Project Gutenberg's L'Illustration, No. 3677, 16 Août 1913, by Various This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org/license Title: L'Illustration, No. 3677, 16 Août 1913 Author: Various Release Date: March 24, 2012 [EBook #39242] Language: French Character set encoding: ISO-8859-1 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 3677, 16 AOÛT 1913 *** Produced by Jeroen Hellingman et Rénald Lévesque
L'Illustration, No. 3677, 16 Août 1913
Ce numéro contient:
LA PETITE ILLUSTRATION, Série-Roman n° 11: LA VOIX
QUI S'EST TUE, par M. Gaston Rageot.
LE TSAR NICOLAS II. LE GÉNÉRAL JOFFRE.
LA MISSION
MILITAIRE FRANÇAISE EN RUSSIE à la revue de Krasnoié-Selo: l'empereur,
suivi de ses cosaques, s'entretient à son arrivée sur le terrain avec le
général français.
Phot. C.-O. Bulla.--Voir les autres photographies et
l'article, page 128.
La Bourse de Paris étant fermée les 15 et 16 août, et les séances précédentes ayant été, comme il arrive toujours à la veille des vacances, dépourvues d'activité, L'Illustration ne publie pas cette semaine de Supplément économique et financier.
Voici la guerre finie et la paix signée.
La paix! Cela nous semble, par moments, une pousse nouvelle. C'est un mot qui n'a pas l'air balkanique, et je dois, pour y croire, faire un véritable effort de volonté. Est-ce que l'entente des négociateurs ue va pas, à la dernière minute, craquer sur un point de frontière, sur un nom de ville disputée? N'allons-nous pas apprendre demain que ces peuples, agités de spasmes rentrés, se sont relancés les uns sur les autres? Nous le trouverions fort naturel. Et cependant, non. Une certitude secrète, nécessaire, nous dit tout bas que l'arrêt des hostilités est définitif, ou, du moins, que, si c'est du provisoire, il va durer un bon bout de temps. Nous sentons que l'heure a sonné de la suprême lassitude, qu'aujourd'hui Grecs, Serbes et Monténégrins vainqueurs, Turcs et Bulgares éprouvés, Roumains agrandis et intacts, tous n'ont plus qu'un désir, celui de liquider, de récolter, grasse ou maigre, la terrible moisson, et de commencer à «s'y reconnaître» aussi bien dans l'élévation que dans la chute. Trop de sang a coulé. Même rouge on se lasse à la longue de la pluie. Celle-ci a donné tout ce qu'elle pouvait donner. Elle a fait tout le bien et le mal exigés, attendus. Elle a arrosé, fécondé, noyé, submergé, desséché et rafraîchi. La terre en est saturée... et ne le boit plus. Elle le rejette, le rend à ses enfants, comme pour leur prescrire qu'ils aient maintenant à garder le peu qui leur en reste, car il n'y a plus une goutte à perdre.
*
* *
On est sans voix dès que l'on songe à la quantité, à l'étendue de deuils et de ruines qui crient «réparation», la seule désormais efficace, celle de la paix, succédant à celle des armes. Tout la réclame, l'impose, les morts et les vivants, le ciel et le sol, les drapeaux fatigués et les canons brûlants, les rois pensifs et les soldats sublimes d'hébétude. Le repos, le noble repos est la conséquence fatale et souveraine des saintes fatigues, le sommet des escalades épiques. Le mort... que veut-il dès qu'il a gagné ce triste et magnifique nom? qu'on l'enterre et que sur sa tombe on ne fasse plus de bruit. La chair... que veut-elle dès que trouée, taillée, elle a conquis ces beaux galons pourpres de la blessure? qu'on la panse et qu'on la laisse doucement se recoudre et se refermer. Ainsi, la guerre, par une juste et mystérieuse loi, qui montre bien qu'elle n'est pas aveugle et sauvage, mais juste et divine,... ainsi la guerre est-elle la première, quand le silence qui suit la tuerie lui dit que l'instant est venu, à se tourner du côté où elle sait que va venir la paix, et à lui faire signe de loin d'approcher, qu'elle est désormais prête à s'en aller, à lui céder la place, car la guerre, plus intelligente, encore une fois, que ne le laissent croire aux esprits superficiels son brutal extérieur et ses façons de massacre, n'ignore pourtant pas qu'elle n'est faite, n'existe, n'est permise et n'a de raison d'être inévitable, que pour son résultat, celui de la paix, d'une paix meilleure, plus grande, plus longue, assise sur de plus solides bases de richesse et de gloire.
*
* *
Voilà près d'un an qu'elle durait, cette guerre! Pendant des mois elle nous a passionnés. Nous en avions la curiosité quotidienne, l'émouvante habitude. Nous en suivions avec une ardeur infatigable et souvent malsaine les récits d'épouvante et de beauté. Elle était notre feuilleton vécu, héroïque et affreux. Rien ne nous en a été dissimulé, malgré les précautions initiales. Tout s'est découvert, au fur et à mesure. Nous avons su les batailles, les victoires, les défaites, les marches foudroyantes, les retraites débandées, les convois et les exodes dans la boue, dans ta neige, les prises de mosquées, les bombardements; les espoirs et les déconvenues, et les hideurs aussi, dont la photographie et le dessin ne nous ont pas fait grâce... Par les lettres des correspondants et les sinistres images prises sur ces lieux de tristesse et de dévastation, nous pouvons dire que nous avons tout connu, tout vu... Et cependant, même en ayant dévoré les comptes rendus sans sauter une ligne, même en ayant scruté d'un œil sec et décidé les plus terrifiants témoignages de l'appareil et du crayon, nous savons que nous n'avons rien vu qui approchât de la réalité!... Et nous ne pouvons également, sans une espèce de honte et de confusion, nous empêcher de nous rappeler que très vite, avec l'accoutumance, nous avions pris, de cet état et de cet enchaînement de catastrophes, un besoin monotone d'abord, et puis une fatigue dégoûtée. Nous commencions à être blasés. Le poignant récit de guerre et le cliché horrifique portaient moins sur notre esprit et nos nerfs. Encore un trimestre et nous n'y aurions pas plus fait attention qu'à une réclame-pilule de quatrième page.
A la fin nous devions nous appliquer, nous donner une grosse névralgie pour nous persuader qu'à une distance relativement petite, en plein choléra, on se coupait le nez et les oreilles et que la terre était à feu et à sang pendant qu'ici les jeunes femmes dansaient, avec une inquiétante et onduleuse grâce, le tango provocateur. Mais cet effort même à nous souvenir, succédant à la passion de nos curiosités premières, a eu pour nous des effets d'une puissance utile. Nous avons pris l'habitude d'entendre parler de la guerre et de l'accepter, d'apprendre qu'en dépit de tout elle peut arriver, d'un instant à l'autre, qu'elle est humaine, foudroyante comme un mal, contre lequel on ne peut rien et que personne au monde n'est capable d'empêcher. C'est l'appendicite des nations. Nous l'avons vue à l'œuvre, cette guerre, nous en avons ressenti le formidable contrecoup. Et cela nous a fait réfléchir, au moment même où, dans notre pays, sous la patriotique et généreuse impulsion du gouvernement et de la France entière, était votée de pied en cap la nouvelle loi militaire de contrepartie, de défense et de sauvegarde.
Ainsi la secousse des Balkans, qui a ébranlé l'Europe depuis onze mois, a fait lever chez nous des résolutions et des hommes. Je sais bien que beaucoup de gens trouvent que l'on parle trop de la guerre, qu'on y pense trop, qu'il n'y en a plus que pour elle. C'est la faute et le devoir des temps présents. Il faut qu'elle soit notre préoccupation nationale si nous voulons éviter l'occupation étrangère. Nous ne pouvons pas, quelque amour, quelque désir et quelque respect de la paix que nous ayons, nous désintéresser de la guerre. Cela est partout en menace, autour de nous, contre nous, sur nous.
Ces choses ont été dites des milliers de fois. Répétons-les en ne craignant pas de perdre la pudeur du rabâchage. Un libraire parisien vient de faire traduire une brochure, très répandue, paraît-il, en Allemagne, et que j'ai reçue ces jours derniers. Cela est intitulé: le Partage de la France en l'an 19..?? Ce qu'on verra un jour. Et il y a une carte de la France démembrée, après anéantissement rapide de ses armées, et envahissement de son territoire. Je ne parlerais pas de cet opuscule d'une sottise et d'une pauvreté sans nom, si, malgré son absence totale de valeur militaire, littéraire, scientifique et documentaire, il n'était révélateur de l'état d'esprit et de convoitise haineuse de nos voisins ennemis. Feuilletez ce petit rien. Pour ridicule qu'elle soit, la lecture n'en est pas indifférente, grâce au cynisme de la gourmandise qu'elle étale. Après que nous avons nous-mêmes déclaré les premiers (bien entendu!) la guerre à l'Allemagne, nous sommes aussitôt abandonnés par l'Angleterre et la Russie. Écrasés sur toute la ligne en très peu de temps... envahis de tous les côtés, nous ne pouvons bientôt plus continuer la lutte... et savez-vous pourquoi?... «parce que le lieutenant d'artillerie Nuglish, descendant du parfumeur universellement connu, a inventé une bombe asphyxiante qui rend illusoire la guerre dans les airs». C'est donc la fin de la France. Et elle est ainsi dépecée, de la façon la plus simple, comme vous allez voir, au congrès de Zurich. L'Italie reçoit la Tunisie, l'Algérie, la Gascogne, la Guyenne, le Dauphiné, le Languedoc et la Provence. L'Angleterre a l'Artois et la Picardie, et nos possessions de l'Inde française. L'Espagne obtient le Maroc, l'Autriche Madagascar. Le reste de la France est la part de l'Allemagne. Quant à la Russie, elle n'a rien à prendre chez nous et on lui a donné la Perse et l'Afghanistan...
Tout cela serait risible, encore une fois, s'il n'y avait pour arrêter le rire, non point l'idée que de pareilles exceptions sont réalisables, mais l'idée qui ressort de semblables petits faits et de bien d'autres faciles à relever, que jamais, jamais l'Allemagne n'a eu et n'aura l'intention de nous provoquer ni de songer à nous attaquer, qu'elle veut la paix, la bonne paix... et qu'en mettant sur pied une armée de huit cent mille hommes elle ne pense évidemment qu'à travailler pour le roi de Prusse!
Partage de la France en 19..??
Henri Lavedan.
(Reproduction et traduction réservées.)
Marcher derrière une armée heureuse; suivre à pas allègres, d'un minaret à l'autre, l'essor de la Victoire; n'avoir à dépêcher jamais à son journal que des bulletins triomphants, quel sort digne d'envie, pour un correspondant de guerre! On participe à l'ivresse des succès; on savoure sa part des vivats et des fanfares alternant avec les sifflements des obus. Et les narines se dilatent, et la poitrine se bombe... il semble qu'on ait un peu gagné la bataille à laquelle on vient d'assister du quartier général.
Georges Rémond n'eut point tant d'heur, ni tant de gloire; les fidèles lecteurs de ce journal le savent, il était avec les vaincus,' et, dans le fond de son âme, il leur demeure fidèle, à sa louange. Le livre pathétique où, reprenant et parachevant les nerveuses correspondances qu'on a lues dans ces colonnes pendant toute la durée de la première guerre balkanique, il vient de fixer ses souvenirs (1), porte au seuil cette dédicace: Au colonel Djemal bey, gouverneur militaire de Constantinople qui, au milieu de la défaite, conserva une âme invaincue et ne douta jamais de la, Patrie.
Note 1: Avec les vaincus. La campagne de Thrace, octobre 1912 mai 1913. (Berger-Levrault, éd.)
Sa sympathie pour les Osmanlis remonte au temps où, pour L'Illustration, Georges Rémond assistait, au milieu des camps turco-arabes, à la défense de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque. Témoin de l'héroïque résistance qu'avaient opposée à l'envahisseur ces patriotes, il en avait conçu pour eux une estime profonde, et, partant pour Constantinople au début des hostilités, il comptait bien retrouver aux rives du Bosphore, aux champs de la Thrace le même enthousiasme indéfectible, le même farouche désir de vaincre. D'ailleurs, les chefs qu'il avait connus et admirés dans les sables africains; n'allaient-ils pas, libérés par la paix avec l'Italie à laquelle cette agression soudaine avait acculé la Porte, accourir au secours de la Patrie, expérimentés, aguerris, inestimables auxiliaires? De fait, il devait revoir et Enver bey et Fethi bey, admirables entraîneurs d'hommes, animés toujours des mêmes vertus, et quelques-uns encore de leurs meilleurs camarades et collaborateurs. Mais, hélas! que pouvaient leur vaillance et leur foi, en présence du démoralisant état de choses créé par l'impéritie d'un gouvernement incapable, occupé seulement de misérables rivalités de partis?
Ainsi, une amère déception attendait ces braves qui avaient accompli, en d'autres lieux, d'un cœur si exalté, leur devoir de soldats. Rémond leur était attaché par trop de liens, périls courus en commun, joies, espoirs partagés, pour ne point s'associer à leur rancœur. Sa constance n'en fut point ébranlée et si, à ces hommes qu'il appréciait hautement, il ne ménage pas, parfois, les rudes vérités, il ne peut toutefois leur retirer ni l'estime, ni l'attachement qu'il leur a voués en des circonstances moins inclémentes.
De leur côté, des sentiments qu'il leur avait de longtemps témoignés, les Ottomans gardaient à Georges Rémond, et c'est encore à leur honneur, une cordiale gratitude. Ils la lui manifestèrent par l'accueil qu'ils lui réservaient à son retour au milieu d'eux, par les facilités exceptionnelles que, sitôt qu'il leur fut possible, ils lui donnèrent de se rendre au front et de tout voir, par ses yeux, d'où il lui plut. On trouve dans ce captivant livre assez peu de stratégie--point du tout, autant dire--non plus que de considérations savantes sur l'art de la guerre. Pourtant, personne n'a frôlé de plus près que son auteur le grand drame sanglant. Mais qu'on veuille bien se rappeler l'aventure de Fabrice au milieu des champs de Waterloo. Il est vrai qu'il n'eût tenu qu'à Rémond, plus favorisé en cela que le héros de Stendhal, de compiler, le soir venu, des documents d'état-major. Il a coquettement dédaigné cette source de science jaillissante à sa portée. Il a préféré se contenter de regarder, avec de bons yeux largement ouverts, ce qui l'entourait, de noter les impressions profondes qui l'émouvaient. En quoi son flair de journaliste et d'écrivain le guidait infailliblement: ce caractère de témoignage direct est l'une des qualités primordiales de son ouvrage.
Si prévenu que soit Georges Rémond en faveur des Turcs, un doute entame sa confiance dès le premier contact qu'il prend avec Constantinople. Certes, l'armée nourrit de grands espoirs. Elle les couve, plutôt, comme la cendre fait d'une braise. Il faut tisonner pour les découvrir. Un soldat que l'on questionne: «Où vous envoie-t-on?» répond tout franc: «A Sofia». Mais il le dit sans élan. Quant à la ville, au peuple, il est indifférent, apathique, impassible. Et bientôt un œil sûr a discerné le point faible de cette armée prête à s'ébranler, de cette nation--si c'en est une--qui va engager la lutte pour elle décisive: Elle n'a plus la foi.
Le train qui emporte les correspondants de guerre n'a pas démarré depuis vingt-quatre heures qu'on rencontre les premiers fuyards, le lamentable convoi des chariots primitifs escortés d'une pauvre foule apeurée,--et bientôt aussi les premiers vaincus: la débâcle est déjà commencée! Kirk-Kilissé a été une panique; Lule-Bourgas, après trois jours de combat, une déroute.
Ah! les lamentables, les lugubres tableaux! et quel regard plana jamais sur des visions plus horrifiques. Tous les maux que peut bien endurer l'humanité qui peine sont là ligués contre elle, la faim, le froid, l'épouvante, l'anéantissant désespoir. La nature elle-même conspire pour accabler les hommes. Ces abominations ont pour cadre un paysage diluvien, harcelé par la tempête, une «campagne liquéfiée», qu'opprime un ciel ruisselant. Enfin, voici vraiment le Roi des Épouvantements: le choléra, venu mettre le sceau à tant de détresses. Les plus funestes prédictions des prophètes en leurs anathèmes les plus véhéments sont dépassées. Si maître qu'il soit de sa plume, si pleines, si vigoureuses, si bellement émouvantes que soient les quarante à cinquante pages consacrées à décrire ces choses atroces, Georges Rémond se sent presque impuissant à exprimer tant d'effroi. Ce lettré, cet artiste, évoque Orcagna, Bossuet... les maîtres de l'expression. On sent qu'il pense à Dante: «Tout cela, dit-il, dépassait la parole et l'écriture». Eh oui, ce seraient des choses à vociférer avec le verbe de flamme d'un Isaïe ou d'un Ezéchiel.
Ce que dut être, au milieu de cette «orgie de souffrance et de désespoir» la vie du journaliste, on ne saurait guère l'imaginer. Tout cela pour procurer à quelque désœuvré attendant un soir sur la peluche rouge d'un café les partenaires accoutumés de la manille quotidienne, une distraction d'un quart d'heure! Ah! si l'on n'aimait pas, d'ardente passion, pour lui-même et pour soi, égoïstement, ce métier-là!...
L'armée turque bat en retraite,--sans être même très sûre d'être vaincue: les Bulgares ne la poursuivent pas, incertains s'ils sont vainqueurs. La résistance ottomane se concentre derrière les lignes de Tchataldja, où allait venir se briser l'élan de l'ennemi. Le choléra seul est sûr de sa victore. Il a suivi l'une et l'autre des deux armées. Il est le grand triomphateur. Seulement lorsque l'armistice est signé entre les belligérants, il consent, lui aussi, une trêve.
Djemal bey, gouverneur militaire de
Constantinople. Photographie prise
dans la cour du musée impérial des
Antiques.
L'attention alors se reporte vers Constantinople, où un «Divan» solennel va décider de la paix ou de la guerre. Mais la grande résolution prise--consentie plutôt--c'est le sanglant «coup de théâtre alla Turca», l'assassinat de Nazim, l'acte révolutionnaire par lequel quarante mécontents ramenaient au pouvoir les Jeunes Turcs, au milieu du silence, de la stupeur, de l'apathie de ce peuple léthargique. Admirable occasion d'enquêter, de chercher à savoir les dessous de ce drame d'État. Hélas! malgré ses relations amicales avec quelques-uns de ceux qui en ont été les témoins, les acteurs, malgré tout son discernement, encore qu'il ait pu réunir les meilleurs témoignages, Georges Rémond ne parvient pas à déchiffrer l'énigme avec certitude: «L'âme de l'Orient nous est fermée, a-t-il écrit dès ses premiers chapitres, ses réactions profondes nous demeurent incompréhensibles.»
On inclinerait volontiers à croire que de tant d'hommes divers qu'il a coudoyés là-bas, dans les conditions pourtant, en face du danger couru en commun, où les cœurs se livrent plus aisément et plus complètement, il n'ait vraiment pénétré à fond qu'une seule individualité, mais une âme d'élite parmi l'élite, l'Homme, peut-être, de la Turquie actuelle: le colonel Djemal bey, à qui, on l'a vu, il a dédié son livre,--suprême marque de profonde estime, d'amitié, de gratitude, aussi, car il lui doit d'un de ses plus saisissants chapitres, le récit frémissant de toute la première partie de la néfaste campagne depuis les fautes des premiers jours jusqu'à l'irrémédiable catastrophe de Lule-Bourgas, où sombrèrent tous les espoirs de la Turquie. Je ne sais rien de plus poignant dans sa concision.
Au moment où, une fois encore, le sort d'Andrinople qu'on eût pu croire si bien, voilà un an, fixé pour des siècles, est remis en question, je ne voudrais retenir, de ses entretiens familiers avec le colonel qu'a rapportés de si expressive façon Georges Rémond, que ce seul paragraphe,--sur lequel on pourra méditer à loisir.
Mon colonel, lui disait-on devant moi, à quoi bon gaspiller encore tant d'hommes et tant d'argent? Que vous importent quelques tombeaux et quelques mosquées à Andrinople, qui continueraient d'exister sous un statut spécial? Pourquoi ne pas reconnaître la défaite et ne pas réserver pour l'avenir tant de forces aujourd'hui gâchées en pure, perte?» Et lui de répondre: «Ecoutez bien ceci: il ne s'agit pas de quelques tombeaux et de quelques mosquées; Andrinople, c'est pour nous aujourd'hui un cri de ralliement, le cri de ralliement de tous deux qui ont à cœur l'honneur de la Turquie; si les Bulgares la prennent et qu'ils prennent Constantinople, et qu'ils prennent Damas et Mossoul et Bagdad, et que je reste à Bassorah avec quinze Turcs, je réclamerai encore Andrinople. La paix tant que l'on voudra, mais la paix avec Andrinople! Que nos ministres le sachent bien, car, s'ils cèdent Andrinople, je referai moi-même la révolution contre eux. S'ils veulent la paix à tout prix, il leur faut être décidés à risquer leur vie pour elle!
Enfin, l'effroyable cauchemar cesse. Le 14 avril, à 5 heures du soir, on voit s'évanouir sur les hauteurs de Fanasakris le flocon blanc du dernier shrapnell. Avec la même impassibilité qu'elle avait accueilli le commencement des hostilités, Constantinople, «la ville sans âme», apprend, un matin, que la paix est proche. Que lui importe? Tandis qu'on souffre aux avant-postes, elle danse, applaudit des comédies stupides, non peut-être la ville entière, mais sa partie déjà conquise par l'étranger, Péra, Galata, quartiers des métèques. Douloureux contraste, et à quelles réflexions il nous doit inciter à quel retour sur nous-mêmes! Rémond ne peut retenir un cri d'alarme, le même que poussait naguère M. Stéphane Lauzanne, au retour des mêmes bords. Voix dans le désert, il faut le craindre...
Toutefois, ce tête-à-tête de six mois avec tant de laideurs, la faiblesse, le désordre, la criminelle veulerie, la défaite hideuse, enfin, n'a point entamé cette âme forte. Rémond a connu l'une après l'autre toutes les infamies de la guerre, ce que Saint-Victor appelle «le revers lugubre de la gloire militaire», mais il en a découvert aussi les poignantes beautés: les dernières lignes qu'écrit ce clairvoyant et ardent Français sont, pour nous, de virils conseils de vigilance, de sagesse, de fierté, d'énergie,--son dernier mot est un sursum corda sonore comme un coup de clairon.
Et maintenant, une fois refermé ce livre, aux deux tiers composé de tableaux de deuil et de désolants récits, je cherche à pénétrer le secret de son charme.
Ce par quoi il captive d'abord, c'est par sa vie, son mouvement, sa fièvre. Chaque page porte la marque d'une sensibilité frémissante comme la feuille du tremble. Las! à quelles tourmentes ne fut-elle pas exposée! Elle n'en demeure pas moins vibrante aux plus douces brises, et, après avoir palpité désespérément au vent d'épouvante monté du grand charnier de Tchataldja, aux heures où «l'on sentait sur la nuque la main de la mort même», elle frissonnera d'un voluptueux émoi aux souffles insensibles caressant une nuit printanière, la Corne-d'Or ensommeillée.
Cette faculté rare, inestimable, essentielle de l'artiste est servie ici par une culture profonde, étendue, raffinée, et aussi par de précieux dons d'écrivain.
Artiste, celui-là l'est dans l'âme qui, durant le «Grand Divan», à l'heure solennelle où se décide le sort de la. Turquie agonisante, savoure le liant ragoût d'un Fromentin pendu au mur, son «beau ton chaud de coucher de soleil d'été et sa pâte ambrée à la manière de Decamps»; et sa maîtrise s'accuse de chapitre en chapitre dans d'incisifs portraits burinés en quelques mots, ainsi celui d'Izzet pacha, «large, la tête puissante, massif comme un bloc»: aussi celui de Gabriel Noradounghian, «très étonnante tête au pif démesuré, aux yeux brillants de vieil oiseau qui se serait coiffé d'un fez», ou celui de Djemal bey convalescent, comme en de prestigieuses descriptions, tableaux'd'horreurs sombres et violents à la manière de Salvator Rosa ou de Goya, alertes croquis dans le genre de Raffet ou de Charlet, ou frais paysages lavés à l'aquarelle.
Enfin, quelle indicible joie de saluer au passage un souvenir classique,
un rappel d'histoire, une citation, et de reconnaître, de page en page,
à des signes certains, langue limpide, ferme, tout imprégnée de
classicisme, un honnête homme, comme on disait au dix-huitième, en
commerce intime et suivi avec ce que Huysmans appelait «l'art le plus
compliqué, le plus verrouillé, le plus hautain de tous»: la littérature!
Gustave Babin.
Au camp de Krasnoié-Selo: le général Joffre salue les
troupes qui défilent devant lui.
Le prince Troubetzkot
Conformément à une convention arrêtée en vue de maintenir le contact
entre le haut commandement des deux armées amies et alliées, le général
Joffre, chef d'état-major général de l'armée française, rend à l'armée
russe la visite que nous avait faite, l'an dernier, le grand-duc
Nicolas.
La mission française assiste, devant la tente de la
famille impériale, à la revue
de Krasnoié-Selo: en avant et à droite, le
tsar et les grands-ducs.
Photographies C.-O. Bulla.
Un état-major de seize personnes, dont les généraux d'Amade, de Lastours, Delarue, Desaleux, Hély d'Oissel et de Laguiche, l'accompagne.
L'accueil qui a été fait par l'empereur, le grand-duc Nicolas, et tous les milieux officiels au généralissime et à ses collaborateurs a été plus cordial que jamais.
C'est ainsi qu'à l'arrivée de la mission à Krasnoié-Selo, le 3 août, la compagnie d'honneur de service à la gare avait été fournie par le régiment Préobrajensky, comme pour la réception d'un chef d'État. Le lendemain, à Peterhof, et bien que ce fût fête familiale au palais, à l'occasion de l'anniversaire de l'impératrice Marie, le général Joffre était présenté à l'empereur.
Le général Joffre est logé, à Krasnoié-Selo, dans le coquet palais Vorontzof, et vit au milieu même de l'armée russe, en ce moment au camp pour les manœuvres d'été. Le 5 août, il assistait à l'émouvante Tsaria, la prière du soir, et à la retraite qui l'accompagne; le 7, avait lieu une grande revue; le 9, ont commencé les manœuvres qui se poursuivent actuellement.
CAVALLA ET SA BAIE.--Un port de l'ancien empire turc, sur
la mer Égée, conquis l'hiver dernier par les Bulgares et acquis
maintenant à la Grèce. A l'horizon, dans la première photographie, l'île
de Thasos.--Phot. Dimitri Karastoyanov.
Dimanche dernier, au son des cloches et du canon, a été signé, à Bucarest, le traité qui met fin à la seconde guerre balkanique. Il faut souhaiter qu'en dépit de certaines rumeurs inquiétantes il marque le commencement d'une ère de paix.
Un moment, on a pu redouter qu'il ne fût le prélude de difficultés nouvelles entre les puissances; l'Autriche et la Russie se proposaient, disait-on, d'en demander à l'Europe la révision. L'Autriche s'inquiétait de l'agrandissement territorial dont va bénéficier la Serbie. La Russie souhaitait que Cavalla revînt à la Bulgarie, qui le considérait comme son débouché naturel à la mer Egée, et qui, l'ayant conquis l'hiver dernier, y tenait comme à l'une de ses plus précieuses acquisitions. Les armes l'en ont chassée, et il apparaît peu vraisemblable que sa puissante protectrice le lui fasse rendre. Le traité de Bucarest attribue Cavalla aux Grecs. Déjà, afin de marquer sa prise de possession de ce joli port, accroupi au bord d'une anse, au pied d'un cirque de collines, le roi Constantin annonce son intention d'en faire le terme du voyage qu'il entreprend à travers la «nouvelle Grèce» et, après avoir visité Demir-Hissar, Serès, Drama et Doxato, de s'y embarquer pour Salonique.
Le sort d'Andrinople, reprise par les Turcs sans coup férir, va donner lieu, peut-être, à de plus âpres contestations. Si le traité de Bucarest est reconnu valable, sinon approuvé par toutes les puissances, va-t-on réviser le traité de Londres, qui reconnaissait à la Bulgarie la possession de la seconde capitale turque qu'elle occupait alors?
Un meeting d'Andrinopolitains des différentes races en
faveur d'Andrinople turque.--Un aéroplane vole sur la ville.
Une fois leurs soldats réinstallés à Andrinople, le premier soin des Ottomans fut de consacrer cérémonieusement cette reconquête. Il y eut, le 29 juillet, en faveur de la domination turque, ce meeting monstre dont nous avons parlé dans notre dernier numéro. Le prince héritier de Turquie, Youssouf Izeddine, fils du sultan, et son frère Djemal Eddine vinrent en grande solennité dans la ville reprise et accompagnés du généralissime Izzet pacha, ministre de la Guerre, de Hurshid pacha, commandant d'armée, et d'Enver bey, passèrent en revue les troupes de la garnison.
Cet acte symbolique va-t-il désarmer les puissances qui ont contresigné l'acte de Londres,--non ratifié, d'ailleurs, par les signataires?
La semaine dernière, mercredi, leurs ambassadeurs communiquaient à la Porte, chacun de son côté, une note identique rappelant «dans les termes les plus catégoriques le gouvernement impérial au respect et au maintien du principe posé par le traité de Londres, notamment de la disposition relative à la ligne Enos-Midia».
Le gouvernement ottoman oppose à ces représentations un non possumus absolu. Il ne peut abandonner Andrinople et la Thrace, où il disposerait de forces supérieures à celles qu'il y entretenait avant la guerre, sans s'exposer à provoquer de graves événements. Et, interviewé par un rédacteur du Daily Telegraph, l'un des ministres lui a déclaré:
«Même, si nous donnions l'ordre d'évacuer Andrinople et la région, cela
ne servirait à rien. Non seulement l'armée n'obéirait pas, mais très
probablement, dans son exaspération, elle franchirait la frontière
bulgare. En outre, nous ne pouvons donner un ordre semblable, car notre
conscience se révolterait.»
G. B.
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LA RENTRÉE DES TURCS DANS ANDRINOPLE.--Le prince héritier
(1) et le prince Djemal Eddine (2), fils du sultan, le généralissime et
ministre de la Guerre Izzet pacha (3), Hurshid pacha (4), Enver bey (5)
et les officiers de l'état-major venant passer en revue l'armée
ottomane.
--Phot. S. Weinberg.
Sur la scène du Théâtre antique: Posthumia et Fabius
devant les licteurs
assemblés. Mme Segond-Weber et M. Paul Mounet
pendant une répétition de Rome vaincue.
A l'occasion des fêtes d'Orange, L'Illustration a précédemment montré quelques-uns des tragédiens du Théâtre-Français sous les costumes de Sophonisbe; devançant singulièrement l'actualité, elle les représentait, non devant le fameux Mur antique, mais dans les décors futurs de la Comédie-Française où cette tragédie sera reprise. Après ces «anticipations», voici des documents rétrospectifs. Ce sont des instantanés pris à Orange même, dans l'après-midi, au cours des répétitions des autres œuvres que comportait le programme, en attendant la solennité du soir. L'objectif a surpris les interprètes des auteurs tragiques sous des aspects comiques à leur insu; mais, de ces photographies, les intéressés seront assurément les premiers à sourire.
Fabius, les pouces aux entournures du gilet, le chapeau cabossé rejeté sur la nuque, reste insensible à la gesticulation pathétique de Posthumia gantée de blanc, cependant que, derrière eux, de jeunes hommes nu-tête ou en casquette portent sur l'épaule de singuliers objets qui ne sont pas, comme on pourrait tout d'abord le supposer, des étuis à parapluies, mais des faisceaux de licteurs. Hermione apparaît coiffée d'un vaste chapeau cloche orné de rubans noirs et tient sous le bras sa jaquette tailleur. Oreste se montre en veston flottant et sa dextre levée dans un geste tragique découvre une manchette empesée. D'autres clichés auraient pu fixer, pour la joie de nos lecteurs, Lentulus, sous un feutre mou et le menton sur un faux col, enlaçant la belle Opimia, mince et souple dans une robe trotteur; on eût dit que ce couple élégant se disposait à danser le tango devant ces messieurs de la figuration, négligemment accroupis sur les degrés de la porte. Et Vestoepor, les mains enfoncées dans les poche de son pantalon, regardait à ses pieds le trou béant du souffleur, d'où celui-ci, estimant sans doute que quand on prend du «plein air» on n'en saurait trop prendre, avait trouvé bon de sortir pour venir s'asseoir au premier plan de la scène, dos à l'hémicycle, sur un siège de jardin...
Creste (M. Mounet-Sully) et Hermione (Mme Segond-Weber)
faisant un «raccord» pour la représentation
d'Andromaque.
--Photographies A. Lang fils aîné.
Mais les photographies que nous reproduisons indiquent déjà suffisamment que la règle, l'ordonnance, la discipline s'exercent sans rigueur à Orange. L'exiguïté de la ville regorgeant de foule, fait qu'on s'y coudoie partout, dans les rues, au restaurant, au café. Et peut-être cette promiscuité sans-gêne, ce facile laisser-aller, cette bonhomie accommodante, cette absence complète de morgue, cette belle ignorance du bluff, concourent-ils à assurer le «charme» d'Orange. Tout s'y passe au grand jour, dans la plus aimable familiarité. Sans doute, en allait-il ainsi, jadis, en Hellade. On s'inquiète moins de la présentation que de la représentation. Les menus détails d'organisation s'improvisent à la dernière heure. Ainsi, on distribue les tickets d'entrée par des guichets peu décoratifs; ils se montrent en toute simplicité dans l'ombre du Mur, ce Mur formidable, «la plus belle muraille de mon royaume», aurait dit le Grand Roi; la petite baraque des guichets, qui n'a pas d'histoire, supporte sans humeur ce voisinage encombrant. Et la foule n'y prend pas garde, non plus qu'à d'autres négligences de même nature; la curiosité de la foule va Vers les artistes. Elle les admire ingénument--respectueusement--qu'ils lui apparaissent sous la majesté de leurs vêtements de tragédie ou dans le négligé du costume moderne. Et c'est pourquoi les voisins de M. Raymond Duncan, sur les gradins du théâtre, le prenant apparemment pour un tragédien au repos, le regardaient avec déférence draper sur son veston (comme le temps fraîchissait) le péplum grec que, dans un double sentiment d'esthétique et de prudence, il avait apporté, en guise de pardessus.
Le bec de gaz, les guichets et le Mur.
LA FÉMINISTE QUI A RÉUSSI.--Aux récentes élections de la
Diète de Finlande: une électrice déposant son bulletin de vote.
C'est en pleine province finlandaise, à Rantalampi, qu'a été prise, le 1er août dernier, jour des élections à la Diète du Grand-Duché, la photographie reproduite ici: cette image, d'une séduction inattendue, où l'une des plus charmantes Finnoises de la haute société est représentée, dans le moment qu'elle accomplit ses devoirs de «citoyen», témoigne qu'au merveilleux pays des mille lacs la grâce féminine sait s'accorder avec la gravité du geste par lequel l'électeur dépose dans l'urne son bulletin de vote.
«En Finlande, nous écrit, en nous communiquant ce cliché, M. Jean Bouchot, fort averti des choses de ce pays, les femmes sont admises depuis 1905 au droit d'élire et d'être éligibles. Tandis qu'en Angleterre les suffragettes s'épuisent en violences, jouent de la bombe ou de l'incendie, ici elles ont conquis ce droit par la seule élévation de leur caractère et par l'importance de leur rôle social, qui est considérable. Les professions les plus diverses s'ouvrent à leur activité. Elles deviennent architectes, ingénieurs, agents d'assurances; on les retrouve aux comptoirs des banques, à la poste, dans presque toutes les administrations publiques. Et ce ne sont point, pour cela, des «déclassées»: la femme du monde vient chercher dans le travail quotidien une occupation à ses loisirs, peut-être aussi une source de revenus pour les mille fantaisies qui l'attirent.»
LE 14 JUILLET AU TIDIKELT.--Méharistes de la compagnie
d'In Salah, alignés pour la revue, sous les murs du camp Bugeaud, devant
les indigènes accourus de l'oasis et du désert.
Phot. Désiré.--Voir
l'article, page 140.
Le prince Troubetzkot
Par son nom même, bref, sonore, de tournure un peu exotique, mais se
prêtant aisément à former des «composés» bien français, le tango était
prédestiné à entrer dans nos mœurs. C'est là un signe certain de son
triomphe: en même temps qu'il s'est installé en maître dans tous les
salons bien dansants, il a conquis notre langue, qui lui a tout aussitôt
ouvert les trésors de sa grammaire. «Voulez-vous tanguer?»
interrogeait-on, le plus naturellement du monde, dans les bals de
Le peintre Flameng et son modèle, Mlle Forzanne.
M. G. d'Annunzio et l'interprète de la Pisanelle, Mlle
Ida Rubinstein.
l'hiver et du printemps derniers. Des chroniqueurs, qui sont les
moralistes de notre siècle, ont dénoncé les méfaits de la «tangomanie»,
affection maligne, contagieuse, assurent-ils, et capable de faire
tourner la tête aux plus sensés. Et voilà qu'un dessinateur toujours
prompt à saisir les travers de nos contemporains, Sem, dont on aura
reconnu, au premier coup d'œil jeté sur ces pages, le libre et plaisant
crayon, nous présente, avec un album de dessins prêt à paraître, un
nouveau mot, qui est encore un hommage à la danse du jour: Tangoville.
Le statuaire Rodin et sa dernière œuvre.
La «femme de Boldini» et son peintre.
Tangoville, entendez bien que ce n'est pas exclusivement cette
capitale consacrée de l'élégance et du bon ton, cette résidence d'été de
la mode, qui, comme on sait, se fixe traditionnellement, au mois d'août,
sur la côte normande. L'année passée, à semblable époque, quelques
croquis de Sem, choisis pour L'Illustration dans un précédent recueil,
nous avaient apporté l'écho de la rivalité qui, plus profonde que les
faibles eaux de la Touque, séparait les deux plages voisines, Trouville
et Deauville. Les sœurs ennemies vivent-elles maintenant en paix, l'une
et l'autre heureuse et prospère?
Le Dr Henri de Rothschild, auteur du Crésus joué à
Londres, et son interprète, Mlle Dorziat.
Ou la lutte se poursuit-elle, à coups
de fêtes, d'attractions et de palaces? Beaucoup, cette saison, y sont,
comme on dit, allés voir. Mais ce n'est plus là, aujourd'hui, pour le
spectateur amusé de notre temps, la grande affaire. Tout a fini, non par
des chansons, mais par du tango. On danse, à Trouville ainsi qu'à
Deauville, on danse n'importe où et toute la journée, dans les salons,
dans les casinos, sur les yachts, au bord de la mer, dans les bars, et
presque dans la rue. Et si le, tango est roi, sans contredit, il tolère
à ses côtés, pour varier les plaisirs, d'autres chorégraphies
d'aujourd'hui et d'hier (l'impayable turkey-trott, la valse chaloupée,
l'effréné two-step...).
Mais Tangoville ne se trouve pas que sur les rivages fortunés de la Manche. Elle est, cet été, à la mer, comme aux champs, comme à la montagne. Partout où les Parisiens se sont installés, aux quatre coins de la France, ils ont amené avec eux le germe de cette maladie dansante qui nous vient, dit-on, d'Argentine. Le vertige s'est emparé des villes d'eaux, il a saisi les stations balnéaires. «Every body is doing it now», dit le refrain d'une chanson anglaise qui fait fureur en ce moment de l'autre côté du détroit, et de celui-ci, et qui connaît la vogue de notre Petite Tonkinoise ou de notre Mattchiche. Il faut traduire, un peu librement: «Tout le monde aujourd'hui danse le tango.»
C'est toute une suite de divertissantes variations sur ce thème que nous donne Sem en son nouvel album, dont quelques dessins sont reproduits ici, avant son apparition. Avec une verve espiègle, une bonne humeur qui ne trahit nulle désobligeante malice, il a mis la «tangomanie» en images. Et l'on retrouve, en feuilletant les planches, pittoresquement coloriées, de ce recueil, les silhouettes familières de nos plus notoires contemporains, «pris» de tango, selon la fantaisie de l'ingénieux dessinateur, qui, s'il traite parfois un peu irrévérencieusement ses sujets, fait toujours sourire.
Les distractions du bled: un «petit air de phonographe»
offert aux indigènes de Ben-Slimam, venus à la ferme de Sidi-Sreier.
Les terres, au Maroc, n'avaient rapporté, jusqu'à maintenant, qu'aux spéculateurs qui achètent des terrains susceptibles d'acquérir plus tard une grosse valeur, soit par leur position, soit par l'avenir du pays environnant. De vaillants agriculteurs commencent pourtant à mettre ces terrains en valeur. Aux environs de Casablanca, où les communications sont faciles, le ravitaillement aisé, quelques fermes montrent leurs toits étincelants de tôles neuves, leurs murs fraîchement crépis.
La ferme de Sidi-Sreier, appartenant à M. Yves Salvy, est, par sa situation près de Ben-Slimam, à la limite des territoires zaers, une des dernières fermes européennes sur la route de Casablanca à Fez. Elle est une des premières fermes construites en maçonnerie dans le bled marocain. En effet, une simple baraque de bois sert habituellement d'habitation au colon, qui cultive généralement par métayage avec les indigènes (contrats dits «khramès», où le cultivateur touche le cinquième de la récolte), à l'aide de charrues arabes.
La ferme de Sidi-Sreier, cultivée en exploitation directe, avec de la main-d'œuvre européenne et indigène, possédant des machines agricoles perfectionnées, des écuries et des bâtiments d'exploitation, luxe inconnu au Maroc, est en pleine prospérité, dans un pays pacifié depuis peu de temps, à 20 kilomètres duquel un sanglant combat était livré il y a à peine quelques mois.
Les douars environnants, assez sauvages d'abord, se sont apprivoisés, ont rapproché leurs tentes, et heureux d'avoir trouvé un écoulement pour leurs produits, sont maintenant en très bons rapports avec les propriétaires. C'est à la ferme un défilé continuel d'indigènes venant offrir poulets, œufs, moutons, grains; de malades venant se faire soigner; de simples curieux désireux de se régaler d'un petit air de phonographe, la «machina» toute nouvelle pour eux.
Non seulement la transformation économique qui doit s'opérer au Maroc,
pour le rendre semblable à l'Algérie, se trouve ainsi commencée, mais
l'œuvre de pacification entreprise par nos soldats se trouve couronnée:
peu à peu l'amitié pour les Français remplace chez le Marocain le
respect pour les vainqueurs.
Charles Salvy.
Le défrichage du bled marocain par la charrue à sept
mulets.
Soldats du 171e d'infanterie allemande et du 15e
chasseurs à pied de Remiremont arrivant au sommet du Hohneck, les uns à
droite les autres à gauche de la borne frontière.
Des soldats français et des soldats allemands manœuvrant, les uns et les autres, vers le Hohneck se sont, il y a quelques jours, rencontrés sur les sommets que partage exactement la ligne frontière. Ce fut un rapprochement d'uniformes imprévu, mais tout à fait courtois, et qu'une première dépêche annonça en ces termes:
«Au cours d'une marche manœuvre vers le Hohneck, le 15e bataillon de chasseurs à pied, de Remiremont, sous les ordres du commandant Duchet, s'est trouvé en face d'un bataillon du 171e régiment d'infanterie allemande, en garnison à Colmar. Celui-ci a rendu les honneurs auxquels le 15e chasseurs a répondu. Les nombreux touristes qui étaient présents ont été profondément impressionnés.»
Nos gravures de cette page ajoutent à ce communiqué les détails amusants et complémentaires de l'illustration. L'ascension, en manœuvre, avait été laborieuse, évidemment, et les soldats des deux pays l'avaient achevée, curieusement, côte à côte pour ainsi dire, partageant la même fatigue, qui leur faisait à ce moment-là une âme sympathique et camarade. Aussi se salua-t-on élégamment en atteignant le sommet. Bien entendu, on n'alla point jusqu'à fraterniser. Chacun demeura du côté de sa borne frontière, laissant libre un passage neutre où, seul, un excellent curé touriste aventura son bon sourire et sa pacifique soutane. De part et d'autre, chacun chez soi, on fit la pause. Les Français, envahirent joyeusement la baraque-cantine tandis que les Allemands, malgré les rangs «rompus», conservaient presque l'alignement, les uns et les autres s'observant gaiement, avec un sourire curieux et bon enfant. Et, de nouveau, en partant, on se rendit galamment les honneurs.
A LA FRONTIÈRE DES VOSGES.--Les deux détachements au
repos de chaque côté de la ligne frontière entre les deux, un prêtre
excursionniste. Photographies E. Zeiger, Gérardmer.
On n'est pas plutôt sorti du Petit Palais,--où l'on était appelé par quelque exposition nouvelle «à voir», qu'une autre nouveauté vous y rappelle. Tout dernièrement, je vous y signalais les extraordinaires Gobelins--la série de Saint-Cloud--prêtés par le Garde-Meuble à la Ville, et qui seront pour quelques mois encore la parure du Petit Palais; et voici que de nouvelles richesses viennent l'orner. Il s'agit même ici d'un don, et non d'un prêt. Ce don est fait à la Ville par une artiste, une «femme-sculpteur» de beaucoup de talent, Mme Agnès Rossolin. Il comprend le tableau des Tombeaux, de Fernand Sabatté, qui fut un des bons envois du Salon de cette année, un remarquable buste de ce peintre par Mme Rossolin; une étude de fleurs du regretté peintre Lottin; une étude de Camille Roqueplan pour son tableau célèbre: les Prunes; un dessin de Forain, cinq aquarelles de Boudin, des dessins de Tony Johannot et de Guillaumet... Voilà de quoi intéresser les amateurs de peinture qui, venus à Paris dans un moment de l'année où les Salons chôment, ne seront pas fâchés de rencontrer çà et là quelques surprises dans les Expositions et les Musées demeurés ouverts, malgré les vacances, à nos curiosités et dont, peut-être, les richesses leur étaient déjà connues.
Une surprise pareille leur est réservée à Carnavalet où va être prochainement exposée une partie de la très curieuse collection de souvenirs relatifs à la Comédie-Française, et qui vient d'être donnée au Musée par Mme Edouard Pasteur. M. Edouard Pasteur n'était pas seulement un habitué fidèle; il était un amoureux fervent de la maison de Molière; et pendant quarante ans il en avait, dans sa propre maison, arrangé l'histoire présente et reconstitué l'histoire d'autrefois. Des tableaux (près de cent cinquante toiles), des dessins, des bustes, des statuettes, des médaillons, composaient ce précieux petit musée.
Les portraits de la plupart des sociétaires et des pensionnaires que connut au foyer de la rue Richelieu M. Edouard Pasteur, figurent dans cette collection. Si je dis qu'une partie seulement en sera présentée aux visiteurs de Carnavalet, c'est que, suivant la tradition observée à Carnavalet qui est un musée historique, les documents et œuvres postérieurs à 1890 n'y seront montrés que dans quelques années. L'exécution des portraits de nos sociétaires et pensionnaires contemporains avait été confiée par M. Edouard Pasteur à des artistes renommés; Chartran, Joseph Blanc, Schommer, Aimé Morot, sont parmi les signataires de ces toiles. Au total, excellente acquisition pour Carnavalet; mais ne pourrait-on reprendre ici un mot dont on a fait un tel usage qu'il en est fatigué, et dire que les musées n'ont que les richesses qu'ils méritent?
Si nos quatre musées d'art municipaux --Carnavalet, le Petit Palais, Galliéra, Cernuschi--doivent être comptés aujourd'hui au nombre des curiosités que l'étranger en visite à Paris n'a plus le droit de négliger, c'est qu'un esprit nouveau les anime, et qu'on a cessé de considérer comme une sinécure l'honneur de les administrer. Le conservateur d'un musée parisien, ce n'est plus un fonctionnaire sommeillant qui redoute les visites; c'est un artiste très éveillé qui les appelle; c'est, comme eussent dit les Concourt, un chercheur de neuf, incessamment préoccupé d'enrichir sa maison, de la rendre, au sens relevé du mot, plus «amusante»; d'en varier le programme.
Un musée est un spectacle. Le conservateur, pour bien faire son métier, doit se sentir, au fond de l'âme, des curiosités d'imprésario...
*
* *
Un homme qui vient de se conduire--sans le savoir peut-être--en imprésario très intelligent, c'est celui qui eut l'idée d'ouvrir à Paris une Exposition de l'Emballage!
Elle a été inaugurée ces jours-ci par un ministre. Elle est internationale, s'il vous plaît; et c'est la première du genre. On lui a livré la moitié de l'immense rez-de-chaussée du Grand Palais. Elle l'emplit fort bien.
--Une Exposition de l'Emballage? Vous voulez rire. Cela ne saurait intéresser que les commerçants, les entrepreneurs de transports, les commissionnaires... et les emballeurs!
A quoi je répondrai qu'une Exposition qui n'intéresserait «que les commerçants» intéresserait déjà bien du monde, et que ce ne serait pas avoir perdu son temps que de l'entreprendre. Mais non! l'Exposition de l'Emballage vaut d'être visitée par tout le monde. Elle est amusante; elle est instructive; elle est pleine d'imprévu; veut-on toute ma pensée? Elle est spirituelle; et je m'y suis infiniment diverti.
Allez vous y promener. Vous y verrez comment l'ingéniosité des hommes, qui crée et perfectionne les produits, a su s'appliquer aussi à mettre de plus en plus de sécurité et d'élégance dans les façons diverses de les transporter. Vous apprendrez comment sont employés à ces manipulations innombrables la fibre de bois, la paille et le foin; les papiers de toute espèce et les poussières de liège, et le «bois armé» et le «cuir armé»; vous admirerez la diversité des agrafes, crochets, crampons propres à assurer la solidité d'un emballage; et quel génie savent déployer nos emballeurs dans la confection de ces caisses, de ces boîtes de tous formats dont les architectures imprévues amusent l'œil, comme des jouets. La Chambre syndicale de la droguerie a fait au Grand Palais une Exposition très édifiante: celle de produits exotiques importés par nos droguistes--aloès, maté, quinquina, baume de tolu, poivre de Cayenne, pyrèthre, essence de badiane, rhubarbe et cannelle de Chine, coca de Bolivie, civette d'Abyssinie--et présentés sous l'enveloppe même--toile grossière, natte, coffret peau brute ou corne --que l'expéditeur emploie à leur transport. Que nous voilà loin de ces procédés sauvages!
Près de ce stand allez voir celui où nos chimistes exposent les plus dangereux de leurs produits, emballés suivant les procédés qui en rendront le transport inoffensif. Et voici d'autres chefs-d'œuvre: les mécaniques à emballer! Ici, c'est l'étroite bobine de papier qui se déroule, s'imprime en couleur, se découpe, se plie, se colle, et devient, en quelques secondes, la plus coquette des petites boîtes à chocolat; plus loin, c'est une autre feuille de papier qui marche, se transforme en sac, elle aussi; puis est saisie par des doigts métalliques plus délicats que des mains humaines, qui remplissent ce sac de café, en vérifient le poids, le rejettent s'il ne pèse pas, à un gramme près, ce qu'il faut qu'il pèse; et autrement le ferment, et le déposent avec précaution sur l'alignement des sacs déjà remplis. Je vous dis qu'à l'heure qu'il est les machines elles-mêmes ont de l'esprit!
Il faut voir l'Exposition du Grand Palais.
Un Parisien.
EXPOSITIONS.--A Bagatelle, du 15 août au 15 septembre, exposition organisée par la Société des artistes de Neuilly, avec exposition rétrospective de dessins du peintre John Lewis Brown (1829-1870).--Au Grand Palais: concours Lépine.
L'OUVERTURE DE LA CHASSE.--L'ouverture de la chasse pour la deuxième zone est fixée au 31 août.
INAUGURATION DE MONUMENT.--Les 16 et 17 août, à Belfort, fêtes à l'occasion de l'inauguration du monument des trois sièges (1813, 1815, 1870-1871) élevé à la mémoire des défenseurs de Belfort.
PÈLERINAGE PATRIOTIQUE.--Le quatrième pèlerinage patriotique, sous la direction du général Canonge, aura lieu au champ de bataille de Bapaume le 24 août.
LA FÊTE DES «CAF-CONC».--La fête sportive annuelle des Caf-Conc aura lieu, au vélodrome Buffalo, le 25 août.
SPORTS.--Courses de chevaux: le 16 août, Deauville (obstacles); le 17, Deauville (Grand Prix); le 18, Deauville, Ostende; le 20, Deauville; le 21, Deauville, Ostende; le 22, Dieppe, Bade; le 24, Saint-Cloud (trot), Dieppe, Bade, Ostende.--Aviation; le 24 août, course d'hydroplanes Paris-Deauville; départ du Pecq.--Automobilisme: du 18 au 23 août, dans la région de Carlis (Cumberland), les «Six days», relability trial (motocyclettes).--Les 23 et 24 août, meeting du Mont-Ventoux. --Les 24 et 25 août, Grand Prix de Belgique.--Lutte: à Trouville, critérium international de lutte de combat. --Aviron: le 17 août, à Juvisy, championnats de France; les 23 et 24 août, à Gand, championnats d'Europe.--Escrime: à Dieppe, au Casino, tournois d'escrime, les 16, 17 et 18 août à Houlgate, Cabourg, Villers et Trouville, du 20 au 26 août.--Tir aux pigeons: à Deauville, le 16 août, prix de Villers; le 18, prix d'Houlgate; le 19, prix de Trouville; le 22, prix de clôture.--Tennis: tournois de tennis: le 18 août, Evian, Aix-les-Bains; le 20, Cabourg; le 24, Paramé, Deauville.--Cyclisme: le 17 août, au Parc des Princes, championnat de France de vitesse.--Le 24 août, au Parc des Princes, arrivée des coureurs du circuit de l'ouest; réunion d'athlétisme, championnats de Paris.
Un Hommage Au Président Kruger.
Le monument Kruger, à Pretoria.
Un juste et éclatant hommage vient d'être rendu au président Kruger, dans ce Transvaal dont il a été, pendant de si longues années, l'âme même, vaillante et tenace: il a désormais sa statue sur l'une des promenades publiques de Pretoria, à Prince's Park. Dans la grande ville sud-africaine embellie, promise à une prospérité toujours croissante, elle rappelle un passé tout proche de nous, et qui pourtant semble lointain déjà.
Le monument, d'imposant aspect--il a coûté plus de 250.000 francs--se compose d'un haut socle de porphyre brun et noir, sur lequel se dresse la vivante effigie du grand patriote. Il est représenté debout, en redingote, coiffé de son fameux chapeau de soie, la poitrine barrée par l'écharpe présidentielle, et portant les insignes de grand-croix de la Légion d'honneur. De la main droite, il s'appuie sur sa canne à boule d'onyx, tandis que sa main gauche tient la charte des libertés sud-africaines. Cette fière statue, dont nous devons la communication, accompagnée d'intéressants commentaires, à M. Fritz Van der Linden, a son histoire. Elle allait être inaugurée lorsque survint la guerre anglo-boer. On la mit en dépôt à Lorenço Marquez, et, au mois de mai dernier, le gouvernement britannique a enfin permis, l'oubli s'étant fait des inimitiés anciennes, qu'elle fût élevée à Prétoria, près de la maison où le président donnait ses audiences, avec cette familiarité qui lui avait attiré tant de sympathies. Non loin de là, dans l'ancien cimetière de la ville, se trouve la tombe de l'homme d'État, que surmonte un buste en marbre... La mémoire de Kruger est dignement honorée au Transvaal.
Un nouveau poivre artificiel.
Chignons d'olives, noyaux pulvérisés, maniguettes, baies de laurier-cerise, graines de céréales, riz, pommes de terre, gingembre, galanga, etc., etc., on trouve un peu de tout dans certains poivres moulus du commerce, sans compter des poussières, du sable et des débris minéraux. Malheureusement, ces falsifications complexes ne peuvent guère être mises en évidence que par des chimistes ou des micrographes spécialisés, et le grand public des consommateurs est à peu près désarmé contre elles.
Malgré cette impossibilité pratique de les reconnaître à première vue et malgré le prix relativement élevé du poivre pur, on s'explique mal le succès que rencontrent, depuis quelques mois surtout, certains succédanés du poivre, mis en vente sous des noms plus ou moins fantaisistes. Ils sont, en effet, d'un prix marchand élevé, car, s'ils coûtent de 30 à 40% moins cher que le poivre pur, il en faut en moyenne de trois à quatre fois plus pour obtenir un résultat culinaire identique à celui que donne le bon poivre. Le plus connu de ces produits artificiels coûte à fabriquer 0 fr. 75 le kilo environ; il est vendu en gros au prix de 3 fr. 75, tandis que le poivre blanc qu'il se propose d'imiter et de remplacer vaut de 5 fr. 50 à 6 francs le kilo. Mais, comme il est composé de farine de sarrazin macérée dans de la teinture de myrrhe et du jus d'oignons, additionné de piment de Cayenne, d'une faible quantité de poivre moulu, de clous de girofles et de plantes aromatiques séchées, ce qui constitue un ensemble dont la valeur «poivrante» est assez faible, il est permis d'estimer que l'économie réalisée par son emploi est beaucoup plus apparente que réelle.
La culture du sol à la dynamite.
Pour mettre en culture des terrains jusque-là vierges, où la charrue entre avec peine, les colons américains employent souvent la dynamite qu'ils font exploser au fond de trous de mine ayant 0 m. 75 ou 1 mètre de profondeur, et forés à intervalles variant de 4 à 7 mètres. L'établissement fédéral de chimie agricole, à Lausanne, pour se rendre compte des avantages du procédé, vient de faire faire des essais qui sont intéressants. Il s'agissait de préparer le terrain destiné à une plantation d'arbres fruitiers. A la place destinée à chacun de ceux-ci, on fit exploser une cartouche de 250 grammes de gamsite, contenant 24% de nitroglycérine. Il fut évident, à l'examen du sol, après l'explosion, que celle-ci le préparait fort bien. La terre est soulevée et triturée pour un volume d'un mètre cube et demi, volume de forme conique dont la base a environ 2 mètres de diamètre à la surface du sol. L'ameublissement est parfait, et lors de la plantation des arbres on n'a qu'à creuser à la pelle un trou tout juste suffisant pour recevoir les racines qui n'éprouveront aucune difficulté à se développer dans la terre remuée et légère.
L'opération représente une dépense d'environ 75 centimes par arbre: or le travail à la main qui ne remue pas un demi-mètre cube de terre coûte généralement plus.
L'expérience a montré que les arbres plantés dans le sol ameublé à la dynamite se développent plus vite et produisent plus tôt des fruits.
Une observation a été faite en passant à Lausanne: c'est que le procédé ne vaut rien pour les terrains humides, à nappe d'eau proche de la surface. On voulut défoncer un terrain humide destiné à recevoir, après drainage, une culture de luzerne. Mais la résistance de l'eau s'opposa à un travail utile; l'énergie de l'explosif ne servit qu'à projeter la terre à une grande hauteur, en creusant des trous d'un demi-mètre cube.
Quoi qu'il en soit, l'industrie des explosifs paraît pouvoir trouver dans l'agriculture un emploi pacifique de ses produits et gagner de l'argent sans massacrer des hommes.
L'inoculation des bacilles typhiques vivantes.
MM. Nicolle, Conor et Conseil avaient démontré, il y a peu de temps, que l'inoculation intraveineuse de vibrions cholériques ou de bacilles dysentériques vivants, séparés des substances du milieu de culture par des centrifugations et des lavages successifs, est sans danger pour l'homme. De nouvelles expériences semblent établir qu'il en est de même du bacille typhique.
Deux sujets, inoculés deux fois dans les veines à quatorze jours d'intervalle, ont reçu 100 millions, puis 1.200 millions de microbes, et n'ont éprouvé aucun mal. Des inoculations relativement beaucoup plus fortes ont été pratiquées sur des lapins et ont donné des résultats analogues.
Un procédé de vaccination avec des cultures vivantes paraît devoir être très actif, mais il présente à la fois un avantage et un inconvénient. D'une part, il ne détermine aucune réaction locale; d'autre part, les cultures vivantes doivent être utilisées dans un délai très court.
Les auteurs espèrent trouver un procédé où la vitalité du microbe sera supprimée, mais où son altération sera moindre qu'avec les méthodes actuelles de stérilisation par la chaleur ou par des antiseptiques.
VIEILLES COUTUMES DE FRANCE.--Un baptême à cheval aux
Saintes-Maries-de-la-Mer.
Phot. G. Bouzanquet.
Devant ces murailles patinées par le temps, dont on ne saurait dire au juste si elles sont celles d'une église ou d'une citadelle, voici une étrange réunion de cavaliers, rangés comme pour une parade. Sous leurs larges sombreros, on les prendrait tout d'abord pour des «cow-boys». Mais, à l'examen, on s'avise que la plupart de ces centaures ont en croupe une jeune Arlésienne. Ce détail de costume situe à peu près la scène sans toutefois l'expliquer. Disons tout de suite que c'est un cortège de baptême peu banal. La marraine, montée à califourchon, tient dans ses bras le nouveau-né qui vient de recevoir l'eau sainte; près d'elle, fièrement campé sur sa monture et s'appuyant sur son trident enrubanné, le jeune, frère du héros de la fête--un précoce cavalier de quinze mois!--lui sert de garde du corps; et le prêtre, revêtu du surplis et de l'étole, bénit l'assistance.
Que sont donc ces gens? Des «gardian» de chevaux et de taureaux sauvages. Habitués à vivre isolément, parmi leur bétail, dans les vastes steppes de la Camargue, ils sont restés à cheval--c'est le cas de le dire--sur les us et coutumes de leur race. Et c'est pour obéir à la tradition que l'un d'eux, «lou Mazard», baptisant son fils, convoqua ses compagnons à lui faire escorte jusqu'à l'antique église fortifiée des Saintes-Maries-de-la-Mer.
(Voir notre gravure de double page.)
Les émotions n'ont point manqué, au cours des derniers mois, au «camp Bugeaud», qui est la redoute et le quartier des méharistes d'In Salah, au Tidikelt. D'aucunes agréables et distrayantes: passage de la mission chargée de préparer l'installation de la télégraphie sans fil; visite de l'intrépide général Bailloud, en promenade à travers le Sahara;--d'autres plus pénibles, mais que ces rudes hommes n'acceptaient pas d'un cœur moins vaillant: escorte, jusqu'à Agadès, de l'intéressante mission conduite par le capitaine Nieger pour étudier le tracé du chemin de fer transsaharien; combats de-ci de-là, dans l'Adrar du Niger, où l'on culbutait vigoureusement un groupe de Berbères venus, fidèles à de vieilles habitudes, pour razzier cette région; poursuite des pillards dans l'Erg Chache, sur 800 kilomètres de distance, et enfin, plus récemment, affaire d'Esseyen, où une bande de 300 assaillants, bien sûrs d'anéantir la quarantaine de méharistes qu'ils avaient surpris dans un camp sommaire, étaient par eux mis en déroute.
Toute cette activité a eu sa répercussion sur la fête du 14 juillet, qui a été célébrée à In Salah comme jamais encore elle ne l'avait été.
Chose digne de remarque, la population indigène, si indolente, pourtant, s'était, pour la circonstance, émue. Tous ces gens, ont, parmi ceux qui combattent pour nous, des parents, des amis; ils étaient donc au courant de la bonne besogne accomplie. Leur semblait-il qu'un peu de gloire en rejaillissait sur eux? Ils accoururent allègrement, au matin de la fête nationale, à l'appel des clairons et des trompettes sonnant le réveil en fanfare, vers le camp Bugeaud, chacun paré de ses gandouras les plus brillantes, foule chatoyante parmi laquelle des Touareg mettaient des notes sombres. Et tout ce monde bien sagement s'aligna, les uns debout, les autres accroupis, sur l'esplanade où allait avoir lieu la revue.
C'était à l'aube, à 5 heures du matin. Et le soleil déjà resplendissait d'un vif éclat, inondant de sa lumière ces beaux groupes décoratifs, et la file des soldats rangés en avant du mur crénelé du camp, comme fichés, ainsi que des soldats de plomb, sur la bande d'ombre que traçait sur le sable leur rangée impeccable,--mâles figures de bronze de blanc vêtues, poitrines bardées de cartouchières, et de très farouche et très noble allure, fiers de la tâche accomplie, souriant aux youyous sonores dont les saluaient les femmes. Un cerf-volant planait, emportant haut dans l'azur le pavillon tricolore.
Le commandant d'armes, avec son état-major, officiers et caïds, passa devant le front, au milieu d'un silence profond. A quelques-uns de ces hommes, il remit les médailles chèrement gagnées, et la revue s'acheva par un défilé très imposant de cette poignée de braves à toute épreuve.
Les traditionnelles réjouissances commençaient. Dans ce pays perdu, nos jeux, ou des jeux pareils!--une course de méharis, un carrousel, un concours de tir... Mais le soleil, montant vers le zénith, mit fin, vers 9 heures, à ces amusements martiaux.
Ils devaient reprendre le soir, après la chaleur passée, et il ne manqua pas même, à cette évocation si lointaine de la fête de France, le classique feu d'artifice, à la nuit close,--pas même la «représentation gratuite». Ce qui mena jusqu'à minuit.
Le colonel Cody.
Le colonel Cody, qui vient de trouver la mort, avec un passager, dans une chute d'aéroplane au camp d'Aldershot, en Angleterre, ne doit pas être confondu avec cet autre qui devint célèbre sous le nom de Buffalo Bill. Comme son homonyme, il avait été cow-boy dans le Far-West et, sous le costume original qu'il portait, il n'était pas sans avoir aussi avec lui quelque ressemblance physique. Virtuose de l'équitation et du tir, sa réputation dans ces exercices de force et d'adresse s'établit rapidement et fut universelle.
Depuis quelques années, il s'était installé en Angleterre et s'était adonné résolument, l'un des premiers, au sport nouveau; il devait y connaître de brillants succès. Tout ensemble inventeur heureux et pilote exercé, il ne montait que des appareils étudiés et construits par lui. Il s'était, l'an dernier, attribué la première place dans le concours d'aviation institué par le ministère de la Guerre anglais.
Notre correspondant de Bruxelles, M. Gérard Harry, nous écrit;
Le génie artistique a rarement reçu un hommage pareil à celui dont vient d'être l'objet, à Gand, la mémoire d'Hubert et Jean Van Eyck. C'est en 1432 qu'apparut au public leur chef-d'œuvre, leur merveilleux retable: l'Adoration de l'agneau mystique. Et c'est en 1913 que le monde dédie un monument aux admirables peintres. Leur prestige, loin d'avoir subi l'outrage du temps, reluit donc plus que jamais au bout de cinq siècles.
Le monument des frères Van Eyck, à Gand.
L'apothéose des Van Eyck ne résulte pas d'une simple initiative locale et flamande: elle traduit un sentiment universel. C'est un comité international, englobant jusqu'aux États-Unis, qui a voulu et payé ce monument, érigé sur le square Saint-Bavon, à côté de la vieille église qui garde les ossements d'Hubert Van Eyck et le morceau capital du prodigieux polyptique tronçonné par la cruauté des hommes et des événements en trois parties, dont une est exilée au musée de Bruxelles et une autre au musée de Berlin.
Oeuvre du statuaire gantois Georges Verbanck, ce monument est un peu massif, mais original et imposant. Sur les larges degrés, en hémicycle, un double cortège ascendant de personnages en bronze vert--adultes et enfants--figurant l'humanité de tous les âges vient faire l'offrande de ses fleurs, de son adoration, aux deux peintres immortels du quinzième siècle, assis côte à côte sur leur siège d'idéale royauté. Au dos du monument de pierre grise, sur lequel tranchent toutes ces figures, s'éploient les ailes d'un ange hiératique encadrant la Muse de l'Art pictural et dont les mains tiennent la couronne méritée par ces deux chefs de l'école des primitifs. Sur le soubassement du monument se détache une théorie de cartouches polychromes reproduisant les armoiries des pays qui ont souscrit à cette œuvre de glorification.
Rien n'a manqué, au point de vue de l'enthousiasme public, à cette exaltation des deux sublimes artistes. Le précieux passé flamand auquel ils appartinrent les a salués en quelque sorte, en même temps que la génération actuelle. Car, après les discours, un cortège historique, richement et archaïquement costumé, a défilé au son des fifres et des flûtes devant le monument. Et on eût dit les grands seigneurs et grandes dames de la cour de Philippe le Bon ressuscités pour venir s'incliner, comme la société du vingtième siècle, devant les images de bronze de leurs deux illustres contemporains.
M. Aimé Morot.--Phot. A. Braun et Cie.
A Dinard, où il était en villégiature, le peintre Aimé Morot, membre de l'Institut, professeur à l'École des Beaux-Arts, commandeur de la Légion d'honneur, vient de succomber, âgé seulement de soixante-trois ans, vaincu par une maladie dont il souffrait depuis longtemps. Le portrait que nous donnons de lui avait été fait il y a cinq ou six ans, alors qu'il était encore officier de la Légion d'honneur.
Nancéen d'origine, il avait étudié à l'atelier Cabanel, d'où il était sorti avec le grand prix de Rome (1873).
Au Salon de cette même année, il débutait avec une toile mythologique remarquée pour sa fraîcheur et sa belle juvénilité, Daphnis et Chloé. Il y montrait déjà ce souci de conception, de précision du dessin, cette conscience qui devaient l'imposer plus tard comme un maître, quand son habileté, sa science de la technique si compliquée de l'art pictural se furent affirmées.
Enumérer ses œuvres, c'est rappeler autant de succès. Ce sont: la Médée, du Salon de 1877; la Bataille des Eaux sextiennes, de 1879; le Bon Samaritain, qui lui valut, en 1880, la médaille d'honneur; cette émouvante Charge des cuirassiers à Reichshoffen, l'un des plus beaux spécimens de la peinture militaire contemporaine,--pour ne citer que les pages les plus retentissantes.
La municipalité de Nancy, sa ville natale, lui avait confié la décoration des salons de son Hôtel de Ville; il fut aussi de la pléiade chargée de décorer l'Hôtel de Ville de Paris. Enfin, il laisse de nombreux portraits, entre autres celui de Léon Gérome, le peintre et le sculpteur célèbre, de qui il avait épousé l'une des filles.
Note du transcripteur: Ce supplément ne nous a pas été fourni.
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