, relative aux traitements des ministres du culte israélite | 394 | |
Ordonnance du 25 mai 1844, portant règlement pour l’organisation du culte israélite | 394 | |
Décret du 22 décembre 1812, relatif au mode d’autorisation des chapelles domestiques et oratoires particuliers | 406 | |
Décret du 19 mars 1859, relatif à l’autorisation d’ouvrir de nouveaux temples, chapelles et oratoires protestants | 407 | |
Code pénal. (Articles concernant l’exercice des différents cultes) | 409 | |
Loi du 5 avril 1884, sur l’organisation municipale | 411 | |
Décret du 30 décembre 1809, concernant les fabriques des églises | 413 | |
Loi de finances du 26 janvier 1892 (article 78) au sujet de la comptabilité des fabriques et consistoires | 431 | |
Loi du 24 août 1790, sur la constitution civile du clergé et la fixation de son traitement | 431 |
Imprimerie Valéry, rue Dauphine, 18, Paris.
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The Foundation's EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state's laws. The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered throughout numerous locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation's web site and official page at http://pglaf.org For additional contact information: Dr. Gregory B. Newby Chief Executive and Director gbnewby@pglaf.org Section 4. 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